Il n’est pas courant qu’un roman se situe à la fois dans le monde des médias et la tragédie. L’exemple qui nous vient est le grand Le Camp des Saints de Jean Raspail. Nous avons interrogé les auteurs de Nouvelle Ère, Ester Mann et Lévon Minasian et leur éditeur David Delannay.
Nouvelle Ère, votre roman à quatre mains, est à la jonction d’une tragédie, celle d’un réfugié syrien et du destin d’un photographe de guerre célèbre. Comment ces deux personnages s’imbriquent-ils ?
Dans le roman, le destin d’Illias, un réfugié syrien échappé de l’enfer de Daesh, se croise avec celui de Marc, un photographe de guerre parisien, renommé et au sommet de sa carrière. Lorsque Illias, arrivé à Paris clandestinement, entre en contact avec le photographe, cela déclenche une série d’événements qui plonge Marc dans un climat de tension et de paranoïa. À mesure que l’histoire se développe, les secrets enfouis de Marc commencent à émerger, menaçant de détruire non seulement sa carrière, mais aussi son existence.
Pourtant, cette rencontre aurait pu être salvatrice pour les deux. Le roman explore les thèmes de la culpabilité, du pardon et de la rédemption. Il examine les conséquences des actes commis par le personnage de Marc, illustrant ainsi les dilemmes moraux et les tourments psychologiques auxquels il est confronté.
Cette fusion des destins d’Illias et de Marc donne lieu à une tragédie complexe, mettant en lumière les questionnements essentiels sur la nature humaine et les choix qui définissent nos vies.
Quel est votre regard sur l’agence qui emploie Marc le photographe ?
Notre regard porté sur l’agence qui emploie Marc, le photographe, est sévèrement critique. Les agences de presse en Occident ont souvent adhéré de manière unanime à la pensée unique dominante et au narratif officiel, au détriment de la vérité, de la liberté d’expression et des perspectives qui diffèrent du discours mainstream. À l’ère de l’internet et du numérique, où l’information circule à une vitesse vertigineuse, la vérité se noie souvent, voire s’anéantit dans un flot d’informations déformées. L’urgence de l’instant pousse à être les premiers à “informer”, mais trop souvent sans avoir le courage de révéler ce qui dérangerait l’opinion publique façonnée par la propagande officielle.
L’intégrité professionnelle des agences de presse et des médias dominants a été remise en question, en particulier lors de la pandémie mondiale de COVID-19, où la vérité a été souvent négligée dans le traitement de l’information et des analyses.
L’ambiance est-elle à l’aune de celle des médias lors du conflit syrien ?
L’ambiance du roman reflète les réalités et les enjeux médiatiques présents lors du conflit syrien.
Le roman aborde, entre autres, la question de la manipulation de l’opinion des masses par les médias, ainsi que les destins brisés de millions de personnes et le sort tragique des Chrétiens d’Orient.
Nous avons effectué de longues recherches, des voyages et des rencontres, avons fait des recherches approfondies sur le sujet et les événements, rendant ainsi le récit authentique et documentaire sur ces gens en proie à une souffrance immense, très peu reconnue.
Fort heureusement, avec l’avènement de l’ère internet, la vérité a fini par émerger. Les horribles atrocités perpétrées par les soi-disant “rebelles démocratiques”, soutenus par nos gouvernements à grand renfort d’armes et de sommes exorbitantes, ont été mises en lumière. Les ressources financières provenant des contribuables auraient pu être utilisées pour résoudre de nombreux problèmes qui affligent nos sociétés. Récemment, des voix se sont élevées pour critiquer les politiques gouvernementales, mais il est désolant de constater que nos politiciens n’assument jamais la responsabilité de leurs actes ignobles, qui ont entraîné la destruction de milliers de vies humaines.
En l’absence de condamnation de la part de la société, ces individus continueront d’agir impunément à l’avenir.
Comment vous êtes-vous édités, et comment êtes-vous distribués ?
La première fois que j’ai rencontré le texte de Lévon et Ester, je travaillais pour un éditeur situé à gauche (Investig’Action, créé par Michel Collon). Nous ne proposions, dans notre catalogue, que des essais. Avant de proposer le texte à Michel, je l’ai donc lu et soumis aussi à d’autres membres de l’équipe. Malgré la qualité du texte et des idées en adéquation avec notre ligne éditoriale, nous avons décliné leur proposition : on ne publiait pas de roman. Déjà à l’époque, j’étais révolté qu’un texte si beau et ses auteurs talentueux, parce qu’ils abordaient des sujets sensibles, soient mis de côté voire ignoré.
Quand les aléas de la vie m’ont poussé vers le chômage, j’ai directement pensé à ce texte de Lévon et Ester. Un texte fort qui soutient une liberté de parole trop souvent bafouée. C’est d’ailleurs amusant que les auteurs aient été victimes de ce qu’ils dénoncent dans leur livre : la censure médiatique. J’ai donc créé ma maison d’édition, La Lucarne indécente, pour donner voix aux discours qui sortent de la norme, des sentiers battus… Que ce soit des auteurs qui débutent, des auteurs avec des idées trop progressistes ou qui proposent des textes qui dérangent. Nous cherchons que ce type de texte : des livres qui dérangent l’ordre établi, qui questionnent le monde qui nous entoure, qui dénotent par rapport à la production actuelle. Il est d’ailleurs amusant de noter que, dans l’Histoire, la Belgique a déjà tenu ce rôle, d’éditer les ouvrages interdits en France.
Le travail a commencé et abouti au roman Nouvelle Ère, à ne pas confondre avec le scénario du même nom. Il n’est pas facile pour une nouvelle maison d’édition d’aider ses auteurs à percer, mais nous avons signé fraîchement un contrat de distribution avec Pollen, l’intermédiaire privilégié des éditeurs indépendants. Nos livres sont disponibles sur le site de La Lucarne indécente, mais il est également possible de les commander chez tous les bons libraires.
Quel a été votre parcours à chacun et quels sont vos projets ?
Nous sommes un couple écrivant à quatre mains. Ester Mann, agrégée de lettres, littéraire, sensible et poétique, et Lévon Minasian, cinéaste, visuel, structurel, maîtrisant la forme et la structure d’un récit. Nous sommes auteurs de scénarii primés, édités, portés à l’écran, des pièces de théâtre montées dans divers pays. Notre premier roman a obtenu le Prix Senghor 2019 et était parmi les 10 finalistes du Prix Francophone des 5 Continents. Ce qui nous anime, c’est la spiritualité, la passion pour l’art, la culture et surtout la bonne littérature. Dans nos textes nous racontons des histoires fortes, avec des personnages multidimensionnels, riches et complexes, où nous mélangeons les rires, les larmes, l’action, l’aventure, la poésie et l’humour. Nous privilégions les conflits internes forts, les réflexions profondes sur la condition humaine. Ses éléments rendent nos récits universels, captivants, excitants dans des textes qui restent pourtant accessibles à tous.
Nous avons encore mille histoires à raconter.
Nouvelle Ère, Ester Mann et Lévon Minasian, La lucarne indécente, 2022, 19 €