Bientôt trois semaines que la France qui souffre, celle qui travaille et ne s’en sort pas, est descendue dans la rue, une France populaire soumise à des logiciels de politiques ignorant largement les réalités de la France périphérique. Le prix de l’essence est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Les médias officiels ont un peu de difficultés à comprendre ce que sont les gilets jaunes. Explication de textes, seconde partie.
Acte deux, une fois le mouvement ancré dans les ronds-points
Petit panorama de ce qui se dit dans les journaux depuis le 18 novembre 2018, puisque contrairement aux espoirs gouvernementaux et médiatiques le mouvement des gilets jaunes ne s’arrête pas.
Le Monde : le quotidien insiste surtout, jour après jour, sur le fait que ce mouvement n’a pas de « leader ni d’organisation », que des « revendications sont multiples » et que de nombreuses violences provoquent de nombreux blessés, sans oublier de reprendre le thème que le gouvernement a tenté d’imposer, celui d’une « fiscalité écologique ». Un discours répété par une dizaine de ministres, le 19 et le 20 novembre, sur tous les plateaux de télévision et dans tous les studios.
Objectif ? Montrer que les gilets jaunes seraient des beaufs n’ayant rien compris aux véritables enjeux de la planète. Un fonctionnement médiatique et gouvernemental qui montre plutôt combien nos « élites mondialisées » comprennent la révolte populaire. Ces mêmes jours, et en particulier le 21 novembre, Le Monde titre en Une sur « Comment le chaos climatique va affecter nos vies ». Une manière de dire aux gilets jaunes, rentrez chez vous et laissez les gens sérieux gérer. Le Monde n’oublie pas d’indiquer que la droite de Wauquiez et celle de Marine Le Pen œuvreraient à « récupérer » ce mouvement, car « un discours antisystème extrêmement dangereux se répand » (21/11/2018). Autour du 25 et du 26 novembre, Le Monde, plus préoccupé par ses propres révélations sur « le scandale des implants », semble penser que les annonces du président concernant une « stratégie » et une « méthode » à venir pour répondre aux gilets jaunes, ne relève pas que ces mots, comme le terme « pédagogie » utilisé après le référendum de 2005 sur l’UE ou au sujet du Brexit, font justement partie des causes de l’exaspération : le peuple est exclu de la classe par des « professeurs » qui font défiler leur prétendu savoir depuis des chaires arrogantes, c’est cela que ressentent les gilets jaunes. Echec de la pédagogie remarqué dans l’édition du 29 novembre, si bien que le quotidien s’interroge de nouveau sur l’écologie dès le 30, titrant sur fond bleu très visible : « Faut-il en finir avec la croissance ? ». C’est que les gilets jaunes ne sont pas très écolos, avec leurs vieux diesels, cette étrange habitude de ne pas aller au travail en trottinette au prétexte que 50 km c’est un peu long et leur discours « poujadiste ». Ce 30 novembre, les gilets jaunes ont même disparu de la Une. Ils sont de retour le 1er décembre, avec comme titre : « Les gilets jaunes ne relâchent pas la pression ». Ce jour, Le Monde signale plusieurs évolutions : le mouvement commence à se structurer, les gilets jaunes ont le soutien massif de la population et des personnalités entrent en scène en leur faveur, populaires évidemment. Cependant, des « violences » sont à redouter… L’aspect globalement et très majoritairement pacifique du mouvement des gilets jaunes n’aura donc pas fait l’objet d’une analyse sous cet angle-là dans le quotidien du soir. Chacun sait pourtant que des casseurs vont entrer en scène.
Le Figaro : après le 17 novembre, le quotidien insiste sur le fait que la mobilisation est « émaillée d’accidents dramatiques » et que « l’exécutif cherche une réponse ». Comprendre mais maintenir le cap, le langage du premier ministre sous une autre forme. Dans les jours qui suivent, étant donnée l’actualité liée au climat, le quotidien s’interroge sur la manière de mener la politique écologique, politique fortement critiquée par l’ancien ministre Hulot, lequel ne cache pas dans les médias son ressentiment contre le gouvernement. Ce que signale Le Figaro c’est qu’il y a une « alerte verte » sur l’électorat de Macron et que sans l’électorat vert, lequel monterait en puissance, le président irait au-devant de désillusions électorales.
Cette semaine qui précède le samedi 1er décembre, l’exécutif paraît désemparé, au point que Macron peut affirmer que son courant politique est le courant « proche du peuple, et même populiste ». Le désarroi que représente une telle tentative rhétorique n’a assurément pas été assez analysé par les principaux médias. Le Figaro ose l’humour : « Un seul Hulot vous manque et tout s’est effondré ». Mais ce jeu politique fondé uniquement sur le langage et la sémantique, sans lien avec le concret est en partie ce qui pousse les gilets jaunes dans la rue. Comment, depuis les salles de rédaction de Paris, comprendre qu’un gilet jaune a, lui aussi un cerveau et qu’il est dans la rue justement à cause du décalage entre ce qui est dit et ce qui est fait. Le 22 novembre, le quotidien tente cependant de minimiser le mouvement qui serait « moins mobilisé », en manque de « chefs ». Il serait plus juste de dire que les gilets jaunes travaillent et que de ce fait la semaine ils sont au boulot. Le 29 novembre, Le Figaro publie les sondages indiquant que 84 % des Français soutiennent les gilets jaunes, évoque une « tempête » et soupçonne le premier ministre de ne pas être à la hauteur. Le 1er décembre au matin, ce qui ressort des pages du Figaro, c’est que le mouvement présente de hauts « risques », de violence, mais aussi et peut-être surtout pour l’économie et le commerce de Noël. De nouveau, le fond du problème n’est pas analysé : bien qu’inconscient sans doute, le mouvement des gilets jaunes est aussi une révolte non pas pour le pouvoir d’achat, contrairement à ce que disait la majorité des médias au début, mais contre la baisse de ce pouvoir d’achat. Autrement dit, une révolte contre le fait d’être progressivement exclu du Disneyland généralisé que l’on appelle la mondialisation.
La Croix : le quotidien chrétien de gauche pro-immigrationniste consacre un dossier aux gilets jaunes le 30 novembre 2018, posant la question « Qui sont les gilets jaunes ? ». Réponse : « Ceux-ci se recrutent essentiellement parmi les classes populaires et intermédiaires plutôt peu diplômées et exerçant des métiers manuels ». Le niveau de mépris de cette description paraît échapper au quotidien.
Ainsi, concrètement, nombre de gilets jaunes sont électriciens, boulangers, artisans, mais évidemment pas seulement puisqu’il y a de nombreux cadres ; ce qui est extraordinaire c’est de considérer comme « peu » un diplôme de métier artisanal, et c’est cette vision du monde-là, méprisante par ignorance profonde, qui est cause de l’actuelle explosion de colère. Qui plus est, l’article se fonde sur un sondage indiquant que 27 % des gilets jaunes, lesquels sont un Français sur cinq, appartiennent aux classes populaires, ce qui ne correspond pas à l’idée mise en avant. L’article note cependant un fait réel et peu relevé par ailleurs : les gilets jaunes sont homogènes, et non pas un foutoir contrairement à ce que prétend le gouvernement. Ce sont tout simplement les victimes de la mondialisation prétendument heureuse. Ceux qui ne sont rien. La même enquête rapporte les propos du ministre de l’intérieur Castaner qui affirme « Le mouvement des gilets jaunes n’est pas un phénomène de masse ». 25 % des Français… soutenus par 84 % de sondés… Une telle phrase se passe de commentaires. Pour Castaner, c’est « un habitant pour trois communes ». Là aussi, la question se pose : ce mépris est-il vraiment inconscient ? Dans un autre de ses articles, La Croix du même jour considère que le mouvement est peu structuré et sans représentation claire
L’Express : daté du 28/11 au 04/12 titre (en jaune) « France conte France, comment éviter le divorce ». Pour l’hebdomadaire, « le mouvement hétérogène des gilets jaunes suscite toute sortes de projections culturelles et politiques. Reste une colère qui grossit, et qui rappelle à Emmanuel Macron l’urgence qu’il y a à recoller les morceaux ». Accroche sur fond de photo de gilet jaune, visage hurlant et… bras tendu (sic). Le magazine donne la parole à Christophe Guilluy, géographe qui annonce depuis des années, livre après livre, que l’abandon dans lequel sont plongées les classes populaires ne peut que conduire à une expression politique. Selon lui, le mouvement montre que « La France populaire impose son diagnostic » sur l’état de la France. L’article terminant le dossier pose comme nécessité un changement de « méthode » de la part du président Macron, montrant aussi une incompréhension de fond : la question n’est pas de « méthode » pour faire passer des pilules mais de souffrance sociale.
L’Obs : gagne la palme de la Une la plus ridicule sur le sujet, titrant : « Après les gilets jaunes, la récupération populiste ». Le dossier vise à montrer que le fond du souci, bien que la colère puisse être comprise comme légitime, se trouverait dans le risque de voir arriver au pouvoir Marine Le Pen ou Nicolas Dupont-Aignan. La France serait divisée entre « bobos » et « poujados »… La peur ? Que Marine Le Pen « profite de cet épisode émotionnel pour gagner les élections européennes de 2019 ». L’Obs, on ne change pas une équipe qui perd.
Libération : dans son édition du 1er décembre, le quotidien de la gauche caviar sociale-libérale titre « La fièvre », avec le visage de Macron sur fond jaune. Laurent Joffrin se demande s’il ne s’agirait pas d’un mouvement de « sans-culottes » et d’une « insurrection », et insiste sur le fait que Macron est « inaudible » face à un mouvement amplement soutenu par la population, contrairement à ce qu’affirme Castaner. L’article principal, écrit par quatre journalistes, insiste sur « les contours flous d’une France à vif », article qui montre à quel point Libération a du mal à se situer face au peuple, au vrai peuple, lequel n’est pas par obligation de gauche. Le quotidien considère que l’exécutif est « désemparé » mais voit un « mouvement qui prospère sur le sentiment de déconnexion entre dirigeants et citoyens », superbe aveu de cette réalité de l’existence d’une oligarchie, au pouvoir de laquelle le quotidien de la gauche caviar a amplement contribué depuis 40 ans. Un autre article n’oublie pas d’exposer que grâce à ce mouvement « l’extrême droite se rhabille en jaune ». Chez Libération, on ne se refait pas.
Rien de positif dans ce marasme de la presse Française ? Si, fort heureusement. Les gilets jaunes sont mieux compris par Marianne, évoquant « ce peuple qui pue le diesel », Valeurs Actuelles et sa Une choc au sujet de Macron (« L’incendiaire. Mépris, déconnexion, manipulations… Comment Macron attise la colère »), TV Libertés, en pointe sur le plan de l’information télévisée non formatée, la matinale de Bourdin qui, sur RMC, donne chaque jour la parole aux gilets jaunes et à leurs adversaires, Présent qui arbore un gilet jaune comme un pin’s depuis une semaine . La presse et c’est heureux, n’est pas entièrement à l’image de BFM.