La société Mediawan, créée en 2015, prend une place de plus en plus grande dans les grilles de programmes de France Télévisions. Un développement fulgurant qui relativise l’indépendance parfois défendue de la télé publique et qui, surtout, met en colère les producteurs plus modestes.
Niel/Pigasse/Capton, les trois mousquetaires
C’est une société formée par trois hommes d’affaires qui petit à petit s’implante sur les programmes des chaînes publiques. Mediawan est le bébé médiatique de deux personnalités connues et d’un troisième un peu moins. Pour les plus célèbres, il s’agit de Matthieu Pigasse propriétaire et actionnaire du Monde et du Huffington Post, cet énarque passé par la banque fut proche de Dominique Strauss-Khan et est une sorte de Macron avant l’heure.
Avec lui, le très médiatique patron de Free, le milliardaire Xavier Niel.
Voir aussi : Xavier Niel, infographie
Enfin le troisième, moins connu est Pierre-Antoine Capton (48 ans) qui a fomenté ses armes très jeune en travaillant dans les médias, créant à seulement 26 ans sa propre boîte de production « Troisième Œil Productions » qui produira notamment C à vous et le duo Zemmour-Naulleau.
Un empire qui ne cesse de grossir
Devenu premier fournisseur de programmes du groupe public devant Banijay (producteur de Koh Lanta, Pop Stars ou encore la série Versailles), Mediawan rassemble 70 sociétés de productions :
Ego Productions, Imagissime, Mai Juin Productions, Mon Voisin Productions, Réservoir Prod, Troisième Œil Productions (un des fleurons du groupe).
En 2023, le groupe a acquis 20 % de Mother Production et des parts dans la société britannique Misfits Entertainment.
En 2020, c’est l’acquisition de Lagardère Studio qui dynamisera un peu plus l’activité de ces mousquetaires de la production. D’un chiffre d’affaires évalué à 50 millions d’euros en 2018, il passera la barre des 100 en 2020 pour se fixer à ce niveau pendant deux ans.
En 2017, Mediawan avait acheté le Groupe AB et CC et C avant de faire l’acquisition de ON Entertainment en 2018. La multiplicité des sociétés au sein du groupe permet par ailleurs un transfert de compétence d’une entreprise à une autre qui est bénéfique à l’ensemble.
La pieuvre étend ses tentacules
C’est aujourd’hui la société qui est la plus sollicitée par France Télévisions parmi les 27 qui travaillent avec l’audiovisuel public.
Les chiffres demeurent compliqués à consolider puisqu’en 2021, Pierre-Antoine Capton avait affirmé devant la commission d’enquête du Sénat sur la concentration des médias que Mediawan réalisait 166 M de ventes de programme soir 33 % de la part de son CA. Pour La Lettre du mardi 30 janvier 2024, cet écart pourrait s’expliquer par des modes de comptabilité divergents des producteurs et du groupe public, le second tenant ainsi compte de des factures présentées annuellement — comprendre tout ce qui a été acheté et pas forcément ce qui a été diffusé.
Une nouvelle forme de monopole ?
Deux filiales, Maximal Productions et Troisième Œil Productions, du groupe Mediawan diffusent à elles-seules 13 heures d’émissions hebdomadaires sur France 5 dont C dans l’air.
Sur France 2, la filiale Réservoir Prod est à la manœuvre pour Ça vaut le coup, une émission de consommation animée par Faustine Bollaert quand Black Dynamite Production propose l’émission de cinéma Beau geste, animée par Pierre Lescure. Le groupe se développe aussi dans l’animation jeunesse avec des programmes comme Playmobil le film ou Le Petit Prince.
Disposant d’une société spécialisée dans la captation de « spectacle vivant » avec la société Electron libre production (issue de Lagardère Studio).
Les petits contre les gros
Le développement exceptionnel de Mediawan en moins de dix ans d’existence suscite évidemment des interrogations à l’heure des grandes inquiétudes sur la concentration des médias. Il ne s’agit pas ici d’un grand méchant milliardaire qui rachète un média mais de plusieurs hommes d’affaires qui pourraient être accusés de saturer un marché. Ainsi, une « note blanche » a été adressée aux députés et sénateurs en avril 2023 pour alerter sur « le manque de clarté » entre les sociétés de production de Mediawan et l’audiovisuel public. Les « petits producteurs », sous couvert d’anonymat, ont ainsi réclamé que soient mentionnés les volumes et les programmes des grands groupes de productions dans le contrat d’objectifs et de moyen de France Télévisions pour 2024–2028, un exercice pour lequel l’enveloppe de la télé publique est en hausse.
Ces producteurs ne visent cependant pas que Mediawan mais aussi Newen Studios et Banijay réclamant que ces sociétés soient frappées par des restrictions en cas de non publication de leurs comptes.
Voir aussi : Mediawan, infographie