Média en ligne très à gauche, Off-Investigation publie articles et documentaires qui critiquent l’ultra-libéralisme et le macronisme. L’obsession de ses journalistes est cependant ailleurs : Off-Investigation croit savoir que les médias apporteraient une haine « fasciste » et « pétainiste » en France. Cette croyance a inspiré le documentaire « Médias de la haine, objectif, guerre civile ? », qui avait dépassé le million de vues le 25 novembre 2024. Le documentaire veut servir une thèse : les médias dits de droite seraient par nature des « médias de la haine ». Une prise position moralisatrice, idéologique et militante, très éloignée du journalisme.
Préambule : aux sources du Mal : Bolloré et i>Télé
Pour ce documentaire, les reporters reviennent à l’automne 2016, devant le siège du groupe Canal +, où des manifestants journalistes réclamaient de pouvoir « travailler en toute indépendance » par rapport à l’actionnaire principal. Car, « depuis un an le nouvel homme fort du groupe Canal, c’est le milliardaire breton d’extrême-droite Vincent Bolloré ». Suit une présentation classique du groupe Bolloré et des sources de sa richesse, dont les investissements en Afrique. Le ton est donné : la question des « médias de la haine » concerne « l’extrême-droite ». Bolloré est mis au pilori: son empire « s’est développé notamment dans des régimes autoritaires, comme le Togo ». C’est « le roi de la françafrique qui vient de mettre la main sur la chaîne d’infos du groupe Canal ». Il s’agit d’I‑Télé et comme « vitrine » de cette dernière, Bolloré a choisi Morandini. Le documentaire fait donc le point sur l’affaire de scandale sexuel, qui concerne Morandini et de jeunes acteurs. « Mi-novembre, après cinq semaines de grève sans salaire (c’est le principe même de la grève, ndlr), les 3/4 des journalistes craquent et quittent I‑Télé. Une hémorragie ». Saut dans le temps immédiat : direction l’audition de Vincent Bolloré, en janvier 2022, devant la commission d’enquête parlementaire sur la concentration des médias. Bolloré explique que départs et arrivées de journalistes sont choses normales, Off-Investigation donne plutôt la parole à un journaliste du Canard Enchaîné pour qui Bolloré pratiquerait « un management par la peur ». Ce serait de la terreur. Cet autoritarisme serait lié à Serge Nedjar, « l’homme de Bolloré ». Selon qui ? Selon… Médiapart. Serge Nedjar imposerait « une ligne éditoriale réac » en intervenant directement auprès de la rédaction. À partir de 2016, Nedjar s’entoure de Thomas Bauder, futur directeur de l’information de CNews. Ce dernier ne serait pas « respectueux du droit du travail ». Pas plus de précision. Aucuns faits.
2017, Bolloré rebaptise I‑Télé qui devient CNews. Il est avec Drahi, Niel, Arnault, Bouygues et Lagardère l’un des milliardaires qui contrôlent l’essentiel du paysage médiatique français. « À partir de mai 2017, tous vont soutenir la politique pro-business du nouveau président ».
Premier thème/Médias de la haine : cibler les précaires
Les « médias de la haine » auraient les mêmes obsessions, à commencer par les précaires. Il ne s’agit pas seulement d’en parler mais de les « cibler », de les « prendre pour des feignasses ». Ce serait la particularité des médias des milliardaires, « parfois caricaturale chez Drahi ». Plateau sur l’avocate Sarah Saldmann, revenue de sa participation au film de Ruffin Au Boulot ! Chez Bouygues, LCI, le discours est un peu plus subtil, d’après le documentaire : fin 2022, Pujadas « tente de faire croire qu’un couple de chômeurs gagnerait plus qu’un couple qui travaille ».
Cependant, c’est durant la révolte des Gilets Jaunes que les milliardaires se lâchent. Les Gilets Jaunes réclament la baisse des prix du carburant et le rétablissement de l’impôt sur la fortune. Une fois que le mouvement se radicalise et réclame la démission de Macron, début décembre 2018, « le pouvoir vacille ». Alors, « sur les plateaux des milliardaires, cela ne rigole plus du tout ». Aphatie est en première ligne. Tous les journalistes de droite qui critiquent les Gilets Jaunes sont assassinés par le documentaire. Mais aussi Thomas Legrand, de France Inter, qui considère que les leaders des Gilets Jaunes ont des « discours débiles » et qu’ils sont « méprisables ».
Le documentaire donne à voir des propos sortis de leur contexte, n’engageant que leurs auteurs, qui « incitent à augmenter la violence et à tirer sur la population ». Mais rien au sujet des propos contradictoires, y compris ceux des Gilets Jaunes alors souvent invités sur les plateaux. Ces médias « prépareraient les esprits à ce qu’il y ait des morts ». La faute aux médias de droite, pas au gouvernement. La contextualisation n’est pas le fort du prétendu journalisme d’investigation d’Off-Investigation.
Deuxième thème/Médias de la haine : cibler les étrangers
Petit saut : « à la fin de la révolte des Gilets Jaunes, Bolloré recrute Éric Zemmour pour CNews, un polémiste d’extrême-droite multi condamné pour provocation à la haine raciale ou provocation à la haine religieuse ». Le documentaire donne d’emblée sa tonalité quant à Zemmour. Pire, « quelques jours avant d’être nommé par TV Bolloré, il appelait à la guerre civile dans un meeting organisé par Marion Maréchal ». L’information est fausse : il s’agissait d’une Convention de la droite, destinée à voir de possibles points de convergences en vue d’une union des droites, organisée par des médias alternatifs.
Zemmour n’est pas le bienvenu pour tous les journalistes de CNews mais ces derniers, témoignant anonymement, indiquent qu’ils auraient perdu le droit à la parole. Le documentaire voudrait alors « démontrer » une « zemmourisation » de CNews, à partir d’un unique exemple (la particularité de ce documentaire est de toujours prendre des cas uniques et de les transformer en généralités, pratique fréquente des médias de gauche) : lors d’un plateau, l’avocate Caroline Mécary défend Mélenchon qui s’est interposé lors d’une perquisition devenue célèbre. Pascal Praud « pète les plombs en direct », images à l’appui. Caroline Mécary le traite, dans le documentaire, d’être « lâche et faible ».
Plus généralement, Zemmour s’en prend « aux plus faibles » : les mineurs isolés « voleurs, violeurs, assassins ». Pour le documentaire, viendrait alors le moment pour les médias Bolloré et Arnault de propulser Zemmour à l’Élysée. À commencer par Hanouna, 40 % du temps politique de TMP serait occupé par Zemmour. « Le poulain de Bolloré » se présente alors à la présidentielle. C’est dans ce contexte que le Parlement crée une commission d’enquête sur la concentration des médias.
Selon le documentaire, l’opération présidentielle Zemmour échouée les médias Bolloré « repartent en campagne avec une zemmourisation à tous les étages ». Laurence Ferrari parlant d’islamisme, d’insécurité, d’immigration massive ou de guerre de civilisation, tandis que chez Pascal Praud on serait de plus en plus « raciste ». La ligne serait « xénophobe ». Arrive le « cacagate » : un employé badigeonne le nom CNews avec des excréments dans les toilettes.
Le documentaire insiste alors sur « l’obsession de CNews pour l’immigration », voulant indiquer que certains jours ce serait l’unique sujet. Il n’y a jamais de parole contradictoire allant contre les thèses du documentaire. La France est-elle menacée de remplacement ? Au contraire ! Le documentaire l’affirme sur la parole d’un démographe, Hervé Le Bras, clairement engagé à gauche. Ces idées s’étendraient puisque Bolloré prend le contrôle du JDD et d’Europe 1. Accusation d’un journaliste témoin anonyme : on envoie un reporter dans une petite ville, il donne la parole à des personnes âgées, les incite à trouver que l’insécurité monte… Les médias dits de la haine manipuleraient l’information au lieu d’informer. Pourquoi ? Pour stigmatiser les musulmans.
Troisième thème/Médias de la haine : cibler les musulmans
Les choses sont claires pour Off-Investigation : « Chez Vincent Bolloré, le musulman c’est un peu l’ennemi de l’intérieur ». Le documentaire, comme il le fait dans son ensemble, s’attarde sur un cas particulier, celui du professeur de philosophie Didier Lemaire, régulièrement présent sur CNews fin 2022. Le professeur affirmait être menacé de mort par des musulmans de Trappes, où il enseignait. « Sa plainte est classée sans suite », le documentaire y insiste pour délégitimer le professeur. En général, les médias de la gauche libérale libertaire légitiment les victimes. Du moins, si elles sont de gauche ou appartiennent à leur clientélisme.
Le documentaire parle alors d’un reportage à Roubaix, reportage qui serait manipulatoire en voulant montrer que Roubaix s’islamiserait. Les journalistes de Off-Investigation n’ont pas dû aller dans la région depuis longtemps. Le centrage sur les musulmans se produit aussi chez BFMTV fin 2023 quand CNews devient la première chaîne d’information. « Fogiel va tenter d’imiter CNews. La chaîne va accueillir de plus en plus d’intervenants d’extrême-droite, venus par exemple de Valeurs Actuelles, magazine connu pour son islamophobie et ses condamnations pour racisme ». BFMTV ferait comme CNews, prétendant qu’il existerait un lien entre islam et criminalité. Une prétention qui semble pourtant s’appuyer sur nombre de faits concrets, dont le documentaire ne parle évidemment pas.
Les journalistes du documentaire sortent peu visiblement. Pour eux, il en va de même sur LCI, où certains intervenants copient CNews et BFMTV. Islamophobie ? Le simple fait de dire qu’il y a des femmes voilées dans les rue suffit à transformer tout intervenant en islamophobe.
L’islamophobie supposée de ces chaînes est aussi mise en avant par le documentaire à propos du conflit Israël/Hamas. Sur ce sujet, le documentaire considère que les chaînes des milliardaires se sont rangées en faveur des « génocidaires » israéliens et du « nettoyage ethnique ». Faux ? Vrai ? Chacun jugera. Cependant, n’y aurait-il vraiment eu aucune voix discordante ? Exagéré, forcément. D’après le documentaire, CNews « explique que les enfants sont tués avec humanité ». « La palme d’or de la propagande revient à Patrick Drahi », propriétaire entre autres de I24news.
Pourquoi évoquer ce conflit dans ce documentaire ? Les éditorialistes des chaînes « de la haine » voudraient assimiler les maghrébins et musulmans de France au Hamas. Une simple interprétation finalement. Autre objectif, selon le documentaire, attaquer la gauche, c’est-à-dire de son point de vue LFI et les écologistes. Pourquoi ? Car cette gauche accuse les médias en question d’avoir « un biais pro israélien ». L’idée serait de « discréditer LFI en tentant de faire croire que ce parti serait antisémite ». Pour le coup, l’antisionisme de gauche, lequel n’est pas nouveau, est parfois aussi un antisémitisme de gauche. Par exemple par la réaction de LFI suite au 7 octobre, atténuant l’attaque du Hamas, quand les responsables de LFI ont refusé de qualifier le Hamas de terroriste. Pour le documentaire, le problème n’est pas dans le fait que LFI puisse être antisémite mais que « les médias de haine » s’attaquent à LFI.
« Fascination pour le maréchal Pétain, haine des communistes, détestation des étrangers, la dérive actuelle des médias des milliardaires rappelle celle de l’entre-deux guerres, quand la grande presse industrielle avait basculé en faveur du nazisme ». Ceci prononcé avec « Maréchal nous voilà » en fond sonore. Off-Investigation ne fait pas dans la dentelle.
Quatrième thème en forme de conclusion/Médias de la haine : reporter contre la haine
La quatrième partie commence par la demande faite par Reporters Sans Frontières en 2022 de « contrôler que CNews respecte ses obligations de pluralisme ». Il n’y aurait pas de pluralisme car tout le monde aurait les mêmes opinions sur ces chaînes de télévision. Le documentaire rend alors compte de l’arrêté du Conseil d’Etat du 13 février 2024 demandant aux médias de prendre en compte les opinions politiques de leurs journalistes et chroniqueurs, pas seulement des hommes politiques invités. Monsieur Deloire, patron de RSF, est invité sur CNews. Il ne semble pas comprendre ce que Pascal Praud dit : il invite des personnes de toutes les obédiences mais les personnes invitées ne veulent pas venir. Autrement dit, Pascal Praud montre que c’est le refus de ses contradicteurs de venir débattre dans son émission qui crée une situation qui ne devrait pas exister si ces contradicteurs acceptaient le débat démocratique. Mais pour le documentaire, les choses sont plus simples : Bolloré attaque RSF par tous les moyens possibles et imaginables.
Conclusion ? Un raccourci étonnant, le documentaire attaque les macronistes qui parleraient maintenant comme les « médias de la haine ». L’extrême-droite serait ainsi partout, même à l’extrême centre libéral. Pour terminer, l’Arcom a rejeté injustement le dossier présenté par Le Média, télévision candidate à une chaîne de la TNT et très proche de LFI. Il y a donc la gauche, c’est-à-dire le vrai. Et le reste : Le Mal, avec majuscules. Les dernières images du documentaire ? Une foule, avec drapeau rouge, poing levé, criant « No Pasaran ».