C’est parce qu’il aurait diffusé dans son Journal de la nuit de BFMTV des séquences en faveur de certaines puissances étrangères que Rachid M’Barki avait été licencié, le 23 février 2023, de la chaîne pour laquelle il travaillait depuis 2005. Interrogé par la « Commission d’enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères […] visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français », le 22 mars 2023, le journaliste est sorti de son silence pour la première fois depuis son éviction et a fait valoir ses arguments contre ce qu’il a qualifié de « lynchage médiatique ».
Aux fondements des accusations : un soupçon d’ingérence marocaine
C’est un article de Politico qui avait mis, le 2 février dernier, le feu aux poudres : celui-ci dénonçait en premier lieu la sémantique utilisée par le journaliste à l’occasion de la diffusion d’une séquence sur le forum économique entre le Maroc et l’Espagne à Dakhla, où M’Barki évoquait un « réchauffement des relations diplomatiques » entre les deux pays, notamment grâce à la « reconnaissance espagnole du Sahara marocain » dont avait fait preuve le premier pays. Le Sahara occidental faisant l’objet de litiges entre l’Algérie et le Maroc, cette tournure de phrase suscite l’interrogation de Politico, qui indique par ailleurs que le journaliste, invité en 2019 à la célébration d’accès au trône du Roi du Maroc avait fait part à un média national de sa volonté d’« essay[er] d’agir à ma manière à mon petit niveau pour faire briller le Maroc. »
Face aux parlementaires de la Commission d’enquête, présidée par le député Jean-Philippe Tanguy (RN) et du rapporteur Constance le Grip (ex-LR devenue Renaissance), M’Barki s’insurge : « on a prétendu que j’avais été payé par le Maroc […] Ce pays ne m’a jamais rien donné, c’est absurde ». Signalant, comme un argument d’autorité, que le Chancelier autrichien avait également employé l’expression de « Sahara marocain », l’ancien présentateur a également déploré que ses origines marocaines aient fait l’objet d’un traitement médiatique dès l’éclosion de cette polémique. « Je suis soudainement devenu ʺjournaliste franco-marocainʺ ; avant cela, personne n’avait fait état de mes origines. Et moi-même, je n’avais jamais mis en avant mes origines marocaines ». Et après cette insinuation discrète de traitement distinct pour raisons « raciales », le journaliste ajoute : « le Maroc est un grand pays, souverain, et qui n’a besoin de personne pour défendre ses intérêts et surtout pas d’un petit télégraphiste » - ce dont le président de séance a assuré que la Commission se chargerait elle-même d’en juger.
Fait troublant : au cours de l’entretien, le journaliste se défendra, au détour de questions des parlementaires, d’avoir participé à des évènements organisés par des puissances étrangères. Alors que Rachid M’Barki soulignait avoir « déjà été invité à ce genre d’évènements », il a tenu à souligner à la Commission : « je ne m’y suis jamais rendu car je préférais profiter de ma famille ». Or, la célébration d’accès au trône du Maroc en 2019 ne faisait-elle précisément pas partie de ces évènements organisés par des puissances étrangères et destinées à infléchir l’opinion de journalistes comme lui ? C’est là que le bât blesse : certains journalistes, suivant leur domaine de travail, peuvent bénéficier d’avantages « en nature », qu’il s’agisse de réceptions, dîners, conférences ou menus cadeaux qui influencent nécessairement leur travail. Bénéfices de la profession, ces pratiques tacites ne sont pourtant pas encadrées et, suivant l’importance des médias, peuvent prendre des proportions de grande ampleur.
De la difficulté de définir le lobbying
Il existe une difficulté d’appréciation similaire dans l’orientation des informations proposées par les sources — en l’occurrence, ceux que la Commission a qualifié de « lobbyistes » ; durant l’audition, le nom d’un certain M. Duthion, source utilisée par Rachid M’Barki revient à plusieurs reprises. Cet homme qui lui « donnait régulièrement des informations » et travaillait a priori pour le compte de clients étrangers, aurait ainsi donné des informations ainsi que des images au journaliste. « Je ne me rappelle plus dans quelles circonstances exactes nous nous sommes rencontrés », a souligné M’Barki avant d’ajouter : « Il ne s’est jamais caché de ce qu’il était : un lobbyiste ». Indiquant qu’il n’y avait pas de régularité dans leurs échanges et rencontres et qu’il n’avait « jamais été question de rémunérations ou de quelconque avantage que ce soit », l’intervenant a été interrogé plusieurs fois par les députés Tanguy, Esquenet-Goxes et Brun sur l’absence de souci du journaliste à comprendre pour qui travaillait en sous-main le dénommé Duthion.
S’il n’a pas clairement répondu à cette question, le journaliste soulève néanmoins une vérité d’ordre général : « tout le monde a un intérêt dans la diffusion d’une information », indique-t-il alors. « Je ne saurais pas préciser son intérêt à lui. […] Une attachée de presse a intérêt à passer une information pour laquelle elle est mandatée. Vous-même, quand vous faites passer des informations à des journalistes, vous y avez un intérêt. Lorsqu’une ONG fait passer une information, elle y a un intérêt. […] Moi la question que je me pose c’est est-ce que l’information a un intérêt pour le public. Ce que je vous dis là c’est que j’étais de bonne foi. Je me demandais si oui ou non l’information avait un intérêt pour le public ». S’il est effectivement singulier que le journaliste ne se soit pas interrogé sur les intérêts de sa source, dont il faut par ailleurs ajouter qu’elle était la seule, en tant que prestataire extérieur (vidéos amateures exceptées) à laquelle il ait eu recours aux images, les contours clairs de la définition du lobbyiste restent à définir.
La confusion des reproches de BFMTV
C’est cette même confusion qui règne dans les accusations de la chaîne à l’encontre de son ancien collaborateur. Son Directeur Général, Marc-Olivier Fogiel, faisait ainsi valoir à l’occasion du licenciement de M’Barki que l’enquête interne menée de janvier à février avait « permis d’identifier plusieurs séquences, entre 2021 et 2022, qui ont été diffusées sans respect des process (sic) de validation et de la ligne éditoriale. » Treize séquences seraient incriminées par ces soupçons d’ingérences par des acteurs étrangers – via notamment l’officine israélienne Team Jorge. Ce respect des « process » a soulevé quelques interrogations à l’occasion de la commission. En ce qui concerne les images, le journaliste, qui a prêté serment, s’avère formel : « Cela passe par mon mail professionnel, que je passe à ma ʺcheffeʺ d’édition. Ces images sont visionnées. Montées, pas par mes soins. Puis elles sont validées, pas par mes soins. Et ensuite elles pouvaient être diffusées. Sachant qu’une image quelle qu’elle soit qui n’a pas reçu la validation ne peut pas être diffusée sur BFMTV ». Dans cette perspective, il semble difficile à la chaîne de lui reprocher leur usage, à moins d’incriminer également la « cheffe » d’édition.
Sur la question de la rédaction, le journaliste a indiqué que c’était de la hiérarchie des sujets dont il était discuté collectivement et que, à l’exception des sujets imprévisibles (résultats sportifs…), tous les textes étaient écrits « une heure / une heure et demie avant mon passage à l’antenne », sur un logiciel « accessible et disponible de tous ». Dès lors, il semble délicat d’évoquer « l’absence de respect de process (sic) » puisque ceux-ci ne semblent même pas clairement définis. « Très honnêtement il n’y avait pas de process », a d’ailleurs souligné le journaliste. Par ailleurs, l’absence de convocation du journaliste à l’occasion de l’enquête interne dont il était l’objet soulève des questions déontologiques. « Je n’ai pas été entendu par mon employeur pendant l’enquête interne. Puis l’affaire est sortie dans la presse et j’ai été licencié », a indiqué M’Barki.
Dénonçant un « lynchage médiatique » notamment mené par Frédéric Métézeau qui avait mené l’enquête via la cellule investigation de Radio France, avec le consortium Forbidden stories, Rachid M’Barki a nié avoir sciemment diffusé une information orientée en faveur d’une puissance étrangère. Ému, il a conclu son allocution en déplorant que « la chaîne qui [l’ait] employ[é] depuis 18 ans [le] jette en pâture pour des informations infondées », « tout ça pour détourner l’attention et ne pas être éclaboussée et se refaire une virginité sur [s]on dos ».