Dimanche 12 avril, M6 consacrait son émission « Zone Interdite » aux « nouveaux ghettos », axant le sujet sur les dealers, le communautarisme musulman et les familles monoparentales. Autant dire que les polémiques n’ont pas tardé à naître.
La chaîne et les deux boîtes de production qui ont travaillé sur le reportage l’assurent : « C’était brut de décoffrage, avec une volonté d’éviter les partis pris. C’est ce que l’on a fait. » Et d’ajouter : « Nous n’avons pas trahi la parole des personnes qui ont participé à ce reportage et nous n’avons rien inventé. D’ailleurs, elles nous ont remerciés pour ça. »
Mais le témoignage d’un fixeur (personne chargée de faire le lien entre l’équipe de tournage et les habitants) de l’émission est venu alimenter les soupçons. À Rue89, Matthias Quiviger s’est ainsi confié à propos de Géraldine Levasseur, cadre de Giraf Prod : « J’essayais de lui ramener des personnes qui ont réussi ou qui galèrent, mais qui s’en sortent quand même. Ça ne lui allait pas. En réalité, elle voulait des barbus, des djellabas, des musulmans qui font la prière, des dealers… Ça s’est très mal passé avec elle. »
Celui-ci estime que la journaliste a « menti sur ses intentions. Je me souviens qu’elle est rentrée dans un immeuble et qu’elle a demandé aux habitants de tous se mettre à la fenêtre pour que ça fasse “cage à poules” et “ghetto”. » Et de conclure : « Après les témoignages qu’elle a recueillis quand j’étais avec elle, elle n’était pas satisfaite. Elle y est retournée, seule. Elle a donné environ 250 euros à des jeunes pour qu’ils la laissent filmer des points de deals et qu’ils répondent à ses questions très orientées. » Une pratique absolument illégale.
Cependant, pour Giraf Prod, Matthias Quiviger n’est autre qu’un « fixeur aigri » qui a touché « beaucoup d’argent » (2 500 euros) pour un travail « qu’il n’a pas fait ». « Il devait nous présenter trois familles, mais n’a jamais réussi à le faire. L’accord de départ, c’était de réaliser un reportage objectif sur les ghettos de la République. Lui voulait orienter ça vers quelque chose d’angélique. Mais il n’est pas réalisateur […] Karim Ouaffi et Karim Maatem, les deux réalisateurs du reportage, connaissent très bien la problématique. Ils sont d’ailleurs tous les deux issus des cités. »
Quant à Géraldine Levasseur, elle réfute les accusations du fixeur, expliquant n’avoir « jamais parlé de “cages à poules” ». « Je suis réalisatrice, j’aime les belles images. Effectivement, je me suis présentée aux personnes de cet immeuble après avoir sympathisé avec des jeunes filles. Je voulais faire un joli plan, comme dans “Égoïste” [la pub de Chanel, ndlr]. Vous savez pourquoi je n’ai pas gardé cette séquence ? Parce que justement, ça faisait trop “ghetto” », se justifie-t-elle.
Mais elle ne voulait pas se voiler la face en occultant l’économie souterraine et les trafics, qui sont une réalité. « Et encore, on n’a pas tout montré », note-t-elle. Concernant la prime aux dealers : « Je ne les ai jamais payés pour qu’ils me parlent. Jamais. Je leur ai simplement donné un peu d’argent pour qu’ils achètent des gâteaux et des bonbons aux enfants du quartier qui étaient autour de nous. »
Dimanche, « Zone Interdite » se découpait en deux parties : l’une consacrée au ghetto à proprement parler, l’autre aux mères seules qui élèvent leurs enfants avec difficulté. Deux sujets qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre et n’ont pas été filmés par les mêmes sociétés, mais qui ont suscité le même niveau d’indignation sur les réseaux sociaux.
La séquence la plus contestée du deuxième sujet est celle où le journaliste demande à une mère de cinq enfants si elle n’a « jamais pensé à prendre la pilule ». « Au départ, j’avais cette question dans la tête, sans oser la poser. Pas parce que je trouvais ça raciste, mais trop personnel. J’en ai parlé avec des personnes qui étaient dans les coulisses du projet. Elles trouvaient la question intéressante. J’ai expliqué la démarche à Cécilia, avec qui j’ai noué des liens – d’où le “tu” –, qui s’est marrée. Ça ne la dérangeait pas du tout de répondre. Je suis peiné de voir que certains me taxent de racisme. Bien sûr que si elle avait été blanche, j’aurais fait pareil », s’est expliqué Olivier Ponthus.
Et celui-ci de montrer aussitôt « patte blanche », si l’on peut parler ainsi : « J’ai vécu au Maroc, en Tunisie. J’ai enseigné l’histoire-géographie à Clichy-sous-Bois. Il n’y a qu’à voir les posts que je relaye sur Facebook : je suis antiraciste. »
Quoi qu’il en soit, il n’est jamais de bon ton, en France, de s’intéresser aux quartiers dits « sensibles ». Montrez un tant soit peu la réalité, et vous voici accusé de « stigmatiser » les habitants du quartier, ou pire, de racisme.
C’est du reste la démarche entreprise par les « Jeunes communistes de Bobigny ». Dans un communiqué, ces derniers ont fait part de leur intention de déposer plainte contre M6, qualifiant pêle-mêle leur « propagande » de « racoleuse », « mensongère » et même, pourquoi pas, « réactionnaire ».
Pour l’avocat en charge de préparer cette plainte, Jean-Toussaint Giacomo, « c’est limite de l’incitation à la haine raciale. On fait croire qu’il n’y a que des Africains et des musulmans dans les quartiers ». Reste à savoir si on le fait croire ou si c‘est vrai.