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<span class="dquo">“</span>On finira bien par les avoir” 1/4

2 août 2012

Temps de lecture : 6 minutes
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On finira bien par les avoir” 1/4

Temps de lecture : 6 minutes

L’OJIM vous offre son feuilleton de l’été “On finira bien par les avoir”. Une fiction politico-journalistique en quatre parties. Aujourd’hui vous faites connaissance de Jacky Blast, journaliste désabusé, alcoolisé et parti au Brésil pour s’éloigner de l’ambiance morbide de sa rédaction. Mais les évènements vont le rattraper. Toute ressemblance avec des personnages existant ou ayant existé, des situations existant ou ayant existé serait purement une coïncidence… bien entendu. Bonne lecture.

Il pleu­vait depuis le matin. J’étais allongé torse-nu dans le hamac que j’avais instal­lé sur la petite ter­rasse cou­verte, un verre de whisky dans une main, l’autre pous­sant la poutre à inter­valle réguli­er pour me bal­ancer. L’air était moite, j’étais pois­seux de sueur. Dans une heure, la nuit allait tomber bru­tale­ment, il con­tin­uera à pleu­voir, et demain matin le jour se lèvera tout aus­si bru­tale­ment et il pleu­vra encore, et au sor­tir de la douche, ma servi­ette de bain aura tou­jours cette même odeur de moisi qui colle à la peau. Sale petite pluie per­fide qui ne lave rien et rend tout gris, et vous étouffe. J’ai fini mon verre, j’ai attrapé la bouteille par terre et me suis resservi. Je me suis bal­ancé un peu plus fort, comme un macaque de zoo. J’ai bu une longue gorgée de whisky et j’ai songé : « Tu sais quoi mon vieux Jacky ? A mon avis, t’es devenu une putain d’épave ».

J’ai souri. Je tenais ma vengeance. Je les imag­i­nais là-bas en train de s’activer en cos­tume cra­vate, dynamiques et tout, à pêch­er l’information, à déje­uner et à courir partout. « Et Jacky Blast ? T’as des nou­velles de Jacky Blast ? » demandait-on. « Jacky Blast, c’est une putain d’épave et il vous emmerde », j’ai mur­muré. J’ai fini mon verre d’un trait. J’ai pen­sé à me lever pour chercher des glaçons mais je n’en avais pas le courage alors je me suis resservi un whisky sec.

Le jour­nal­isme, j’en avais soupé. Vingt-cinq ans de car­rière, deux quo­ti­di­ens, deux heb­do­madaires, qua­tre rédac­tions en tout ; mer­ci, j’ai don­né. J’avais com­mencé à tiquer quand les com­mer­ci­aux de la pub s’étaient mis à assis­ter aux con­férences de rédac­tion au milieu des années qua­tre-vingt dix. « Ce sujet risque d’effrayer nos annon­ceurs », qu’ils dis­aient, ces enfoirés de péquenots. Les jour­nal­istes fer­maient leur gueule. Et je ne par­le pas des sujets qui fâchent, par­faite­ment ficelés, reportés at vitam aeter­nam, « faute de place ». Cer­tains finis­saient au Canard enchaîné, d’autres dans les tiroirs. Ils y sont encore. Et le dégrais­sage des rédac­tions, l’emploi de pigistes payés au lance-pierre qui copi­ent leur arti­cle sur Inter­net. Et les tombereaux de fric déver­sés par l’É­tat, la perte de nos lecteurs écœurés par notre ser­vil­ité, les cadeaux « ser­vice de presse », les sémi­naires à Mar­rakech, une semaine au bord de la piscine d’un grand palace, la con­nivence avec les poli­tiques. Je me demandais par­fois si une charte mys­térieuse n’obligeait pas les femmes de la pro­fes­sion à se mari­er avec un homme poli­tique. Je n’aime pas par­ti­c­ulière­ment les ros­beefs mais l’objectif d’un jour­nal­iste, là-bas, c’est de faire tomber un min­istère quand en France c’est de se faire inviter à l’Élysée. Depuis que Nico­las Avi­cenne avait repris la direc­tion de mon jour­nal, les choses ne s’étaient pas arrangées. Lui était de toutes les coter­ies et de tous les clubs, absol­u­ment cul et chemise avec les grands patrons, les financiers et les politi­cards de tout bord. Il ne fal­lait pas compter sur lui pour lever un lièvre dans ces milieux. Bref, j’en ai eu marre. Je n’avais pas fait une école de jour­nal­isme pour bricol­er dans la com­mu­ni­ca­tion et cir­er les pom­pes des mil­liar­daires. C’était il y a sept ans. Le cor­re­spon­dant au Brésil venait de mourir d’un acci­dent de la cir­cu­la­tion, la place était libre, j’ai demandé à l’occuper, j’ai obtenu de con­serv­er mon salaire plein et je suis par­ti et j’ai lente­ment som­bré dans l’enfer tropical.

Le petit por­tillon en bois du jar­dinet a grincé. Mau­rice est apparu, dans un cos­tume blanc en lin sous un para­pluie noir. Je l’avais con­nu à São Paulo lorsque j’étais arrivé. Jour­nal­iste lui aus­si, mais free-lance, et malin. Il avait crée une boîte de pro­duc­tion et vendait aux chaînes de télévi­sion français­es des reportages « clé en main » de deux à trois min­utes, qui bouchaient les trous du Vingt Heures. C’étaient tou­jours les mêmes con­ner­ies, les forces spé­ciales inter­venant dans les fave­las, le car­naval endi­a­blé, le culte du corps à Copaca­bana, tout le folk­lore. Il s’en foutait, il fai­sait du fric. « La demande est sou­veraine », répé­tait-il. C’était sa phrase. Elle était générale­ment suiv­ie par une autre : « C’est quand même pas ma faute si les télés pren­nent le spec­ta­teur pour un mon­golien ». On ne pou­vait pas lui don­ner tort. C’était un sage en un sens. Il avait com­pris son époque. Il fai­sait du jour­nal­isme comme on vend des yaourts ou des savonnettes.

Il a replié son pébroc et s’est assis sur la chaise, à côté du hamac. Son cos­tume était mouil­lé de sueur, son front luisait.

- Quel temps de merde, il a soupiré.
— Temps de merde pour pays de merde, j’ai répon­du en me balançant.

Il a allumé une cig­a­rette, en a tiré une longue bouffée.

- Tu vois, là, main­tenant, pré­cisé­ment, ce que j’aimerais, c’est être à Saint-Rémy-de-Provence, il a dit.
— Et t’y foutrais quoi à Saint-Rémy-de-Provence ?

Il a réfléchi un instant.

- Je me planterais sur une ter­rasse face à la col­lé­giale et je boirais un coup de rosé bien frais.

Il s’est marré.

- Ouais, voilà ce que je ferais. Un bon coup de rosé bien frais devant la collégiale.
— Pourquoi pas, j’ai répondu.

Il a jeté un œil sur la bouteille posée par terre.

- Les ver­res sont à la cui­sine, j’ai dit.

Il s’est levé en soupi­rant, a pénétré dans le salon par la porte-fenêtre ouverte.

- Ramène aus­si des glaçons, j’ai ajouté.

Il est revenu avec un verre à moutarde et le moule à glaçons en plas­tique, en a sor­ti deux, un pour chaque verre, et s’est servi un whisky bien tassé.

- Dis donc, j’ai un plan pour toi, il a dit après avoir bu une gorgée.
— Un plan pour m’avoir du whisky à moitié prix ?
— Déconne pas, c’est du sérieux. J’ai un haut fonc­tion­naire qui est prêt à bal­ancer à pro­pos d’un con­trat avec la France…
— Quel contrat ?
— Une vente d’armes. Des sous-marins. Une his­toire de rétro-com­mis­sions… Du lourd apparemment.

J’avais vague­ment enten­du par­ler de cette vente de sous-marins. Mais les rares arti­cles que je rendais à ma rédac­tion depuis deux ans étaient des tra­duc­tions en français de papiers brésiliens et je n’avais pas l’intention de mod­i­fi­er ma façon de travailler.

- Adresse-toi à un jour­nal­iste, j’ai dit. Moi je suis devenu tra­duc­teur. A la tienne, mon vieux.

J’ai fini mon verre d’un trait. C’était meilleur avec des glaçons.

Deuxième partie : cliquez ici

Pierre Montchal

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