Les Français ont pris la triste habitude qu’un drame en chasse un autre. Le 16 avril 2024, Philippe Coopman a été sauvagement agressé et tué à Grande-Synthe par trois personnes dont deux mineurs de 14 et 15 ans. Avec un traitement médiatique particulier, qui en dit long sur la façon dont les médias abordent l’insécurité en France. Mention spéciale pour Le Parisien qui se distingue dans la désinformation.
Première diffusion le 29 avril 2024
L’OJIM prend ses quartiers d’été : du dimanche 28 juillet au dimanche 25 août nous republions les articles les plus significatifs du premier semestre.
Comment Philippe a bouleversé la France
Tout commence par une photo encadrée de ballons verts. Un jeune homme souriant porte un enfant dont le visage est couvert d’un rond de couleur. Il s’appelle Philippe Coopman et a été tué à Grande-Synthe, dans le Nord. Les plus chanceux ne verront que cette photo, les autres en verront une autre, prise juste après sa sauvage agression. Les attaquants lui ont crevé les yeux, l’ont défiguré et déshabillé en ne lui laissant qu’un caleçon.
L’histoire est insoutenable et fait rapidement le tour des réseaux. Le maire de Grande-Synthe regrette une « récupération » par l’extrême-droite et affirme que sa ville est un modèle de « vivre-ensemble » et de sérénité, des propos que les riverains ne partagent guère.
Philippe, la légende du Parisien sur le pédocriminel puni ?
Puis, se compose une autre musique propagée par certains médias de grand chemin. Que faisait Philippe dans la rue cette nuit-là ? Il aurait donné rendez-vous à une jeune fille de 14 ans, rencontrée sur Coco, un site de rencontres. Philippe ayant 22 ans, l’étiquette de pédocriminalité s’approche dangereusement.
Les deux suspects affirment l’avoir piégé avec un faux profil de jeune fille. D’agresseurs, ils deviennent pour certains des héros incompris qui chassent les prédateurs. L’histoire est rapidement reprise par Le Parisien, dans un article du 18 avril écrit par Jean-Michel Décugis, Jérémie Pham-Lê et Timothée Bountry.
Jérémie Pham-Lê, le journaliste qui retourne les situations
Jérémie Pham-Lê s’était notamment fait connaître lors de l’attaque de Crépol où il affirmait, dans un article du 4 décembre 2023, que « les investigations des gendarmes » révélaient « des surprises sur les responsabilités. Loin des fantasmes ». Les assaillants de Crépol, venus à une fête de village avec des couteaux, devenaient de malheureux jeunes gens désireux de faire la fête et confrontés au racisme des jeunes rugbymen du village. Une version qui avait notamment été reprise par Patrick Cohen, depuis rappelé à l’ordre par l’ARCOM.
Jérémie Pham-Lê récidive donc en rapportant l’hypothèse selon laquelle Philippe aurait été un pédocriminel. Pourtant, la procureure insistait dès le départ sur le fait que cette version n’était que celle des suspects. Peut-être aurait-elle mérité plus de prudence, une vertu que n’a pas exercé Le Parisien qui titrait « Meurtre sauvage de Philippe C. à Grande-Synthe : la victime piégée par des ados sur le site de rencontres Coco », sans même un point d’interrogation. Un titre qui n’a jamais été changé, et permet donc de continuer à croire cette version diffamatoire pour la victime.
Jean-Michel Décugis, affabulateur professionnel
Quant à Jean-Michel Décugis, c’est un professionnel des infox, comme le montre son portrait (voir infra). Déjà auteur d’un reportage bidon dans Le Point sur la polygamie avec un témoin qui n’a jamais existé, il récidive lors de l’affaire Mehra sur les tueries de Toulouse en inventant une piste néo-nazie sortie de son imagination. Il connaît de nouveau son heure de gloire d’affabulateur dans Le Parisien en octobre 2019 en annonçant la fausse arrestation de Xavier de Ligonnes en fuite depuis avril 2011 et soupçonné d’avoir assassiné toute sa famille.
Voir aussi : Jean-Michel Décugis, mister Fake News
Le Parisien, recopié sans vérification
Le Parisien est-il devenu un média complotiste ou de caniveau ? Quand il publie on pourrait supposer que c’est après un travail journalistique sérieux. Ainsi, quand il affirme que l’enquête « progresse à grands pas », on en déduit que ses conclusions se rapprochent de la réalité. Suit le portrait des meurtriers de Philippe, « soupçonnés d’être à l’origine de violences commises deux jours plus tôt […] envers un homme à qui on avait donné un rendez-vous intime ».
Ces deux-là sont des chasseurs expérimentés de pédocriminels. Philippe serait-il tombé sous leurs coups ? D’autres médias suivront cette version, notamment RMC qui, avec un titre semblable, affirme que « d’après nos informations, confirmant celles du Parisien, les suspects ont tendu un piège à la victime en simulant un rendez-vous amoureux avec une adolescente. » L’Indépendant écrit, reprenant en substance les termes du Parisien :
« Les enquêteurs de la brigade criminelle ont d’ailleurs découvert que Philippe C. n’était pas le premier homme à avoir été abordé par ces jeunes. D’autres internautes ont été ciblés, toujours dans l’idée de “punir” ceux qui répondraient favorablement aux demandes de rencontres avec une jeune fille »
Deux phrases qui mettent Philippe et les prédateurs sexuels sur le même plan. Le jeune homme se trouve deux fois victime : d’abord de ses agresseurs, à cause de la malchance pourrait-on dire, ensuite de certains médias, Le Parisien en tête.
La vérité moins rapide que la rumeur
On sait depuis que ce soir-là, les deux mineurs avaient tendu un piège à un autre individu qui, peu confiant, ne s’était pas rendu au rendez-vous. Les deux agresseurs lui ont téléphoné pour savoir où il était, et Philippe, qui était lui-même au téléphone avec des amis, a tourné le coin de la rue. Philippe était au mauvais endroit, au mauvais moment, et a croisé les mauvaises personnes.
Après l’avoir massacré, les deux meurtriers ont ramassé son téléphone et constaté qu’il y avait quelqu’un au bout du fil. Ils savaient donc qu’ils s’étaient trompés de personne, ce qui ne les a pas empêchés de donner cette version lors de l’enquête, une version qui leur donnait une sorte de beau rôle. L’Indépendant, Le Parisien, RMC, aucun n’a corrigé des articles qui salissent la mémoire d’un mort.
Une cabale médiatique inhabituelle
L’affaire a de quoi surprendre. Il arrive que les victimes d’agressions soient rapidement marquées par certains titres médiatiques, comme pour trouver des excuses aux agresseurs. C’est le cas si elles ont tenu des propos racistes, ou pouvant être considérés comme tels, ou sont liées à ce que l’on nomme l’extrême-droite. Rien de tel dans le profil de Philippe. Cette hypothèse erronée de pédocriminalité était-elle une solution pour étouffer une énième preuve de la sauvagerie qui sévit en France ? Certains « journalistes » en sont-ils à salir les victimes pour qu’elles soient oubliées plus vite ? En se disant qu’un nouveau drame viendra bientôt faire oublier Philippe. Attendons la prochaine enquête du Parisien…