Non, la liberté de la presse n’est pas menacée aujourd’hui en Pologne. Elle l’est même moins qu’avant.
La reprise en main en janvier des médias publics par la nouvelle majorité conservatrice du parti Droit et Justice (PiS) issue des élections du 25 octobre a suscité dans les médias européens et dans les salons bruxellois de nombreuses accusations d’atteintes à la liberté de la presse. Pourtant, cela n’a fait que réintroduire de la diversité médiatique dans le paysage audiovisuel puisque les deux grands groupes de télévision privés ont une ligne résolument européiste, libertaire et très anti-PiS. Sous le gouvernement PO-PSL précédent, toutes les grandes chaînes de télévision parlaient d’une seule voix.
Mais qu’en est-il de la presse écrite ?
Si sous le gouvernement précédent les titres d’opposition conservateurs se plaignaient de ne pas avoir accès à la publicité des administrations publiques mais aussi des entreprises privées craignant de se voir exclues des marchés publics, le marché des quotidiens et hebdomadaires d’actualité nationaux a malgré tout su conserver une diversité de points de vue et une liberté d’expression inconnues en France.
C’est sur le marché des hebdomadaires que la situation est la meilleure. Si l’on s’intéresse aux cinq plus gros hebdomadaires d’actualité, le leader des ventes depuis de nombreuses années, avec généralement quelque 140–150 000 exemplaires vendus, est l’hebdomadaire catholique Gość Niedzielny (« L’Invité du dimanche »), résolument conservateur et pro-vie, propriété du diocèse de Katowice. Mais il est suivi de près par le très libertaire et progressiste (et violemment hostile au PiS) Newsweek Polska (130–140 000 exemplaires vendus), propriété du groupe de presse germano-suisse Ringier Axel Springer. Viennent ensuite des hebdomadaires à capital polonais : le gaucho-libertaire Polityka, qui se vend à environ 120 000 exemplaire, puis deux hebdomadaires conservateurs et pro-vie, qui se vendent à 65–85 000 exemplaires chacun : wSieci, qui soutient fortement le PiS, et Do Rzeczy, libéral-conservateur.
La situation est moins équilibrée sur le marché de la presse quotidienne dominé par le capital allemand et par les titres d’obédience progressiste et libertaire. Le journal « faiseur d’opinion » sur la Pologne à l’étranger, depuis plus de 25 ans, est Gazeta Wyborcza, qui appartient au groupe Agora S.A. à capital polonais. C’est lui qui alimente en informations sur la Pologne la plupart des médias français, à commencer par le journal Le Monde dont il est proche par les liens personnels et par les idées. Même un journal comme La Croix, quand il est interrogé sur ses sources, se réfère à Gazeta Wyborcza. Et quand les journalistes de France Culture préparent une émission de propagande sur la situation de l’État de droit en Pologne, c’est aussi vers les médias d’Agora qu’ils se tournent. Adam Michnik, qu’Arielle Thedrel, du Figaro, qualifie péremptoirement de « conscience morale de la Pologne », est le rédacteur en chef de Gazeta Wyborcza depuis maintenant 28 ans. Sans attendre la victoire des conservateurs du PiS, Adam Michnik, dont le journal soutenait la coalition PO-PSL précédente, comparait en 2013 dans une interview pour l’hebdomadaire allemand Der Spiegel le Hongrois Viktor Orbán à Hitler et mettait en garde les Allemands contre un Jarosław Kaczyński (le leader du PiS) autoritaire et fascisant.
Mais Gazeta Wyborcza, en perte de vitesse depuis plusieurs années, n’est pas le journal le plus vendu en Pologne depuis l’arrivée sur le marché du tabloïde Fakt, propriété, comme l’hebdomadaire Newsweek Polska, du groupe de presse germano-suisse Ringier Axel Springer. Fakt se vend à plus de 300 000 exemplaires par jour contre moitié moins pour Gazeta Wyborcza. Suit un autre tabloïde, Super Express, qui appartient à un groupe polonais. En quatrième position, le prestigieux quotidien Rzeczpospolita, au profil plutôt libéral-conservateur mais qui avait fait l’objet d’une reprise en main sous le gouvernement PO-PSL de Donald Tusk. Très critique du gouvernement PO-PSL jusqu’en 2011, ce journal dont l’État était actionnaire à 51 %, avait été revendu à des conditions très favorables à un homme d’affaires proche de la Plateforme civique (PO) du premier ministre Donald Tusk et le nouveau propriétaire avait rapidement changé l’équipe de rédaction. Dans le classement de l’organisation de contrôle de la distribution de la presse (ZKDP), le seul quotidien soutenant ouvertement le PiS, Gazeta Polska codziennie, se vend à seulement un peu plus de 20 000 exemplaires par mois. Il y a aussi un autre quotidien conservateur et pro-vie, catholique et globalement favorable au PiS, Nasz Dziennik, appartenant à l’ordre des Rédemptoriste. Nasz Dziennik dit se vendre à environ 100 000 exemplaires mais ce journal ne souscrivant pas au ZKDP, ce chiffre n’est pas vérifié.
C’est néanmoins sur le marché de la presse régionale qu’il y a le moins de diversité médiatique : sur 24 quotidiens régionaux, 19 sont entre les mains d’un seul groupe de presse allemand, Verlagsgruppe Passau. La filiale polonaise de ce groupe, Polska Presse, a pratiquement doublé son emprise sur la presse quotidienne régionale entre 2013 et 2014, quand gouvernait la précédente coalition PO-PSL. Cette domination allemande croissante sur la presse polonaise sous le gouvernement PO-PSL était dénoncée par le PiS quand il était dans l’opposition, et les accusations lancées dans les médias allemands contre un gouvernement polonais qui porterait aujourd’hui atteinte à la liberté des médias peuvent aussi s’expliquer par la volonté des groupes médiatiques allemands de défendre leurs intérêts en Pologne.