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Dossier : ONPC, nouvelle configuration du “clash”

15 août 2016

Temps de lecture : 17 minutes
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Dossier : ONPC, nouvelle configuration du “clash”

Temps de lecture : 17 minutes

[Pre­mière dif­fu­sion le 5 octo­bre 2015] Red­if­fu­sions esti­vales 2016

Depuis la rentrée, le talk show star du samedi soir enchaîne « buzz » et scandales systématiques selon une mise en scène des échanges très révélatrice de l’évolution du climat idéologique.

Au temps de l’ORTF, soit la préhis­toire de la « cul­ture » télévi­suelle, la ten­dance, dans une émis­sion poli­tique ou cul­turelle, était d’inviter un écrivain, un acteur, un respon­s­able poli­tique et de l’interroger avec déférence sur des sujets qu’il con­nais­sait et à pro­pos desquels il ou elle avait générale­ment quelque chose à dire. Voilà qui paraît aujourd’hui aus­si ahuris­sant que désuet, et pour­tant… L’esprit lib­er­taire qui souf­flait dans les années 80 offrit dans l’émission « Droit de réponse » de Michel Polac sans doute les pre­miers grands « clashs » mémorables. Plus de déférence, moins d’écoute, certes, mais une forme égal­i­taire du débat respec­tant rel­a­tive­ment les règles du jeu, et au cours duquel cha­cun, en buvant et en brail­lant à tra­vers d’épais nuages de fumée, avait réelle­ment le droit de dire ce qu’il lui plai­sait et d’insulter qui lui chan­tait, le tout dans un joyeux bor­del dénué de réelle instance de cen­sure ou de référent moral com­mi­na­toire. Cela nous paraît aujourd’hui témoign­er d’une licence invraisem­blable et antédilu­vi­enne. Puis Thier­ry Ardis­son, au cours des années 90, et Canal+ à sa suite, inven­tèrent une nou­velle mise en scène des échanges. Non seule­ment, on se mit à mélanger des invités de milieux a pri­ori incom­pat­i­bles et à traiter sur le même plan une star­lette de 22 ans et un député d’âge mûr, mais surtout, les invités cessèrent d’être les vedettes évi­dentes de ce genre d’émission, pour devenir par­fois de sim­ples faire-val­oir de l’animateur lui-même et de son comique affidé. Au lieu d’accueillir comme un prince l’artiste en pro­mo­tion afin que son aura fasse ray­on­ner l’émission, celui-ci se trou­vait relégué à con­stituer avec d’autres une espèce de cour répar­tie devant le trône de l’animateur-roi atten­dant son tour d’audience. Lorsque celui-ci venait, il se pou­vait même que le min­istre ou la star­lette se fasse malmen­er, que le roi exhibe son intim­ité ou que le bouf­fon du roi l’humilie d’une plaisan­terie douteuse.

D’un plateau l’autre

Au courant des années 2000, c’est Lau­rent Ruquier, prenant la suc­ces­sion d’Ardisson, qui offre une nou­velle évo­lu­tion du mod­èle. Le comique, s’il inter­vient, est remis à dis­tance, il ne brouille plus le débat ; l’animateur, même s’il trône, reprend le rôle d’arbitre ; et ce sont les chroniqueurs, avec le suc­cès du duo Zem­mour et Naul­leau, qui captent la posi­tion dom­i­nante du dis­posi­tif. Quant à l’invité, il est moins humil­ié que très solen­nelle­ment som­mé de s’expliquer à la barre. Clashs, buzz, scores sur YouTube, la for­mule prend. En dépit du suc­cès, l’animateur décide de se sépar­er du duo que récupère Paris Pre­mière. Il ten­tera de le reformer avec d’autres chroniqueurs sans réus­site fla­grante. Et puis voilà que depuis la ren­trée 2015, la for­mule, à nou­veau se trans­forme… Après l’animateur, le comique, les chroniqueurs, c’est de nou­veau l’invité lui-même qui fait le show. Mais pas n’importe quel invité : le mal-pen­sant. Houelle­becq, Onfray, Leje­une, Mora­no, Finkielkraut : chaque same­di soir, l’émission lance sa boulette de soufre. Chaque same­di soir, Léa Salamé, sur la défen­sive, rap­pelle que la Pen­sée dom­i­nante a changé de camp.

Qu’est-ce que cette évolution télévisuelle peut donc traduire sur le plan de l’évolution des opinions et sur le rapport que cette évolution entretient avec le pouvoir médiatique ? C’est ce que l’OJIM a tenté de décrypter.


Chaque mutation est un indice

En réal­ité, cha­cune de ces muta­tions télévi­suelles est un indice très clair de l’évolution du cli­mat idéologique. Cha­cune indique soit un change­ment de règne, soit un change­ment de con­texte général, soit un change­ment dans l’opinion dom­i­nante. La dis­po­si­tion du plateau traduit la pra­tique générale du débat. Prenons cette pre­mière muta­tion intro­duite avec l’émission de Polac, « Droit de réponse ». Démar­rée en décem­bre 81, elle est expressé­ment révéla­trice de l’arrivée de la gauche au pou­voir quelques mois aupar­a­vant et elle porte en effet toutes les valeurs que cette dernière défend alors. Si l’ORTF gaulliste demeu­rait hiérar­chique et patri­ar­cale, « Droit de réponse » est une émis­sion égal­i­taire et débrail­lée. Les gamins se révoltent con­tre l’autorité de papa et cette espèce de fonde­ment œdip­i­en des formes les plus ado­les­centes de la pen­sée de gauche est par­faite­ment sen­si­ble au vision­nage de quelques séquences du show de Polac. On con­state égale­ment par ailleurs l’importance du choc des généra­tions, et com­ment la vul­gar­ité et le débrail­lé des nou­velles, qui bien­tôt fer­ont loi, ulcèrent encore les plus anciennes.

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Le grand déballage

L’émission révèle toute l’atmosphère d’une époque qui voit se mul­ti­pli­er les radios libres et où est créée la fête de la musique – événe­ment on ne peut plus emblé­ma­tique. Ce n’est plus l’homme de savoir ou la per­son­ne con­cernée qui dis­pose d’une légitim­ité à s’exprimer, mais tout le monde, n’importe qui, surtout n’importe qui. Et de la même manière que n’importe qui peut mas­sacr­er les clas­siques du rock en plein cen­tre-ville un soir dans l’année, n’importe qui peut don­ner son opin­ion sur n’importe quel sujet à la radio ou à la télévi­sion, des lycéens au jour­nal­iste de Minute. Cet ultra-libéral­isme du débat, rel­a­tiviste, con­fu­sion­niste et égal­i­taire, même s’il fait la plu­part du temps échouer celui-ci dans la provo­ca­tion ou l’insulte, est néan­moins cohérent et ignore la cen­sure directe comme indi­recte. Bien avant les obses­sions hygiénistes des années 2000, les invités ont le droit de fumer et de boire sur le plateau, comme ils ont le droit d’exprimer ce qu’ils veu­lent et sur le ton qu’ils désirent. Cette nou­veauté et cette lib­erté de ton pos­sè­dent en elles-mêmes la dimen­sion sul­fureuse suff­isante pour capter l’audimat. Et nous ver­rons que ce dernier point est tout à fait cru­cial pour assur­er la réal­i­sa­tion d’une mutation.

Trouble jeu

Durant les années 90, avec notam­ment l’émission « Dou­ble jeu », et jusqu’au milieu des années 2000 avec le suc­cès de « Tout le monde en par­le », Thier­ry Ardis­son est à la pointe du talk-show dont il révo­lu­tionne les codes. Or, la muta­tion qu’il incar­ne coïn­cide avec l’hégémonie libérale-lib­er­taire. Pour faire vite, la gauche social­iste a accep­té le marché et son idéolo­gie lib­er­taire est dev­enue com­pat­i­ble avec le libéral­isme économique. Cette sym­biose implicite se réalise par ailleurs sur les décom­bres de l’alternative com­mu­niste et alors que l’offensive islamiste anti-occi­den­tale n’est pas encore ébauchée. Dans cette époque de fin de l’Histoire et d’épuisement des luttes idéologiques, le soufre fait cru­elle­ment défaut dans les débats. Le cli­vage droite-gauche devient de plus en plus fac­tice, le grand con­sen­sus règne. D’ailleurs, Ardis­son a beau mélanger les invités, faire asseoir un rappeur à côté d’un min­istre, en réal­ité tous vom­is­sent plus ou moins le même filet d’eau tiède. Mais l’animateur a une idée très sim­ple pour par­venir à faire mal­gré tout mon­ter la tem­péra­ture : le sexe. La séquence où Ardis­son demande à Michel Rocard si « sucer, c’est tromper ? » est restée célèbre. On en a fait un sym­bole de la dégra­da­tion du poli­tique par des médias branchés et cyniques. Certes. Mais on peut voir aus­si cela selon un autre angle. Puisque plus aucun poli­tique ne tenait un dis­cours véri­ta­ble­ment orig­i­nal ou sub­ver­sif, l’animateur n’avait trou­vé comme seul recours pour pimenter un rien la soupe des pro­pos con­venus, que d’évoquer l’exégèse d’une fel­la­tion avec un vieux notable. On a les condi­ments qu’on peut…

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Nouvelle aristocratie

Par ailleurs, du joyeux bor­del rel­a­tiviste des années 80, Ardis­son et l’esprit qu’il incar­ne vont peu à peu faire sur­gir une nou­velle aris­to­cratie médi­a­tique con­sti­tuée essen­tielle­ment de chanteurs, d’artistes mineurs ou d’actrices. Si ceux-ci sont les per­ro­quets de la Pen­sée Unique qui s’institue défini­tive­ment au cours de cette péri­ode, il se trou­ve que les poli­tiques « peo­plisés », comme nous l’avons vu, ne racon­tent de toute manière rien de plus. Alors tant qu’à enten­dre en boucle les mêmes slo­gans, autant que celui ou celle qui les répète se trou­ve être mieux adap­té aux règles du média qui l’accueille. Au jeu de la vanne, de la « cooli­tude », de la provo­ca­tion sex­uelle, de la belle gueule ou de l’émotion de sur­face, évidem­ment que l’actrice, le chanteur, la lit­téra­trice de con­fes­sions médiocres, voire le foot­balleur, sont meilleurs qu’un député chenu. C’est ain­si qu’une légion à pail­lettes du poli­tique­ment cor­rect prend pos­ses­sion des plateaux de télévi­sion au terme d’une évo­lu­tion de plusieurs décen­nies. Il était évi­dent dans les années 60 que l’on trou­vait plus raisonnable de deman­der leur avis sur un sujet de société à Sartre ou Aron qu’à un chanteur yéyé de vingt ans (lequel, d’ailleurs, ne se serait guère cru légitime pour en exprimer un). Mais au cours des années 80, les Coluche, les Gold­man, les Renaud, se voient investis de hautes mis­sions morales qu’ils assu­ment d’abord essen­tielle­ment par l’invention d’un mod­èle car­i­tatif spec­tac­u­laire, avant que leurs descen­dants ne jouent tout bon­nement aux évangélistes bénév­oles de la doxa en vogue.

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Jeu de massacre

C’est la rup­ture de ce con­sen­sus dont les star­lettes sont dev­enues l’avant-garde qui va représen­ter l’enjeu fon­da­men­tal de la muta­tion suiv­ante. Après qu’Ardisson, tout en la criblant de cru­autés mondaines, a élevé cette nou­velle cour à une légitim­ité intel­lectuelle et morale inédite, Ruquier en fait défil­er les mem­bres un à un dans son fau­teuil pour les soumet­tre à la ques­tion. Et là, par une sorte d’effet bas­cule, un duo « d’intellectuels vin­tage », Éric Zem­mour et Éric Naul­leau, un jour­nal­iste poli­tique et un édi­teur pétris tous deux de cul­ture clas­sique, dévoilent la vacuité et le dog­ma­tisme en toc dont témoigne en réal­ité cette pseu­do aris­to­cratie de plateau adoubée la généra­tion précé­dente. Com­mence alors un jeu de mas­sacre suff­isam­ment jubi­la­toire pour que le pub­lic n’éprouve plus la néces­sité d’être tenu en éveil par la com­plai­sance grav­eleuse d’un Ardis­son. Les Patrick Sébastien, Fran­cis Lalanne, les Cali, les Raphaël, les Michaël Youn, les Grand Corps Malade et tant d’autres avec eux, sont ren­voyés à leur con­formisme, à leur sec­tarisme, à leur invraisem­blable suff­i­sance, à leur incul­ture, alors que la parole cri­tique reprend le pas sur la cul­ture de la vanne. Non seule­ment ce soudain bas­cule­ment répond aux néces­sités du spec­ta­cle – pour sur­pren­dre, il faut sans cesse boule­vers­er les règles du jeu –, mais, comme tou­jours, il traduit égale­ment une évo­lu­tion de la société française. Depuis le tour­nant des années 2000, ceux qu’un uni­ver­si­taire stipendié, Daniel Lin­den­berg, qual­i­fia de « Nou­veaux réac­tion­naires » dans un livre pub­lié en 2002 (Le Rap­pel à l’ordre au Seuil) com­men­cent d’ébranler la chape de plomb du poli­tique­ment cor­rect à l’intérieur du pays. Mais encore, à l’international, l’attentat du 11 sep­tem­bre 2001 a comme relancé l’Histoire et le monde s’apprête à rede­venir mul­ti­po­laire. En bref, de toute part : le con­sen­sus éclate.

Tous contre seul

Or, une décen­nie plus tard, il paraît donc que la con­fig­u­ra­tion se remod­èle encore. Léa Salamé et Yann Moix, une jour­nal­iste éti­quetée France Inter et un écrivain vas­sal­isé par BHL : les chroniqueurs sont à nou­veau en plein dans le giron du pou­voir médi­ati­co-poli­tique. Ils se retrou­vent, de fait, sur la même ligne idéologique que l’animateur, Lau­rent Ruquier, et donc sur la même ligne égale­ment que la plu­part des invités pail­letés. Mais ce nou­veau for­matage glob­al du plateau est com­pen­sé par l’invitation sys­té­ma­tique d’un mal-pen­sant, au cen­tre, seul con­tre tous, dont on mon­tre la pré­sumée étrangeté, voire la hideur morale, afin d’exciter l’audience, tout en ten­tant, à tous con­tre un, d’en cir­con­scrire la puis­sance. Ce n’est plus la cour, ce n’est plus le tri­bunal, c’est le cirque où l’on exhibe le phénomène. Ce n’est plus l’animateur-roi, ce n’est plus le chroniqueur-pro­cureur, c’est l’invité-monstre. Le mod­èle fon­da­teur de ce nou­veau dis­posi­tif étant l’invitation d’Éric Zem­mour le 4 octo­bre 2014, puisque le Franken­stein de Lau­rent Ruquier catal­yse à lui-seul le proces­sus à l’œuvre depuis quinze ans. Or, depuis que ce qu’il pen­sait être sa créa­ture lui a totale­ment échap­pé, l’animateur tente par tous les moyens de répar­er ce qu’il doit con­sid­ér­er comme une impar­donnable faute morale tout en béné­fi­ciant encore de l’aura sul­fureuse du jour­nal­iste-vedette, et il pense sans doute par­venir à con­cili­er ces deux exi­gences, morale et spec­tac­u­laire, en met­tant en scène son encer­clement, sa prise au piège, tout en ven­dant son exhi­bi­tion. Ce qu’il pense donc avoir réus­si l’an dernier au moment de la pro­mo­tion du Sui­cide français est devenu le patron de la nou­velle for­mule. Et comme à la plus écla­tante époque de son talk-show, quand y offi­ci­ait le duo Zem­mour-Naul­leau, chaque semaine : c’est le buzz.

Localisation de la doxa

Et chaque semaine, Léa Salamé, devant l’invité-monstre, martèle ce dont le sys­tème a pris acte : que la pen­sée dom­i­nante a changé de camp. Et chaque semaine, l’invité-monstre lui expose com­ment ce qui est sans doute val­able dans l’opinion publique est néan­moins con­tred­it dans le champ médi­a­tique où la Pen­sée Unique, reli­quat d’un con­sen­sus défunt, se trou­ve pour­tant tou­jours être très large­ment majori­taire. Très con­cret, dépas­sion­né, factuel, l’écrivain Michel Houelle­becq explique qu’il suf­fit d’ouvrir les jour­naux pour con­sid­ér­er qu’en terme de vol­ume de dis­cours pro­duit, la Pen­sée unique cou­vre encore 90% du panora­ma, et que celle-ci peut être classée comme rel­e­vant glob­ale­ment du cen­tre-gauche. Ce qui pose tout de même un prob­lème, puisque sans pour autant que l’opinion des médias se doive d’être stricte­ment con­forme à l’opinion publique, un trop grand décalage finit par ressem­bler à une forme de putsch idéologique, comme si des généraux con­ser­vaient autori­taire­ment le pou­voir pour­tant per­du de manière fla­grante aux élec­tions par leur par­ti. Ce que Michel Onfray traduit ain­si : « Je cri­tique l’usage privé qui est fait du ser­vice pub­lic. Vous êtes payés par le con­tribuable, et quand on est payés par le con­tribuable, on n’a pas une pen­sée unique, tou­jours la même. » Face à Geof­froy Leje­une, dont le roman d’anticipation poli­tique imag­ine la vic­toire de Zem­mour aux prési­den­tielles, le 26 sep­tem­bre, et alors que ce dernier explique com­ment le jour­nal­iste, par sa parole dis­si­dente, per­met à des mil­lions de gens de « respir­er », Léa Salamé a cette réac­tion ahuris­sante : « Ils n’ont pas besoin de respir­er puisque la plu­part des gens pense ça ! » pré­tend-elle après avoir à nou­veau aval­isé la droiti­sa­tion générale de la pop­u­la­tion. Or, sur le plateau où Léa Salamé offi­cie, qui se trou­ve autour d’elle ? Yann Moix et Lau­rent Ruquier, qui pensent glob­ale­ment comme elle ; Xavier Dur­ringer, touche-à-tout poli­tique­ment bien borné dans la gauche des années 80 la plus puérile et sec­taire, qu’incarnent indi­recte­ment les star­lettes de l’époque que sont Géral­dine Mar­tineau et Marc Lavoine, lequel s’est récem­ment illus­tré parce qu’il exigeait l’accueil des migrants par la France sans pour autant accepter d’en recevoir chez lui ; enfin, Frédéric Chau, une recrue du « Djamel Com­e­dy Club » ren­du célèbre par le film bien-pen­sant Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu ?… Léa Salamé est donc poli­tique­ment en qua­si mono­pole sur un plateau où celui qui pense dif­férem­ment, tout en étant totale­ment isolé dans un tel con­texte, est pour­tant large­ment représen­tatif de l’opinion. Mais elle ne voit pas pour quelle rai­son ses adver­saires poli­tiques pour­raient éprou­ver la néces­sité de respir­er… Pire, Salamé se laisse aller à revendi­quer la sub­ver­sion ! Il faudrait alors con­sid­ér­er en effet « sub­ver­sif » un dic­ta­teur haï qui oserait pour­tant aller sys­té­ma­tique­ment à rebours des vœux de son peu­ple ! Kim Jong-Un, roi des rebelles du PAF !

Extrêmes et centre

Ruquier annonce alors, sur ce thème plutôt gênant pour sa caste, que la majorité des per­son­nes des médias seraient « plutôt au cen­tre », autant à droite qu’à gauche. Une telle asser­tion est facile à étay­er : en réal­ité, 74% des jour­nal­istes auraient voté Hol­lande en 2012. Autant dire que les jour­nal­istes sont moins « plutôt au cen­tre » que car­ré­ment de gauche libérale ! Mais surtout, il est intéres­sant d’analyser ce que le jour­nal­iste insin­ue en usant d’une telle dichotomie insi­dieuse­ment « démo­phobe », pour­rait-on dire. Il y aurait un cen­tre ; et des extrêmes. Ce « cen­tre » man­i­feste bien, en effet, l’alternance unique libérale-lib­er­taire, que le FN tax­ait d’ « UMPS », sem­ble-t-il à rai­son, étant don­né de tels aveux. Ce cen­tre, dom­i­nant dans les médias mais aus­si dans les élites, serait par con­séquent mod­éré, raisonnable, con­séquent, tan­dis que les extrêmes seraient le résul­tat d’exaspérations pop­ulistes dan­gereuses et poten­tielle­ment crim­inelles. Tout d’abord, il peut paraître un rien déli­rant de sup­pos­er « raisonnable » un « cen­tre » qui a mené le pays dans une telle sit­u­a­tion de crise glob­ale, économique, morale, iden­ti­taire, en moins de trente ans. Ensuite, il peut sem­bler un rien hâtif d’amalgamer dans « les extrêmes » une gauche rad­i­cale ne l’étant pas davan­tage, rad­i­cale, que le mit­ter­ran­disme ini­tial (avant le virage libéral de1983), une droite nationale de plus en plus chevène­men­tiste, des grou­pus­cules anar­chistes vio­lents, ou bien véri­ta­ble­ment néo-nazis, ou encore des sym­pa­thisants de l’État Islamique… Il existe une dichotomie sans doute infin­i­ment plus per­ti­nente, celle qui insis­terait sur le cli­vage entre un pôle con­ser­va­teur et un pôle con­tes­tataire. Non pas con­ser­va­teur au sens moral, on l’aura com­pris, mais du point de vue du pou­voir. Le « cen­tre » de Ruquier, ce n’est ni plus ni moins que le camp de ceux qui veu­lent con­serv­er le sys­tème tel qu’il existe, parce qu’ils en prof­i­tent au mieux. Quant aux pré­ten­dus « extrêmes », c’est une manière de désign­er ceux qui con­tes­tent le pou­voir, d’où qu’ils le fassent, et qui le con­tes­tent en général pour l’excellente rai­son qu’ils en souffrent.

Le scandale Morano

La par­tic­u­lar­ité de ce dis­posi­tif médi­a­tique inédit au cours duquel, chaque same­di, un sénat délégitimé tente de décrédi­bilis­er un tri­bun du peu­ple isolé dans l’arène, a déjà été par­faite­ment com­pris par cer­tains, par­mi lesquels : Nadine Mora­no. La plus pro­lo des députés des Répub­li­cains n’est pas aus­si sotte qu’elle le paraît. Son pré­ten­du « déra­page » est exacte­ment le con­traire d’une sor­tie de route. Sa cita­tion polémique de de Gaulle était même le but essen­tiel de sa venue. Par­tant d’un con­stat sim­ple, que dans une con­fig­u­ra­tion telle que celle que nous avons décrite, celui qui est désigné comme enne­mi par le cer­cle médi­a­tique incar­ne la majorité crois­sante de l’électorat, il a dû lui sem­bler que scan­dalis­er ce cer­cle reve­nait à agréger les électeurs de manière qua­si mécanique et que plus on frap­pait fort, plus le béné­fice serait impor­tant. Ayant égale­ment très bien com­pris que le tabou des tabous de notre époque était relatif à la race, la députée a dû s’imaginer qu’il suff­i­sait de bal­ancer plus ou moins de but en blanc la fameuse cita­tion du Général pour ter­roris­er l’assemblée et fédér­er der­rière elle une grande par­tie des téléspec­ta­teurs. L’analyse est per­ti­nente, mais la méth­ode fut pour le moins grossière, arti­fi­cielle, telle­ment téléphonée qu’il est dif­fi­cile de pré­sumer qu’elle réus­sisse. Mais en met­tant aus­si net­te­ment les pieds dans le plat (la ques­tion traitée ici, on l’aura com­pris, n’est pas l’à‑propos de sa cita­tion), le scan­dale Mora­no aura du moins l’immense mérite de révéler trois choses. Pre­mière­ment, ce fameux dis­posi­tif que nous venons de décrire et la ten­ta­tive des poli­tiques de s’en servir selon ses nou­velles règles de fonc­tion­nement. Deux­ième­ment, com­ment Yann Moix, à l’instar de nom­breux de ses con­frères et véri­fi­ant les pré­dic­tions de Michel Houelle­becq est déjà prêt à la « soumis­sion », ne voy­ant aucun incon­vénient à l’islamisation du pays (laque­lle, par ailleurs, est cen­sée n’avoir pas lieu). Troisième­ment, com­ment les pré­ten­dus héri­tiers du gaullisme ne parta­gent plus du tout la con­cep­tion de la France qui était celle du Général, une con­cep­tion qui les répugne même au dernier degré.

Prolonger l’usurpation

Pour con­clure, on peut remar­quer que cette dernière muta­tion du dis­posi­tif est aus­si fla­grante, rad­i­cale, qu’inquiétante. En effet, elle ne traduit ni plus ni moins que la mise en scène, par un pou­voir idéologique, de sa ten­ta­tive dés­espérée de pro­longer son usurpa­tion. Au lieu d’ouvrir le cer­cle, la caste médi­a­tique le referme en pub­lic sur ce qui la men­ace, c’est sa manière ambiguë de laiss­er s’exprimer ce qui dis­cute son hégé­monie tout en ten­tant du même coup de l’étouffer. Certes, elle admet qu’elle n’a plus beau­coup d’intellectuels et d’idées de son côté, mais une poignée de comiques cer­ti­fiés con­formes, de pouf­fi­asses par­v­enues, de croon­ers has-been et d’écrivains ratés, résidus des plateaux télé mit­ter­ran­do-chi­raquiens, lui per­met néan­moins de faire nasse, du moins à l’écran. En atten­dant, les 80% de Français qui ne sont pas ou plus de cen­tre-gauche devraient déjà s’estimer heureux, comme l’affirme Léa Salamé (tous les matins sur France Inter, tous les samedis soirs sur France 2), qu’on leur laisse par­fois la parole…

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