Vendredi 29 mai 2020, sur Cnews, avait lieu un débat très intéressant entre deux fortes personnalités intellectuelles : Éric Zemmour et Michel Onfray. Cela s’est déroulé dans l’émission du premier, celle-là même que les médias convenus voulaient empêcher d’exister. Un débat de très bonne tenue intellectuelle, le regarder suffit à s’en convaincre, entre deux intellectuels échangeant des arguments et des idées, et non des invectives, tout en se laissant prendre la parole avec courtoisie et politesse. Un débat de cette qualité est assez rare à la télévision pour être remarqué. Que nenni ! Maurice Szafran et Challenges ne voient que le retour (masqué) de la bête immonde…
Maurice Szafran fut longtemps l’une des voix et des plumes de Marianne, hebdomadaire dont il fut même l’un des co-fondateurs avec Jean-François Kahn. Il en fut ensuite le patron. Il travaille maintenant pour Challenges. C’est donc dans les pages d’un des magazines de la bien-pensance hyper-libérale que Szafran, qui s’affirmait pourtant de gauche autrefois, quand il avait table ouverte dans les studios de I‑Télé et auprès de Léa Salamé, poursuit son travail de journaliste contemporain.
Szafran : Onfray et Zemmour il n’aime pas ça
Le 1er juin, Safran publie un article consacré au débat entre les deux intellectuels, débat dont la qualité ne l’émeut guère. Son titre ? « Quand Onfray et Zemmour s’allient pour écarter Mélenchon et Le Pen ».
Le chapeau : « Le philosophe Michel Onfray et le journaliste-essayiste Eric Zemmour, lors d’un débat sur CNews, ont montré un consensus idéologique et politique de circonstance entre la gauche libertaire et la droite souverainiste. Leur objectif commun? « Fabriquer » un candidat populiste et souverainiste en mesure de concourir à l’élection présidentielle de 2022. »
À l’époque d’i>Télé Maurice Szafran et Nicolas Domenach débattaient tranquillement avec Éric Zemmour, non sans humour d’ailleurs. Il semble que l’un des trois ait fait du chemin depuis, même si Szafran lui refuse, petite bassesse, le statut d’écrivain. Il est vrai que son article est du même niveau polémique que celui paru peu avant dans Le Monde au sujet de Michel Onfray.
Plusieurs points posent d’emblée question. Michel Onfray ne se reconnaît pas dans l’expression « gauche libertaire », même s’il revendique son goût pour le concept philosophique et politique, pour une raison simple : il sait que l’expression réfère à « libéral-libertaire », autrement dit à la gauche caviar, ce avec quoi il n’a rien à voir, contrairement à Maurice Szafran si l’on en croit son parcours et son lieu de travail. Second point problématique : l’affirmation selon laquelle les deux hommes « fabriqueraient », sous-entendu ensemble, un futur candidat populiste et souverainiste. Il n’est pas douteux que Zemmour et Onfray œuvrent en faveur de la souveraineté mais le mot s’entend, et très clairement dans ce débat, au sens du peuple et de la nation. C’est le sens qu’ils donnent à populiste et souverainiste, qu’ils refusent de laisser transformer plus longtemps en gros mots.
Des points de désaccord
Les deux interlocuteurs n’étaient pas d’accord sur tout, loin de là, Zemmour ayant goût pour une vision jacobine et centralisée du pouvoir, Onfray pour un pouvoir girondin et décentralisé. Ce n’est pas une mince différence, il n’empêche, pour Szafran, ce fut un débat « énamouré ». Ne plus crier, s’interrompre, s’insulter et s’invectiver sur un plateau de télévision, c’est l’équivalent d’un mariage d’amour dans la tête de Maurice Szafran.
Y a‑t-il là une forme de jalousie, de ressentiment, un peu de haine peut-être ? Et le pire, outre la manipulation permanente, de ce que produit la majorité des médias français actuels : « La définition même du consensus idéologique, politique entre le « libertaire » Onfray et nationalisto-raciste Zemmour. » Tant de mépris irrationnel en si peu de lignes, il y a du pathétique dans ces mots.
Maurice Szafran lâche sa bile
Il faut lire cela, un style et des propos dignes de certains journaux d’années que Szafran apprécie pourtant très peu : « Deux complices donc — l’un et l’autre brillants sur la forme- qui se renvoyaient la balle avec délice, se confortant l’un l’autre quant aux maléfices de la construction européenne, du progressisme maudit, lequel détruit « nos valeurs », du libéralisme qui massacre la France, des « élites » et du pouvoir macroniste coalisés et voués à faire souffrir le « peuple », des médias au service du « grand capital », un « État profond » — dernière invention des complotistes de toute espèce — au service des puissances d’argent par définition étrangères et cosmopolites, etc. »
Il y a beaucoup dans ces lignes : Zemmour et Onfray seraient des malfaiteurs de la pensée (« complices »), d’autant plus dangereux qu’ils sont « brillants sur la forme », démagogues en somme. Ils s’en prennent aux « maléfices », à ce qui est « maudit », il y a donc un peu de sorcellerie derrière tout cela, s’opposent à la « destruction », au « massacre », aux « élites » (Onfray a pourtant insisté, Zemmour et Christine Kelly étaient en accord, sur le fait que tous les trois font partie de l’élite et même des « riches », mais cela Szafran n’a pas voulu l’entendre). Il n’y croit simplement pas, il pense assister au retour des chemises brunes. Mais ce n’est pas tout : ils seraient antisémites aussi, en s’attaquant aux « médias au service du grand capital » (il est vrai que vu depuis Challenges…), complotistes aussi, car il y aurait un « État profond ».
Szafran croit que c’est une invention de complotiste, la notion est simplement notion de géopolitique. Une notion du reste utilisée il y a moins d’un an par un poulain de Szafran, Emmanuel Macron, lors d’un sommet du G7, ce même poulain qui a récemment utilisé à plusieurs reprises l’ expression « chevaucher le tigre », expression dont aucun de ses conseillers, pas plus que Szafran, ne paraît avoir été capable de lui dire qu’il s’agit aussi du titre d’un ouvrage célèbre du “sulfureux” Julius Evola. Tant qu’à voir des antisémites partout, dès que les penseurs incriminés ne pensent plus comme les médias officiels, Szafran pouvait s’interroger sur cette expression. Encore faudrait-il pour cela, comme au sujet de la notion d’État profond, faire preuve d’un peu d’intérêt pour l’actualité et de culture quant à ce que l’on prétend combattre. Julius Evola, ce n’est pas mince. L’un des récents éditeurs de Chevaucher le tigre, signé Evola, a résumé le livre ainsi : « Sans faire de concessions au spiritualisme humanitaire et à son ascétisme frileux, l’auteur trace la figure d’un type humain aristocratique capable de « chevaucher le tigre », c’est-à-dire de transformer en remède, en vue d’une libération intérieure, des processus extrêmes presque toujours destructeurs pour la majorité de nos contemporains. »
Avec Szafran et les milieux médiatiques auxquels tous les Szafran participent, comme avec Macron, la confusion règne à toutes les échelles, bien plus que dans le débat entre Zemmour et Onfray, un débat où les positions de chacun étaient au contraire très clairement exposées. La confusion et le mélange des genres, Onfray y a d’ailleurs répondu sur le site de sa revue bientôt disponible, Front populaire, dès avant le débat avec Zemmour. Notons que l’accusation d’antisémitisme tombe toujours sur la figure des contradicteurs du système officiel des pouvoirs en place, dans les médias et sur le plan politique ou culturel, si bien que ce fait, récurrent, peut quand même commencer à poser sérieusement question, hors « complotisme ».
Reste que pour Szafran il y aurait « saturation » du débat intellectuel par « la dialectique souverainisto-nationaliste », national-socialiste en somme, dans son esprit, une saturation qui irait avec les attaques de Zemmour et Onfray contre les « puissances d’argent par définition étrangères et cosmopolites ». Pour entendre ces mots, lors du débat du vendredi 29 mai, il fallait vraiment voir l’oreille prédisposée.
Szafran gêné par la notion de préférence nationale
C’est une vieille histoire qui date du temps où le Marianne de Szafran avait comme fonds de commerce la lutte quotidienne contre l’ex-Front national. Il s’agissait de remonter les ventes pour combler le désarroi d’un lectorat ayant peu compris les accointances de la rédaction avec Nicolas Sarkozy qui, s’il ne fut pas un adepte de la préférence nationale, se montra en défenseur de « l’identité française ». On louvoie un peu en lisant Szafran, selon les époques et surtout les supports de publication, au gré de ses propres louvoiements. Il demeure une différence, selon Szafran, entre Zemmour et Onfray : ce dernier, devenu « identitaire », ne sombre pas dans « la xénophobie et le racisme ». Pour Szafran, la préférence nationale est une « antienne éculée des néo-fascistes et de l’extrême-droite ».
Une affirmation qui doit traduire une véritable inquiétude de sa part car si elle est vraie, alors c’est le monde entier qui est « néo-fasciste » puisque la préférence donnée à ses ressortissants nationaux est la pratique ultra majoritaire dans le monde, pratiquée par une écrasante majorité des gouvernements. C’est le contraire, à l’image de la France, qui fait exception et à voir la situation, par exemple la capacité de production de jihadistes pour le coup « fabriqués » en France, ou des départements tels que le 93, il n’est pas certain que cette exception soit un exemple pour qui pratique le soutien au plus proche en premier, au plus lointain ensuite.
Szafran est trop fort, il a compris ce que complotent Zemmour et Onfray
Ils voudraient propulser sur le devant de la scène un candidat souverainiste et populiste « sans oser l’avouer tout en le laissant entendre ». Une grosse ficelle : « l’extrême-droite » avance toujours masquée, tapis dans l’ombre… Vieille rengaine. Mais aussi un mensonge éhonté : Onfray ne cesse de dire qu’il ne sera en aucune façon candidat mais qu’il aimerait contribuer à l’émergence d’une candidature souverainiste. Il y a pire : alors que Onfray, répondant à une question de Zemmour, a expliqué son admiration pour 1936, les avancées sociales, l’ambiance humaine positive etc, Szafran voit dans le mot « front » et le fait de titrer la revue « Front populaire » une volonté de rassembler la « droite la plus radicale ». Là aussi, en cas d’inquiétude de sa part, Szafran pourrait s’interroger sur l’alliance passée à Lyon, pour les municipales, entre un Gérard Collomb dont il ne doit pas se sentir très éloigné, sans quoi il n’œuvrerait pas chez Challenges, et un Laurent Wauquiez qu’il doit aussi assimiler à la droite radicale. Ce n’est pas son sujet. Il préfère citer Jean-François Kahn, ce qui est l’occasion de rappeler qu’il co-fonda Marianne avec lui, un peu d’ego en passant, pour qui la France renouerait avec une constante de son histoire : le fascisme et l’antisémitisme en somme.
Et le peuple, sa souveraineté ? Maurice Szafran n’en dit rien, ce fut pourtant l’objet du débat et c’est la raison d’être de la naissance de la revue Front populaire.
Il y a beaucoup de mots et d’accusations directes qui entreraient sans doute dans le cadre de procès en diffamation, mais Zemmour et Onfray ont beau s’accepter riches, ils n’ont peut-être ni les moyens, ni le temps ni les avocats de Challenges. Et peu envie de ferrailler avec un Maurice Szafran dont une mise à la retraite serait un bon signe envoyé à ceux qui aiment les débats de qualité et la liberté d’expression intelligente fondée en arguments posés. Il y a beaucoup de ressentiment aussi, envers son ancien bébé Marianne car « l’hebdo soutient ouvertement Onfray ». Maurice Szafran devrait se demander s’il n’est pas d’une autre époque. Il est peut-être venu le moment de raccrocher les crampons, Maurice tu vois ce qui te reste à faire.