La court-circuitant sans cesse, s’attaquant à son amour-propre comme à sa bourse, Trump poursuit son dressage de l’industrie des médias. Une industrie qui s’engouffre dans le trou noir de la concentration financière.
Le Pew Research Center a publié le 15 juin 2016 son « état des lieux » (State Of The News Media 2016), décrivant le stress de l’industrie : « Le secteur des journaux est probablement au pire depuis la récession. Les quotidiens (papier et numérique) ont encore baissé de 7%, soit la plus forte chute depuis 2010. En 2015, les revenus publicitaires des journaux cotés en bourse ont perdu 8%, entrainant des pertes financières, y compris pour les numériques ». Pew Research explique ensuite que la presse quotidienne emploie 33 000 journalistes, dont une grande partie dépend de la politique. Washington (DC) aspire 32 % des journalistes, cependant que 38% se concentrent dans les capitales des 50 États. Les salles de presse ont perdu 10% de leurs effectifs en 2015 et … 20 000 personnes en 20 ans !
Pas étonnant que la valorisation des entreprises de presse diminue autant que leurs effectifs, ouvrant la voie aux raiders. Plus grave (toujours selon Pew) seuls 5% des américains considéraient (en début d’année) l’information des journaux comme source « la plus utile » à leur compréhension de la campagne électorale.
Quant à la télévision, dont le chiffre d’affaire croît (encore), elle est concurrencée par le numérique, en particulier dans le créneau-clé des nouvelles, où l’audience est en déclin continu dans les chaines classiques. Aujourd’hui 62% des adultes s’informent sur les médias sociaux.
A ne pas pouvoir changer la température, les médias en sont conduits à casser le thermomètre.
Casser les médias sociaux ?
D’où la campagne actuelle, lancée par le Président Obama lui-même, assimilant les médias sociaux à des vecteurs de fausses nouvelles, ces “fake news” qui auraient fait élire Trump à l’instigation de la Russie. Une justification de la censure ?
Face aux attaques d’une presse craignant pour son écosystème, Trump soumet les grands médias à la douche écossaise, mêlant sevrage, marginalisation, et appât du gain. Avec plusieurs angles d’attaque :
- désacralisation : les médias ne sont qu’un vulgaire business. Ainsi « Monsieur 10 milliards » met à nu les journalistes pour ce qu’ils sont : des employés de sociétés en perte de vitesse, privés d’ascendant moral… et dont le job est moins que garanti. Déroutant pour ceux qui ont coutume de voir les politiciens trembler.
- compétence : on ne peut pas faire confiance à des journalistes qui n’ont réellement rien vu venir dans ces 18 mois de campagne. Pourquoi une telle absence de perspicacité professionnelle ? Pire encore que la malhonnêteté.
- honnêteté : les journalistes ont essentiellement soutenu Clinton par nécessité alimentaire, se nourrissant paresseusement d’un système qui a floué Bernie Sanders et massacré Trump. Clinton a perdu… et les médias refusent maintenant (mais pas Obama) d’analyser les raisons de son échec. Mauvais perdants…
- marchandage : laissant les patrons de presse dans le flou, Trump leur fait craindre une exclusion du Corps de presse présidentiel. Ce groupe prestigieux comprend une cinquantaine de correspondants postés à la Maison Blanche qui « suivent » le président en continu, participant entre autre aux conférences ou aux points de presse du Président et de son équipe. Trump n’a toujours pas pris position sur les heureux élus.
- démocratie directe : ridiculisé pour ses tweets, Trump a créé un univers parallèle pendant la campagne, qu’il tend maintenant à exploiter à la façon des gardes rouges de Mao, journalistes et parlementaires toujours nerveux du risque de figurer dans quelque dàzìbào Il a ainsi constitué ses sections de gardes rouges, rassemblant ses alliés de la presse internet (Drudgereport, Washington Times, LifeZette, Daily Caller, Breibart etc.) qui ont mobilisé plus de 62 millions d’électeurs pendant la campagne.
- « Révolution Permanente » : Trump innove avec le lancement sur YouTube du programme de ses premiers 100 jours, sans conférence de presse. Puis il lance, le 1er décembre à Cincinnati une « tournée de remerciement » dans les états pivots du Rust Belt (ce « mur bleu » ouvrier qu’il a fait basculer), avec un triple objectif : se ressourcer dans le bain de foule, lancer ses annonces majeures à chaque meeting devant des caméras devenues dernières roues du carrosse (ainsi, à Cincinnati, la nomination de son Ministre de la Défense… et la décision, suite à son intervention, de la société Carrier-United technologies d’annuler l’installation au Mexique d’une importante unité de fabrication), et enfin rappeler aux parlementaires républicains qu’il ne travaille pas pour eux et qu’ils n’ont qu’à bien se tenir.
Guide de survie du trumpisme
L’ancien Speaker Newt Gingrich vient de formuler au bénéfice de Trump un guide de survie du « trumpisme », sous forme de trois conseils: ne pas devenir « raisonnable », régler les problèmes de fond et pas les symptômes, faire passer l’importance avant l’urgence. Il insiste : « en se levant chaque matin [Trump] devrait relire ses promesses électorales… il doit son élection au peuple qui a cru en lui et non aux courtisans qui l’ont méprisé avant de l’aimer parce qu’il a été élu. »
Trump, l’homme du dàzìbào, avance également en trotskiste activiste, sachant que l’establishment le soutient comme la corde le pendu et espère lui forcer la main en matière internationale, comme ce fut le cas pour George W. Bush et Barak Obama. Tous deux élus sur un programme pacifiste et de redressement économique intérieur, pour se convertir ensuite à la réouverture de la Guerre Froide. Résultat : la dette publique est passée de 5 000 milliards de dollars à 20 000 milliards entre 2000 et 2016.
Trump se constitue une équipe officielle et officieuse, composée des proches en charge de la « vision », des technocrates en charge de l’exécution ainsi que de la cuisine politicienne. Reste à pourvoir son équipe médias et communication, responsable de l’ « agitprop présidentielle». Quel que soit leur rôle nominal, trois passionarias influentes et connectées seront probablement appelées : Kellyanne Conway, Monica Crowley, et Laura Ingraham.
Troika féminine
Conway est très proche de la milliardaire conservatrice Rebekah Mercer qui a financé Trump. La voix douce et le commentaire acéré, la 3e et dernière directrice de la campagne de Trump a su canaliser l’énergie du candidat. Son surnom : « The Trump whisperer » (que l’on pourrait traduire par « celle qui murmure à l’oreille de Trump »). Car elle est la seule qui sache cornaquer Trump. Il est question qu’elle agisse en mercenaire, de l’extérieur, avec la famille Mercer, afin de gérer la « 4e campagne » de Trump : celle du contrepouvoir populiste face aux résistances de Washington, caisse de résonnance de la Maison Blanche, hors des frontières du politiquement correct.
Crowley avait assisté l’ex-président Richard Nixon dans la rédaction de ses articles et ouvrages. Elle a ensuite fait carrière dans la presse conservatrice, avec des interventions et articles remarqués chez Fox News comme au Washington Times. Elle a prédit dès le début la victoire de Trump et a produit plusieurs articles de fond recyclés par Trump dans la préparation de ses débats. Spécialiste des affaires étrangères, elle a évolué de l’hégémonisme au trumpisme dès l’année dernière. Elle pourrait également mettre ce talent à contribution.
Laura Ingraham est une étoile montante. La créatrice de Lifezette est une dialecticienne, connaissant ses dossiers, structurée dans son argumentation, et parlant concrètement. Elle est la plus populiste des trois passionarias, mêlant le charme à la brutalité. C’est elle qui a fait allusion à une refonte totale du corps de presse présidentiel, qui serait ouvert aux forces nouvelles de l’industrie, des États-Unis comme de l’étranger. Les travaux d’assèchement du marécage semblent avoir commencé.
En attendant les grands médias, dont CNN, perdent leur calme, espérant peut-être que le recomptage des voix du Wisconsin, de la Pennsylvanie, comme du Michigan, ne sera pas terminé avant le 19 décembre, date de l’élection « juridique » du Président, créant ainsi une confusion constitutionnelle qui fera monter les recettes publicitaires.
Crédit photo : Gage Skidmore via Wikimedia (cc)