« Pologne : RSF dénonce de nouvelles mesures limitant l’accès du Parlement aux médias », pouvait-on lire sur le site de Reporters sans frontières le 17 décembre dernier. L’organisation « pour la liberté de l’information » commençait ainsi son article : « Après avoir mis la main sur la télévision et la radio publiques polonais l’an dernier, le parti conservateur Droit et Justice prévoit à partir du 1er janvier 2017 de limiter l’accès des journalistes au Parlement. Reporters sans frontières (RSF) s’inquiète de cette nouvelle dérive qui constitue une entrave à la liberté de l’information. »
Une introduction déjà contestable et fortement orientée, puisqu’en remplaçant les dirigeants de la télévision et la radio publiques le gouvernement polonais actuel n’a pas fait autre chose que ce qu’avaient fait ses prédécesseurs et que ce qui se pratique dans de nombreux pays européens. Quant à « cette nouvelle dérive », il est intéressant de voir le manque de recul et d’honnêteté d’une organisation censée surveiller la liberté des médias de manière objective.
« Les dispositions contestées prévoient que seules les caméras officielles de 5 télévisions seront autorisées à filmer les débats tandis que chaque organe de presse n’aura plus droit qu’à deux journalistes accrédités en permanence dans le Parlement. », écrit en effet RSF. « Seules les caméras officielles de 5 télévisions » ! Les reporters sans frontière ignoreraient-ils qu’en France seuls les services de l’Assemblée nationale et du Sénat peuvent enregistrer les débats ? Et quels sont donc les télévisions qui pourront enregistrer en direct depuis le bâtiment du parlement polonais ? On peut le lire dans la brochure contenant les propositions de changement des modalités d’accès des médias (ici en polonais), sur le site de la Diète polonaise : la chaîne publique d’information en continue TVP Info et les chaînes d’information TV Republika, Polsat News, TVN24, Superstacja. Sur ces 4 chaînes privées, seule la première a un profil idéologique conservateur proche de l’actuelle majorité parlementaire, tandis que les trois autres soutiennent l’option libérale-libertaire et donc l’actuelle opposition libérale après avoir plus ou moins ouvertement soutenu les gouvernements de Donald Tusk et Ewa Kopacz. Ces chaînes représentent l’ensemble des télévisions spécialisées dans l’information en Pologne.
Quant à la deuxième partie de la phrase (« chaque organe de presse n’aura plus droit qu’à deux journalistes accrédités en permanence dans le Parlement »), elle semble suggérer que chaque organe de presse n’aura droit qu’à deux journalistes dans l’enceinte du parlement. Or la réalité, c’est que si les changements annoncés par le maréchal de la Diète (l’équivalent du président de l’Assemblée nationale en France) sont mis en œuvre, chaque média pourra avoir, outre ces deux journalistes accrédités en permanence et pouvant accéder à l’ensemble du bâtiment de la Diète et du Sénat, des journalistes qui devront obtenir une autorisation à chaque entrée. Le maréchal de la Diète explique la nouvelle règle par la volonté de donner un accès équilibré aux petits comme aux gros médias. Aujourd’hui, est-il dit dans la brochure explicative de la Diète, les plus gros médias ont en permanence 20 ou 30 journalistes qui, par leur nombre, monopolisent le temps des parlementaires et rendent l’accès à ces mêmes parlementaires très difficile pour les petites rédactions.
RSF parle encore dans son papier de « journalistes soumis à la contrainte économique et médias privés étouffés ». Les médias privés étaient étouffés en Pologne avant l’arrivée au pouvoir du PiS, sous le gouvernement de l’actuel président du Conseil européen Donald Tusk : pressions sur les rédactions, descente de police (dénoncée en sont temps par RSF) et mise sur écoutes de journalistes. Le gouvernement de Donald Tusk finançait généreusement les médias qui le soutenaient, par le biais des abonnements des administrations publiques et des annonces publicitaires du secteur public, tandis que les médias conservateurs avaient même du mal à obtenir des publicités d’annonceurs privés car tout le monde savait dans la Pologne de Donald Tusk que publier ses annonces dans les médias d’opposition signifiait se priver d’accès aux marchés publics. Le gouvernement de Beata Szydło ne favorise pas forcément les mêmes médias et c’est pourquoi un journal comme Gazeta Wyborcza, qui était le plus gros bénéficiaire de la générosité de Tusk, est aujourd’hui obligé de faire appel à l’argent de George Soros. Sans doute est-ce là ce que RSF entend par des « médias privés étouffés ». Quant aux « journalistes soumis à la contrainte économique », c’est pourtant sous Donald Tusk, en 2013, que plus de 400 journalistes salariés de la télévision publique TVP (plus des deux tiers !) avaient été transférés vers une société externe pour être ensuite rémunérés sur la base de contrats d’entreprise et contrats de mandat, avec un travail garanti pour seulement un an. RSF semble donc confondre les dates et les gouvernements : ce n’est pas le gouvernement de Beata Szydło qui a soumis les journalistes du secteur public à la contrainte économique, mais celui de Donald Tusk !
Mais ce parti-pris de Reporters sans frontières ne doit pas surprendre de la part d’une organisation qui, dans son classement mondial 2016 de la liberté de la presse, classe l’Allemagne 16e et la Pologne 47e, en chute de 29 places cette année. On a vu la liberté de la presse à l’œuvre en Allemagne lors des événements de Cologne ou après le meurtre de Maria Ladenburger par un clandestin, et l’on voit donc ce que vaut le classement de RSF. La pluralité médiatique qui règne en Pologne rendrait tout simplement impossibles de telles cachotteries.
Ceci ne veut bien entendu pas dire que les modifications annoncées à la mi-décembre, qui ont marqué le début d’une crise politique en Pologne, sont forcément bonnes. Ce qui est en cause ici, c’est le parti-pris idéologique de RSF qui, plutôt que d’exposer objectivement les faits et critiquer ce qui est critiquable indépendamment de l’option politique aux commandes, interprète, à l’instar des médias mainstream, toutes les réformes de l’actuelle majorité parlementaire polonaise comme étant forcément une tentative d’imposer une sorte de dictature. Ceci alors que RSF avait peu couvert les agissements des deux gouvernements libéraux précédents. C’était par exemple sous le gouvernement de Donald Tusk que le nombre d’accréditations délivrées par le parlement aux journalistes avait été divisé par deux Pologne (ce qui, à l’époque, avait suscité les protestations du PiS), quand le maréchal de la Diète n’était autre que Bronisław Komorowski, devenu ensuite président de la République de Pologne. Néanmoins, pour retrouver sur le site de RSF des articles traduisant une inquiétude pour la liberté des médias polonais en général, il faut remonter au gouvernement de coalition dirigé par le PiS en 2005–2007. Aujourd’hui, RSF appelle même l’UE à sanctionner financièrement la Pologne ! Difficile dans ces conditions pour RSF, qui qualifie sur son site le PiS de « droite ultranationaliste », de surveiller réellement la liberté de l’information et de rester crédible.