L’AFP est une des trois grandes agences de presse au monde. Son rôle est théoriquement d’alimenter les médias en faits, de façon à ce que ces derniers soient en mesure d’en proposer une interprétation fondée factuellement à leurs lecteurs. A bien lire les dépêches de l’AFP, il semble que le factuel s’est égaré en route…
Un des problèmes majeurs posés par l’AFP à la diffusion de l’information tient à ce rôle de quasi monopole qu’elle possède en France, position dominante qui, associée à la vitesse de traitement de l’information, conduit nombre de médias à reprendre sans recul et souvent à recopier les dépêches qu’elle propose. C’est une des causes majeures du formatage de l’information en France. Après avoir lu et réécrit de manière différente une dépêche de l’AFP en date du 5 août 2019 en fin de soirée, nous nous proposons de lire et de commenter entre les lignes la dépêche qui suit.
AFP, publié le vendredi 09 août 2019 à 09h13
Matteo Salvini, du sécessionnisme à l’extrême droite triomphante
[Note : Comme il est d’usage concernant les mouvements politiques de droite ayant une autre vision de l’Europe, l’AFP et ses confrères emploient l’expression « extrême droite » comme si la définition en était évidente. Feuilleter une encyclopédie en ligne suffirait pourtant à cesser d’écrire de telles contre-vérités concernant Salvini]
Avec son slogan « Les Italiens d’abord », martelé à longueur de tweets et de vidéos sur Facebook, [référence à la préférence nationale, destinée aux Français, qui serait un marqueur de « l’extrême droite » ; « marteler » fleure bon la propagande] Matteo Salvini, l’ancien sécessionniste lombard devenu souverainiste, a dynamité la droite italienne, phagocité [la faute d’orthographe est d’origine] ses alliés du Mouvement 5 étoiles (M5S, antisystème) [et non pas populiste de gauche ?] et entend désormais gouverner seul. [« gouverner seul » donc sans alliés. Où est la source ? Quel fait, quelle déclaration permettent d’accréditer cette « information » qui, sans cela, devient une opinion ? Si c’est un fait, alors c’est un fait majeur : le système électoral italien, fondé sur la proportionnelle, permettant aux électeurs d’être mieux représentés qu’en France par exemple, est conçu pour empêcher qu’une force politique gouverne seule. Ce système induit la notion d’alliances, de compromis, de recherche de majorité. Factuellement, comment Salvini peut-il « entendre », choix de verbe lui-même orienté, ce n’est pas la même chose que « souhaiter », « gouverner seul » ?]
Ce Milanais prolixe et déterminé de 46 ans, arrivé en 2013 à la tête d’un parti au bord du gouffre, a fait de la Ligue (anciennement « du Nord ») une formation nationaliste triomphante [souverainiste ? nationaliste ? Concepts politique identiques ? A quoi dans l’esprit du rédacteur de cette dépêche, peut bien se référer une expression telle que « nationaliste triomphante » ? Nos lecteurs doivent avoir une petite idée…] qui a dépassé dans les urnes son allié de droite Silvio Berlusconi avant de le lâcher pour former, en patron malgré moitié moins de voix, une majorité gouvernementale avec les antisystème du Mouvement 5 étoiles (M5S). [« moitié moins de voix », un fait… à relativiser : la coalition de centre droit de Salvini a remporté en 2018 37 % des voix contre 32,7 % au Mouvement 5 étoiles… Décomposer la coalition arrivée en tête est une vieille pratique en usage chez les politiques mais… à l’AFP ?]
Fils d’un chef d’entreprise, Matteo Salvini est né et a grandi dans la capitale lombarde : collège catholique, scoutisme et matches du Milan AC, puis militantisme, petits boulots et quelques cours à la fac. Il a adhéré à la Ligue du Nord dès l’âge de 17 ans et a été élu conseiller municipal de Milan à 20 ans. Il est ensuite devenu journaliste au quotidien La Padania et à la radio Padania Libera, deux organes proches de son parti qui lui ont permis de peaufiner son aisance orale. Et en 2004, cet eurosceptique est entré au Parlement européen. Mais à mesure que son étoile personnelle montait, son parti s’enfonçait dans la crise. Son patron et fondateur Umberto Bossi, diminué par une attaque cérébrale en 2004, a été balayé par un scandale de détournement de fonds publics en 2012. Aux législatives de 2013, le parti est tombé à 4%. Arrivé à sa tête fin 2013, M. Salvini a changé le discours du parti, tournant vers Bruxelles les diatribes que son mentor Bossi lançait contre le gaspillage et les « diktats » de Rome. [rien de faux, simplement le sens péjoratif : Salvini ? Un catho, supporter de foot, pas d’études, journaliste de circonstance]
« Communiste à l’ancienne »
Ce barbu un peu rond, rétif aux costumes-cravates, toujours en colère et d’un aplomb sans faille [comprendre : ingérable et capable de mentir éhontément] est vite devenu omniprésent dans les médias, avec un ton direct s’embarrassant rarement de nuances ou du politiquement correct. [il arrive parfois, comme c’est le cas ici, que des médias reconnaissent ce qu’ils nient en règle générale : l’existence d’un politiquement correct dominant auquel ils contribuent – manque d’expérience du stagiaire estival sans doute]
Désormais allié avec le Front national français, [un 1er très grand défaut, donc ; et une autre erreur factuelle : il n’y a plus de Front national en France mais un Rassemblement National. Que dirait-on si un média parlait du RPR au sujet de Bellamy ?] grand admirateur de Vladimir Poutine et de Donald Trump, [2 défauts de plus, cela commence à sentir l’internationale des grands méchants] il s’en prend avec virulence aux immigrés, à l’islam, à l’euro, aux unions homosexuelles… [ici, le lecteur aimerait simplement que le journaliste, conscient que sa dépêche va être reprise telle quelle, explique chacun de ces points. Quelle est la position exacte de Salvini sur ces points précis ? Et pourquoi ? Si c’est un homme politique, il a des positions politiques : lesquelles ?]
« J’ai tout entendu : je suis un criminel, un raciste, un fasciste », lance-t-il régulièrement. Mais « je suis communiste à l’ancienne, je connais plus d’usines que ces gens (de gauche) qui ne fréquentent que des banquiers ». Il se présente aussi en défenseur des valeurs chrétiennes, malgré une critique virulente des efforts du pape François en faveur des migrants et une vie privée agitée : il a eu deux enfants — 6 et 15 ans — de deux femmes différentes, s’est séparé l’an dernier de sa compagne animatrice de télévision et s’affiche désormais avec une jeune femme de 20 ans sa cadette. [attaque en dessous de la ceinture dont on se demande bien ce qu’elle fait dans une dépêche d’une agence de presse] Devenu ministre de l’Intérieur, il n’a pas souvent mis les pied au Viminale, l’immense palais blanc qui abrite son ministère, [nouvelle attaque en dessous de la ceinture] préférant enchaîner les déplacements et meetings, en perpétuelle campagne. Partout, il insiste sur son intransigeance face aux migrants, même si les flux avaient déjà drastiquement baissé avant lui et si sa politique des « ports fermés » n’empêche pas des centaines d’arrivées chaque mois. [comprendre : la politique migratoire de Salvini serait faussement ferme]
Parmi ses promesses tenues, il a supprimé les permis de séjour humanitaires, élargi la notion de légitime défense, abaissé l’âge du départ à la retraite, renforcé les services de police… En revanche, la stagnation économique rend hypothétiques ses promesses de baisses spectaculaires d’impôts, les expulsions de sans-papiers sont au point mort, ses efforts d’union populiste au Parlement européen ont en fait isolé l’Italie, et une enquête est en cours sur des soupçons de financement de son parti par la Russie. [fameuse tactique du « bon et du mauvais flic », qui permet d’insister sur ce que seraient tous les souverainistes du monde, et peut-être de l’univers : une impasse et des pantins au service de la Russie] Des bémols qui n’empêchent pas une progression phénoménale dans l’opinion publique : ses 17% aux législatives de mars 2018 sont devenus 34% aux européennes de mai, et les sondages le créditent actuellement de 36 à 38% des intentions de vote. Un succès dû en grande partie à une utilisation optimale des réseaux sociaux. Même s’il est omniprésent dans les médias, c’est surtout à ses 1,1 million d’abonnés sur Twitter et plus de 3,7 millions sur Facebook qu’il martèle quasi les yeux dans les yeux son message « de bon sens », envoyant à longueur de journée des commentaires sur l’actualité, des photos de ses activités, de ses rencontres, de ses lectures de plage et même de ses repas. [Salvini ne peut pas, dans l’esprit d’un rédacteur de l’AFP, progresser sur le plan électoral et gagner en popularité pour une raison simplement politique, il faut une autre raison, ces fameux réseaux sociaux qu’il convient, dit-on souvent à l’AFP, de maintenant contrôler…]
Voilà une « dépêche d’information » qui a tout du portrait à charge et qui loin d’informer donne les éléments de langage de ce qui doit être dit au sujet de Salvini et de la situation politique en Italie. On le voit, ainsi que nous l’écrivions en ouverture de notre jeu AFP de l’été, avec cette agence il n’y a pas de « fake news » (sauf exceptions). Tout est dans le ton et dans l’orientation de l’information dans le sens souhaité. Avec très largement l’argent du contribuable.
Voir aussi : Notre jeu de l’été : analyse d’une dépêche AFP #1