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Polémique : une presse française ou le chemin de Damas de la dhimmitude

12 janvier 2025

Temps de lecture : 6 minutes
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Polémique : une presse française ou le chemin de Damas de la dhimmitude

Temps de lecture : 6 minutes

« Ce devant quoi une société se prosterne nous dit ce qu’elle est », disait Philippe Muray.

Et nous assistons, ces derniers jours, à un véritable festival de soumission, au sens houellebecquien du terme. Pour ainsi dire un itinéraire à peine voilé – sans mauvais jeu de mots – de dhimmitude. C’est Le Parisien qui titre : « Chute d’al-Assad en Syrie : “HTC reste un groupe islamiste dur et rigoriste, mais il n’est plus djihadiste” ». C’est aussi Alexandra Schwartzbrod, directrice déléguée du journal Libération qui déclare, à propos d’un risque d’afflux migratoire en provenance de la Syrie : « Il faut arrêter avec ce fantasme de la submersion migratoire, c’est insensé […] des millions de Syriens se bousculent pour rentrer en Syrie. » Hypothèse d’ailleurs démentie par Le Parisien, qui donne la parole aux réfugiés syriens en France : « On a réorganisé toute notre vie en France, on reste ici. »

Mohammed al-Golani, un « radical pragmatique »

Mohammed al-Golani, « sec­ond émir » de l’Hay’at Tahrir al-Sham (HTS) ou « Organ­i­sa­tion pour la libéra­tion du Lev­ant », créée en 2017, organ­i­sa­tion ter­ror­iste selon de nom­breux ser­vices, notam­ment améri­cains, est dépeint comme un « rad­i­cal prag­ma­tique » par le Parisien. Pour rap­pel, ce jour­nal avait abon­dam­ment plaidé en faveur du « front répub­li­cain » lors des dernières lég­isla­tives. Faut-il en con­clure qu’un islamiste rad­i­cal peut béné­fici­er d’une cam­pagne de dédi­a­boli­sa­tion de la part de ce jour­nal, tan­dis qu’une Marine le Pen, reste can­ton­née aux amal­games avec les « heures les plus som­bres de notre histoire » ?

Distribution de pain et bisous

Joseph Con­favreux, jour­nal­iste chez Medi­a­part sonne la fin de la par­tie en sig­nant une tri­bune déclamatoire :

« Lais­sez-nous tran­quilles un an et vous ver­rez advenir une Syrie unie et démocratique »

Nous avons vu ce qu’il est advenu en Libye… La palme revient tout de même au jour­nal Libéra­tion, avec cette une effarante, digne d’Al-Jazeera : À Alep, « tu ver­rais tout le pain qu’ils dis­tribuent, il y en a partout dans les rues ». Une habi­tante s’émerveille des trans­for­ma­tions rad­i­cales lancées en quelques jours par les nou­veaux maîtres de la cité. Témoignage… » Comme le fait observ­er François-Xavier Con­soli dans son arti­cle paru dans Élé­ments :

« Mal­gré les mines réjouies de nom­breux obser­va­teurs et jour­nal­istes occi­den­taux, la fin du pou­voir de Bachar el-Assad ressem­ble plus à un nou­v­el acte d’une mau­vaise pièce de théâtre géopolitique. »

Mise au point de Pierre Manent

Tous ces jour­naux n’ont évidem­ment élevé aucune protes­ta­tion con­tre la véri­ta­ble fat­wa dirigée con­tre Pierre Manent pour ses pro­pos sur le nom­bre de musul­mans qu’il serait dan­gereux de voir croître indéfin­i­ment, notam­ment pour le main­tien des valeurs démoc­ra­tiques et la faib­lesse de la seule laïc­ité comme principe du lien social. Mais ces valeurs sem­blent bien moins ent­hou­si­as­mer nos jour­nal­istes que l’is­lamisme rad­i­cal. Les déc­la­ra­tions en cause de Pierre Manent sont les suivantes :

« La pres­sion est telle qu’il faut pren­dre des déci­sions con­cer­nant le nom­bre de musul­mans en Europe. Il ne peut pas croître au rythme actuel sinon nous irons au-devant de drames qu’aucune ver­sion de la laïc­ité ne per­me­t­tra de maîtriser ».

Dans la lignée de Tocqueville

On s’est large­ment offusqué qu’un héri­ti­er de la pen­sée libérale, élève et dis­ci­ple du philosophe Ray­mond Aron, spé­cial­iste d’Alex­is de Toc­queville, puisse vers­er à ce point dans « l’is­lam­o­pho­bie », alors que ses prédécesseurs n’é­taient pas en reste dans ce domaine. En effet, Toc­queville, dans une let­tre à Gob­ineau datée de 1843, a écrit : « Il y a eu dans le monde, à tout pren­dre, peu de reli­gions aus­si funestes aux hommes que celle de Mahomet. Elle est, à mon sens, la prin­ci­pale cause de la déca­dence aujour­d’hui si vis­i­ble du monde musul­man. » Quant à Ray­mond Aron, il écrivait dans La Tragédie algéri­enne, en 1957 :

« Le taux de crois­sance démo­graphique est trop dif­férent des deux côtés de la Méditer­ranée pour que ces deux peu­ples, de race et de reli­gion dif­férentes, puis­sent être frac­tion d’une même communauté. »

Ode au Ramadan

Le Parisien s’est égale­ment fendu d’un arti­cle lit­térale­ment con­fes­sion­nel : « Ramadan 2025 : dates, règles, tra­di­tions… Tout ce qu’il faut savoir sur le mois de jeûne. » Et quand on fait une recherche con­cer­nant le carême sur le réseau où le jour­nal partage cet arti­cle, on fait face à un mur, très éton­nam­ment : « Aucun résul­tat pour from @le-Parisien carême ».

Soumission de Houellebecq dépassé

Quand je lis cette presse, mûre pour le cal­i­fat, je songe forte­ment à Karl Kraus (1874–1936), écrivain autrichien, con­nu pour sa croisade con­tre le jour­nal­isme, qui for­mu­lait son pro­gramme avec netteté :

« Je m’adresse sans illu­sions, dis­ait-il, aux imbé­ciles de mon temps mais aus­si aux imbé­ciles à venir. »

Je songe égale­ment au roman d’Houelle­becq, Soumis­sion, qui était bien en-deça de la réal­ité, puisqu’il prévoy­ait l’émer­gence d’un pou­voir poli­tique musul­man mod­éré. Or, nos élites jour­nal­is­tiques, après tout le battage loin­tain de Je suis Char­lie, risquent de don­ner leur préférence à une ver­sion moins agréable de notre cauchemar futur. Et, enfin, réson­nent en moi ces mots de Kierkegaard : «Il arri­va que le feu prît dans les couliss­es d’un théâtre. Le bouf­fon vint en aver­tir le pub­lic. On pen­sa qu’il fai­sait de l’esprit et on applau­dit : il insista ; on rit de plus belle. C’est ain­si, je pense, que péri­ra le monde : dans la joie générale des gens spir­ituels qui croiront à une farce. »

Les bêtes et leur maître

Est-ce bêtise ou lâcheté ou un com­posé des deux ? La bêtise a essaimé depuis qu’elle est apparu sur notre mir­i­fique globe. Elle s’est mise à migr­er, à engloutir, à for­clore, à tout cir­con­scrire. La bêtise, le con­formisme, la sclérose et l’a­t­ro­phie men­tale, la gan­grène de l’an­i­mal-machine, le lan­gage empa­que­té, stan­dard­isé, cal­i­bré, sont autant de flux de néant à l’hori­zon de l’oc­ci­dent. Pourquoi ne se serait-elle pas emparé de tous les vices – la lâcheté – et de toutes les soumis­sions ? Les abrutis sont légion, ils déam­bu­lent, zomb­i­fiés, grouil­lant en pur paître, pat­i­bu­laires et sat­is­faits. Ils déti­en­nent l’avenir, en sont les légataires-con­ces­sion­naires, exclusifs pro­prié­taires. L’hy­pothèse de Musil est sans doute la plus plau­si­ble : « Si la bêtise ne ressem­blait pas à s’y mépren­dre au pro­grès, au tal­ent, à l’e­spoir ou au per­fec­tion­nement, per­son­ne ne voudrait être bête. » Eh bien, à lire nos jour­nal­istes, une seule con­clu­sion s’im­pose : ils désirent ardem­ment l’être… bêtes et ils trou­veront un jour un maître pour les paître…

Jean Mon­talte

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