Le débat au Royaume-Uni sur la partialité de la BBC en faveur des idéologies progressistes n’est pas nouveau. De même que la question de savoir si les citoyens détenteurs d’un téléviseur acheté légalement avec leur propre argent doivent être contraints de payer une redevance de 159 £/an pour financer le discours gauchisant des journalistes du groupe public de télévision et de radio.
Gary Linkener contre opinion publique : 1–0
Le recul de la chaîne face à son commentateur sportif vedette Gary Lineker, ancien avant-centre de l’équipe d’Angleterre et personnage le mieux payé de la BBC (1,3 millions de livres sterling par an, financés avec la redevance obligatoire), va probablement affecter l’effort entrepris pour imposer un semblant d’impartialité, et en ce sens c’est une victoire de la gauche bien-pensante.
Enfreignant la politique mise en place par la chaîne en 2020 pour réguler l’utilisation des réseaux sociaux par les journalistes et autres stars de la BBC, l’ancien joueur de foot aujourd’hui âgé de 62 ans avait en effet tweeté le 7 mars son avis sur un projet de loi du gouvernement de Rishi Sunak concernant l’immigration illégale, en comparant la proposition des tories à ce qui se faisait dans l’Allemagne des années 1930… Le compte de Lineker est suivi par 8,6 millions de personnes qui avaient donc pu lire :
« Il n’y a pas d’afflux massif. Nous accueillons beaucoup moins de réfugiés que les autres grands pays européens. Il s’agit simplement d’une politique extrêmement cruelle qui vise les personnes les plus vulnérables dans un langage qui n’est pas très différent de celui utilisé par l’Allemagne dans les années 30… »
Immigrants Out !
Le projet de loi en question, porté par la ministre de l’Intérieur Suella Braverman, prévoit que les immigrants qui traversent la Manche pour entrer illégalement en Grande-Bretagne ne pourront pas y demander l’asile et ne pourront jamais obtenir la nationalité britannique. Ils feront automatiquement l’objet d’un ordre de rapatriement ou, si ce n’est pas possible, d’expulsion vers un pays comme le Rwanda avec lequel Londres a signé un accord en ce sens. C’est une politique qui s’inspire directement de celle mise en œuvre avec succès par l’Australie au cours de la décennie précédente et c’est une première en Europe. Le but est bien évidemment de casser pour de vrai le « business model » des passeurs en décourageant en amont les candidats à la traversée.
En 2020, le nouveau directeur général du groupe audiovisuel public, Tim Davie, avait décidé de mieux soigner l’image d’impartialité de la BBC en élaborant une politique de la chaîne limitant ce que les journalistes, présentateurs et autres animateurs travaillant à la BBC peuvent dire sur les médias sociaux.
« Si vous voulez être un chroniqueur d’opinion ou un militant partisan sur les médias sociaux, c’est un choix valable, mais vous ne devriez pas travailler à la BBC », avait-il alors déclaré lors d’un discours prononcé devant le personnel du diffuseur public à Cardiff, en promettant que les nouvelles règles en matière de médias sociaux seraient « rigoureusement appliquées ». « Nous devons de toute urgence défendre l’impartialité et nous y réengager », avait-il encore dit, ajoutant que : « À l’ère des fausses nouvelles, des campagnes sur les médias sociaux, des chambres d’écho de l’opinion et des médias partisans bruyants, notre heure est de toute évidence venue. »
Contrôle = nazis !
Dans un contexte de forte polémique politico-médiatique suscitée par le tweet de sa vedette la mieux payée, Tim Davie a par conséquent réagi au tweet engagé – et franchement insultant vis-à-vis des partisans du gouvernement conservateur et/ou du projet de loi contre l’immigration illégale, qu’il assimilait en fin de compte à des partisans de politiques nazies – en suspendant sa participation au « Match Of The Day » (Le match de la journée) du samedi soir, une émission qu’il anime depuis la fin du siècle dernier.
Samedi 11 mars 2023, l’émission présentait donc un condensé des meilleurs moments des matchs de la journée sans aucun commentaire, car les autres commentateurs sportifs de la BBC avaient décidé, par solidarité avec Linaker, de suspendre eux-mêmes leur propre participation aux émissions de la télévision publique, ce qui a également compromis d’autres émissions sportives du week-end.
Deux jours plus tard, après des discussions entre Tim Davie et Gary Linaker, c’est donc la direction de la BBC qui reculait en réintégrant le commentateur qui jouit à la BBC d’un statut de « freelance » et qui a le privilège, contrairement à la plupart de ses collègues, d’être autorisé à travailler aussi pour d’autres médias pour « arrondir » ses fins de mois dorées. Tim Davie a estimé qu’il y avait des zones d’ombre dans la politique actuelle de la BBC et que le tweet de Linaker s’inscrivait justement dans une de ces zones d’ombre. Il a donc été annoncé qu’une nouvelle politique serait mise au point en ce qui concerne l’utilisation des médias sociaux par le personnel de la BBC et Linaker, magnanime, a déclaré soutenir cet effort. Dans un nouveau tweet publié le même jour, l’ancien attaquant a assuré ses suiveurs que « aussi difficiles qu’aient été les derniers jours, cela n’a tout simplement rien à voir avec avoir à quitter sa maison pour fuir les persécutions et la guerre et trouver refuge sur une terre éloignée. Cela réchauffe le cœur de voir l’empathie pour leur sort affichée par tant d’entre vous. Nous restons un pays de gens majoritairement tolérants, accueillants et généreux. »
La BBC se couche
Le directeur général de la BBC a de son côté publié les excuses du groupe de radio-télévision pour les problèmes du week-end par un communiqué dans lequel il est dit que : « L’impartialité est importante pour la BBC. Elle est également importante pour le public. La BBC s’est engagée dans sa charte à respecter l’impartialité et la liberté d’expression. Il s’agit d’un équilibre difficile à trouver lorsque les personnes sont soumises à différents contrats et occupent différentes positions à l’antenne, et lorsqu’elles ont des profils d’audience et de médias sociaux différents. Les directives de la BBC sur les médias sociaux sont conçues pour aider à gérer ces défis parfois difficiles et je suis conscient qu’il est nécessaire de s’assurer qu’elles sont à la hauteur de cette tâche. Elles doivent être claires, proportionnées et appropriées. En conséquence, nous annonçons un examen mené par un expert indépendant – qui rendra compte à la BBC – sur ces directives existantes en matière de médias sociaux, avec un accent particulier sur la façon dont elles s’appliquent aux freelances en dehors des actualités et des affaires courantes. La BBC et moi-même savons que Gary est en faveur d’une telle révision. »
Il y a un point sur lequel tout le monde semble s’accorder dans le monde médiatique britannique : il s’agit d’un recul en règle du directeur général de la BBC qui en ressort affaibli, alors que le président du groupe public, Richard Sharp, est lui-même au centre d’un scandale. Il aurait en effet aidé l’ancien premier ministre Boris Johnson à obtenir un prêt de 800.000 £. Autre sujet de polémique, Sharp a été nommé à son poste alors qu’il était un donateur du Parti conservateur (Tim Davie, de son côté était un candidat du Parti conservateur, dont il était membre, dans les années 1990).
La doxa libérale victorieuse
À gauche, on se réjouit bien entendu de ce recul, perçu comme une victoire de la liberté d’expression au sein d’une BBC désormais dirigée par des gens proches du Parti conservateur.
C’est ainsi que le Guardian, journal de gauche ouvertement favorable aux Travaillistes, écrivait lundi dans son éditorial du jour intitulé « L’opinion du Guardian sur Gary Lineker : le retour de la dissidence libérale sans complexe » (« libéral » signifiant, dans le monde anglo-saxon, progressiste / de gauche) :
« Une bonne partie de ce que M. Lineker a dit n’était pas nouveau, mais une telle dissidence libérale sans complexe de la part d’une personnalité populaire manquait dans le discours politique. Cela s’explique en partie par le fait que le parti travailliste n’a pas eu le courage moral de dire ce qu’il fallait. M. Lineker doit être félicité pour avoir poussé l’opposition à agir. Le public se rend compte de la dangereuse incompétence du gouvernement conservateur. Le nombre de personnes nommées à la BBC en récompense de leur soutien aux conservateurs commence à poser problème. »
La redevance, pourquoi ?
À l’inverse, dans l’éditorial du lundi du Telegraph, journal ouvertement favorable au Parti conservateur, et même plutôt à son aile droite plus libérale-conservatrice (libérale au sens économique et modérément conservatrice au sens sociétal), on pouvait lire sous le titre « La redevance est désormais un anachronisme » :
« Lorsqu’il a pris ses fonctions, M. Davie était parfaitement conscient qu’un système centenaire de financement du diffuseur par une taxe imposée était anachronique à l’ère de Netflix, d’Amazon et de la diffusion en continu. C’est cela, et cela seulement, qui rend la BBC unique : sa capacité de collecter près de 4 milliards de livres sterling par an en faisant payer des gens qui, pour la plupart, ne la regardent jamais. Pour que cela soit justifié, il faut qu’elle plaise à tout le monde. À cette fin, Match of the Day est pour beaucoup le programme universel qui fait que la redevance vaut la peine d’être payée, et c’est pourquoi sa perturbation a contraint M. Davie à céder. La plupart des employés de la BBC comprennent la menace existentielle qui pèse sur la chaîne, mais des présentateurs célèbres comme Lineker semblent penser qu’ils sont trop importants pour s’en préoccuper. Les défenseurs de la redevance affirment qu’elle représente un bon rapport qualité-prix, mais elle garantit également un revenu que la BBC dépense pour des programmes qu’elle ne devrait pas produire pour concurrencer les diffuseurs commerciaux et les diffuseurs par abonnement. Pourquoi la BBC devrait-elle diffuser du football alors que les fans sont si bien servis par d’autres chaînes ? C’est peut-être une victoire pour Lineker, mais elle pourrait s’avérer être une victoire à la Pyrrhus. »
Car le discours qui est tenu dans les médias de droite du royaume, c’est que si la liberté d’expression de Lineker et consorts doit être respectée, les gens ne doivent pas être forcés de financer le groupe médiatique qui les paye grassement en entretenant leur célébrité. Et d’ailleurs, remarquent des médias comme le journal Telegraph et la télévision « anti-woke » GB News, le « Match of the Day » de samedi dernier avait un demi-million de téléspectateurs de plus que d’habitude alors qu’il était privé de tout commentateur. Il y aurait donc peut-être là une importante source potentielle d’économies pour le contribuable relevait-on cyniquement mardi sur GB News…
Qui paye pour qui ?
« Le problème concerne la BBC plutôt que le point de vue de Gary Lineker », a fait remarquer Jacob Rees-Mogg, député conservateur, ancien ministre des gouvernements de Boris Johnson et Liz Truss et depuis peu animateur d’une émission sur la chaîne privée GB News. « Il a le droit d’avoir le point de vue qu’il veut. Nous sommes tous favorables à la liberté d’expression et au fait que les gens puissent dire des choses avec lesquelles nous ne sommes pas d’accord ou que nous pouvons même trouver offensantes. Et c’est tout à fait normal. Le problème, c’est que la BBC est le diffuseur public et qu’elle est financée par une taxe sur les téléviseurs. Si ce n’était pas le cas, nous n’aurions pas à nous inquiéter de son impartialité et, en fait, si nous changions le mécanisme de financement de la BBC, nous pourrions avoir des médias beaucoup plus libres, comme c’est le cas aux États-Unis, où les gens sont autorisés à dire ce qu’ils pensent. Je suis d’avis que ce serait bien mieux que de prétendre que la BBC est impartiale, ce qui n’est pas le cas, et d’avoir ensuite des querelles sur les opinions de certains présentateurs. »
Jacob Rees Mogg est en pointe au Parti conservateur pour demander la fin de la redevance audiovisuelle au Royaume-Uni.
Tout ceci alors que le Times nous apprend que la décision de faire revenir Lineker sans rien exiger de lui en retour fait aussi des mécontents au sein du personnel de la BBC. « Lors d’une réunion avec la directrice de BBC Sport, Barbara Slater, hier, le personnel a ouvertement attaqué la façon dont le diffuseur a géré cette affaire », pouvait-on lire le mardi 14 mars sur le site de GB News qui citait justement le Times. « Certains ont exigé des réponses sur les raisons pour lesquelles la direction avait capitulé devant Lineker et pourquoi Match of the Day ne pouvait pas continuer sans lui. D’autres se sont plaints du manque de cohérence dans la mise en œuvre des règles d’impartialité et du fait que l’ancien footballeur anglais semblait être autorisé à ignorer les directives relatives aux médias sociaux. »
Et notre financement public en France ?
On dirait que certaines personnes, au sein-même de la BBC, ont compris que Lineker, par son comportement, avait peut-être bien signé l’arrêt de mort de la redevance audiovisuelle au Royaume-Uni. À quand un grand débat national de ce type de notre côté de la Manche, en ce qui concerne la redevance et le manque d’impartialité des journalistes et autres présentateurs et animateurs de l’audiovisuel public ?