Qui sont ces « ils » ? Le 23 septembre 2020, une centaine de médias officiels français signait une tribune en « Une » de Charlie Hebdo. Le 25 septembre suivant, Ali H, venu d’Islamabad et dont bien des observateurs se demandent ce qu’il faisait sur le territoire français, attaquait une agence de communication à Paris, dans la rue où se trouvaient les bureaux de Charlie Hebdo lors de l’attentat de 2015 ayant coûté la vie à une grande partie de la rédaction. Il croyait, dit-il, attaquer cet hebdomadaire. Cette conjonction d’événements conduit l’OJIM a jeter un œil sur les réactions des médias durant les jours ayant séparé les deux événements : comment les médias officiels ont-ils présenté la tribune publiée le 23 septembre et signée par nombre d’entre eux ?
L’OJIM s’est déjà penché sur deux aspects de cette affaire :
- La tribune du 23 septembre 2020 en tant que telle
- Le profil du terroriste du 25 septembre 2020.
Les principaux médias français officiels unanimes pour saluer la tribune
- Pour France Inter : « C’est historique, des médias signent une tribune pour la liberté d’expression ». Dont France Inter justement.
- Pour RMC (signataire) : « Charlie Hebdo de nouveau menacé : une centaine de médias appellent à se mobiliser »
- Pour France 24 (France Télévisions est signataire) : « Charlie Hebdo : une rédaction sous menace permanente »
- Pour Europe 1 (signataire ET dont la rédaction à fait un procès d’intention politique à son nouveau responsable du service politique Louis de Raguenel, lors de sa nomination officialisée début septembre 2020, au prétexte qu’il travaillait avant pour… Valeurs Actuelles) : « L’objectif est de rappeler l’une des valeurs fondamentales de notre démocratie, la liberté d’expression». Louis de Raguenel a dû apprécier.
- Pour Le Figaro (signataire) : la participation se fait « en solidarité » avec Charlie Hebdo. Le quotidien publie simplement la tribune, sans spécifier que plusieurs de ses chroniqueurs, Eric Zemmour ou Ivan Rioufol par exemple, sont régulièrement pris à partie du fait de l’usage de leur liberté d’opinion et d’expression.
- Pour Le Huffpost : c’est une tribune « En soutien à Charlie Hebdo menacé par Al-Qaïda ». Le média précise : « Bien que la signature du HuffPostn’ait pas été sollicitée dans un premier temps, la rédaction s’associe à la démarche et nous publions à notre tour cette lettre ouverte ce mercredi 23 septembre. »
- Pour France Soir : bien que non sollicité, lui aussi, le média « s’associe sans réserve à cet appel »
- Pour LCI (signataire) : c’est aussi une question de défense de la liberté et de solidarité avec Charlie Hebdo.
- Pour La Croix (seul média chrétien sollicité et signataire) : c’est « Une liberté indivisible »
- Pour 20Minutes : « Attentats de janvier : « Charlie Hebdo» et une centaine de médias lancent un appel pour la liberté d’expression ». Le média publie la tribune.
- Pour Le Journal du Dimanche (signataire) : « Les médias français se mobilisent pour la liberté d’expression ».
- Pour GQ (signataire) : c’est une tribune « en faveur de la liberté d’expression »
- Pour RTL (signataire) il en va de même et le texte est donc diffusé
- Pour BFMTV (signataire), idem.
- Pour Le Monde (signataire) : c’est un appel « inédit ».
La liste est sans fin ou presque : signataires ou non, Les Échos, L’Opinion, Le Mouv’, France bleu, L’Humanité, tout le monde veut en être et, pour que cela fasse bien le tour de France, toute la presse régionale et départementale, d’un intérêt journalistique et intellectuel souvent de faible amplitude, appartenant à fort peu de propriétaires, a été mobilisée.
La Tribune est donc partout, dans toute la France. Elle est aussi diffusée massivement sur les réseaux sociaux, en particulier par un # dédié. Est-elle lue par les français véritables, ceux qui ont autre chose à faire que de regarder ou lire les petites polémiques quotidiennes entre les médias ? Pas certain. Comme elle passe sur TF1(signataire) et BFMTV (signataire), il est probable que nombre de Français en auront au moins entendu parler.
Elle est partout ou presque, puisqu’elle émane de L’alliance de la presse d’information qui représente 300 journaux. Un tiers de ses membres a donc signé.
Tous les médias pré-cités disent la même chose : face aux menaces portées contre la liberté d’expression par « des organisations terroristes internationales » (leur principale caractéristique, d’être musulmane n’est pas indiquée) et des États faisant « pression sur des journalistes français « coupables » d’avoir publié des articles critiques », la tribune demande une sorte de mobilisation générale : « Nous avons besoin de vous. De votre mobilisation. Du rempart de vos consciences. Il faut que les ennemis de la liberté comprennent que nous sommes tous ensemble leurs adversaires résolus, quelles que soient par ailleurs nos différences d’opinion ou de croyances. Citoyens, élus locaux, responsables politiques, journalistes, militants de tous les partis et de toutes les associations, plus que jamais dans cette époque incertaine, nous devons réunir nos forces pour chasser la peur et faire triompher notre amour indestructible de la Liberté. »
Il semble que la mobilisation ait été trop lente pour que le papier et les écrans empêchent l’attentat du 25 septembre 2020.
Les auteurs de la tribune choisissent qui ou qui n’est pas un média
Un élément qui saute aux yeux est l’absence de nombreux médias, non appelés à signer la tribune. Médiapart, par exemple, qui a cependant décidé de s’y associer tout de même. Mais les grands absents sont surtout tous les médias, sans exception, qui n’entrent pas dans le cadre de pensée social-libéral qui domine toutes les salles de rédaction de la presse officielle française (celle qui est financé conjointement par des milliardaires et le gouvernement, aspect qui semblerait saugrenu s’il était pointé pour la Russie ou pour un pays africain).
L’AFP a refusé de signer pour ne pas « mettre en danger ses correspondants » présents dans les pays musulmans.
Ainsi, parmi de très nombreux exemples, ont été laissés de côté TVLibertés, L’OJIM, Présent, Éléments, Valeurs Actuelles, La Nef, L’Homme Nouveau, Le Salon Beige, Panorama, Le Bien commun, Politique magazine, L’Incorrect…
Toute la presse considérée comme identitaire, catholique ou de droite non libérale a été exclue de cet appel à défendre la liberté d’expression.
Conclusion : il y a liberté de la presse et liberté de la presse. Il y a ceux qui en sont et ceux qui n’en sont pas. Quand la Ligue de Défense Noire, groupuscule raciste et violent, est entrée dans les locaux de Valeurs Actuelles, après la parution de la fiction sur Obono, l’alliance de la presse d’information n’a lancé ni tribune ni appel à défendre la liberté d’opinion ou d’expression. Il est heureux que personne n’ait été assassiné ce jour-là. Si vous n’êtes pas du club, il est préférable de vous préparer à mourir dans le silence, un silence qui ne sera sans doute même pas gêné. On vous le dira sur votre tombe: il fallait penser correctement mon ami.