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Médias et ingérences étrangères : le journaliste Rachid M’Barki face au Parlement

26 mars 2023

Temps de lecture : 7 minutes
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Médias et ingérences étrangères : le journaliste Rachid M’Barki face au Parlement

Temps de lecture : 7 minutes

C’est parce qu’il aurait diffusé dans son Journal de la nuit de BFMTV des séquences en faveur de certaines puissances étrangères que Rachid M’Barki avait été licencié, le 23 février 2023, de la chaîne pour laquelle il travaillait depuis 2005. Interrogé par la « Commission d’enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères […] visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français », le 22 mars 2023, le journaliste est sorti de son silence pour la première fois depuis son éviction et a fait valoir ses arguments contre ce qu’il a qualifié de « lynchage médiatique ».

Aux fondements des accusations : un soupçon d’ingérence marocaine

C’est un arti­cle de Politi­co qui avait mis, le 2 févri­er dernier, le feu aux poudres : celui-ci dénonçait en pre­mier lieu la séman­tique util­isée par le jour­nal­iste à l’occasion de la dif­fu­sion d’une séquence sur le forum économique entre le Maroc et l’Espagne à Dakhla, où M’Barki évo­quait un « réchauf­fe­ment des rela­tions diplo­ma­tiques » entre les deux pays, notam­ment grâce à la « recon­nais­sance espag­nole du Sahara maro­cain » dont avait fait preuve le pre­mier pays. Le Sahara occi­den­tal faisant l’objet de lit­iges entre l’Algérie et le Maroc, cette tour­nure de phrase sus­cite l’interrogation de Politi­co, qui indique par ailleurs que le jour­nal­iste, invité en 2019 à la célébra­tion d’accès au trône du Roi du Maroc avait fait part à un média nation­al de sa volon­té d’« essay[er] d’agir à ma manière à mon petit niveau pour faire briller le Maroc. »

Face aux par­lemen­taires de la Com­mis­sion d’enquête, présidée par le député Jean-Philippe Tan­guy (RN) et du rap­por­teur Con­stance le Grip (ex-LR dev­enue Renais­sance), M’Barki s’insurge : « on a pré­ten­du que j’avais été payé par le Maroc […] Ce pays ne m’a jamais rien don­né, c’est absurde ». Sig­nalant, comme un argu­ment d’autorité, que le Chance­li­er autrichien avait égale­ment employé l’expression de « Sahara maro­cain », l’ancien présen­ta­teur a égale­ment déploré que ses orig­ines maro­caines aient fait l’objet d’un traite­ment médi­a­tique dès l’éclosion de cette polémique. « Je suis soudaine­ment devenu ʺjour­nal­iste fran­co-maro­cainʺ ; avant cela, per­son­ne n’avait fait état de mes orig­ines. Et moi-même, je n’avais jamais mis en avant mes orig­ines maro­caines ». Et après cette insin­u­a­tion dis­crète de traite­ment dis­tinct pour raisons « raciales », le jour­nal­iste ajoute : « le Maroc est un grand pays, sou­verain, et qui n’a besoin de per­son­ne pour défendre ses intérêts et surtout pas d’un petit télé­graphiste » - ce dont le prési­dent de séance a assuré que la Com­mis­sion se charg­erait elle-même d’en juger.

Fait trou­blant : au cours de l’entretien, le jour­nal­iste se défendra, au détour de ques­tions des par­lemen­taires, d’avoir par­ticipé à des évène­ments organ­isés par des puis­sances étrangères. Alors que Rachid M’Barki soulig­nait avoir « déjà été invité à ce genre d’évènements », il a tenu à soulign­er à la Com­mis­sion : « je ne m’y suis jamais ren­du car je préférais prof­iter de ma famille ». Or, la célébra­tion d’accès au trône du Maroc en 2019 ne fai­sait-elle pré­cisé­ment pas par­tie de ces évène­ments organ­isés par des puis­sances étrangères et des­tinées à infléchir l’opinion de jour­nal­istes comme lui ? C’est là que le bât blesse : cer­tains jour­nal­istes, suiv­ant leur domaine de tra­vail, peu­vent béné­fici­er d’avantages « en nature », qu’il s’agisse de récep­tions, dîn­ers, con­férences ou menus cadeaux qui influ­en­cent néces­saire­ment leur tra­vail. Béné­fices de la pro­fes­sion, ces pra­tiques tacites ne sont pour­tant pas encadrées et, suiv­ant l’importance des médias, peu­vent pren­dre des pro­por­tions de grande ampleur.

De la difficulté de définir le lobbying

Il existe une dif­fi­culté d’appréciation sim­i­laire dans l’orientation des infor­ma­tions pro­posées par les sources — en l’occurrence, ceux que la Com­mis­sion a qual­i­fié de « lob­by­istes » ; durant l’audition, le nom d’un cer­tain M. Duthion, source util­isée par Rachid M’Barki revient à plusieurs repris­es. Cet homme qui lui « don­nait régulière­ment des infor­ma­tions » et tra­vail­lait a pri­ori pour le compte de clients étrangers, aurait ain­si don­né des infor­ma­tions ain­si que des images au jour­nal­iste. « Je ne me rap­pelle plus dans quelles cir­con­stances exactes nous nous sommes ren­con­trés », a souligné M’Barki avant d’ajouter : « Il ne s’est jamais caché de ce qu’il était : un lob­by­iste ». Indi­quant qu’il n’y avait pas de régu­lar­ité dans leurs échanges et ren­con­tres et qu’il n’avait « jamais été ques­tion de rémunéra­tions ou de quel­conque avan­tage que ce soit », l’intervenant a été inter­rogé plusieurs fois par les députés Tan­guy, Esquenet-Gox­es et Brun sur l’absence de souci du jour­nal­iste à com­pren­dre pour qui tra­vail­lait en sous-main le dénom­mé Duthion.

S’il n’a pas claire­ment répon­du à cette ques­tion, le jour­nal­iste soulève néan­moins une vérité d’ordre général : « tout le monde a un intérêt dans la dif­fu­sion d’une infor­ma­tion », indique-t-il alors. « Je ne saurais pas pré­cis­er son intérêt à lui. […] Une attachée de presse a intérêt à pass­er une infor­ma­tion pour laque­lle elle est man­datée. Vous-même, quand vous faites pass­er des infor­ma­tions à des jour­nal­istes, vous y avez un intérêt. Lorsqu’une ONG fait pass­er une infor­ma­tion, elle y a un intérêt. […] Moi la ques­tion que je me pose c’est est-ce que l’information a un intérêt pour le pub­lic. Ce que je vous dis là c’est que j’étais de bonne foi. Je me demandais si oui ou non l’information avait un intérêt pour le pub­lic ». S’il est effec­tive­ment sin­guli­er que le jour­nal­iste ne se soit pas inter­rogé sur les intérêts de sa source, dont il faut par ailleurs ajouter qu’elle était la seule, en tant que prestataire extérieur (vidéos ama­teures excep­tées) à laque­lle il ait eu recours aux images, les con­tours clairs de la déf­i­ni­tion du lob­by­iste restent à définir.

La confusion des reproches de BFMTV

C’est cette même con­fu­sion qui règne dans les accu­sa­tions de la chaîne à l’encontre de son ancien col­lab­o­ra­teur. Son Directeur Général, Marc-Olivi­er Fogiel, fai­sait ain­si val­oir à l’occasion du licen­ciement de M’Barki que l’enquête interne menée de jan­vi­er à févri­er avait « per­mis d’identifier plusieurs séquences, entre 2021 et 2022, qui ont été dif­fusées sans respect des process (sic) de val­i­da­tion et de la ligne édi­to­ri­ale. » Treize séquences seraient incrim­inées par ces soupçons d’ingérences par des acteurs étrangers – via notam­ment l’officine israéli­enne Team Jorge. Ce respect des « process » a soulevé quelques inter­ro­ga­tions à l’occasion de la com­mis­sion. En ce qui con­cerne les images, le jour­nal­iste, qui a prêté ser­ment, s’avère formel : « Cela passe par mon mail pro­fes­sion­nel, que je passe à ma ʺcheffeʺ d’édition. Ces images sont vision­nées. Mon­tées, pas par mes soins. Puis elles sont validées, pas par mes soins. Et ensuite elles pou­vaient être dif­fusées. Sachant qu’une image quelle qu’elle soit qui n’a pas reçu la val­i­da­tion ne peut pas être dif­fusée sur BFMTV ». Dans cette per­spec­tive, il sem­ble dif­fi­cile à la chaîne de lui reprocher leur usage, à moins d’incriminer égale­ment la « cheffe » d’édition.

Sur la ques­tion de la rédac­tion, le jour­nal­iste a indiqué que c’était de la hiérar­chie des sujets dont il était dis­cuté col­lec­tive­ment et que, à l’exception des sujets imprévis­i­bles (résul­tats sportifs…), tous les textes étaient écrits « une heure / une heure et demie avant mon pas­sage à l’antenne », sur un logi­ciel « acces­si­ble et disponible de tous ». Dès lors, il sem­ble déli­cat d’évoquer « l’absence de respect de process (sic) » puisque ceux-ci ne sem­blent même pas claire­ment défi­nis. « Très hon­nête­ment il n’y avait pas de process », a d’ailleurs souligné le jour­nal­iste. Par ailleurs, l’absence de con­vo­ca­tion du jour­nal­iste à l’occasion de l’enquête interne dont il était l’objet soulève des ques­tions déon­tologiques. « Je n’ai pas été enten­du par mon employeur pen­dant l’enquête interne. Puis l’affaire est sor­tie dans la presse et j’ai été licen­cié », a indiqué M’Barki.

Dénonçant un « lyn­chage médi­a­tique » notam­ment mené par Frédéric Métézeau qui avait mené l’enquête via la cel­lule inves­ti­ga­tion de Radio France, avec le con­sor­tium For­bid­den sto­ries, Rachid M’Barki a nié avoir sci­em­ment dif­fusé une infor­ma­tion ori­en­tée en faveur d’une puis­sance étrangère. Ému, il a con­clu son allo­cu­tion en déplo­rant que « la chaîne qui [l’ait] employ[é] depuis 18 ans [le] jette en pâture pour des infor­ma­tions infondées », « tout ça pour détourn­er l’attention et ne pas être éclaboussée et se refaire une vir­ginité sur [s]on dos ».

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