À deux semaines des élections législatives, la gauche tremble à l’idée que le Rassemblement national transforme l’essai réussi aux élections européennes, arrachant ainsi une majorité à l’Assemblée nationale et un poste de Premier ministre. Pour l’éviter, les partis travaillent à leur union. Une tâche qui, après Gaza, l’Ukraine et les élections européennes, est loin d’être facile.
Les médias heureux d’une alliance vite posée
Le barrage républicain étant, depuis quelques années, le seul élément qui compte dans les différents scrutins, certains titres médiatiques se félicitent de l’accord passé entre les différents partis de gauche dès le lendemain des élections européennes. Le Monde note ainsi que « les partis de gauche ont réussi à poser en un temps record les bases d’un début d’alliance », même s’il s’agit surtout « d’éviter le pire ». 20 Minutes reconnaît que « la menace de l’extrême droite a été un puissant vecteur d’union » et précise que pour les « leaders anti-Nupes du PS », avec « l’extrême droite aux portes du pouvoir », il n’y avait guère qu’une solution : « au moins discuter avec LFI. » Autrement dit, si Jordan Bardella n’avait pas obtenu le tiers des voix, les partis de gauche auraient eu bien du mal à passer outre leurs désaccords divers. Le Figaro précise que les partis de gauche et leurs élus n’ont pas le choix, cet accord représente « l’unique condition » pour sauver leurs sièges, « la seule lumière au bout du tunnel. » Pour l’anecdote, Alain Duhamel sur BFMTV le 9 juin au soir et en direct sonne le tocsin et appelle à voter pour n’importe qui y compris le PC ou le NPA face au RN https://x.com/DestinationTele/status/1799885157438276078. Sacré Alain, on ne se refait pas !
Voir aussi : Alain Duhamel, portrait
Du PS au NPA, des points d’achoppement
Car des désaccords, il y en a, et ils sont loin d’être minces. 20 Minutes explique ainsi que l’accord du 10 juin « ne règle pas toutes les questions », et Le Figaro précise que cet accord, pourtant loin d’être définitif, a été long à venir, « après des discussions durant toute la journée de lundi » et « un long chemin sinueux. » Libération, qui a appelé au Front populaire dès l’annonce de la dissolution, reconnaît que « des désaccords de fond opposent insoumis et socialistes, notamment s’agissant de la sémantique pour qualifier le 7 Octobre et ses suites à Gaza. » Il faut également oublier les passes d’armes échangées pendant la campagne, venues de tous les partis, contre les écologistes qui ont bien failli n’avoir aucun siège, les Insoumis qui frayaient avec l’antisémitisme, et le PS qui était décidément trop haut. Du côté des électeurs, on s’inquiète : les socialistes devront-ils voter pour un Insoumis alors qu’ils ne soutiennent ni le comportement de ce parti à l’Assemblée nationale, ni ses positions en faveur du Hamas ? Les Insoumis, de leur côté, dénoncent une « fausse gauche » incapable de faire barrage avec autant de ferveur qu’en 2002, quand la gauche avait voté pour Jacques Chirac, ou en 2017 et en 2022, lorsqu’il s’agissait de voter pour Emmanuel Macron. LFI se défend d’ailleurs d’être antisémite, revendication dont on doute un peu à lire Libération, qui ne saurait pourtant porter ce type d’accusation. Mais apparemment, « les négociateurs butent sur la question de l’antisémitisme. »
Le Front populaire n’est pas encore uni
La route est donc encore longue avant une union digne de ce nom. Aurore Lalucq, en quatrième position sur la liste de Raphaël Glucksmann aux élections européennes, précisait ainsi sur BFMTV, dès le 11 juin, que l’accord salué par tous n’en était pas un, et le ravalait au rang de simple « ouverture de discussion qui a permis de poser nos conditions. » De quoi doucher un enthousiasme rapportait par France info, qui affirmait que « l’espoir des militants de gauche renaît » et que l’accord avait été accueilli « avec ferveur. »
LFI en disgrâce après avoir rêvé de Matignon
Le Front populaire est un véritable revers pour LFI, qui avait été le véritable artisan de la Nupes. D’un Jean-Luc Mélenchon présenté comme le futur Premier ministre, avec un programme important partagé par les députés, on passe à un nouveau programme, qui n’est d’ailleurs pas encore écrit, et surtout, plus personne n’imagine le ténor des Insoumis à Matignon, même si celui-ci se dit prêt à répondre présent. Et pour cause : les sorties répétées de LFI concernant la guerre entre Israël et le Hamas, la défense inconditionnelle de Gaza et la reconnaissance d’un État palestinien ont fini par classer le parti parmi ces extrêmes avec lesquels on ne fraie qu’en se bouchant le nez, à l’instar du Rassemblement national. L’Opinion rapporte ainsi que Raphaël Glucksmann juge « inconcevable de s’allier avec des insoumis. » Un retournement de situation qui ne manque d’ailleurs pas d’ironie. Au même moment, la non-investiture de Garrido, Corbière et Simonnet, opposants internes à Jean-Luc Mélenchon, provoque la zizanie et la colère de François Ruffin qui parle de bêtise et de sectarisme. Mieux, Adrien Quatennens, condamné pour violences conjugales, est réinvesti en douce dans la première circonscription du Nord. Une investiture que François Ruffin commente ainsi sur X Twitter le 15 juin : « Vous préférez un homme qui frappe sa femme, auteur de violences conjugales, à des camarades qui ont l’impudence d’avoir un désaccord avec le grand chef. Notre démocratie mérite mieux que vous.»
Voir aussi : Raphaël Glucksmann, portrait
Le PS fera-t-il cavalier seul ?
Cette ferveur, le PS, qui se rêve peut-être à nouveau parti de gouvernement et voit se refermer la parenthèse honteuse de la candidature d’Anne Hidalgo à l’élection présidentielle de 2022, ne la partage pas. L’Opinion titre ainsi « Raphaël Glucksmann dit non au Front populaire aux conditions de LFI », et rapporte les termes de l’entourage du député européen élu le 9 juin. « Place publique a signé un texte comme quoi la totalité des partis de gauche ferait le maximum pour lutter contre l’extrême droite. Mais ce n’est pas aux dépens de nos principes fondamentaux. » L’Opinion note d’ailleurs que le parti socialiste n’était pas présent lors de la première phase de négociations qui devait accoucher d’un semblant d’accord. Coucou, le revoilà ! Le retour de François Hollande, qui a annoncé sa candidature en Corrèze, ne va pas faciliter la tranquillité de la vie de la famille PS.
Au total, le Front populaire semble plutôt bien parti pour constituer l’une des trois listes principales des élections législatives, avec celles de Renaissance et du Rassemblement national et de ses alliés LR. Les sondages à l’échelle nationale le créditent autour de 30%, un pourcentage peut-être suffisant pour tutoyer la place tant convoitée de premier groupe d’opposition, et la place de Premier ministre, si le RN n’obtient pas les résultats espérés. Reste que, quels que soient les résultats, c’est bien le président de la République qui choisira le successeur de Gabriel Attal. Autrement dit, nulle obligation pour Emmanuel Macron de choisir celui que le Front populaire aura désigné, ni même de choisir Jordan Bardella en cas de succès du RN.
Dernière minute ! Le Nouveau Front populaire investit Raphaël Arnault dans la première circonscription du Vaucluse (Avignon). Ce porte-parole violent de la Jeune Garde est fiché S. Auteur de menaces de mort contre ses opposants, il a été convoqué par la police pour apologie du terrorisme. La candidate du Rassemblement national, Catherine Jaouen, a condamné cette investiture et a demandé aux électeurs de sa circonscription de « se lever contre cette dérive de violence. »
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