Le pluralisme doit se mesurer, non pas sur l’ensemble de la sphère médiatique, non pas même sur un média, mais sur chaque émission. C’est ce que voudrait l’ONG Reporters sans Frontières (RSF) créée par entre autres Robert Ménard, qui aujourd’hui la désavoue. RSF a en effet saisi le Conseil d’État, qui a demandé à l’ARCOM de réévaluer le respect du pluralisme par CNews, selon des règles réinterprétées. Une révolution qui inquiète tous les médias, de gauche à droite.
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Les médias voient plus loin que les politiques
On aurait pu croire que les médias agiraient comme les politiques : à droite en dénonçant une atteinte à la liberté d’expression, à gauche en se félicitant d’un plus grand contrôle sur CNews. Il n’en est rien. Si Le Figaro évoque « une décision qui interroge la liberté éditoriale des médias », il est rejoint par… Libération, qui parle d’une « refonte qui s’annonce délicate : l’Arcom ne devra pas marcher sur les plates-bandes de la liberté d’expression et de la liberté éditoriale des médias », mais aussi France Inter, qui craint un « flicage des médias ».
CNews « l’infréquentable »
CNews est reconnu par l’ensemble des médias de grand chemin comme infréquentable. Libération et Le Monde, dans des formulations très proches, expliquent que le média manque à « ses obligations, à savoir « honnêteté, indépendance et pluralisme de l’information ». » Le pluralisme des idées figure en effet parmi les obligations des médias qui émettent sur les fréquences du domaine public. On suppose donc que, selon RSF, CNews est le seul média à ne pas respecter cette obligation. France Inter l’accuse d’être « une chaîne d’opinion et en fait, la chaîne de UNE opinion. » Certains titres s’offusquent également que la chaîne se défende face aux attaques bien ciblées de RSF. Le Huffington Post accuse ainsi les médias du groupe Bolloré de faire « feu de tout bois », en constatant que « L’empire contre-attaque. » L’empire, dans Star Wars, c’est le camp des méchants. C’est aussi celui du pouvoir, mais c’est peut-être là, pour le journaliste, que s’arrête la comparaison.
Les dérives possibles
CNews n’est pas un exemple, c’est entendu. Le contrôle de l’Arcom inquiète pourtant les médias, c’est le cas de le dire. Contrairement aux politiques qui semblent croire que les lois ne s’appliquent qu’aux autres, ils ont un service juridique qui les alerte sur les possibles dérives des évolutions législatives. Ainsi, Le Point n’hésite pas à titrer : « Conseil d’État, Arcom et CNews : la France mûre pour un régime autoritaire », et à parler d’un « symptôme d’une dérive illibérale qui devrait alarmer, à gauche comme à droite », et même d’une « forme de ministère de la Vérité ? » Pour Le Parisien, le Conseil d’État a pris « une décision inédite qui soulève son lot de questions ». Quant à Libération, même s’il rappelle que CNews est le « relais de la parole décomplexée de l’extrême droite », il alerte : si la nouvelle évaluation de l’Arcom fait jurisprudence, ce à quoi il faut s’attendre, elle concernera « l’ensemble des médias audiovisuels – et pas seulement CNews. » « Cette décision du Conseil d’État finira par se retourner contre tous les médias. La décision du Conseil d’État concerne TOUTES les chaînes de télé et de radio. », s’inquiète France Inter.
Une évaluation aussi floue qu’inquiétante
Ce qui inquiète les journalistes, c’est que l’évaluation repose sur des critères encore flous. Or, une évaluation floue est une évaluation subjective. Si, pour des politiques, il suffit de comptabiliser les partis représentés, comment évaluer les journalistes et chroniqueurs ? En fonction de leurs activités, de leurs prises de position, de leurs prises de parole ? L’Arcom a répondu à cette épineuse question dimanche 18 février dans La Tribune dimanche, un titre lancé spécifiquement pour faire concurrence au Journal du dimanche lorsque Geoffroy Lejeune y est entré comme rédacteur en chef. Le choix est édifiant. Roch-Olivier Maistre, président de l’Arcom, précisait qu’il n’y aurait « pas de catalogage des journalistes et invités », mais « une appréciation globale sur l’ensemble des programmes diffusés ». De quoi rassurer sur de possibles opérations de flicage, ou au contraire faire craindre une évaluation au doigt mouillé, menée selon le vent politique du moment.
Fin de la liberté éditoriale
Cette décision qui ne tient par ailleurs pas compte d’une spécificité de tout titre médiatique : la ligne éditoriale. France Inter se demande ainsi « comment le régulateur peut calculer le respect du pluralisme, donc contrôler un média, tout en respectant sa liberté éditoriale. » Les journalistes semblent avoir compris ce qui échappe à bien des politiques : le pluralisme doit moins être présent dans un média que dans l’ensemble de l’offre médiatique. Si l’on trouve que CNews débite des sottises intéressantes, il suffit de changer de chaîne… en se félicitant au passage qu’elle ne soit pas financée par l’argent du contribuable, confort que n’ont pas ceux qui n’aiment pas la programmation de France TV.
Voir aussi : CNews : l’intenable casse-tête créé par le Conseil d’État en matière de pluralisme