La crise diplomatique entre l’Union européenne et la Biélorussie a pris une nouvelle ampleur au début du mois de novembre. Les migrants amenés par les autorités biélorusses qui tentent de franchir clandestinement la frontière entre la Biélorussie et la Pologne se comptent par milliers. Dans ce conflit d’un nouveau type, l’opinion publique est prise à témoin par de nombreux médias de grand chemin afin de mettre le gouvernement polonais en accusation et de faire céder l’Union européenne. Nous revenons sur cette incroyable manipulation qui transforme le pays agressé en agresseur.
Les sanctions de l’Union européenne à l’origine de l’offensive migratoire
Suite au détournement le 23 mai 2021 d’un avion de la compagnie Ryan Air à Minsk afin d’arrêter un dissident politique, l’Union européenne a imposé à partir du mois de juin des sanctions à la Biélorussie qui impactent plusieurs secteurs de son économie. La riposte des autorités biélorusses ne s’est pas fait attendre : elles ont rapidement organisé une offensive migratoire contre les pays voisins membres de l’Union européenne, la Lituanie, la Lettonie et la Pologne.
Début novembre, le rythme des navettes aériennes acheminant des migrants en Biélorussie depuis leur pays d’origine ou d’accueil (Turquie, Syrie, Irak, Liban, etc.) s’est accéléré, selon le journal allemand Bild. A l’issue d’un périple de plusieurs milliers de kilomètres très bien organisé, les clandestins, principalement des musulmans issus du Moyen Orient, sont ensuite conduits à la frontière occidentale du pays afin de tenter de pénétrer dans des pays de l’est de l’Union européenne.
A la frontière entre la Biélorussie et la Pologne, à hauteur du poste frontière de Bruzgi-Kuznica, les clandestins s’emploient à détruire la clôture frontalière à l’aide de troncs d’arbres, de pelles et de pinces monseigneur. Les forces de l’ordre polonaises, dont le pays a connu de nombreuses invasions, résistent fermement à cette offensive migratoire et repoussent systématiquement les clandestins.
La Pologne mise en accusation
Face à ces tentatives d’intrusions clandestines en Pologne et plus largement dans les pays de l’Union européenne, certains médias, assez rares, comme Présent et Breizh info, présentent positivement la fermeté des douaniers polonais, qui repoussent les assauts des migrants. D’autres, beaucoup plus nombreux critiquent de façon univoque les douaniers polonais, comme si leur responsabilité dans le sort des migrants était lourdement engagée :
Le quotidien La Croix titre son édition du 4 novembre sur « la traque des migrants ». L’envoyé spécial du journal souligne dans un article le refus du gouvernement polonais de laisser les organisations humanitaires accéder à la zone où se trouvent les migrants. La deuxième guerre mondiale est – évidemment – convoquée pour stigmatiser la dureté des autorités polonaises. La présentation des migrants comme une menace est décrite par des sociologues convoqués pour l’occasion comme un « narratif islamophobe ». Le seul élément négatif à propos des manœuvres de la Biélorussie consiste en l’évocation de la mise sur pied depuis le printemps 2021 d’« une filière d’immigration à partir de son territoire vers l’UE ».
Le 10 novembre, la chaine publique de télévision néerlandaise NOS met également en accusation les douaniers polonais pour les mauvais traitements qu’ils feraient subir aux migrants. Elle diffuse selon le compte Twitter de Visegrad 24 des vidéos de propagande des autorités biélorusses qui présentent femmes et enfants à la frontière en situation de détresse.
Le 11 novembre, France info publie sur son site un article écrit par un journaliste qui s’est rendu sur le lieu de la crise migratoire. En Biélorussie ? Non, en Pologne, bien évidemment. Il renvoie dos à la dos les deux pays concernés par l’offensive organisée par la Biélorussie, faut-il encore le souligner. Un intertitre de l’article est à ce titre éloquent : « La peur de l’étranger attisée dans les deux pays ».
Même approche partiale et partielle dans Le Figaro. Le quotidien donne la parole dans son édition du 10 novembre à un représentant du service biélorusse des gardes-frontières dans un article intitulé « La Biélorussie accuse la Pologne d’avoir violenté des migrants ». Sans chercher à avoir la position des autorités polonaises, c’est uniquement un représentant du pays à l’origine du conflit qui s’exprime sur les pratiques du pays agressé, la Pologne.
Tout ce climat et cette présentation binaire aboutissent à faire passer le conflit du champ de la géopolitique à celui d’un drame humanitaire Mais cette tournure des événements n’est pas le fruit du hasard.
A l’ouest, des voix s’élèvent pour céder au chantage migratoire
Outre les vidéos communiquées à la chaine publique néerlandaise par les autorités biélorusses, les preuves de la maitrise par ces dernières de l’art de la manipulation s’accumulent.
Ainsi, comme le relate le site d’information Tysol, le ministère de l’intérieur polonais a monitoré sur des smartphones de migrants présents à la frontière un tutoriel qui leur a été communiqué afin d’émouvoir l’opinion publique. Les conseils qui sont donnés aux migrants pour prendre et diffuser des photos sont éloquents : « Prenez les enfants dans vos bras, embrassez-les, ayez l’air sale et fatigué, etc. »
Le site d’information du syndicat Solidarnosc nous apprend également qu’« une vidéo circule sur les réseaux sociaux montrant des hommes soufflant de la fumée de cigarette dans les yeux d’un enfant pour le faire pleurer ».
La reprise en boucle des images de détresse de migrants a un effet immédiat : bientôt, des voix s’élèvent, comme celle de Daniel Cohn Bendit sur LCI le 10 novembre, pour que les pays d’Europe de l’ouest accueillent les migrants amenés pour l’occasion en Europe de l’est. La solution à l’agression biélorusse n’est désormais plus le refoulement des migrants et leur rapatriement par les autorités biélorusses dans leur pays d’origine. Non, la solution qui semble apparaitre comme une évidence est leur prise en charge par les pays de l’Union européenne.
Cette stratégie en entonnoir, qui aboutit à présenter une capitulation comme la seule issue possible, est illustrée de façon machiavélique par Olivier Truchot quand il interroge sur BFM TV le 11 novembre Julien Odoul sur la conduite à tenir vis-à-vis des migrants bloqués à la frontière.
Après que Julien Odoul ait affirmé qu’il ne fallait pas accueillir les migrants dont certains sont « potentiellement dangereux », Olivier Truchot lui demande, de façon faussement ingénue : « alors on les laisse mourir de froid ? ». Julien Odoul répond maladroitement par l’affirmative, ce qui ne manque pas de faire le tour des réseaux sociaux.
Bien que Julien Odoul affirme finalement que « non, on ne laisse pas mourir de froid, on les laisse en dehors des frontières de l’Europe », Charles Consigny sonne l’hallali sur RMC. Il s’empresse de dénoncer le « purin » et la course aux propos nazillons, ce qui lui vaut d’être chaudement félicité sur Twitter par Edwy Plenel, toujours prompt à se mobiliser quand on parle de musulmans.
Le site qatari Al Jazeera (AJ+) ne manque pas de contribuer à la pression contre les pays d’Europe de l’ouest afin qu’ils accueillent les musulmans massés à la frontière polonaise. Comme en 2015 avec le jeune Alan Kurdi, la chaine qatari donne à voir une nouvelle illustration de la vulnérabilité en diffusant une vidéo montrant Temen, un enfant kurde qui veut devenir médecin, mais qui est bloqué à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne. Le message implicite est qu’en bloquant les frontières, vous êtes non seulement cruels, mais vous vous privez également d’un jeune qui pourrait vous soigner.
L’objectif du gouvernement biélorusse est désormais atteint : faire passer le conflit qu’il a organisé de la géopolitique à l’humanitaire, avec un camp du mal nommément désigné, constitué par la Pologne et plus largement les populistes, parce que ce pays défend fermement ses frontières.
Le matraquage médiatique aboutit à ce que la responsabilité de la prise en charge des migrants passe de façon presque limpide de la Biélorussie à la Pologne, et plus largement aux pays de l’Union européenne. Quoi que l’on pense du conflit en cours, on ne peut que saluer la maestria du gouvernement biélorusse dans cet exercice réussi de manipulation de l’opinion publique.