Première diffusion le 19 avril 2022
Wikipédia promettait le règne de la foule éclairée, il est en réalité celui de minorités militantes. L’encyclopédie reflète l’activisme subversif de la gauche de la gauche libérale libertaire. Dernier exemple en date : l’Observatoire des sources de la communauté Wikipédia. Ce nouvel outil permet de perpétuer les préjugés dominants et d’excommunier les sources alternatives.
Malgré les formes, un outil de prescription
Ses auteurs l’assurent : l’Observatoire des sources n’est pas un « outil prescriptif ». Il n’interdit à personne l’accès à une source d’information, disent-ils. Pourtant, le ton de l’Observatoire s’avère particulièrement injonctif : « Puis-je utiliser un article d’@ojim_france comme source fiable ? » questionne-t-il pour la forme avant de répondre : « Non, car l’Ojim s’apparente à un blog d’extrême droite sans expertise reconnue. »
L’ODS, un outil pour orienter les esprits
Créé à l’été 2020 par la communauté Wikipédia, l’Observatoire des sources est formellement un index alphabétique de médias. Mais pas n’importe lesquelles : il recense ceux signalés pour leur manque supposé de fiabilité par la communauté wikipédienne. L’ODS présente un court résumé du média dénoncé et répertorie la discussion ayant amené à ce jugement, qui ressemble furieusement à une condamnation ou à un acquittement.
Ainsi l’Ojim n’est-il pas le seul média à faire les frais de cet outil incitatif :
- Valeurs actuelles: « magazine marqué politiquement à droite, voire à l’extrême droite. Les discussions insistent quant à la nécessité de ne l’utiliser qu’en complément d’une source secondaire de qualité, et de veiller à WP:Proportion.»
- Breizh info: « faux site d’infos. A été ajouté en liste noire locale. »
- Causeur : « journal en ligne polémique, d’inspiration principalement « conservatrice, souverainiste et républicaine ». Sa fiabilité est contestée. La discussion a abouti à la conclusion qu’il peut être utilisé en complément d’une source secondaire de qualité (et dans le respect de Wikipédia:Importance disproportionnée). »
- Aleteia : « site web d’information catholique, directement lié à l’Église catholique (…) peut être considéré comme une source secondaire, orientée. »
- Conflits: « La seule discussion à son sujet a conduit à estimer que c’était une source à n’utiliser qu’en complément d’une source secondaire de qualité et en veillant au respect de Wikipédia: Importance disproportionnée. »
- Sud Radio: « radio française se voulant généraliste. Elle a été épinglée à de nombreuses reprises comme diffusant des opinions minoritaires, voire de fausses informations. Selon la discussion, sa fiabilité est donc affaiblie, et elle ne devrait pas être utilisée seule pour justifier l’introduction d’une information spécifique. »
- Boulevard Voltaire: « site d’opinion d’extrême droite… peu fiable. »
- Russia Today: « chaine de télévision et site financés par l’État russe et assimilés à de la propagande et/ou désinformation. »
Ainsi les médias dénoncés se voient-ils, au mieux, relégués en seconde zone. Au pire sont-ils bannis. Inversement, des médias analogues, mais politiquement diamétralement opposés, se voient traités avec davantage d’indulgence :
- Acrimed, « Source secondaire d’analyse et de critique des médias, sous forme d’association, ancrée politiquement à gauche », est jugé plus fréquentable que l’Ojim : « Son usage est régulièrement discuté ; dans tous les cas, Wikipédia:Importance disproportionnée s’applique.»
- Bondy Blog: « média participatif consacré aux quartiers sensibles. Il est proche de revendications communautaristes musulmanes selon certains observateurs, tandis que d’autres sources y voient un média de qualité. Peut être utilisé comme source secondaire dans le respect de Wikipédia:Importance disproportionnée. »
- Têtu : « Source de presse spécialisée, considérée comme fiable. Les discussions portent sur l’application de WP:PROPORTION. »
Voir aussi : Pour Gilles Kepel, le Bondy Blog est dans la main des Frères musulmans
L’ODS émet ainsi des jugements lapidaires. Sa procédure repose en effet sur des témoignages à charge. En clair : l’Observatoire des sources bannit de la sphère de l’acceptable, en se fondant sur les articles de la presse mainstream. Par exemple : le journaliste Samuel Laurent du Monde est ainsi présenté comme une valeur sûre (sic).
En définitive, outil discret de la communauté wiki, l’Observatoire des sources dévoile les travers de l’encyclopédie Wikipédia.
Wikipédia, enjeu civilisationnel
4 millions de personnes cliquent chaque jour sur un contenu de Wikipédia France. En vingt ans, l’encyclopédie en ligne s’est imposée en tête des résultats de recherche, et donc de la fabrique de l’opinion mondiale. Ni plus ni moins. Concrètement, pour une organisation ou une personne, une page Wikipédia est cruciale : « son importance est peut-être plus grande que celle d’un site web », nous dit un contributeur.
Wikipédia se voulait une encyclopédie participative. Son principe ? Celui de la science ouverte: qu’une foule nombreuse serait plus intelligente qu’une poignée d’experts. Au diable donc la hiérarchie et le contrôle éditorial des encyclopédies, l’heure était à l’égalité et à l’ouverture. Tout le monde pouvait participer. Et qui dit plus de rédacteurs, dit plus de relecteurs. Le système devait être infaillible. Une main invisible devait actionner la libre circulation des bonnes volontés et des informations pour atteindre le savoir universel. Voilà pour l’inspiration libérale.
Reste que la fiabilité de Wikipédia a longtemps fait débat : en 2005, l’équipe de l’encyclopédie Britannica taclait son cousin en ligne, estimant que la qualité des articles était celle attendue d’un élève de lycée. Bien sûr, 17 ans plus tard, les entrées se sont affinées, mécanique participative aidant. Les « critères d’admissibilité », l’effort de sources ont porté leurs fruits.
Sur Wikipédia, les contributeurs sont inégaux
Mais aussi a‑t-il bien fallu réintroduire une hiérarchie pour ordonner la menace de chaos. Désormais, l’ancienneté et le nombre de modifications assoient la légitimité parmi les contributeurs. « Ils prétendent que le mécanisme d’argumentation est objectif, mais il n’y a pas d’égalité car certains contributeurs sont plus légitimes » dénonce un contributeur avec lequel nous nous sommes entretenus. Et cette position de force s’avère un atout considérable quand une page wiki vire au pugilat politique, pour trancher dans un sens ou dans un autre. Et plutôt celui de la gauche libérale libertaire.
« Je pense que la neutralité est impossible… La communauté de contributeurs a ses biais », nous explique un autre contributeur aguerri. Notre interlocuteur admet d’ailleurs qu’« une liberté totale » règne sur « les pages de boxe », par exemple.
Wikipédia, vulnérable aux offensives informationnelles…
« Wikipédia est un terrain idéal pour le lobbying, l’activisme et le noyautage », relevait d’ailleurs pertinemment, dès 2009, le philosophe Marc Foggia dans la revue Études. Les lobbies d’une entreprise ou les partisans d’une personnalité politique pourront se battre pour le contrôle de l’information et d’une réputation.
« Les encyclopédies traditionnelles étaient mieux armées face au danger que présentent les groupes de pression ou d’intérêt », note encore Marc Foggia. En choisissant un rédacteur impartial, le rédacteur en chef pouvait en effet prévenir toute malhonnêteté intellectuelle. Sur Wikipédia, malgré la transparence affichée, rares sont les lecteurs qui iront se renseigner sur les auteurs pour apprécier leurs penchants. A contrario, les contributeurs les plus militants n’en manqueront pas une, recevant une alerte en cas de modification d’une page politiquement sensible.
Et dans le match des modifications, l’inégalité se renforce plus encore : « on a besoin de sources, mais les sources sont limitées ! » nous rappelle l’un des contributeurs. Car elles proviennent principalement de la presse, qui ne penche guère à droite de l’échiquier politique.
… qui viennent de la gauche libérale libertaire
Pour conclure un conflit idéologique, l’encyclopédie peut quelquefois prendre une mesure radicale : bloquer une page ou bannir des contributeurs. En février 2022, sept contributeurs étaient bannis, accusés d’influencer les contenus liés à Éric Zemmour. Parmi eux, « Cheep », classé 64e et totalisant plus de 165.000 contributions en quinze ans. Prise sous couvert de lutte contre l’activisme, cette décision visait spécifiquement la droite. Trahissant ainsi la neutralité disparue de Wikipédia.
« Je ne crois plus le site que j’ai créé », lâchait en 2021 à Unherd l’Américain Larry Sanger. Sans doute est-ce là la dénonciation la plus puissante des biais de l’encyclopédie en ligne. Inconnu ou presque en France, Sanger contribua à fonder Wikipédia en 2001 : il en fut le rédacteur en chef avant de le quitter en 2002. « La gauche a pris le pouvoir chez Wikipédia », ajoutait-il dans les colonnes du Telegraph.
Et l’intéressé d’enfoncer dans un documentaire d’Arte : « Un certain nombre d’anarchistes d’extrême gauche étaient emballés par l’idée qu’une communauté en ligne puisse développer un projet génial sans aucune autorité centralisée. Ils étaient persuadés que mon rôle et celui de nombreux universitaires constituaient un problème ».
« On ne peut pas du tout citer le Daily Mail » précisait-il. « On ne peut pas non plus citer Fox News sur des sujets sociaux ou politiques. […] Cela signifie que si une polémique n’apparaît pas dans les médias grand public de centre gauche, elle n’apparaîtra pas dans Wikipédia », regrettait Sanger dans Unherd. Un paradoxe, pour une ressource trop souvent considérée « comme un ouvrage de référence impartial ».
Une tendance à écarter les sources à laquelle le pseudo Observatoire des sources non seulement n’échappe pas mais qu’il entretient. Un Observatoire des sources dont la boussole indique le sud ; en suivant une direction contraire on a moins de chances de se tromper, avis aux explorateurs…
Voir aussi : Wikipédia, une encyclopédie très médiatique avec un parti-pris libéral libertaire