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Polémique à la BBC : victoire de la gauche bien-pensante ou arrêt de mort de la redevance ?

21 mars 2023

Temps de lecture : 11 minutes
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Polémique à la BBC : victoire de la gauche bien-pensante ou arrêt de mort de la redevance ?

Temps de lecture : 11 minutes

Le débat au Royaume-Uni sur la partialité de la BBC en faveur des idéologies progressistes n’est pas nouveau. De même que la question de savoir si les citoyens détenteurs d’un téléviseur acheté légalement avec leur propre argent doivent être contraints de payer une redevance de 159 £/an pour financer le discours gauchisant des journalistes du groupe public de télévision et de radio.

Gary Linkener contre opinion publique : 1–0

Le recul de la chaîne face à son com­men­ta­teur sportif vedette Gary Linek­er, ancien avant-cen­tre de l’équipe d’Angleterre et per­son­nage le mieux payé de la BBC (1,3 mil­lions de livres ster­ling par an, financés avec la rede­vance oblig­a­toire), va prob­a­ble­ment affecter l’effort entre­pris pour impos­er un sem­blant d’impartialité, et en ce sens c’est une vic­toire de la gauche bien-pensante.

Enfreignant la poli­tique mise en place par la chaîne en 2020 pour réguler l’utilisation des réseaux soci­aux par les jour­nal­istes et autres stars de la BBC, l’ancien joueur de foot aujourd’hui âgé de 62 ans avait en effet tweeté le 7 mars son avis sur un pro­jet de loi du gou­verne­ment de Rishi Sunak con­cer­nant l’immigration illé­gale, en com­para­nt la propo­si­tion des tories à ce qui se fai­sait dans l’Allemagne des années 1930… Le compte de Linek­er est suivi par 8,6 mil­lions de per­son­nes qui avaient donc pu lire :

« Il n’y a pas d’afflux mas­sif. Nous accueil­lons beau­coup moins de réfugiés que les autres grands pays européens. Il s’agit sim­ple­ment d’une poli­tique extrême­ment cru­elle qui vise les per­son­nes les plus vul­nérables dans un lan­gage qui n’est pas très dif­férent de celui util­isé par l’Allemagne dans les années 30… »

Immigrants Out !

Le pro­jet de loi en ques­tion, porté par la min­istre de l’Intérieur Suel­la Braver­man, prévoit que les immi­grants qui tra­versent la Manche pour entr­er illé­gale­ment en Grande-Bre­tagne ne pour­ront pas y deman­der l’asile et ne pour­ront jamais obtenir la nation­al­ité bri­tan­nique. Ils fer­ont automa­tique­ment l’objet d’un ordre de rap­a­triement ou, si ce n’est pas pos­si­ble, d’expulsion vers un pays comme le Rwan­da avec lequel Lon­dres a signé un accord en ce sens. C’est une poli­tique qui s’inspire directe­ment de celle mise en œuvre avec suc­cès par l’Australie au cours de la décen­nie précé­dente et c’est une pre­mière en Europe. Le but est bien évidem­ment de cass­er pour de vrai le « busi­ness mod­el » des passeurs en décourageant en amont les can­di­dats à la traversée.

En 2020, le nou­veau directeur général du groupe audio­vi­suel pub­lic, Tim Davie, avait décidé de mieux soign­er l’image d’impartialité de la BBC en élab­o­rant une poli­tique de la chaîne lim­i­tant ce que les jour­nal­istes, présen­ta­teurs et autres ani­ma­teurs tra­vail­lant à la BBC peu­vent dire sur les médias sociaux.

« Si vous voulez être un chroniqueur d’opinion ou un mil­i­tant par­ti­san sur les médias soci­aux, c’est un choix val­able, mais vous ne devriez pas tra­vailler à la BBC », avait-il alors déclaré lors d’un dis­cours pronon­cé devant le per­son­nel du dif­fuseur pub­lic à Cardiff, en promet­tant que les nou­velles règles en matière de médias soci­aux seraient « rigoureuse­ment appliquées ». « Nous devons de toute urgence défendre l’impartialité et nous y réen­gager », avait-il encore dit, ajoutant que : « À l’ère des fauss­es nou­velles, des cam­pagnes sur les médias soci­aux, des cham­bres d’écho de l’opinion et des médias par­ti­sans bruyants, notre heure est de toute évi­dence venue. »

Contrôle = nazis !

Dans un con­texte de forte polémique politi­co-médi­a­tique sus­citée par le tweet de sa vedette la mieux payée, Tim Davie a par con­séquent réa­gi au tweet engagé – et franche­ment insul­tant vis-à-vis des par­ti­sans du gou­verne­ment con­ser­va­teur et/ou du pro­jet de loi con­tre l’immigration illé­gale, qu’il assim­i­lait en fin de compte à des par­ti­sans de poli­tiques nazies –  en sus­pen­dant sa par­tic­i­pa­tion au « Match Of The Day » (Le match de la journée) du same­di soir, une émis­sion qu’il ani­me depuis la fin du siè­cle dernier.

Same­di 11 mars 2023, l’émission présen­tait donc un con­den­sé des meilleurs moments des matchs de la journée sans aucun com­men­taire, car les autres com­men­ta­teurs sportifs de la BBC avaient décidé, par sol­i­dar­ité avec Linaker, de sus­pendre eux-mêmes leur pro­pre par­tic­i­pa­tion aux émis­sions de la télévi­sion publique, ce qui a égale­ment com­pro­mis d’autres émis­sions sportives du week-end.

Deux jours plus tard, après des dis­cus­sions entre Tim Davie et Gary Linaker, c’est donc la direc­tion de la BBC qui rec­u­lait en réin­té­grant le com­men­ta­teur qui jouit à la BBC d’un statut de « free­lance » et qui a le priv­ilège, con­traire­ment à la plu­part de ses col­lègues, d’être autorisé à tra­vailler aus­si pour d’autres médias pour « arrondir » ses fins de mois dorées. Tim Davie a estimé qu’il y avait des zones d’ombre dans la poli­tique actuelle de la BBC et que le tweet de Linaker s’inscrivait juste­ment dans une de ces zones d’ombre. Il a donc été annon­cé qu’une nou­velle poli­tique serait mise au point en ce qui con­cerne l’utilisation des médias soci­aux par le per­son­nel de la BBC et Linaker, mag­nanime, a déclaré soutenir cet effort. Dans un nou­veau tweet pub­lié le même jour, l’ancien attaquant a assuré ses suiveurs que « aus­si dif­fi­ciles qu’aient été les derniers jours, cela n’a tout sim­ple­ment rien à voir avec avoir à quit­ter sa mai­son pour fuir les per­sé­cu­tions et la guerre et trou­ver refuge sur une terre éloignée. Cela réchauffe le cœur de voir l’empathie pour leur sort affichée par tant d’entre vous. Nous restons un pays de gens majori­taire­ment tolérants, accueil­lants et généreux. »

La BBC se couche

Le directeur général de la BBC a de son côté pub­lié les excus­es du groupe de radio-télévi­sion pour les prob­lèmes du week-end par un com­mu­niqué dans lequel il est dit que : « L’impartialité est impor­tante pour la BBC. Elle est égale­ment impor­tante pour le pub­lic. La BBC s’est engagée dans sa charte à respecter l’impartialité et la lib­erté d’expression. Il s’agit d’un équili­bre dif­fi­cile à trou­ver lorsque les per­son­nes sont soumis­es à dif­férents con­trats et occu­pent dif­férentes posi­tions à l’antenne, et lorsqu’elles ont des pro­fils d’audience et de médias soci­aux dif­férents. Les direc­tives de la BBC sur les médias soci­aux sont conçues pour aider à gér­er ces défis par­fois dif­fi­ciles et je suis con­scient qu’il est néces­saire de s’assurer qu’elles sont à la hau­teur de cette tâche. Elles doivent être claires, pro­por­tion­nées et appro­priées. En con­séquence, nous annonçons un exa­m­en mené par un expert indépen­dant – qui ren­dra compte à la BBC – sur ces direc­tives exis­tantes en matière de médias soci­aux, avec un accent par­ti­c­uli­er sur la façon dont elles s’appliquent aux free­lances en dehors des actu­al­ités et des affaires courantes. La BBC et moi-même savons que Gary est en faveur d’une telle révi­sion. »

Il y a un point sur lequel tout le monde sem­ble s’accorder dans le monde médi­a­tique bri­tan­nique : il s’agit d’un recul en règle du directeur général de la BBC qui en ressort affaib­li, alors que le prési­dent du groupe pub­lic, Richard Sharp, est lui-même au cen­tre d’un scan­dale. Il aurait en effet aidé l’ancien pre­mier min­istre Boris John­son à obtenir un prêt de 800.000 £. Autre sujet de polémique, Sharp a été nom­mé à son poste alors qu’il était un dona­teur du Par­ti con­ser­va­teur (Tim Davie, de son côté était un can­di­dat du Par­ti con­ser­va­teur, dont il était mem­bre, dans les années 1990).

La doxa libérale victorieuse

À gauche, on se réjouit bien enten­du de ce recul, perçu comme une vic­toire de la lib­erté d’expression au sein d’une BBC désor­mais dirigée par des gens proches du Par­ti conservateur.

C’est ain­si que le Guardian, jour­nal de gauche ouverte­ment favor­able aux Tra­vail­listes, écrivait lun­di dans son édi­to­r­i­al du jour inti­t­ulé « L’opinion du Guardian sur Gary Linek­er : le retour de la dis­si­dence libérale sans com­plexe » (« libéral » sig­nifi­ant, dans le monde anglo-sax­on, pro­gres­siste / de gauche) :

« Une bonne par­tie de ce que M. Linek­er a dit n’était pas nou­veau, mais une telle dis­si­dence libérale sans com­plexe de la part d’une per­son­nal­ité pop­u­laire man­quait dans le dis­cours poli­tique. Cela s’explique en par­tie par le fait que le par­ti tra­vail­liste n’a pas eu le courage moral de dire ce qu’il fal­lait. M. Linek­er doit être félic­ité pour avoir poussé l’opposition à agir. Le pub­lic se rend compte de la dan­gereuse incom­pé­tence du gou­verne­ment con­ser­va­teur. Le nom­bre de per­son­nes nom­mées à la BBC en récom­pense de leur sou­tien aux con­ser­va­teurs com­mence à pos­er prob­lème. »

La redevance, pourquoi ?

À l’inverse, dans l’éditorial du lun­di du Tele­graph, jour­nal ouverte­ment favor­able au Par­ti con­ser­va­teur, et même plutôt à son aile droite plus libérale-con­ser­va­trice (libérale au sens économique et mod­éré­ment con­ser­va­trice au sens socié­tal), on pou­vait lire sous le titre « La rede­vance est désor­mais un anachro­nisme » :

« Lorsqu’il a pris ses fonc­tions, M. Davie était par­faite­ment con­scient qu’un sys­tème cen­te­naire de finance­ment du dif­fuseur par une taxe imposée était anachronique à l’ère de Net­flix, d’Amazon et de la dif­fu­sion en con­tinu. C’est cela, et cela seule­ment, qui rend la BBC unique : sa capac­ité de col­lecter près de 4 mil­liards de livres ster­ling par an en faisant pay­er des gens qui, pour la plu­part, ne la regar­dent jamais. Pour que cela soit jus­ti­fié, il faut qu’elle plaise à tout le monde. À cette fin, Match of the Day est pour beau­coup le pro­gramme uni­versel qui fait que la rede­vance vaut la peine d’être payée, et c’est pourquoi sa per­tur­ba­tion a con­traint M. Davie à céder. La plu­part des employés de la BBC com­pren­nent la men­ace exis­ten­tielle qui pèse sur la chaîne, mais des présen­ta­teurs célèbres comme Linek­er sem­blent penser qu’ils sont trop impor­tants pour s’en préoc­cu­per. Les défenseurs de la rede­vance affir­ment qu’elle représente un bon rap­port qual­ité-prix, mais elle garan­tit égale­ment un revenu que la BBC dépense pour des pro­grammes qu’elle ne devrait pas pro­duire pour con­cur­rencer les dif­fuseurs com­mer­ci­aux et les dif­fuseurs par abon­nement. Pourquoi la BBC devrait-elle dif­fuser du foot­ball alors que les fans sont si bien servis par d’autres chaînes ? C’est peut-être une vic­toire pour Linek­er, mais elle pour­rait s’avérer être une vic­toire à la Pyrrhus. »

Car le dis­cours qui est tenu dans les médias de droite du roy­aume, c’est que si la lib­erté d’expression de Linek­er et con­sorts doit être respec­tée, les gens ne doivent pas être for­cés de financer le groupe médi­a­tique qui les paye grasse­ment en entre­tenant leur célébrité. Et d’ailleurs, remar­quent des médias comme le jour­nal Tele­graph et la télévi­sion « anti-woke » GB News, le « Match of the Day » de same­di dernier avait un demi-mil­lion de téléspec­ta­teurs de plus que d’habitude alors qu’il était privé de tout com­men­ta­teur. Il y aurait donc peut-être là une impor­tante source poten­tielle d’économies pour le con­tribuable rel­e­vait-on cynique­ment mar­di sur GB News

Qui paye pour qui ?

« Le prob­lème con­cerne la BBC plutôt que le point de vue de Gary Linek­er », a fait remar­quer Jacob Rees-Mogg, député con­ser­va­teur, ancien min­istre des gou­verne­ments de Boris John­son et Liz Truss et depuis peu ani­ma­teur d’une émis­sion sur la chaîne privée GB News.  « Il a le droit d’avoir le point de vue qu’il veut. Nous sommes tous favor­ables à la lib­erté d’expression et au fait que les gens puis­sent dire des choses avec lesquelles nous ne sommes pas d’accord ou que nous pou­vons même trou­ver offen­santes. Et c’est tout à fait nor­mal. Le prob­lème, c’est que la BBC est le dif­fuseur pub­lic et qu’elle est financée par une taxe sur les téléviseurs. Si ce n’était pas le cas, nous n’aurions pas à nous inquiéter de son impar­tial­ité et, en fait, si nous chan­gions le mécan­isme de finance­ment de la BBC, nous pour­rions avoir des médias beau­coup plus libres, comme c’est le cas aux États-Unis, où les gens sont autorisés à dire ce qu’ils pensent. Je suis d’avis que ce serait bien mieux que de pré­ten­dre que la BBC est impar­tiale, ce qui n’est pas le cas, et d’avoir ensuite des querelles sur les opin­ions de cer­tains présen­ta­teurs. »

Jacob Rees Mogg est en pointe au Par­ti con­ser­va­teur pour deman­der la fin de la rede­vance audio­vi­suelle au Royaume-Uni.

Tout ceci alors que le Times nous apprend que la déci­sion de faire revenir Linek­er sans rien exiger de lui en retour fait aus­si des mécon­tents au sein du per­son­nel de la BBC. « Lors d’une réu­nion avec la direc­trice de BBC Sport, Bar­bara Slater, hier, le per­son­nel a ouverte­ment attaqué la façon dont le dif­fuseur a géré cette affaire », pou­vait-on lire le mar­di 14 mars sur le site de GB News qui citait juste­ment le Times. « Cer­tains ont exigé des répons­es sur les raisons pour lesquelles la direc­tion avait capit­ulé devant Linek­er et pourquoi Match of the Day ne pou­vait pas con­tin­uer sans lui. D’autres se sont plaints du manque de cohérence dans la mise en œuvre des règles d’impartialité et du fait que l’ancien foot­balleur anglais sem­blait être autorisé à ignor­er les direc­tives rel­a­tives aux médias soci­aux. »

Et notre financement public en France ?

On dirait que cer­taines per­son­nes, au sein-même de la BBC, ont com­pris que Linek­er, par son com­porte­ment, avait peut-être bien signé l’arrêt de mort de la rede­vance audio­vi­suelle au Roy­aume-Uni. À quand un grand débat nation­al de ce type de notre côté de la Manche, en ce qui con­cerne la rede­vance et le manque d’impartialité des jour­nal­istes et autres présen­ta­teurs et ani­ma­teurs de l’audiovisuel public ?

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