« J’ai décidé de démissionner de ma fonction de directeur et de quitter Libération. » C’est ainsi que, au journal Le Monde, Nicolas Demorand a annoncé la nouvelle que tous attendaient.
Directeur de Libé depuis mars 2011, ses relations avec la rédaction n’ont été qu’en se dégradant au fil des années. Avec des actionnaires qui refusent d’investir et des ventes qui s’effondrent, la situation économique du journal n’est guère meilleure. C’est dans ce contexte que Nicolas Demorand a pris la décision de quitter ses fonctions. Une décision « d’abord dictée par la situation de ces derniers jours. Libération vit désormais une crise ouverte, je cristallise une partie des débats et j’estime qu’il est de ma responsabilité de patron de redonner des marges de manœuvre et de négociation aux différentes parties. J’espère que mon départ permettra aux uns et aux autres de retrouver la voie du dialogue. »
« J’ai été confronté, pendant mes trois ans passés à Libération, à des crises sévères, mais c’est la première fois qu’il m’apparaît clair que je dois bouger », a‑t-il confié. Et celui-ci de décrire ses conditions de travail depuis son arrivée : « J’ai découvert, en arrivant, que mon boulot serait de chercher de l’argent tous les jours. » Chose qu’il a eu du mal à entreprendre, selon lui à cause d’une certaine réticence de l’équipe et des actionnaires à entreprendre une mutation numérique. « J’ai fait ce que j’ai pu avec les moyens que j’avais », a‑t-il ajouté.
Concernant les projets fous de Bruno Ledoux, réseau social » ouvert au public, Nicolas Demorand a relativisé : « Les diversifications sont aujourd’hui nécessaires dans la presse écrite, qui ne peut plus vivre seule. Mais elles ne peuvent se faire qu’autour d’un journal et d’un site puissants. Les activités périphériques doivent être au service de la production de journalisme de qualité. C’est dans ces conditions que j’avais évoqué l’idée d’ouvrir notre bâtiment au public, en y conservant sur place la rédaction. » Mais cela n’aura fait qu’empirer la situation et raviver les tensions. « Je m’en vais en espérant que ce départ profitera à l’équipe de Libé et à ce journal irremplaçable », conclut-il.
Par ailleurs, le quotidien chercherait à contracter un prêt auprès de l’État pour se relancer. Ce même Bruno Ledoux, l’un des principaux actionnaires de Libération, a dit mercredi avoir demandé un prêt à Bercy pour renflouer le journal. « Ils n’ont pas dit non », a‑t-il expliqué à l’AFP. Ce scénario prendrait également en compte un petit apport des actionnaires, estimé à 2 millions d’euros. Mais le gouvernement semble réticent. Aurélie Filippetti, ministre de la Culture, a d’ailleurs estimé que
le gouvernement ne pouvait pas « substituer à l’actionnaire, qui devrait faire des investissements supplémentaires pour permettre la transition numérique de ce journal ».
Enfin, une soixantaine d’artistes bien-à-gauche ont signé une pétition pour sauver Libération de ses turpitudes. Parmi les signataires figurent de nombreux cinéastes dont Laurent Cantet, les frères Dardenne, Agnès Varda, Agnès Jaoui, Robert Guédiguian, Léos Carax, Bruno Podalydès, Pascale Ferran, Valérie Donzelli, le metteur en scène et acteur Vincent Macaigne, des acteurs comme Jerémie Elkaïm, Frédérique Bel et Virginie Ledoyen, ou encore le cinéaste et dessinateur de bande dessinée Riad Satouf, le chanteur Alex Beaupain, ainsi que le docteur Irène Frachon qui a révélé le scandale du Médiator.
« Libération est un contre-pouvoir décisif (sic) aux pouvoirs politiques et au libéralisme ambiant (…) Alors que ces journalistes sont aujourd’hui en lutte contre un plan de redressement absurde des actionnaires qui cherchent à monétiser la marque au risque de vider le journal de son contenu, nous sommes à leurs côtés », indique notamment la pétition. « Nous ne voulons ni d’un restaurant, ni d’un espace culturel, ni d’un plateau télé, ni d’un bar, ni d’un incubateur de start-up, nous voulons notre journal tous les matins », concluent les signataires, apportant ainsi leur soutien aux journalistes, en guerre ouverte contre les plans de transformation mijotés par la direction.
Voir également notre portrait de Nicolas Demorand, notre infographie de Libération et notre dossier : 40 ans de Libération, des maos aux bobos
Photo © Matthieu Riegler, CC-BY