Après 18 saisons et 4665 épisodes, « Plus Belle la Vie » alias poubelle la vie s’est éclipsé des écrans le 18 novembre 2022, et, avec elle, une certaine idée de la France. La première telenovela hexagonale, qui attirait 5 millions de téléspectateurs en moyenne entre 2006 et 2014, avec des pics avoisinant les 7 millions en 2008, n’a pu survivre à la concurrence accrue des plateformes de streaming et de ses concurrents cathodiques directs, « Demain nous appartient » (TF1) et « Un si beau soleil » (France 2), répliques sorties du même moule mièvre et bien-pensant.
30M€ par an et 600 personnes travaillant sur le feuilleton
Les coûts exorbitants de production n’ont guère incité la direction de France Télévisions à maintenir le programme sur son antenne : 85 000 euros par épisode, 30 millions d’euros par an et 600 personnes travaillant sur le feuilleton, dont environ 80 (!) uniquement pour les départements coiffure, maquillage et costume. Plus encore, 90 % des intermittents travaillant à la conception de la série n’ont jamais travaillé que pour « Plus Belle la Vie », renforçant un climat d’entre-soi peu commun dans le PAF. La productrice Claire de la Rochefoucauld évalue à 45 le nombre de bébés nés de couples s’étant rencontrés sur le plateau de PBLV en vingt ans. Entre vitrine touristique, rente d’argent public (la série a bénéficié des subsides municipaux de 2004 à 2008) et opération de subversion idéologique, PBLV est un objet à part dont le bilan reste à faire.
Amélie Poulain d’extrême-gauche ? Telenovela woke ? Plutôt une arme de reconquête culturelle libérale libertaire. Cela vaut bien une revue de presse.
Les origines, un village Potemkine de carton-pâte
En 2004, avant même la diffusion des premiers épisodes, Télérama soulignait l’usage de l’écriture collective du scénario « méthode efficace inspirée de nos voisins européens », novateur à l’époque.
Le caractère artificiel est soulevé en passant par la journaliste qui note que « les comédiens reconnaissent que le texte est touchant, drôle et facile à mémoriser, n’empêche pas l’un des comédiens de faire corriger gentiment une expression de… « Parisien branché ». En effet, la suite confirmera que le feuilleton est bien conçu à Paris par des Parisiens et tourné dans un décor en carton-pâte où s’emploient des acteurs ne résidant pas, pour la plupart, dans la cité phocéenne. Cocasse ?
Libération, pourtant proche de la ligne idéologique dessinée par la série, ne peut s’empêcher de remarquer que « [l]a place du Mistral, si loin des réalités marseillaises, a quelque chose d’un village Potemkine du vivre ensemble ».
Le Parisien met les pieds dans le plat en demandant sans ambages à une sociologue, Muriel Mille, ayant consacré une thèse à la série si celle-ci est de droite ou de gauche. Réponse de l’intéressée : « Parmi les scénaristes de Plus belle la vie que j’ai rencontré, la plupart étaient de gauche […] À chaque intrigue, ils essaient de mettre en scène un débat en faisant endosser à leurs personnages des points de vue contradictoires. Mais ils ont souvent plus de mal à développer la position de droite ». Si la série gêne aux entournures les plus puristes des journalistes bien-pensants, elle le doit surtout au zèle militant de ses concepteurs dont le profil est souvent éloquent.
PBLV par ceux qui l’ont fait, vivre ensemble à tout prix
Olivier Szulszynger, le directeur de collection (« showrunner ») de la série entre 2005 et 2017, est un modèle du genre. Fils d’une psychanalyste communiste ayant rencontré son mari à la Fête de l’Humanité, il a intitulé sa maison d’édition « Les Petits Matins » en référence au documentaire hagiographique de William Klein sur Mai 68. Il n’hésite pas à dire que, pour lui « les grands défis actuels sont environnementaux, il faut changer notre mode de consommer, de produire ». Son nom a notamment figuré sur la liste écologique lors des municipales de 2014 à Perpignan et l’homme affirme avoir rédigé des discours de Pascal Canfin, un ami, ancien ministre délégué au Développement du gouvernement de Jean-Marc Ayrault (2012–2014) et actuel député européen. Mais, rassurons-nous, le scénariste, bon copain de Delphine Ernotte qui l’adore, se défend de faire de la politique : « honnêtement je me sens mieux à la place d’un militant que d’un élu, j’aime raconter des histoires mais pas aux électeurs ». À l’ère où la télévision fait en partie l’élection, cette sentence est quelque peu osée.
Mais justement, la série PBLV ose tout et c’est à ça qu’on la reconnaît. Le directeur de la production de la série, Serge Ladron de Guevara (ça ne s’invente pas) aurait même conseillé aux scénaristes et dialoguistes du feuilleton de collaborer avec des militants écologistes afin d’accorder une place plus grande aux effets induits par le changement climatique dans les nombreux arcs scénaristiques que déploie PBLV. Moins porté sur l’écologie, Vincent Meslet, directeur des programmes de France Télévisions à l’époque du lancement du feuilleton, confesse que « dès le début, notre ligne éditoriale [était] claire : c’[était] celle du vivre ensemble ». Christophe Marguerie, directeur de la société de production derrière PBLV, Telfrance (aujourd’hui propriété de Newen) se vantait déjà en 2008 dans le Guardian que, dans sa série « Le beur n’est pas épicier, mais avocat. Le noir est cadre ». PBLV, en projetant à toute force une réalité fantasmée, possédait déjà tous les signes avant-coureurs du wokisme.
La telenovela et l’exception française
Une des influences revendiquées par les cadres de France Télévisions au début des années 2000, hors les films du cinéaste d’extrême-gauche Robert Guédiguian, est une telenovela napolitaine intitulée « Un posto al sole » (Une place au soleil, 1996). Par la suite, le choix du lieu de tournage s’imposera presque de lui-même : « Quelle est la plus napolitaine des villes françaises ? Marseille ! Cité mosaïque, port cosmopolite, parabole de la diversité ».
Depuis, le genre a traversé les frontières et a conquis les cœurs de maints foyers à travers le monde. En effet, si les telenovelas turques ou sud-américaines jouissent d’un succès grandissant à l’international, c’est en raison de deux facteurs : la thématique de la revanche sociale, très ancrée dans les pays émergents qui sont les plus grands consommateurs de ces programmes, et son pendant, le conservatisme moral. Or, exception française devant l’éternel, Plus Belle la Vie prend le contrepied de ces deux impératifs ; non seulement, la série surinvestit le sociétal aux dépens du social (il est plus question de mariage homosexuel, de GPA ou de cannabis que de licenciements abusifs), mais elle n’hésite pas à dévoiler des scènes explicites qui ne pourraient pas avoir leur place dans les plus prudes telenovelas, à l’image d’un baiser homosexuel (2005), d’une piqûre d’héroïne (2011) ou d’un « plan à trois » (2015). Pourtant, lors des premiers épisodes de la série, les intrigues étaient bien plus infusées de réalisme social « les intrigues étaient très terre-à-terre. Par exemple, c’était est-ce que Roland va avoir son prêt ? Est-ce que Rachel va être placée en maison de retraite ? Comment va faire François, qui est en surendettement et qui a perdu son emploi ?”. Les mauvaises audiences ont eu raison de ces orientations artistiques et les concepteurs ont corrigé le tir en ajoutant du fantastique, des intrigues policières et ce qu’on n’appelait pas encore du « sociétal ».
Aussi, vingt ans plus tard, la majorité des médias reconnaissent à la série le mérite d’avoir fait évoluer les mentalités sur l’homosexualité, le mariage homosexuel, l’immigration ou la GPA. En somme, la stratégie Terra Nova traduite en actes.
Une presse plus louangeuse qu’en 2004
Majoritairement dédaigneuse en 2004, la grande presse a quelque peu révisé son jugement depuis. Il faut dire qu’il serait peu indiqué de se mettre à dos l’importante et influente communauté de fans de la série.
Tant et si bien que Le Monde lance un appel à témoignages et publie les cris du cœur des passionnés du feuilleton, désormais « dépossédés ». Le Point insiste sur l’aspect « populaire » de la série et relève qu’elle « a aussi suscité la polémique en montrant comment rouler un joint, l’utilisation de poppers ou en parlant de gestation pour autrui (illégale en France) sous un jour trop favorable pour certains ». Les certains se reconnaîtront. En des termes identiques, France Bleu et le Huffington Post qualifient la série de « miroir de notre société ». L’Obs détaille même que « toutes les couches de la population y sont représentées », diversité que tempère la sociologue Murielle Mille dans Les Échos : « On voit beaucoup de journalistes, de médecins, d’enseignants, d’avocats, mais peu d’ouvriers, même si on compte un serveur ou encore une esthéticienne parmi les personnages principaux. Les scénaristes français éprouvent encore des difficultés à penser la variété des milieux populaires ».
Le quotidien La Provence, quant à lui, va plus loin en affirmant que l’arrêt de la série, un spot de pub gratuit pour la région, constitue « un moment historique ». Et on le comprend sans peine.
Outre-Atlantique, le vénérable Washington Post, propriété de Jeff Bezos, salue le « soap opéra » français qui aurait « conquis les cœurs et fait évoluer les mentalités ».
Seul l’hebdomadaire Marianne joue des notes dissonantes dans ce concert de louanges en publiant un « Pour ou contre : faut-il en finir avec le feuilleton “Plus Belle La Vie” ? ». Jugez plutôt :
« La réalisation ? Elle consiste à poser une caméra face aux acteurs, sans plus d’ambition. Le scénario ? La recette du plat du jour est simple ; prenez un arc narratif principal, un arc secondaire, un arc humoristique et un bon cliffhanger, mélangez le tout et servez. Le propos ? Un robinet d’eau tiède. Les bons sentiments, la tolérance et la rédemption gagnent toujours à la fin. Ne parlons pas de direction des acteurs ou du jeu de ces derniers… ». Poubelle la vie en sorte, sans regrets.
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