À l’approche de l’élection présidentielle américaine qui aura lieu en novembre 2024, Meta a annoncé bannir certains médias russes, comme Russia Today (RT) et Rossia Segodnya, de ses plateformes. La mesure s’applique à Facebook, Instagram, WhatsApp et Threads, et elle n’a rien d’anodin : RT comptait plus de 7,2 millions d’abonnés sur Facebook et 1 million sur Instagram. Si Meta affirme avoir pris cette décision pour éviter les ingérences russes dans l’élection, un rappel des précédents de censure montre que Meta a l’habitude de censurer, et qu’il ne s’agit pas de limiter les ingérences étrangères, mais bien de favoriser l’ingérence américaine ou de réécrire la réalité. Deuxième partie.
Voir aussi : Meta, une censure de gauche libérale libertaire institutionnalisée. Première partie
Deuxième partie : Meta choisit les ingérences à combattre
La bonne ingérence est américaine
Ces ingérences que Meta ne condamne pas
Il est possible que la Russie se soit rendu coupable d’ingérence dans le cadre de l’élection présidentielle américaine afin de favoriser Trump. Ce genre de méfait est difficile à prouver, et l’enquête prendra sans doute encore des années, du moins si elle cherche la vérité, et non à faire tomber une personne qui ne convient pas au système dominant. En revanche, les États-Unis ne doivent-ils pas balayer devant leur porte concernant les ingérences ? John Bonifield, journaliste pour CNN, a été piégé en 2017 par une caméra cachée lors d’un entretien.
On peut donc l’entendre affirmer que les États-Unis eux-mêmes tentent de s’ingérer dans les élections russes, et que la CIA n’est pas en reste concernant le contrôle des gouvernements. Certains de ces agissements sont au reste connus, notamment dans le cadre des échanges entre l’Ukraine et la Russie.
La pression de l’administration Biden pendant la crise sanitaire
Il se trouve que les États-Unis ne perpètrent pas seulement des ingérences contre les autres États, mais aussi chez Meta lui-même. L’entreprise affirme que la propagande sur ses réseaux vient principalement de la Russie. Pourtant, si l’on en croit Mark Zuckerberg, les États-Unis ne sont pas en reste quand il s’agit de contrôler les agissements des plateformes, et pas seulement en ce qui concerne la Russie.
Mark Zuckerberg a ainsi affirmé que l’administration Biden avait incité, on pourrait dire contraint, Meta à censurer certains contenus pendant la crise sanitaire, en 2021. Twitter avait également subi cette pression. À cette époque, Joe Biden estimait que laisser circuler des informations dites fausses sur les vaccins revenait à tuer certaines personnes qui y croiraient. Cependant, cette censure n’a pas concerné que des publications considérées comme complotistes, ce qui est déjà problématique, mais également des contenus humoristiques.
Au total, plus de 20 millions de contenus ont été supprimés par Facebook. La Maison Blanche nie totalement avoir fait pression sur Meta, et Ouest France cite même Renée DiResta, experte en désinformation, qui affirme que Mark Zuckerberg « ne fait que céder aux pressions de la droite ».
Il ne s’agit pas d’avoir raison, mais d’être dans le ton
Qu’une plateforme veuille supprimer des informations fausses, c’est plus que contestable. La vérité est toujours mieux défendue quand on réfute les idées fausses que lorsqu’on les interdit. Toutefois, la censure dans ce cas de figure peut à la rigueur s’entendre si l’on estime que le combat pour la vérité est à ce prix dans certains cas. Pourtant, il a fallu attendre mai 2021 pour que Facebook cesse de supprimer les publications qui affirmaient que l’épidémie de Covid-19 était due à la fuite d’un laboratoire du virus SARS-CoV2.
Or, aujourd’hui, on sait que la vérité était bien là, et non dans une origine naturelle à base de pangolin ou de chauve-souris. Dès lors, les suppressions étaient bien abusives, et n’ont eu lieu que parce que la thèse de la fuite de laboratoire n’arrangeait pas les décideurs, sans que l’on sache forcément pourquoi. C’est aussi pour cela que censurer les informations jugées fausses est dangereux : il est difficile d’être certain que, dans quelques mois ou années, elles ne seront pas avérées.
Les mauvaises informations, celles qui dérangent les élites
L’administration Biden, et plus largement le parti Démocrate, semble au cœur de la stratégie de censure de Meta. En 2021, un scandale concernant Hunter Biden, le fils du président américain, a failli éclater. Son ordinateur pouvait contenir certains documents le liant à des affaires de corruption en Ukraine. Or, réquisitionné par la CIA, l’ordinateur s’y est trouvé cassé au point que les données étaient irrécupérables. L’information est difficile à croire. D’abord parce que cet ordinateur aurait dû être dans un espace sécurisé, ensuite parce que des données ne disparaissent pas comme cela. Si vous cassez votre clé USB en deux mais que la carte mère est intacte, récupérer vos documents ne vous demandera que quelques points de soudure.
L’affaire aurait donc dû faire parler. Si cela n’a pas eu lieu, c’est en partie grâce à Meta, qui a retiré de sa plateforme certains articles sur le sujet sous prétexte, à nouveau, d’ingérence russe. La Russie, on le constate, a bon dos. D’après Mark Zuckerberg, il s’agit d’une réaction excessive aux demandes portant sur le Covid-19. C’est possible, mais il faut bien admettre que sa crédibilité est amoindrie.
Des remords peu crédibles
La gauche, pas la liberté d’expression
Aux États-Unis, ce n’est pas parce que les Démocrates s’auto-déclarent le camp du Bien qu’ils le sont. En réalité, tout ce qui se rapproche de la censure y est monnaie courante. Tellement monnaie courante que Kamala Harris a affirmé que la liberté d’expression n’était pas un droit, mais un privilège. Une conception qui, au fond, se retrouve en France, où seule la gauche a le droit de s’exprimer, parfois pour dire des horreurs, qu’il s’agisse d’insulter ses ennemis ou de répandre des informations d’une fausseté sidérante. De son côté, la droite doit lutter pour avoir le droit de donner sa version des faits, sans oublier les ronds-de-jambe perpétuels pour ne pas être, justement, censurée.
Autant d’efforts qui ne sont même pas efficaces. Plus qu’une arme pour éviter à la vérité d’être polluée par de fausses informations issues d’ingérences étrangères, la censure apparaît comme une façon, pour un camp bruyant mais aux idées minoritaires, d’éviter qu’une réalité qui ne lui convient pas ne soit trop visible. Ainsi supprime-t-on les théories sur l’apparition d’un virus ou la corruption de la famille d’un chef d’État.
Covid-19 : des regrets tardifs
Aujourd’hui, Mark Zuckerberg dit regretter d’avoir cédé à la pression de l’administration Biden en diminuant la visibilité de certains contenus. Si Marion Maréchal, députée européenne, décrit ce remord, et surtout l’intention de Mark Zuckerberg de ne plus obéir, comme un « tremblement de terre sans précédent », il est facile, trois ans après les faits, alors que la véracité des informations incriminées est établie et que les auteurs ne peuvent plus rien tirer de leur travail, de faire amende honorable. Au reste, Mark Zuckerberg profite de cette facilité.
Son courrier, envoyé à la Commission judiciaire de la Chambre des représentants américaine, est on ne peut plus explicite, ce dont le parti Républicain profite. Le PDG de Meta jure prendre la ferme résolution de ne plus céder à la pression d’un gouvernement, quel qu’il soit.
Des mots guère suivis d’actes
Seulement voilà, on attend toujours les conséquences de ces vœux pieux. Le bannissement des médias russes n’est-il pas, au contraire, la preuve que ces mots ne se changeront pas en acte ? Ici, c’est à nouveau l’administration Biden qui est à l’œuvre, et c’est à nouveau des médias qui perdent de la notoriété, des abonnés, de l’argent.
Autant de pertes difficiles à compenser. La lettre de Mark Zuckerberg est peut-être le signe de remords réels, comme elle peut être une assurance-vie qui lui permettra de ne pas céder aux pressions éventuelles d’une administration Trump, ou la recherche d’un buzz alors que son concurrent, X (ex-Twitter) défraie régulièrement la chronique.
Les médias français ont choisi leur camp
Comment Meta a pris la seule décision raisonnable
Sans surprise, les médias français sont du côté de Meta. Au reste, s’ils n’y sont pas obligés, ils y sont fortement incités, étant donné que RT France a été banni. Un média qui dénoncerait le bannissement des médias russes, même au nom de la liberté d’expression, pourrait être considéré comme défendant une certaine propagande russe. Il risquerait alors de perdre son droit de diffusion, sans même parler des subventions. 20 Minutes montre tous les gages de bonne volonté dès le début de son article : « Prévention – La Russie est la plus grande source d’influence secrètes détectée par Meta depuis 2017 », explique-t-il dans son chapeau, afin de désigner l’ennemi au plus vite. Et de continuer en expliquant que, « comme prudence est mère de sûreté », on ne saurait s’offusquer de la décision de Meta.
En matière de liberté d’expression, l’adage a d’ailleurs de quoi surprendre. Dès lors, on ne voit pas bien pourquoi on permet à certaines personnalités dissidentes de s’exprimer en public. Au nom de la sûreté, il faudrait les museler, voire les enfermer.
La Russie, éternelle coupable
Lorsque la radio RFI explique la situation, elle note que « sur fond de guerre en Ukraine et de propagande pro russe en ligne, la normalisation des relations entre Meta et Moscou ne risque pas d’arriver de sitôt ». Cette phrase est une réponse d’une ironie grinçante à Dimitri Peskov, porte-parole du Kremlin. Ce dernier réagissait au bannissement des médias russes de Meta en affirmant que « cela complique certainement les perspectives de normalisation de nos relations avec Meta. » Cependant, RFI rappelle rapidement l’interdiction de Facebook et Instagram en Russie, ce qui lui permet d’insinuer que, dans cette bataille, la Russie est le premier belligérant.
Dès lors, le bannissement décidé par Meta n’est plus qu’une « réaction » au bannissement de la Russie. Une explication qui comporte tout de même un peu de mauvaise foi : les relations entre Meta et la Russie étaient fraîches avant 2022, notamment à cause des accusations d’ingérences dans les élections présidentielles.
À suivre.