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Meurtre de Thomas à Crépol : le service public accusé de réécrire le drame pour nier le racisme anti-Blanc

22 mars 2025

Temps de lecture : 8 minutes
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Meurtre de Thomas à Crépol : le service public accusé de réécrire le drame pour nier le racisme anti-Blanc

Temps de lecture : 8 minutes

Plus d’un an après le meurtre de Thomas à Crépol, la publication d’un livre-enquête relance la controverse autour de la mort du jeune homme, tué lors d’un bal de village en novembre 2023.

Alors même qu’un PV « mys­tère » vient de relancer la thèse du crime anti-Blanc, les auteurs dénon­cent dans leur enquête un emballe­ment médi­a­tique et réfu­tent la thèse d’un crime raciste. Le tout avec le sou­tien du ser­vice pub­lic qui entend faire de cette thèse une vérité absolue.

C’est une séquence médi­a­tique qui a beau­coup choqué jusqu’à l’Association des vic­times du bal de Crépol qui dénonce aujourd’hui un trav­es­tisse­ment de la réal­ité et songe désor­mais à porter plainte : le lun­di 17 mars 2025 sur France Inter, Léa Salamé et Nico­las Demor­and ont ouvert leurs micros à la roman­cière Pauline Gué­na, au grand reporter police-jus­tice du Parisien, à Jean-Michel Décugis et au jour­nal­iste de L’Équipe Marc Lep­lon­geon, tous trois co-auteurs d’Une nuit en France, anatomie du fait divers qui a déchiré le pays, livre-enquête qui entend décon­stru­ire « l’emballement médi­ati­co-politi­co-judi­ci­aire » autour de la mort du jeune Thomas, 16 ans, tué à Crépol lors d’un bal de vil­lage en novem­bre 2023.

« Démonter une mécanique infernale »

D’emblée, sur les ondes de la radio publique, le ton est don­né : le meurtre du jeune Thomas, frap­pé en plein coeur par un coup de couteau, est un sim­ple « fait-divers ». Un fait-divers qui a certes « pro­fondé­ment divisé le pays », recon­naît Pauline Gué­na, mais un fait-divers tout de même. La ques­tion pour les auteurs a alors été de com­pren­dre com­ment cette sim­ple « bagarre générale » entre jeunes de Crépol et jeunes de la cité de la Mon­naie (à Romans-sur-Isère), a « pris une telle ampleur » pour finale­ment devenir, aux yeux de cer­tains poli­tiques, « un fait de société » sym­bole de l’« ensauvage­ment de la France ».

« Nous, ce qui nous a intéressé, c’est de démon­ter cette mécanique infer­nale qui fait que l’on veut, par la couleur de peau, expli­quer un fait divers », détaille Jean-Michel Décugis au micro de France Inter. « On en a fait une affaire de racisme de deux pop­u­la­tions qui se détes­tent les unes envers les autres et il y a aus­si une dimen­sion de France des cam­pagnes et de France des cités », abonde de son côté Marc Leplongeon.

Voir aus­si : Jean-Michel Décugis, spé­cial­iste en Fake News

La thèse défendue par les auteurs est présen­tée sans ambages : là où « un cer­tain nom­bre de médias ont ten­té d’im­pos­er une grille de lec­ture idéologique aux faits » (com­pren­dre : « ont souligné le mobile raciste anti-Blanc de l’attaque »), les auteurs de l’enquête ont voulu démon­ter l’idée selon laque­lle les jeunes de la Mon­naie sont venus « planter du Blanc » le soir du 18 novem­bre 2023.

« Aus­sitôt après le drame, il a été fait de Crépol, la pre­mière grosse affaire de racisme anti-blanc en France. C’est-à-dire qu’il y aurait eu une expédi­tion pro­gram­mée de ces jeunes qui seraient venus à Crépol pour s’en pren­dre à des blancs. Nous, tout ce qu’on a fait dans ce livre, c’est démon­ter cette mécanique-là, revenir sur les faits », explique Marc Leplongeon.

D’aucuns pour­raient tout de même s’interroger sur la présence de couteaux, les auteurs eux ne s’encombrent pas de telles con­sid­éra­tions qu’ils bal­aient d’un sim­ple revers de la main.

« Les jeunes de la cité de la Mon­naie ne sont pas venus à Crépol au bal avec des couteaux pour agress­er des gens, ils sont venus et ils avaient des couteaux. »

La nuance est de taille. Et Marc Lep­lon­geon de ras­sur­er l’auditoire :

« C’est un couteau qui leur sert à couper leur shit ».

Nier le racisme anti-Blanc

Faisant fi des nom­breux témoignages recueil­lis le soir-même du drame de Crépol (qui assurent que des pro­pos anti-Blancs ont été pronon­cés lors de l’attaque), la jour­nal­iste Anne-Élis­a­beth Lemoine embrasse dès le lende­main sur le plateau de C à Vous la thèse des auteurs réfu­tant la thèse d’un crime raciste.

« La réal­ité a été tor­due très large­ment, […] rien n’accrédite la thèse du crime raciste prémédité », dénonce-t-elle en présence de Jean-Michel Décugis et Marc Lep­lon­geon invités sur France 5 pour assur­er la pro­mo­tion de leur enquête.

« Ça vous le dites [dans votre livre], si ces jeunes du quarti­er de la Mon­naie sont venus ce soir-là à Crépol, c’était d’abord pour s’amuser », ajoute-t-elle, la voix presque étran­glée par l’émotion, avant de con­fi­er la parole au jour­nal­iste Jean-Michel Décugis qui renchérit : « Oui pour danser… Après il y a eu un drame ter­ri­ble. Ça c’est atroce mais trop vite, on a par­lé d’un raid anti-Blancs et on a fait croire que les jeunes [de la Mon­naie] étaient là pour faire tuer du Blanc, ce qui n’est pas le cas. Pour l’instant, rien dans le dossier ne prou­ve que c’est un crime raciste anti-Blanc».

Des témoignages et un PV « mal classé »

Or, et c’est bien là où le bât blesse, de nom­breux témoignages recueil­lis (au moins neuf) le soir du drame de Crépol sem­blent bel et bien attester des moti­va­tions racistes des agresseurs, en témoigne le reportage « Crépol, le bal de l’ultra-violence », dif­fusé par BFMTV le 27 novem­bre 2023.

Sous cou­vert d’anonymat, des par­tic­i­pants au bal indiquent auprès de la chaîne :

« J’ai enten­du mot pour mot : on est là pour tuer les Blancs. On est là pour planter du Blanc »

ou encore

« Ce n’est pas une bagarre, c’est un atten­tat, ils ont tué notre ami ! ».

Mais pas de quoi per­turber les auteurs d’Une nuit en France qui, s’ils recon­nais­sent l’existence de ces insultes racistes, assu­ment col­lé­giale­ment sur le ser­vice public :

« Oui, il y a eu des insultes racistes anti-Blancs, mais le racisme anti-Blanc est un con­cept d’extrême-droite, ça n’ex­iste pas juridiquement. »

Et Jean-Michel Décugis de rajouter sans trembler :

« Ce n’est pas parce que [les agresseurs] dis­ent des insultes anti-Blancs au moment de la rixe qu’ils veu­lent tuer du Blanc ».

Voir aus­si : Meurtre de Matisse : les médias, racistes anti-blancs ?

Ironie du sort, c’est ce même Jean-Michel Décugis qui a soulevé le lièvre relançant la thèse du crime raciste. Car un après le drame, et alors que l’enquête pié­tine, le jour­nal­iste révèle, à la faveur de son enquête, l’existence d’un PV « mys­tère » qui aurait été « mal classé » dans les noti­fi­ca­tions de garde à vue, « des doc­u­ments qu’on ne con­sulte jamais, comme si on avait voulu le cacher…»

Dans ce PV, rédigé cinq jours après les faits, une dizaine d’auditions rap­por­tent des insultes racistes pronon­cées au cours de la « bagarre ». « L’existence de ce PV de gen­darmerie est très embar­ras­sante. Les pou­voirs publics n’ont pas cer­taine­ment pas eu envie, à ce moment cri­tique, de jeter de l’huile sur une sit­u­a­tion déjà explo­sive », explique le jour­nal­iste dans les colonnes du Nou­v­el Obs.

Une plainte envisagée contre les auteurs

À la lumière de cette révéla­tion, la lec­ture que font les auteurs d’Une nuit en France du drame de Crépol aurait de quoi sur­pren­dre un esprit clas­sique. Com­ment nier la dimen­sion raciste de l’attaque de Crépol dès lors qu’un PV « mys­tère » démon­tre sans ambages l’existence d’insultes racistes anti-Blancs proférées par les agresseurs ?

Du côté des auteurs, la réponse est toute trou­vée : certes, « on a immé­di­ate­ment par­lé de racisme » mais c’était « sans voir qu’il y a bien d’autres ressorts dans cette affaire qui tien­nent aus­si de la mas­culin­ité », défend Marc Lep­lon­geon qui, au micro de France Inter, con­clut à « une affaire d’hommes ». Et Pauline Gué­na d’ajouter : « Le lien a été fait entre vio­lence et immi­gra­tion alors que c’est claire­ment un cer­tain exer­ci­ce de la mas­culin­ité, ce ne sont que des hommes. »

Sur Face­book, le livre-enquête et sa pro­mo­tion dans les médias ont provo­qué l’ire de l’Association des vic­times du bal de Crépol (qui compte un mem­bre de la famille de Thomas) qui dénonce « un ramas­sis de con­ner­ies », un « jour­nal­isme parisien bobo » et un trav­es­tisse­ment de la réalité.

Dans une pub­li­ca­tion sur leur compte, les mem­bres de l’association s’insurgent con­tre la descrip­tion de leur vil­lage comme « austère et taiseux », où « des gens qui vivent là depuis 20 ans ne sont pas inté­grés ». « Pour s’intégrer, il faut le vouloir », répon­dent-ils aux auteurs du livre. « Les vic­times se taisent donc facile de dire n’importe quoi. Honte à vous. »

Selon le média Fron­tières, l’Association des vic­times du bal de Crépol réflé­chit désor­mais à porter plainte con­tre Jean-Michel Décugis, Pauline Gué­na et Marc Leplongeon.

Voir aus­si : Patrick Cohen rat­trapé par l’ARCOM : non les assas­sins de Crépol n’étaient pas venus pour « s’amuser et dra­guer des filles »

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