Les libéraux pro-UE et leurs alliés de gauche et d’extrême gauche qui gouvernent aujourd’hui en Pologne s’étaient fait remarquer dès leur retour aux affaires en décembre 2023 par la manière dont ils avaient repris le contrôle des médias publics : en violant ouvertement la loi et en s’appuyant sur des agences de sécurité privées recrutées pour l’occasion afin d’expulser par la force les dirigeants légitimes de la télévision publique et d’installer à leur place de nouveaux dirigeants.
Imbroglio juridique
Pour sortir de l’imbroglio juridique dans lequel ils avaient plongé les médias publics, le gouvernement de Donald Tusk avait ensuite mis les médias publics en liquidation, en s’appuyant sur le code des sociétés commerciales, arguant que le président de la République Andrzej Duda avait annoncé qu’il mettrait son veto à la loi de financement des médias publics proposée par la nouvelle majorité. Duda expliquait alors qu’il ne pouvait pas signer cette loi dans une situation où les médias publics étaient entre les mains de gens sans légitimité légale pour les diriger.
Dans un premier temps, les tribunaux ont refusé d’inscrire la liquidation des médias publics au Registre judiciaire national (KRS, l’équivalent de notre Registre du Commerce et des Sociétés), avant qu’un tribunal de Varsovie accepte finalement en avril de valider cette inscription. Le ministre de la Culture, Barłomiej Sienkiewicz, a alors triomphé en ces termes sur X :
« La dispute sur la légitimité de la liquidation de l’abomination qu’était la télévision du PiS est terminée. Je remercie tous ceux qui y ont contribué, et à ceux qui ont défendu cette pathologie, je n’ai qu’une chose à dire : le rouleau compresseur ne discute pas avec l’asphalte de la direction à prendre. »
Le ministre de la Culture de Donald Tusk évacué
Sienkiewicz a ensuite démissionné de ses fonctions pour se porter candidat aux élections européennes, et l’opposition conservatrice y voit une opération d’évacuation (qui concerne aussi plusieurs autres ministres, dont celui de l’Intérieur, quelques mois seulement après la formation du gouvernement de Donald Tusk) pour lui assurer l’immunité parlementaire bruxelloise.
La télévision publique devenue libérale libertaire à 100%
« L’abomination qu’était la télévision du PiS » n’est plus en effet : les médias publics polonais ont fait l’objet de grandes purges et s’ils relaient un discours pro-gouvernement et anti-opposition comme c’était le cas sous le PiS, les rôles sont désormais inversés. Sur le plan idéologique aussi, ces médias sont aujourd’hui à fond dans le camp gaucho-libéral, comme l’illustre très bien la décision récente de TVP Poznań, chaîne régionale de la télévision publique, de mettre en place une émission promouvant l’idéologie du genre et l’agenda du lobby LGBT. Une émission confiée à Stonewall, une organisation LGBT d’extrême gauche, et dont la première édition a mis en scène un drag queen venu expliquer aux téléspectateurs qu’il y avait en fait plein de drag queens en Pologne, et que c’était une forme d’expression artistique homosexuelle absolument épatante.
Le Conseil national de la télévision et de la radio, ou KRRiT, organe constitutionnel indépendant chargé de superviser les médias, a passé en revue le principal service d’information de la télévision publique, « 19.30 » (pour 19h30, l’heure des nouvelles du soir sur TVP1, la première chaîne de la télévision publique). Résultat : 13 pages d’observations critiques publiées en avril.
Un exemple d’observation
« Dans les éditions observées du service de 19 h 30 en décembre 2023, contrairement aux services d’information Fakty (TVN) et surtout Wydarzenia (Polsat) et Dzisiaj (TV Republika), il n’y a pas eu de couverture de la prise de contrôle des médias publics par le ministère de la culture et les personnes désignées par le ministre. Les actions illégales que l’opposition reproche à la coalition au pouvoir n’ont pas été montrées. »
Le caractère sélectif et orienté des informations de la télévision publique (qui n’est pas nouveau : c’était pareil sous le PiS et également sous les précédents gouvernements de Donald Tusk) est particulièrement frappant durant les derniers jours de la campagne des élections européennes, avec le scandale de l’arrestation de trois soldats arrêtés par la gendarmerie pour des tirs de sommation en direction d’un groupe de migrants agressifs (personne n’a été blessé dans l’incident) à la frontière avec la Biélorussie. Au même moment, les Polonais apprenaient le décès d’un jeune soldat de 21 ans qui avait été attaqué à l’arme blanche par un migrant dans la même zone. Face à cet événement comme face à d’autres, les médias publics reprennent le narratif déployé par le gouvernement pour se défendre et cherchent maladroitement à reporter les responsabilités sur le précédent gouvernement du PiS.
Voir aussi : TV Republika, dernière chaîne d’info conservatrice en Pologne, attaquée de toutes parts
L’autorité indépendante de contrôle mise en accusation
Quant au KRRiT, l’autorité indépendante des médias, la majorité gaucho-libérale veut traduire son président devant le Tribunal d’État, l’instance chargée de juger les ministres et certains hauts fonctionnaires en cas de faits particulièrement graves dans l’exercice de leurs fonctions. Un tribunal dont les juges sont élus à la majorité simple par la Diète (la chambre basse du parlement polonais), et qui est donc aujourd’hui entre les mains de cette même majorité.
Dans la demande de Tribunal d’Etat pour Maciej Świrski, le président du KRRiT, soumise en mai à la Diète par le ministre Sienkiewicz, il est reproché au chef de l’autorité des médias son refus de verser l’argent de la redevance aux médias publics. Depuis le début de l’année, cet argent est en effet versé sur un compte de dépôt judiciaire. Le KRRiT, par une résolution du 7 février 2024, a en effet mis en place un mécanisme permettant aux entreprises de médias publics en liquidation de percevoir le produit de la redevance, mais uniquement sur décision d’un juge, en raison des gros doutes sur la légitimité de la direction actuelle de ces médias.
« Le président du KRRiT, qui est tenu par cette résolution, a transféré les fonds provenant du produit de la redevance à chacune des sociétés [des médias publics] sur des comptes de dépôt détenus par le ministre des Finances pour les tribunaux compétents pour chacune desdites sociétés. Sur ces comptes, ces sociétés peuvent, à leur demande et après décision de justice, retirer les sommes déposées. Tout cela se fait conformément à la réglementation et dans le respect de l’ordre juridique de la République de Pologne », a écrit Maciej Świrski dans un communiqué daté du 23 mars.
Le 16 mai, le Parquet, dont le gouvernement de Donald Tusk a pris le contrôle avec des méthodes assez similaires à celles utilisée pour s’emparer des médias publics, a ouvert une enquête contre le président du KRRiT à ce titre.
Difficultés financières
Mais en attendant, les médias publics polonais sont en grande difficulté financière. Fin mai, les antennes régionales de la radio publique lançaient une campagne d’appels émis plusieurs fois par jour où il est dit : « Le manque d’argent est en train de nous tuer. Depuis le début de l’année, le Conseil national de la radio et de la télévision de Maciej Świrski ne reverse pas aux radios régionales la redevance due. C’est votre argent, grâce auquel la mission du service public est réalisée ! Le Conseil national de la radiodiffusion nuit aux stations de radio et aux auditeurs ! Sans cet argent, nous ne serons plus là… pour vous ! »
Il semblerait donc que ce putsch inédit des libéraux pro-UE polonais sur leurs médias publics soit tombé sur un os. Mais ils ont quand même des raisons de se réjouir : dans le classement mondial de la liberté de la presse publié chaque année par Reporters sans frontières (la police de la pensée des médias), la Pologne a gagné dix places entre 2023 et 2024, passant de la 57e place mondiale à la 47e place. Le jour où le gouvernement français fermera CNews ou en prendra le contrôle par la force, sans doute la France, aujourd’hui 21e, grimpera-t-elle aussi d’une dizaine de places dans le classement de RSF.
Voir aussi : Un dossier sur RSF et un appel à nos lecteurs