Première diffusion le 02/09/2020
Tempête (dans un verre d’eau) dans le monde médiatique suite à une fiction publiée par Valeurs actuelles et représentant une députée LFI en esclave.
Chaque année, l’hebdomadaire Valeurs Actuelles publie ses feuilletons fictionnels de l’été. Le principe ? Transformer des personnalités contemporaines en personnages de fiction, souvent à un autre moment de l’histoire. Il s’agit de politique fiction. Cette année 2020, la fiction écrite au sujet du député Obono de LFI fait polémique : le texte et un dessin de presse la représentant en esclave.
Politique fiction d’été
La série de l’été a d’abord proposé des politiques fictions consacrées à plusieurs autres personnalités. C’est le principe : des personnalités actuelles, dans la plupart des cas mais pas seulement, deviennent des personnages de roman et sont caricaturées sur la base de leurs idées. Cette année, par exemple, la série a publié des fictions au sujet de Fillon, Dupond-Moretti, Nicolas Hulot, Karl Marx et donc Danièle Obono. Cet été comporte aussi une fiction « politico-écolo » autour de Ségolène Royal, et il y avait déjà eu des fictions sur François Hollande, Jeanne d’Arc en conseillère de Macron, Finkielkraut en éleveur de vaches, Philippe de Villiers en sélectionneur de l’équipe de France, BHL en ministre des armées et des droits de l’homme, Houellebecq en calife de l’État islamique ou Jean-Marie Le Pen en maire de Paris… Des pastiches que chacun jugera plus ou moins de bon ou de mauvais goût, avec des dessins plus ou moins réussis. Selon l’opinion de chacun.
Cet été 2020, une fiction racontant comment le personnage inventé Obono serait devenu esclave suite à des démêlés dans son supposé village d’origine en Afrique déclenche la polémique médiatique de rentrée (il y en a une chaque année) accentuée par l’animation sur les réseaux sociaux. Tout ce qui touche à la couleur de peau noire est depuis quelques mois sensible en France.
Le Monde présente les faits ainsi (29 août 2020) : « Dans ce récit fiction de sept pages publié dans le cadre d’une série d’été où des personnalités politiques « voyagent dans les couloirs du temps », la députée de Paris, à la peau noire, « expérimente la responsabilité des Africains dans les horreurs de l’esclavage » au XVIIIe siècle, selon la présentation qu’en fait le magazine. Des dessins de Danièle Obono, collier en fer au cou, accompagnent ce « roman de l’été ».
Danièle Obono évoque, sur BFM, « une insulte à ses ancêtres, sa famille et à la république ». Pour elle, la fiction concernée est « une souillure qui ne s’effacera pas ». Elle précise aussi : « ça fait trois ans qu’on alerte sur le fait qu’il y a un processus de racialisation, de racisme dans ce pays ». Elle n’a pas tort à ce propos mais ne semble pas en voir les causes dans son propre camp politique ni dans ses accointances avec des milieux indigénistes anti-blancs. Avant de s’exprimer sur BFM, le député Obono avait fait preuve de poésie sur twitter en évoquant « une merde raciste dans un torchon ».
Valeurs actuelles a publié un communiqué le samedi 29 août, précisant : « Il s’agit d’une fiction mettant en scène les horreurs de l’esclavage organisé par les Africains au 18e siècle », « terrible vérité que les indigénistes ne veulent pas voir ». Cette précision est importante car le rôle d’une partie des Africains dans la traite négrière est une réalité historique démontrée, entre autres, par l’historien Olivier Pétré-Grenouilleau dans un livre qui fit date (et polémique, bien qu’étant un travail intellectuel et universitaire reconnu comme sérieux à l’échelle internationale) : Les traites négrières. Essai d’histoire globale, Gallimard, 2004 (rééditions régulières en poche, collection Folio). Le livre est un classique du sujet mais aussi de la méthode historique. Le réel ? Aucun noir vivant hors d’Afrique ne peut prétendre descendre d’un esclave plutôt que d’un esclavagiste noir, sauf preuve généalogique formelle. Toute personne noire est susceptible d’être le descendant d’un esclavagiste ayant collaboré avec l’esclavagisme d’abord musulman ou, plus tard, européen. D’ailleurs, l’histoire démontre que les routes de la traite négrière, internes à l’Afrique, furent tracées par les ethnies noires vendant les membres d’autres ethnies à des trafiquants arabes et musulmans, bien avant la traite européenne.
L’histoire de l’esclavage est ainsi tout autant noire et musulmane que blanche et européenne.
C’est en effet ce fait historique que les indigénistes, Obono, LFI, mais aussi une classe politique, médiatique et malheureusement éducative, ne veulent pas voir. Pourquoi ? Par inculture. Des livres, cela se lit.
Le directeur adjoint de la rédaction de Valeurs Actuelles explique : « j’invite chacun à lire le texte et à voir ce qu’il contient. Il vise à expliquer que l’esclavage n’est pas uniquement le fait des Européens mais également d’Africains ». Il reconnaît la violence du dessin représentant Obono avec une chaîne au cou tout en indiquant que « c’est une image horrible car la thématique est horrible, mais ce n’est pas du racisme ».
Il ne le dit pas mais un autre point importe : ceux qui sont actuellement outrés par le dessin sont parfois les mêmes qui fustigeaient Charlie Hebdo, avant les attentats, et demandaient que soient interdites les caricatures de Mahomet.
Reste que l’hebdomadaire s’est senti contraint de publier une réponse portant explications mais aussi excuses, notamment auprès d’Obono, reconnaissant qu’elle a pu être choquée. Il est clair sur ses intentions : « Notre intention, transparente, était la suivante : là où les indigénistes et les déconstructeurs de l’Histoire veulent faire payer le poids de cette insoutenable traite aux seuls Européens, nous voulions rappeler qu’il n’existât pas d’unité africaine, et que la complexité de la réalité, sa dureté, était à raconter. Nous avons choisi cette élue car elle participe selon nous, par ses prises de position répétées, à cette entreprise idéologique de falsification de l’Histoire.
Notre texte n’a rien de raciste. Sans quoi nous n’en aurions pas publié une ligne. Évidemment. Il est commode pour nos adversaires de nous imputer cette accusation, que rien n’étaie dans le contenu. Chacun pourra juger par lui-même de l’opportunité d’une telle fiction, mais personne n’y trouvera une banalisation de l’esclavage ou une quelconque stigmatisation. Évidemment. Les images néanmoins, et d’autant plus quand elles sont isolées sur les réseaux sociaux, renforcent la cruauté inhérente au sujet même. Il s’agit de dessins accompagnant cette fiction, et tout comme l’esclavage lui-même, les images de l’esclavage sont d’une ignominie sans nom.
Si nous contestons fermement les accusations dont nos contempteurs nous accablent, nous avons suffisamment de clairvoyance pour comprendre que la principale intéressée, madame Danièle Obono, ait pu se sentir personnellement blessée par cette fiction. Nous le regrettons et lui présentons nos excuses. »
L’Éducation Nationale à la rescousse de Valeurs Actuelles ?
Notons que le sujet de la liberté d’expression de la presse, y compris par le biais du dessin de presse est considéré comme étant d’une importance assez grande en France pour faire l’objet d’un enseignement de l’Éducation Nationale par le biais du CLEMI, « le centre pour l’éducation aux médias et à l’information ». Le CLEMI propose cette fiche pédagogique, avec des activités précises :
« En groupe, analyse comparative du dessin de Plantu « La liberté sera toujours la plus forte » (Le Monde, 9 janvier 2015) et du tableau d’Eugène Delacroix « La liberté guidant le peuple sur les barricades » (1830, Louvre). Donner toutes ces informations aux élèves (auteurs, dates). Quelles sont les ressemblances et les différences ? Lister tous les éléments qui permettent d’identifier le détournement du tableau de Delacroix. Qui est Charlie ? Pourquoi des dessinateurs ont-ils été tués ? Aborder factuellement l’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo (Paris, 7 janvier 2015) et son lien avec les caricatures de Mahomet (2005). Pourquoi Plantu a‑t-il détourné ce tableau ? C’est un symbole de la liberté et de la République française. Quelle liberté évoque Plantu ? Quels messages veut-il faire passer ? Rendre hommage aux dessinateurs tués, montrer que la liberté d’expression des dessinateurs est en danger et qu’il faut se battre pour la conserver. Demander aux élèves ce qu’ils connaissent sur la liberté d’expression. Lecture de textes qui encadrent et protègent ce droit au niveau national et inter-national (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, loi sur la liberté de la presse de 1881, Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen, Convention européenne des droits de l’homme). Visionner la vidéo d’1jour1actu sur la liberté d’expression. »
Des réactions médiatiques mystérieusement unanimes
Aucune des fictions publiées par Valeurs Actuelles ces deux dernières années n’a posé de problème particulier. L’écrivain Michel Houellebecq n’a pas porté plainte quand il est romanesquement devenu calife de l’État islamique. Dans le cas présent, Obono croquée en esclave, la réaction contre l’hebdomadaire est unanime pour deux raisons :
- Chacun essaie de ne pas être « contaminé » par une affaire qui traîne derrière elle le mot « racisme » (bien qu’aucun tribunal n’ait évidemment encore statué)
- Le poids militant pris par les milieux indigénistes en France, milieux où s’expriment des visions du monde racialistes, provoque une sur-réaction automatique dès que la moindre critique touche les noirs ou à la moindre tentative d’humour (noir).
Par contre, les mêmes milieux ne s’offusquaient pas début juillet quand Obono critiquait sur Twitter le nouveau premier ministre, Jean Castex, en évoquant un « homme blanc de droite bien techno et gros cumulard ». Ou quand Laurent Ruquier avait qualifiée Marine Le Pen du doux qualificatif « d’étron ».
Qualifier une personne selon sa couleur de peau semble raciste quand c’est Valeurs Actuelles qui le fait, moins lorsque c’est un député noir. Notons que suite à la fiction et au dessin publiés par Valeurs Actuelles, représentant Obono en esclave, le même 1er ministre Castex s’est fendu d’un tweet : « cette publication révoltante appelle une condamnation sans ambiguïté. Je partage l’indignation de la députée Obono et l’assure du soutien de l’ensemble du gouvernement. La lutte contre le racisme transcendera toujours tous nos clivages ». Castex est un homme bon qui n’a pas de rancune quand on le caractérise par le fait d’être blanc.
Les réactions sont trop nombreuses pour être toutes évoquées. Le Monde indique qu’une « large frange de la classe politique, de La France insoumise à Emmanuel Macron, a dénoncé samedi le « racisme » des dessins de la députée de Paris dans une fiction d’été du magazine conservateur. » Le quotidien indique aussi la réaction du ministre de la justice Dupond-Moretti : « « On est libre d’écrire un roman nauséabond, dans les limites fixées par la loi. On est libre aussi de le détester. Moi je le déteste et suis [aux] côtés » de la parlementaire ». Sur BFM, le directeur de la rédaction, Geoffroy Lejeune, a indiqué avoir été « dérangé » par l’histoire. Le journaliste qui l’interroge veut montrer que le texte insisterait sur des aspects physiques au sujet d’Obono. Comme le directeur de la rédaction s’affirme « gêné », ce même journaliste lui demande s’il « n’a pas le pouvoir de ne pas le publier ». Geoffroy Lejeune répond qu’il a ce pouvoir et qu’il assume entièrement la parution, précisant que s’il a été gêné c’est parce que ce texte « devait être gênant » : « c’est pas une petite comptine, on parle de quelque chose de grave et malheureusement l’impact, la répercussion, notamment politique, ne montrent pas du tout ce que l’on a voulu montrer : l’objectif est de montrer que le discours des indigénistes, mouvement que l’on combat à Valeurs Actuelles, parce qu’on estime que leur logique est dangereuse, délétère et qu’elle peut mener à des choses très graves, est faux. On essaie de démonter ce discours. »
Sinon, l’essentiel des médias évoque le scandale et insiste sur « l’unanimité politique » pour « dénoncer Valeurs Actuelles ». Unanimité qui parcourt le paysage médiatico-politique : Libération, La Ligue de Défense Noire (qui s’est autorisée une entrée illégale et menaçante dans les locaux de Valeurs Actuelles samedi 29 août), BFM, LFI, le RN, LCI, Emmanuel Macron, Le Parisien, le NPA (qui parle « d’ordures »), Paris-Match, Europe 1, Le Figaro, RTL, le Huffpost, L’Obs, France Inter, Le Point, L’express, Cnews, oumma.com, la presse belge, suisse, québécoise, toute la presse régionale française, Franceinfo, Mélenchon (qui en profite pour Twitter : « Marianne, Valeurs Actuelles, Charlie : ça suffit le harcèlement nauséabond contre Obono »)…
Autant que l’unanimité de la position contre le texte de Valeurs Actuelles, c’est l’uniformité de cette réaction qui peut interroger : étrange presse que cette presse où la pensée est unique. Pas une voix discordante ? Le doigt sur la couture ? Les seuls arguments autres qu’outrés mis en avant, et expliquant la position de l’hebdomadaire, sont ceux des directeurs du magazine – quand leurs confrères veulent bien leur donner la parole, ce qui n’est pour le coup pas unanime.
Certains adversaires de l’hebdomadaire, comme Sleeping Giants, dont Valeurs Actuelles avait démontré le caractère néfaste pour la liberté d’expression, en profitent pour relancer fortement leur campagne contre le magazine.
Il est dommage que Valeurs Actuelles n’ait pas les mêmes droits humoristiques que des médias tels que Charlie-hebdo ou Le Canard enchaîné. Il n’est cependant pas interdit de penser que les réactions polémiques et violentes pouvaient être anticipées et que l’hebdomadaire devait se douter de la tempête qui allait être déclenchée. Volontaire ? Peut-être pas. Dans tous les cas, anticiper sur un sujet à ce point brûlant dans l’actualité, en une période où les médias ne parlent que des populations noires, en France ou aux États-Unis, eut sans doute été utile, en publiant par exemple, en accompagnement du récit, un entretien avec un historien irréfutable ou plus simplement une double page en forme d’enquête, rédigée par un journaliste et exposant la connaissance et les faits historiques tout aussi irréfutables concernant le rôle des ethnies africaines et du monde musulman dans l’esclavage. Une forme d’esclavage souvent minimisée alors qu’elle a duré plus longtemps et a eu une ampleur bien plus forte que l’esclavage européen.