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Nouvelle traduction de 1984 chez Gallimard, une réédition avant tout économique

27 juin 2018

Temps de lecture : 4 minutes
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Nouvelle traduction de 1984 chez Gallimard, une réédition avant tout économique

Temps de lecture : 4 minutes

Nous avions évoqué fin mai 2018 la nouvelle traduction de Josée Kamoun du chef d’œuvre d’Eric Arthur Blair alias George Orwell, 1984, traduit en français une première fois en 1950 par Amélie Audiberti. Nous n’avions pas pu alors départager les deux traductions, ce que nous faisons maintenant.

Un parti pris d’ambiguïté

Dans un entre­tien du Monde des livres du 8 juin 2018, Josée Kamoun (tra­duc­trice entre autres de Philip Roth et Richard Ford) a exposé ses choix. Étranglant, de manière élé­gante mais défini­tive, la pre­mière tra­duc­trice – « une très jeune tra­duc­trice de sci­ence-fic­tion qui n’avait sans doute pas une longue con­nais­sance de la cul­ture et de la cul­ture bri­tan­niques » – Josée Kamoun défend son usage du présent alors qu’Orwell utilise le preter­it anglais, repris sous forme de passé sim­ple par Amélie Audib­er­ti. Le présent de nar­ra­tion traduirait mieux que le passé sim­ple l’urgence du texte, sa spon­tanéité et sa vio­lence. Une expli­ca­tion alam­biquée et dont la néces­sité n’apparaît pas à la lecture.

Kamoun veut retrou­ver l’ambiguïté du texte (elle emploie le mot). Mais pourquoi chercher une ambiguïté là où il n’y en a pas ? Orwell dénonce l’enfer total­i­taire com­mu­niste comme mod­èle de tous les enfers poli­tiques. Elle ajoute que l’auteur ne pos­sède pas tout seul la vérité de son texte fait aus­si de sa pro­duc­tion et de sa récep­tion. Certes, mais vouloir atténuer la dimen­sion poli­tique de l’ouvrage au prof­it d’une dimen­sion qua­si fan­tas­tique risque d’affaiblir (et affaib­lit) le pro­pos d’Orwell.

Analysons l’avant dernier paragraphe du livre et ses traductions

Les derniers para­graphes de 1984 trait­ent du lan­gage, de sa trans­for­ma­tion par l’éradication des ter­mes poli­tique­ment incor­rects et de leur rem­place­ment par un vocab­u­laire con­forme aux intérêts du par­ti (on dirait aujourd’hui : con­forme aux intérêts de l’oligarchie libérale lib­er­taire). L’avant dernier paragraphe :

En anglais

« It would have been quite impos­si­ble to ren­der this into Newspeak while keep­ing the sense of the orig­i­nal. The near­est one could come to doing so would be to swal­low the whole pas­sage up in the sin­gle word crime­think. A full trans­la­tion could only be an ide­o­log­i­cal trans­la­tion, where­by Jefferson’s words would be changed into a pan­e­gyric on absolute government ».

Tra­duc­tion Audib­er­ti 1950

Il aurait été impos­si­ble de ren­dre ce pas­sage en novlangue tout en con­ser­vant le sens orig­inel. Pour arriv­er aus­si près que pos­si­ble de ce sens, il faudrait embrass­er tout le pas­sage d’un seul mot : crimepen­sée. Une tra­duc­tion com­plète ne pour­rait être qu’une tra­duc­tion d’idées dans laque­lle les mots de Jef­fer­son seraient changés en un pané­gyrique du gou­verne­ment absolu.

Tra­duc­tion Kamoun 2018-06-25

Ce texte aurait été par­faite­ment impos­si­ble à ren­dre en néopar­ler si l’on avait voulu en garder le sens orig­i­nal. La tra­duc­tion la plus approchante en aurait englouti la total­ité sous le terme men­tocrime. Une tra­duc­tion com­plète n’aurait pu être qu’idéologique, et du coup les pro­pos de Jef­fer­son se seraient mués en pané­gyrique de l’absolutisme.

Com­parons. Le terme tra­duc­tion idéologique de Kamoun est plus proche de l’anglais ide­o­log­i­cal trans­la­tion que le mal­adroit tra­duc­tion d’idées d’Audiberti. Ceci mis de côté, Néopar­ler est beau­coup plus faible que Novlangue et le néol­o­gisme en deux syl­labes d’Audiberti sonne plus près de l’anglais Newspeak et résonne bien mieux. De même crimepen­sée est plus fort que men­tocrime pour exprimer crime­think. Le gou­verne­ment absolu d’Audiberti est plus proche de l’anglais absolute gov­ern­ment que l’abso­lutisme de Kamoun qui évoque his­torique­ment plus le règne de Louis XIV que le total­i­tarisme moderne.

Au total ?

La tra­duc­tion Kamoun est sans doute plus exacte sur des détails. Jeu de fléchettes (darts en anglais) est meilleur que va-et-vient des flèch­es d’Audiberti par exem­ple. Mais la tra­duc­tion des néol­o­gismes est beau­coup plus faible et in fine la tra­duc­tion Kamoun affa­dit le sens pro­fondé­ment poli­tique du texte. L’emploi du présent appa­raît comme une coquet­terie pour faire quelque chose de dif­férent sans vraie néces­sité littéraire.

Vous avez le choix : vous pou­vez acheter la nou­velle tra­duc­tion pour 21 € ou l’ancienne pour moins de 9 € en Folio poche (et même moins de 4 € en occa­sion). Gal­li­mard a fait son choix qui sem­ble surtout économique (on ne saurait lui reprocher), nous avons fait le nôtre.

Une analyse plus com­plète que la nôtre est parue sur le site de la Fon­da­tion Polemia, nos lecteurs la retrou­veront ici.

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