Rediffusion estivale 2020. Première diffusion le 30 mai 2020
Nous vous avons déjà parlé du CDJM, le quasi mort-né Conseil de déontologie journalistique et de médiation. C’est un papier particulièrement alacre que consacre à Patrick Eveno, pape (en retraite) auto-proclamé du CDJM, le journaliste Emmanuel Lemieux dans Marianne (version électronique) du 26 mai 2020. Quelques extraits sur celui qui est parfois surnommé plaisamment le « flic des paillassons ».
Conseil de déontologie
Patrick Eveno, le nouveau “flic” des journalistes ?
Par Emmanuel Lemieux
« Cet historien de la presse est le président du Conseil de déontologie journalistique et de médiation, une nouvelle instance censée éclairer le public et les médias sur leurs pratiques défaillantes. Mais quels sont ses objectifs et comment s’y prend-il ?
Entre dans ce temple, Apolline de Malherbe. Dans le grand livre de l’histoire des médias, la journaliste de BFM aura le droit à une notule. On y lira qu’elle aura été la première représentante de la profession à avoir été épinglée, le 20 mai 2020, par le tout nouveau Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM). En cause, son interview de l’avocat Juan Branco…
Le grand livre de l’histoire des médias aura peut-être une autre entrée à la lettre « E » cette fois. « E » pour « Eveno, Patrick », historien de la presse, 73 ans, président du CDJM. Sur le site même du Conseil déontologique, celui-ci prend la plume pour le défendre (« Le CDJM n’est ni un tribunal, ni un conseil de l’ordre ») et riposter contre ce « cher Daniel ». Comprendre : Daniel Schneidermann, le patron d’Arrêt sur images, qui, à peine les premiers avis mis en ligne, délivrait, comme Marianne, son billet critique à l’égard de cet instance.
L’intéressé précise sa pensée lorsqu’on l’appelle : « Je comprends que Daniel soit dans la panique, cela fait des années qu’il fait commerce de ce que nous faisons bénévolement dans une association loi 1901… Surtout, Daniel n’a pas vraiment fait son boulot. Vous, à Marianne, vous l’avez fait même si vous n’êtes pas d’accord. Au moins, vous avez lu nos notifications, pas survolé le communiqué de presse », défouraille Patrick Eveno, qu’on imaginait plus diplomate.
C’est que « Patrick » connaît très bien « Daniel », mais aussi « Plenel » qui « s’oppose à nous par calcul politique ». Edwy Plenel l’ingrat alors que l’historien avait rédigé en personne 1 052 mots le concernant dans L’Encyclopædia Universalis. En 1983, Patrick Eveno est entré au Monde, où officiaient déjà les deux journalistes. Le professeur agrégé qui s’ennuyait ferme au lycée de Bondy y a réalisé sa thèse, « Le Monde vu comme une entreprise », celle qui par la suite l’a plongé dans le délicieux aquarium des médias. « En 1984, j’ai vu une rédaction de gens cultivés et intelligents se transformer en une meute stupide et féroce et éjecter de son siège le directeur de l’époque, André Laurens. Je me suis dit que la presse valait mieux que ça », se souvient le thésard.
Prenez un frère aîné, Bernard, qui fut le PDG de l’AFP mais aussi un grand seigneur de l’édition chez Vivendi, une longue carrière d’historien d’entreprise, et un portrait de poisson pilote de l’influence s’esquisse. « Il fait partie, avec d’autres, de ces apparatchiks universitaires un peu flous de l’univers médiatique, dégoise cet autre spécialiste des médias (dont nous ne livrerons nullement l’identité par souci de protection des sources, le CDJM ne nous en tiendra donc pas rigueur…). Du plus loin que je me souvienne, je l’ai toujours vu dans ces milieux, entre colloques, directions de rédactions et instances ministérielles. Et du plus loin que je me souvienne, il raconte toujours les mêmes histoires. » Bref, la présidence de la CDJM a été un long chemin.
En novembre 2019, des rédactions s’affichent vent debout contre ce nouveau gadget lancé — consécration — par Édouard Philippe. Marianne aussi voit d’un très mauvais œil la création d’une telle instance et le fait savoir. D’autres au contraire comme Laurent Joffrin pour Libération, mais également Ouest-France, les syndicats SNJ et CFDT, des associations socioprofessionnelles, veulent y voir une réelle avancée…
Mais retour aux travaux du CDJM et à son organisation. Celui-ci compte trois collèges : les journalistes, les éditeurs et le sacro-saint public. Sur ce dernier, c’est plus coton. « Pour l’instant, nous ne sommes pas au complet, seulement 47 membres sur 60 prévus. » La « société civile » a été cooptée par les carnets d’adresses des uns et des autres. Les places à pourvoir se feront sur lettres de motivation. Les critères restent flous. Des représentants d’associations ont été recalés comme celui du site Boulevard Voltaire, mais d’autres se sont retirés telles l’Acrimed, « mais eux voulaient faire du CDJM un tribunal populaire des médias », assure Patrick Eveno, toujours aussi peu diplomate.
Dans le flux niagaresque de l’info, comment s’attarder sur tel ou tel sujet ? Le CDJM est donc saisi. « Nous avons reçu 23 saisines sur cette interview de BFM. Elles provenaient essentiellement de sympathisants de La France insoumise », nous apprend son président. Comment l’avis « Malherbe-Branco » a‑t-il été rédigé ? « Nous avons visionné l’interview, et les réactions ont été unanimes. Une triplette composée d’un journaliste, d’un éditeur et d’un citoyen se sont chargés de l’enquête et de la rédaction. » « Enquête » ? « Nous avons cherché à contacter par mail BFM mais ils ne nous ont pas répondu. » Reste que la rédaction des notifications relève plus du papier d’humeur que d’une analyse sourcilleuse aux critères clairs et nets. « Nous ne souhaitions aucun formalisme, car on nous l’aurait reproché », explique Eveno qui semble donc admettre une certaine subjectivité pour les membres-enquêteurs du CDJM…
Notre homme se donne un an ou deux avant de dételer de la présidence, et de revenir à ses chères études. « Patience ! D’ici là, nous aurons un retour d’expérience, nous améliorerons nos procédures et les médias français s’habitueront à cet examen qui n’a rien à voir avec la censure. Nous nous situons dans cette zone grise avant le droit, avant que tout ne soit trop tard et que ça finisse au tribunal. »
Il y a les derniers recours. Le CDJM se pose donc, lui, en premier recours. Mais sans moyens et sans aucun pouvoir de sanction, il ne mobilise pas d’autres savoirs qui permettraient de mieux comprendre la fabrique de l’info. Il évacue le contexte économique, social, managérial des rédactions. Il est surtout le révélateur de l’époque débordée par une profusion de médias et l’explosion des réseaux sociaux : l’information est devenue une immense source d’insécurité et de défiance. »