Écoutes de la NSA, surveillance des réseaux sociaux, fausses accusations de collusion entre Trump et la Russie (Russiagate), étouffement, à la veille des élections de 2020, des révélations explosives contenues dans le pc portable d’Hunter Biden…
Derrière ces scandales se profile, ravivant la rumeur persistante d’un État dans l’État, l’ombre des renseignements américains. Dernièrement, Robert Kennedy a provoqué l’ire des gros médias de grand chemin en déclarant : “L’Opération Mockingbird est belle et bien vivante.” Opération Mockingbird (oiseau moqueur), le mot est lâché ! Il désigne l’opération de la CIA, une des plus controversées de son histoire, révélée en 1975 par la commission Church. Son objectif ? Manipuler les médias américains et étrangers au profit des États-Unis.
L’étrange Commission Church
Si les accusations de Kennedy restent à prouver en 2024, le savoir-faire de la CIA en matière de désinformation n’est plus à démontrer. La commission Church est créée en réponse aux préoccupations suscitées par le scandale du Watergate concernant l’implication de la CIA dans un certain nombre d’activités controversées (surveillances illégales, complots d’assassinats). Dans son rapport final, il est écrit : « La CIA entretient un réseau de plusieurs centaines d’individus étrangers à travers le monde, qui fournissent des indications à la CIA et tentent parfois d’influencer l’opinion au travers de la propagande déguisée. Ces individus fournissent à la CIA des accès directs à un grand nombre de journaux et de périodiques, à des dizaines de services de presse et d’agences d’information, à des stations de radio et de télévision, à des éditeurs de livres et autres supports médiatiques ». À noter qu’il n’est nulle part fait mention dans les documents déclassifiés d’une “opération Mockingbird”. L’expression apparaît pour la première fois sous la plume de Déborah Davis dans sa biographie non autorisée de Katharine Graham publiée en 1979 (Katherine the great : Katherin Graham and her Washington Post Empire). Elle est reprise dans les mémoires d’Howard Hunt, l’un des plombiers du Watergate.
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Lancement dès 1948 par une branche de la CIA
Lancée en 1948 dans le contexte de la guerre froide, l’opération est supervisée par l’OPC (Office Policy of coordination), une branche de la CIA dirigée par Frank Wisner chargée de la “guerre psychologique”, de la guerre économique et de la subversion des pays hostiles aux États-Unis. L’opération est si sensible qu’elle passera directement aux mains des directeurs de la CIA. Allen Dulles (de 1953 à 1961) en particulier joua un rôle essentiel à sa mise en place. Elle s’inscrit dans un vaste plan d’ingénierie sociale visant à combattre le communisme et exporter l’American way of life. À cette fin, la CIA lance des magazines, finance des films, crée des organisations étudiantes, culturelles, intellectuelles, dont à Paris le Congress for cultural freedom. La droite étant acquise à l’anticommunisme, il était essentiel pour la CIA de séduire une gauche anticommuniste, libertaire, pro-européenne et, en France, antigaulliste. Pour contrôler les esprits, il était encore indispensable de dominer les relais d’opinion : médias et maisons d’édition.
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Les révélations de Carl Bernstein sur le New York Times et le Washington Post
Dans un article de référence publiée dans Rolling Stone en 1977, Carl Bernstein, prix Pulitzer pour les révélations du Watergate explique la méthode de l’opération. Il s’agissait d’abord de tisser des liens forts avec les dirigeants des grands médias, des agences de presse, des majors de l’édition et de la radiodiffusion. Dulles lui-même, puis ses successeurs, initiaient les contacts, dont les plus célèbres furent Henri Luce, propriétaire du Washington Post et de Life et Sulzberger, l’éditeur du New-York Times. Devant la commission Church, William Colby, directeur de l’agence, a déclaré : “Ne nous en prenons pas à de pauvres reporters, pour l’amour de Dieu. Allons voir du côté de la direction. Ils étaient dans le coup.” La CIA recrutait avec leur accord des journalistes, principalement des correspondants capables de nouer des contacts avec des étrangers susceptibles de devenir espion pour le compte des États-Unis. Ces journalistes étaient animés par le patriotisme, l’anticommunisme, le frisson de l’espionnage et l’ambition, davantage que par l’argent. En échange, la CIA pouvait leur fournir des informations leur permettant de sortir des scoops et d’asseoir leurs réputations. Le chroniqueur Joseph Aslop fut certainement le journaliste le plus prestigieux à avoir collaboré avec l’agence.
Technique de mise en abyme, des mensonges, des relais et l’invention de la vérité
La technique de désinformation massive était fondée sur la mise en abyme. Les journalistes liés à la CIA, placés dans de grands médias, diffusaient des récits déformés ou mensongers. Ces récits étaient ensuite relayés par des agences de presse, sources pour d’autres médias. Des journalistes non complices rediffusaient “l’information” qui, au fur et à mesure, s’imposait comme la vérité, puisqu’elle semblait corroborée par de nombreuses sources indépendantes. Ce pluralisme de façade rend extrêmement difficile la distinction du vrai et du faux.
La CIA bloque les informations sur les 400 journalistes impliqués
La CIA n’a pas facilité la tâche de la commission Church. Elle a fait en sorte qu’aucun journalistes et directeurs de publication ne soient interrogés. Prétextant un risque irréparable pour l’appareil de renseignement, elle a diffusé un minimum de noms. On pense, estimations basses, que 400 journalistes auraient collaboré et que le réseau aurait compté environ 3000 personnes. Officiellement, l’opération Mockingbird aurait été abandonnée lorsque le successeur de William Colby, George Bush, a déclaré le 28 juillet 1976 :
“À compter de ce jour, la CIA ne s’engagera dans aucune relation rémunérée ou contractuelle avec un correspondant à temps plein ou partiel accrédité par quelques services de presse que ce soit, fût-il un journal, un périodique, un réseau ou une chaîne de radio ou de télévision des États-Unis.”
Il a cependant ajouté gentiment que la CIA continuerait à “accueillir favorablement la coopération volontaire et non rémunérée des journalistes “. En 2014, le journaliste allemand Udo Ulfkotte, ancien rédacteur en chef du Frankfurter Allgemeine Zeitung, déclarait dans son livre Gekaufte journalisten (journalistes vendus) que la CIA continuait à manipuler la presse européenne. Ulfkotte est mort étrangement deux ans après. De quoi alimenter pour longtemps les suspicions… y compris au moment de l’élection présidentielle américaine de novembre 2024.
Voir aussi : LA CIA ET LES MÉDIAS (1/6) – La manipulation de la presse américaine (les-crises.fr)