C’est une petite brève dans la lettre confidentielle Presse News mais elle fait beaucoup de bruit dans le landerneau nantais. Selon la lettre, Hervé Louboutin, ancien rédac-chef de Presse-Océan (1986–1997) et créateur du mensuel économique Nouvel Ouest, pourrait passer la main d’ici 2019. Ce serait alors l’un des seuls indépendants dans la presse nantaise qui s’en irait.
Hors du groupe Ouest-France, du groupe du Télégramme et des télés ou radios locales subventionnées par les collectivités (Télénantes, Tébéo, Citizen Nantes, Canal B à Rennes, Prun’ à Nantes…) il n’y a que très peu d’indépendants dans l’information générale bretonne. Citons tout de même Les infos du pays gallo dans le nord du Morbihan, Châteaubriant Actualités, Mediaweb à Saint-Nazaire, Breizh Info – de loin le plus gros sur le web – ou encore l’ancêtre glorieux mais néanmoins un peu désaffecté, l’Agence Bretagne Presse. On peut encore y ajouter les sites locaux de la nébuleuse d’extrême-gauche, à savoir Indymedia Nantes, Brest médias libres ou Expansive.info à Rennes.
Sur support papier, il y en a encore moins : Le Nouvel Ouest qui se spécialise dans l’économie, et L’Echo d’Ancenis et du Vignoble – qui avait d’ailleurs été sauvé et géré de 1998 à 2002 par Hervé Louboutin ; il titre à 5400 exemplaires tous les jeudis. Ainsi que Le Peuple breton, tombé à moins de 4000 exemplaires et organe de l’UDB, une quasi-filiale du PS à la mode bretonne. Enfin, il y a La Lettre à Lulu, de parution irrégulière et proche de la gauche libertaire, éditée à 3300 exemplaires.
Selon nos informations, Presse News n’a pas tout à fait raison… sans avoir tort. Hervé Louboutin, majoritaire au capital (55%) envisage en effet de se trouver un successeur d’ici deux ans, mais n’envisage pas de partir ou d’arrêter s’il ne trouve pas une vocation. L’indépendance, c’est une grande liberté, mais elle a aussi un prix : maintenir un média, même dans une niche solide (l’économie), dans un secteur en crise et écrasé par le groupe Ouest-France, est en effet une entreprise difficile qui n’est pas à la portée de chacun.
Né d’un père noirmoutrin et d’une mère bretonne de Locronan, Hervé Louboutin est tout sauf un inconnu dans la presse locale. Il s’est lancé dans Presse-Océan en 1974 alors qu’il était à la fac de droit – à l’époque, le successeur du Phare de la Loire était toujours le grand journal des nantais, alors qu’il est maintenant une filiale d’Ouest-France, moins important en Loire-Atlantique que ne l’est le Courrier de l’Ouest dans le Maine-et-Loire. En 1976 il part dans l’édition vendéenne de Presse-Océan, cofonde le Puy-du-Fou avec de Villiers – il y fera 400 représentations à cheval – et la radio Alouette en 1981. Rentré à Nantes en 1986, il est rédacteur-chef de Presse-Océan.
Il s’oppose frontalement au rachat de son journal par Ouest-France et finit par le quitter, nanti d’une confortable indemnité de licenciement qui lui permet de lancer le Nouvel Ouest. Ce dernier, diffusé dans une zone allant de la Basse-Normandie au Poitou, compte à ses débuts huit journalistes permanents, quatre aujourd’hui. Mais tient toujours. Même s’il a revu à la baisse ses objectifs : en 1998 il annonçait 25 000 exemplaires et 5000 distributeurs, pour une moyenne réelle de vente de 1631 exemplaires – de 586 à 4609 selon les éditions, se gaussait alors la Lettre à Lulu.
De gros capitaux ont complété ses apports, listait Libération en 1997 : « les Bretons Patrick Le Lay et François Pinault qui vont côtoyer des sociétés vendéennes et nantaises, les bateaux Bénéteau, les agendas Quo Vadis, le transporteur Joyau, les vêtements New Man, et une banque, le Crédit industriel de l’Ouest (CIO, du groupe CIC) ». En 2000, le rapprochement entre l’Hebdo de Nantes (groupe le Télégramme) et le Nouvel Ouest échoue cependant, du fait de l’opposition de la rédaction du premier journal. En 2008 le groupe immobilier de Michel Lelièvre, du Mans, avait pris 25% du journal, qui a survécu aussi à une procédure de sauvegarde (2009–2011).
Les détracteurs d’Hervé Louboutin – dont le journaliste nantais Nicolas de la Casinière, marqué à gauche (il anime la lettre à Lulu) et à l’époque correspondant local de Libération, affirment qu’il a été boulé de Presse-Océan après un éditorial qui a pris la défense de Maurice Papon le 24 janvier 1997 et qui a fait débat ; Hervé Louboutin y affirmait seulement, cependant, que Papon était un lampiste et qu’il était difficile de le juger des décennies après les faits, encore plus d’en faire un symbole. L’éditorial avait fait scandale à gauche, mais Presse-Océan avait soutenu Hervé Louboutin.
Rebelle dans la presse locale et catholique dans un milieu journalistique encore dominé par l’oppression morale de la gauche mondialiste, ancré dans les sujets économiques alors que nombre de journaux ont fait des faits-divers une rente de situation, financé par le privé alors que la quasi-totalité du secteur vit des aides publiques et des monopoles de fait tels que les annonces légales, Hervé Louboutin a donné au Nouvel Ouest une stature très particulière dans la presse bretonne. C’est aussi le dernier avatar des ambitions des milieux économiques nantais (et vendéens) dans la presse, alors que les collectivités locales (de gauche) et le rennais Ouest-France ont presque tout laminé. Nul doute que, quelle que soit l’issue, sa succession sera très suivie localement.