Que les médias publics, et notamment la télévision publique TVP, soutiennent le gouvernement en place et attaquent l’opposition n’est pas une nouveauté en Pologne. La plupart des commentateurs, y compris aujourd’hui ceux de droite plutôt favorables au PiS, s’accordent toutefois à dire que depuis 2016, sous la présidence de Jacek Kurski, issu du PiS, la direction de TVP va trop loin et qu’elle a transformé son service d’information en service de propagande gouvernementale. Là où les commentateurs divergent en fonction de leurs préférences politiques, c’est sur la question de savoir qui a commencé, les partisans de l’actuelle opposition libérale estimant, au contraire des conservateurs, que la reprise en main de TVP par le gouvernement de Donald Tusk à partir de 2010 n’était pas comparable.
Suppression de la télévision publique ?
Toujours est-il qu’une des propositions des libéraux liés à la Plateforme civique (PO), (le parti de l’actuel président du Conseil européen avant son départ à Bruxelles) est de supprimer tout bonnement les établissements publics de télévision (TVP) et de la radio (Polskie Radio) s’ils reviennent au pouvoir. Si la proposition peut paraître surprenante (ne serait-il pas préférable de changer à nouveau la direction et les journalistes des médias publics comme l’avait fait la coalition PO-PSL en 2010-11 et le PiS en 2016 ?), elle est confortée par le fait que, de l’avis du plus grand nombre, les chaînes de la télévision TVP ne remplissent plus leur mission de service public. Outre leur rôle de canal de propagande du gouvernement en place, elles cherchent en effet systématiquement à concurrencer les chaînes privées et proposent donc des émissions axées sur l’audimat, sauf en ce qui concerne les petites chaînes spécialisées de type TVP Kultura et TVP Historia, que peu de gens regardent. Cette commercialisation de la télévision publique est la conséquence directe du très faible taux de recouvrement d’une redevance audiovisuelle toujours pas réformée malgré la promesse électorale du PiS.
Les libéraux ne sont pas les seuls à se plaindre de la tournure prise par TVP après l’arrivée au pouvoir du PiS à l’automne 2015. Fin avril, Piotr Liroy-Marzec, cadre de la coalition de nationalistes, libéraux-conservateurs et militants pro-vie Konfederacja, a ainsi déposé une plainte devant le Conseil national de la radiophonie et de la télévision (le CSA polonais, KRRiT) en expliquant que « même pendant les huit années de gouvernements de la Plateforme civique, les médias publics n’étaient pas à ce point soumis à la propagande politique du parti au pouvoir ». En janvier dernier, c’était le parti conservateur et souverainiste Kukiz’15, représenté à la Diète, qui exigeait la démission du président de TVP Jacek Kurski et de son adjoint Maciej Stanecki, en raison du rôle négatif que joue la télévision publique notamment à la lumière du niveau croissant d’agressivité dans le débat public. Cette demande était liée aux informations du soir de TVP après l’attaque au couteau contre le maire de Gdańsk, dans lesquels la chaîne avait présenté des « discours de haine » de leaders de l’actuelle opposition mais aucun exemple du côté du PiS.
Quand l’hôpital se moque de la charité
Les critiques provenant des partis de l’ancienne coalition PO-PSL et des post-communistes (SLD) font en revanche penser à l’hôpital qui se moque de la charité, et le projet sur lequel travaille l’opposition libérale, c’est-à-dire la Plateforme civique (PO), consisterait désormais à supprimer les structures juridiques existantes pour… en créer de nouvelles. Le grand site Internet pro-opposition Onet.pl (propriété du groupe germano-suisse Axel Springer) expliquait même le 4 avril ainsi que ses interlocuteurs au sein de la PO « ne cachent pas que cela doit faciliter les changements au niveau du personnel ». Autrement dit, la PO qui avait déjà débarrassé la télévision publique de ses journalistes conservateurs ou jugés trop favorables au PiS après avoir pris le contrôle du KRRiT (le CSA polonais) en 2010 avec l’aide du PSL et du SLD (post communiste), veut agir de manière encore plus rapide et plus radicale que le PiS en 2016 au cas où elle reviendrait au pouvoir.
Comme avait dit le cinéaste Andrzej Wajda en 2010, alors membre du comité de soutien au candidat de la PO à la présidentielle Bronisław Komorowski (dont le principal concurrent était Jarosław Kaczyński) : « Nous devons trouver un moyen de nous tourner vers le chef de la télévision publique. Pourquoi la télévision publique ? Parce que c’est la seule télévision qui parle à tous les Polonais. Nous pouvons bien sûr avoir des amis à la télévision TVN, et la deuxième télévision [privée] peut bien nous soutenir, mais […] nous devons avoir notre place assurée à la télévision publique, car ce qui n’est pas à la télévision n’existe pas. »
Une volonté hégémonique des libéraux
Ces paroles furent exprimées dans un contexte où la télévision publique était depuis les changements opérés par le PiS en 2005-07 relativement pluraliste (avec des émissions conduites par des journalistes des différents camps) et offrait un service d’information plutôt honnête, capable de critiquer le gouvernement comme l’opposition, contrairement aux deux grands groupes de télévision privée qui émettent en Pologne, TVN et Polsat. Ces deux télévisions professant une idéologie libérale-libertaire et européiste, ils soutenaient (et soutiennent encore, surtout TVN) les libéraux tout en attaquant violemment le PiS et, plus généralement, la droite conservatrice et catholique. À partir de la prise de contrôle du conseil de l’audiovisuel polonais par la coalition PO-PSL de Donald Tusk et le SLD en 2010, l’appel de Wajda fut mis à exécution. Or depuis 2016 et la prise de contrôle des médias publics par le PiS, les Polonais ont à nouveau le choix à la télévision entre deux visions diamétralement différentes : celle des médias publics et celle des médias privés. C’est ce que la PO voudrait donc changer rapidement si elle revient au pouvoir, en exerçant un monopole de l’information.
Les instances européennes protesteront-elles comme elles l’ont fait dès janvier 2016 après la première loi sur les médias du PiS ? Il est permis d’en douter puisque l’UE n’avait rien dit quand l’actuel président du Conseil européen Donald Tusk, alors premier ministre, muselait la presse d’opposition et purgeait les médias publics de ses journalistes conservateurs. Il en va de même pour Reporters sans frontières dont les critiques concernant la Pologne sont jusqu’ici très sélectives.