Rediffusion estivale. Première diffusion le 26 septembre 2020
Mercredi 23 septembre 2020, la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, a présenté aux médias et aux gouvernements des pays de l’Union européenne les grandes lignes du futur pacte européen sur la migration et l’asile. S’il est adopté, ce pacte fixera pour les prochaines années de nouvelles règles pour l’accueil des migrants extra-européens par les différents pays de l’UE. Comment les médias ont-ils présenté le pacte dévoilé par la présidente de la Commission européenne ? Nous sommes partis à l’exploration…
Le document « brut »
La projet de pacte européen sur la migration et l’asile est un document de 37 pages que la Commission européenne a adressé aux autres institutions de l’UE, en vue de son adoption. Il contient 7 objectifs déclinés en mesures opérationnelles. Une annexe renvoie à des proposition de nouveaux règlements, de modification de règlements existants, etc. D’autres documents en ligne sur le site de la Commission européenne explicitent les propositions contenues dans le pacte. Une somme très dense d’informations que les médias ont dû assimiler en peu de temps et avec la place souvent limitée qu’ont bien voulu lui accorder les rédacteurs en chef.
La préparation de l’annonce du pacte européen sur la migration
Bien avant la présentation officielle du projet de pacte sur la migration le 23 septembre, la commissaire européenne aux Affaires intérieures, Ylva Johansson, a multiplié les déclarations dans les médias à ce sujet. S’il ne s’agissait pas officiellement d’une campagne visant à rallier l’opinion publique, ça y ressemble beaucoup…
Le quotidien La Croix a publié en juin, en collaboration avec le quotidien catholique italien Avvenire et le journal néerlandais Nederlands Dagdlad, une série d’enquêtes sur la prise en charge des demandeurs d’asile en Europe. Celle-ci se conclut par une interview de la Commissaire européenne qui affirme :
« Il est crucial d’ouvrir autant de voies de migration légale que possible ». Elle ajoute : « Nous avons besoin de migrants. Notre société vieillit. Nous devons créer de nouvelles voies d’immigration légale ».
Voilà qui a le mérite de la clarté.
A mesure que la date de présentation du pacte approche, la Commissaire européenne multiplie les déclarations et se répand en éléments de langage. Le midi libre, Euronews, Slate, etc. : les titres sont nombreux à reprendre ses déclarations. L’incendie début septembre du camp de Moria en Grèce par des migrants semble le moment opportun pour dévoiler le projet de pacte aux gouvernements européens et à l’opinion publique. Une « urgence » de prendre des mesures fortes s’imposerait. Oui mais, lesquelles ?
Un report dû à la Turquie
L’annonce du pacte européen sur la migration, initialement prévue fin 2019, a en effet été contrariée notamment par la tentative de submersion migratoire de la Grèce par la Turquie en début d’année 2020, qui a envoyé des milliers de migrants franchir la frontière turco-grecque. Puis la propagation du coronavirus et le confinement dans les pays européens a de nouveau reporté l’annonce de la commission européenne.
Le contexte économique actuel, avec des millions d’européens acculés au chômage, est-il plus propice à l’annonce de l’ouverture de « nouvelles voies de migration » ? Aucun doute ne semble étreindre la commissaire européenne quand elle s’adresse aux médias.
Une de ses résolutions est répétée en boucle dans les médias de grand chemin, à l’image de Slate, d’Euronews, etc. : « Il n’y aura pas de nouveau Moria », en faisant allusion à la révolte de certains migrants pour sortir du camp où ils résident . Une révolte attisée par un incendie volontaire qui se renouvelle le 9 septembre à Lesbos, comme nous en informe le Parisien, puis le 20 septembre sur l’Ile de Samos selon Sud-Ouest, etc. Les médias de grand chemin se montrent d’une grande discrétion sur le fait que l’incendie volontaire semble désormais utilisé par des clandestins pour faire pression sur les pays européens pour organiser des relocalisations. Ce que les gouvernements allemands et français, notamment, s’empressent de faire.
Des médias partagés
Le pacte européen sur la migration et l’asile est présenté parfois sans aucun commentaire. Il est plus souvent présenté comme trop restrictif vis-à-vis des flux migratoires.
Plusieurs sites d’information sur l’actualité européenne consacrent des articles assez fouillés et factuels sur le projet de pacte européen sur la migration, comme Toute l’Europe.
La tonalité des articles des sites de think tanks pro construction européenne comme celui de l’Institut Jacques Delors est plutôt positive, même si quelques critiques affleurent ici ou là. Ils figurent dans les premières occurrences du moteur de recherche « Google », comme si l’algorithme était programmé pour reléguer les critiques en arrière-plan…La Fondation Robert Schuman a quant à elle consacré fin 2019 un article argumenté sur la politique migratoire commune et les enjeux du futur pacte européen sur la migration.
Euronews interviewe simultanément le 26 septembre une eurodéputée socialiste, un responsable de l’ONG Open arms et un eurodéputé du Fidesz hongrois. Deux intervenants pro-migration pour un réfractaire à l’immigration, on devrait presque se réjouir….
De nombreuses tribunes aux ONG pro-immigration
Les propos des personnes interviewées dans de nombreux articles publiés sur le projet de pacte sont dans le registre militant. Tous ou presque soulignent que ses dispositions ne permettent pas d’ouvrir suffisamment les vannes à l’immigration extra-européenne. On est par le choix des personnes interrogées dans un registre militant.
La Voix du nord estime que « L’Europe doit prouver que, face au défi migratoire, elle est une civilisation ». On aura compris que pour le quotidien régional, ouvrir en grand les vannes de l’immigration est un moyen de …protéger la civilisation et la culture européenne. Comprenne qui pourra…
Comme de nombreux médias, l’Express donne le 23 septembre en conclusion d’un article consacré à ce sujet la parole à une association immigrationniste.
Militantisme toujours avec New24 qui interviewe le président de l’International Rescue Committee :
« Il est temps que l’UE redémarre et intensifie la réinstallation des réfugiés après le COVID-19 ».
Le site d’information Euractiv donne également une tribune à un responsable d’ONG et titre sur « l’incohérence française ». « La situation des réfugiés en France est loin d’être exemplaire, notamment si on la compare à celle de son alliée d’outre-Rhin », affirme doctement le coordinateur général de Médecins du monde.
Médiapart est dans le même registre le 23 septembre en donnant la parole à un responsable d’OXFAM : « La commission cède aux gouvernements anti-immigration ».
Présenter l’accueil toujours plus important de migrants comme une nécessité et une obligation morale, cette position n’est pas nouvelle dans les médias français, comme nous le rappelions notamment dans un article en juillet 2018.
Le message est reçu 5 sur 5 par la secrétaire d’Etat Marlène Schiappa qui s’empresse d’annoncer la création de 4 000 places supplémentaires d’hébergement en France pour les migrants en 2021, nous apprend Fdesouche. Des places qui viendront s’ajouter aux 98 400 déjà existantes selon Forum Réfugiés en octobre 2019 et dont la progression s’accélère avec le président Macron…
Certains médias présentent plutôt négativement le projet de pacte sur la migration (pas assez laxiste)
L’Obs souligne que même si le pacte prévoit une « solidarité obligatoire », il pourrait permettre d’augmenter les retours.
Le Monde, comme l’Obs et de nombreux autres, donne le 5 octobre la parole à un think tank immigrationniste : « Faute de convaincre les pays rétifs à l’accueil des migrants, l’Europe cède à leurs exigences ».
Sur les ondes de France culture, les arguments d’une invitée ne s’embarrassent pas de nuances. La chercheuse Virginie Guiraudon présente au micro de la radio affiliée à l’Etat français son analyse d’un aspect de la politique migratoire européenne : « A Lesbos, l’Union européenne a créé un monstre ». La gauche Castafiore sait donner de la voix au moment opportun. Elle sait également, grâce aux porte-voix qu’on lui offre, pouvoir être entendue dans les hautes sphères.
Des articles favorables à la restriction de l’immigration beaucoup plus rares
Les articles et exposés qui critiquent les « nouvelles voies d’immigration » que la commission européenne souhaite ouvrir et les « relocalisations » obligatoires des migrants arrivés sur les côtes européennes sont plus rares.
Sur You tube, Florian Philippot des Patriotes décortique assez minutieusement différentes dispositions du projet de pacte, des précisions que peu, voire aucun média, n’apportent.
Le Figaro interviewe le délégué général de l’Institut Thomas More, Jean Thomas Lesueur. Ce dernier pointe le fait que l’économique prime sur les « problèmes existentiels » qui secouent les pays européens.
Dans un autre article titré « Berlin pousse L’UE à l’accueil des migrants », le quotidien nous apprend qu’une coalition de maires fait pression sur l’exécutif allemand et bruxellois pour organiser un accueil plus large des migrants dont le périple s’est pour le moment arrêté en Grèce, en Italie ou en Espagne. Bien que l’économie européenne subisse une sévère dépression et que des millions d’Européens perdent leur emploi, l’ambition de Madame Johansson est bien de faciliter l’accès aux pays européens de millions d’extra-européens.
Valeurs actuelles souligne notamment qu’en dépit de l’annonce de plus de fermeté, l’UE ne fermerait pas la porte aux clandestins.
Le quotidien Présent titre sur la « solidarité obligatoire » que prévoit le projet de pacte. La totalité de l’article est très critique. Il insiste notamment sur les sanctions prises contre les pays de l’UE qui refuseraient d’accueillir des migrants ou de financer leur retour.
Un échange nourri de nombreux éléments factuels est organisé par Atlantico entre Edouard Husson et Arnaud Lachaize dans un article mis en ligne le 21 septembre.
Le pacte européen sur la migration ou la tentative de concilier les plus fervents immigrationnistes
Mis à part de rares articles purement factuels, il n’est pas étonnant à la lecture du projet de pacte européen sur la migration que celui-ci fasse l’objet de fortes critiques venant tant de la droite que de la gauche, tant des progressistes que des populistes.
En recherchant le consensus entre les 27 pays européens, la commission européenne a prévu dans le projet de pacte des mesures visant à accueillir encore et toujours plus de migrants et, « en même temps », à renforcer les frontières extérieures de l’Europe.
D’un côté, un mécanisme automatique et permanent de répartition des migrants arrivant en Europe, des moyens de coercition à l’encontre des pays qui soit refusent des migrants, soit refusent de contribuer à leur prise en charge et à l’organisation du retour au pays de certains d’entre eux, le rôle des ONG croisant en méditerranée contractualisé avec l’Union européenne, des sanctions contre les pays qui limitent la libre circulation dans l’espace Schengen, etc.
De l’autre, un renforcement du corps de garde-frontières et garde côtes FRONTEX, le développement du système d’information d’identification des migrants, la possibilité de refouler des clandestins avant qu’ils n’arrivent en Europe, une procédure d’asile allégée pour certaines catégories de migrants afin de faciliter les retours.
Chaque média a pu y faire son marché et le choix des personnalités interrogées pour le commenter est souvent très révélateur. Et dans l’immense majorité des cas, il ne s’agit pas de simples citoyens européens mais de représentants d’ONG qui font de la défense et de la promotion de l’immigration leur métier. Mais il ne manquerait plus que l’on demande l’opinion du peuple maintenant….
La négociation de la feuille de route de l’Union européenne et des pays la composant en matière d’immigration risque d’être tendue et difficile, compte tenu des nombreux enjeux en la matière. On peut s’attendre à ce que de nombreux médias continuent de faire un lobbying efficace pour en gommer les aspects restrictifs. Le quatrième pouvoir mérite parfois son nom.