Plus d’un an après le meurtre de Thomas à Crépol, la publication d’un livre-enquête relance la controverse autour de la mort du jeune homme, tué lors d’un bal de village en novembre 2023.
Alors même qu’un PV « mystère » vient de relancer la thèse du crime anti-Blanc, les auteurs dénoncent dans leur enquête un emballement médiatique et réfutent la thèse d’un crime raciste. Le tout avec le soutien du service public qui entend faire de cette thèse une vérité absolue.
C’est une séquence médiatique qui a beaucoup choqué jusqu’à l’Association des victimes du bal de Crépol qui dénonce aujourd’hui un travestissement de la réalité et songe désormais à porter plainte : le lundi 17 mars 2025 sur France Inter, Léa Salamé et Nicolas Demorand ont ouvert leurs micros à la romancière Pauline Guéna, au grand reporter police-justice du Parisien, à Jean-Michel Décugis et au journaliste de L’Équipe Marc Leplongeon, tous trois co-auteurs d’Une nuit en France, anatomie du fait divers qui a déchiré le pays, livre-enquête qui entend déconstruire « l’emballement médiatico-politico-judiciaire » autour de la mort du jeune Thomas, 16 ans, tué à Crépol lors d’un bal de village en novembre 2023.
« Démonter une mécanique infernale »
D’emblée, sur les ondes de la radio publique, le ton est donné : le meurtre du jeune Thomas, frappé en plein coeur par un coup de couteau, est un simple « fait-divers ». Un fait-divers qui a certes « profondément divisé le pays », reconnaît Pauline Guéna, mais un fait-divers tout de même. La question pour les auteurs a alors été de comprendre comment cette simple « bagarre générale » entre jeunes de Crépol et jeunes de la cité de la Monnaie (à Romans-sur-Isère), a « pris une telle ampleur » pour finalement devenir, aux yeux de certains politiques, « un fait de société » symbole de l’« ensauvagement de la France ».
« Nous, ce qui nous a intéressé, c’est de démonter cette mécanique infernale qui fait que l’on veut, par la couleur de peau, expliquer un fait divers », détaille Jean-Michel Décugis au micro de France Inter. « On en a fait une affaire de racisme de deux populations qui se détestent les unes envers les autres et il y a aussi une dimension de France des campagnes et de France des cités », abonde de son côté Marc Leplongeon.
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La thèse défendue par les auteurs est présentée sans ambages : là où « un certain nombre de médias ont tenté d’imposer une grille de lecture idéologique aux faits » (comprendre : « ont souligné le mobile raciste anti-Blanc de l’attaque »), les auteurs de l’enquête ont voulu démonter l’idée selon laquelle les jeunes de la Monnaie sont venus « planter du Blanc » le soir du 18 novembre 2023.
« Aussitôt après le drame, il a été fait de Crépol, la première grosse affaire de racisme anti-blanc en France. C’est-à-dire qu’il y aurait eu une expédition programmée de ces jeunes qui seraient venus à Crépol pour s’en prendre à des blancs. Nous, tout ce qu’on a fait dans ce livre, c’est démonter cette mécanique-là, revenir sur les faits », explique Marc Leplongeon.
D’aucuns pourraient tout de même s’interroger sur la présence de couteaux, les auteurs eux ne s’encombrent pas de telles considérations qu’ils balaient d’un simple revers de la main.
« Les jeunes de la cité de la Monnaie ne sont pas venus à Crépol au bal avec des couteaux pour agresser des gens, ils sont venus et ils avaient des couteaux. »
La nuance est de taille. Et Marc Leplongeon de rassurer l’auditoire :
« C’est un couteau qui leur sert à couper leur shit ».
Nier le racisme anti-Blanc
Faisant fi des nombreux témoignages recueillis le soir-même du drame de Crépol (qui assurent que des propos anti-Blancs ont été prononcés lors de l’attaque), la journaliste Anne-Élisabeth Lemoine embrasse dès le lendemain sur le plateau de C à Vous la thèse des auteurs réfutant la thèse d’un crime raciste.
« La réalité a été tordue très largement, […] rien n’accrédite la thèse du crime raciste prémédité », dénonce-t-elle en présence de Jean-Michel Décugis et Marc Leplongeon invités sur France 5 pour assurer la promotion de leur enquête.
« Ça vous le dites [dans votre livre], si ces jeunes du quartier de la Monnaie sont venus ce soir-là à Crépol, c’était d’abord pour s’amuser », ajoute-t-elle, la voix presque étranglée par l’émotion, avant de confier la parole au journaliste Jean-Michel Décugis qui renchérit : « Oui pour danser… Après il y a eu un drame terrible. Ça c’est atroce mais trop vite, on a parlé d’un raid anti-Blancs et on a fait croire que les jeunes [de la Monnaie] étaient là pour faire tuer du Blanc, ce qui n’est pas le cas. Pour l’instant, rien dans le dossier ne prouve que c’est un crime raciste anti-Blanc».
Des témoignages et un PV « mal classé »
Or, et c’est bien là où le bât blesse, de nombreux témoignages recueillis (au moins neuf) le soir du drame de Crépol semblent bel et bien attester des motivations racistes des agresseurs, en témoigne le reportage « Crépol, le bal de l’ultra-violence », diffusé par BFMTV le 27 novembre 2023.
Sous couvert d’anonymat, des participants au bal indiquent auprès de la chaîne :
« J’ai entendu mot pour mot : on est là pour tuer les Blancs. On est là pour planter du Blanc »
ou encore
« Ce n’est pas une bagarre, c’est un attentat, ils ont tué notre ami ! ».
Mais pas de quoi perturber les auteurs d’Une nuit en France qui, s’ils reconnaissent l’existence de ces insultes racistes, assument collégialement sur le service public :
« Oui, il y a eu des insultes racistes anti-Blancs, mais le racisme anti-Blanc est un concept d’extrême-droite, ça n’existe pas juridiquement. »
Et Jean-Michel Décugis de rajouter sans trembler :
« Ce n’est pas parce que [les agresseurs] disent des insultes anti-Blancs au moment de la rixe qu’ils veulent tuer du Blanc ».
Voir aussi : Meurtre de Matisse : les médias, racistes anti-blancs ?
Ironie du sort, c’est ce même Jean-Michel Décugis qui a soulevé le lièvre relançant la thèse du crime raciste. Car un après le drame, et alors que l’enquête piétine, le journaliste révèle, à la faveur de son enquête, l’existence d’un PV « mystère » qui aurait été « mal classé » dans les notifications de garde à vue, « des documents qu’on ne consulte jamais, comme si on avait voulu le cacher…»
Dans ce PV, rédigé cinq jours après les faits, une dizaine d’auditions rapportent des insultes racistes prononcées au cours de la « bagarre ». « L’existence de ce PV de gendarmerie est très embarrassante. Les pouvoirs publics n’ont pas certainement pas eu envie, à ce moment critique, de jeter de l’huile sur une situation déjà explosive », explique le journaliste dans les colonnes du Nouvel Obs.
Une plainte envisagée contre les auteurs
À la lumière de cette révélation, la lecture que font les auteurs d’Une nuit en France du drame de Crépol aurait de quoi surprendre un esprit classique. Comment nier la dimension raciste de l’attaque de Crépol dès lors qu’un PV « mystère » démontre sans ambages l’existence d’insultes racistes anti-Blancs proférées par les agresseurs ?
Du côté des auteurs, la réponse est toute trouvée : certes, « on a immédiatement parlé de racisme » mais c’était « sans voir qu’il y a bien d’autres ressorts dans cette affaire qui tiennent aussi de la masculinité », défend Marc Leplongeon qui, au micro de France Inter, conclut à « une affaire d’hommes ». Et Pauline Guéna d’ajouter : « Le lien a été fait entre violence et immigration alors que c’est clairement un certain exercice de la masculinité, ce ne sont que des hommes. »
Sur Facebook, le livre-enquête et sa promotion dans les médias ont provoqué l’ire de l’Association des victimes du bal de Crépol (qui compte un membre de la famille de Thomas) qui dénonce « un ramassis de conneries », un « journalisme parisien bobo » et un travestissement de la réalité.
Dans une publication sur leur compte, les membres de l’association s’insurgent contre la description de leur village comme « austère et taiseux », où « des gens qui vivent là depuis 20 ans ne sont pas intégrés ». « Pour s’intégrer, il faut le vouloir », répondent-ils aux auteurs du livre. « Les victimes se taisent donc facile de dire n’importe quoi. Honte à vous. »
Selon le média Frontières, l’Association des victimes du bal de Crépol réfléchit désormais à porter plainte contre Jean-Michel Décugis, Pauline Guéna et Marc Leplongeon.