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Pologne : le parti-pris idéologique de Reporters sans frontières

3 janvier 2017

Temps de lecture : 6 minutes
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Pologne : le parti-pris idéologique de Reporters sans frontières

Temps de lecture : 6 minutes

« Pologne : RSF dénonce de nouvelles mesures limitant l’accès du Parlement aux médias », pouvait-on lire sur le site de Reporters sans frontières le 17 décembre dernier. L’organisation « pour la liberté de l’information » commençait ainsi son article : « Après avoir mis la main sur la télévision et la radio publiques polonais l’an dernier, le parti conservateur Droit et Justice prévoit à partir du 1er janvier 2017 de limiter l’accès des journalistes au Parlement. Reporters sans frontières (RSF) s’inquiète de cette nouvelle dérive qui constitue une entrave à la liberté de l’information. »

Une intro­duc­tion déjà con­testable et forte­ment ori­en­tée, puisqu’en rem­plaçant les dirigeants de la télévi­sion et la radio publiques le gou­verne­ment polon­ais actuel n’a pas fait autre chose que ce qu’avaient fait ses prédécesseurs et que ce qui se pra­tique dans de nom­breux pays européens. Quant à « cette nou­velle dérive », il est intéres­sant de voir le manque de recul et d’honnêteté d’une organ­i­sa­tion cen­sée sur­veiller la lib­erté des médias de manière objective.

« Les dis­po­si­tions con­testées prévoient que seules les caméras offi­cielles de 5 télévi­sions seront autorisées à filmer les débats tan­dis que chaque organe de presse n’au­ra plus droit qu’à deux jour­nal­istes accrédités en per­ma­nence dans le Par­lement. », écrit en effet RSF. « Seules les caméras offi­cielles de 5 télévi­sions » ! Les reporters sans fron­tière ignor­eraient-ils qu’en France seuls les ser­vices de l’Assemblée nationale et du Sénat peu­vent enreg­istr­er les débats ? Et quels sont donc les télévi­sions qui pour­ront enreg­istr­er en direct depuis le bâti­ment du par­lement polon­ais ? On peut le lire dans la brochure con­tenant les propo­si­tions de change­ment des modal­ités d’accès des médias (ici en polon­ais), sur le site de la Diète polon­aise : la chaîne publique d’information en con­tin­ue TVP Info et les chaînes d’information TV Repub­li­ka, Pol­sat News, TVN24, Super­stac­ja. Sur ces 4 chaînes privées, seule la pre­mière a un pro­fil idéologique con­ser­va­teur proche de l’actuelle majorité par­lemen­taire, tan­dis que les trois autres sou­ti­en­nent l’option libérale-lib­er­taire et donc l’actuelle oppo­si­tion libérale après avoir plus ou moins ouverte­ment soutenu les gou­verne­ments de Don­ald Tusk et Ewa Kopacz. Ces chaînes représen­tent l’ensemble des télévi­sions spé­cial­isées dans l’information en Pologne.

Quant à la deux­ième par­tie de la phrase (« chaque organe de presse n’au­ra plus droit qu’à deux jour­nal­istes accrédités en per­ma­nence dans le Par­lement »), elle sem­ble sug­gér­er que chaque organe de presse n’aura droit qu’à deux jour­nal­istes dans l’enceinte du par­lement. Or la réal­ité, c’est que si les change­ments annon­cés par le maréchal de la Diète (l’équivalent du prési­dent de l’Assemblée nationale en France) sont mis en œuvre, chaque média pour­ra avoir, out­re ces deux jour­nal­istes accrédités en per­ma­nence et pou­vant accéder à l’ensemble du bâti­ment de la Diète et du Sénat, des jour­nal­istes qui devront obtenir une autori­sa­tion à chaque entrée. Le maréchal de la Diète explique la nou­velle règle par la volon­té de don­ner un accès équili­bré aux petits comme aux gros médias. Aujourd’hui, est-il dit dans la brochure explica­tive de la Diète, les plus gros médias ont en per­ma­nence 20 ou 30 jour­nal­istes qui, par leur nom­bre, monop­o­lisent le temps des par­lemen­taires et ren­dent l’accès à ces mêmes par­lemen­taires très dif­fi­cile pour les petites rédactions.

RSF par­le encore dans son papi­er de « jour­nal­istes soumis à la con­trainte économique et médias privés étouf­fés ». Les médias privés étaient étouf­fés en Pologne avant l’arrivée au pou­voir du PiS, sous le gou­verne­ment de l’actuel prési­dent du Con­seil européen Don­ald Tusk : pres­sions sur les rédac­tions, descente de police (dénon­cée en sont temps par RSF) et mise sur écoutes de jour­nal­istes. Le gou­verne­ment de Don­ald Tusk finançait généreuse­ment les médias qui le soute­naient, par le biais des abon­nements des admin­is­tra­tions publiques et des annonces pub­lic­i­taires du secteur pub­lic, tan­dis que les médias con­ser­va­teurs avaient même du mal à obtenir des pub­lic­ités d’annonceurs privés car tout le monde savait dans la Pologne de Don­ald Tusk que pub­li­er ses annonces dans les médias d’opposition sig­nifi­ait se priv­er d’accès aux marchés publics. Le gou­verne­ment de Bea­ta Szy­dło ne favorise pas for­cé­ment les mêmes médias et c’est pourquoi un jour­nal comme Gaze­ta Wybor­cza, qui était le plus gros béné­fi­ci­aire de la générosité de Tusk, est aujourd’hui obligé de faire appel à l’argent de George Soros. Sans doute est-ce là ce que RSF entend par des « médias privés étouf­fés ». Quant aux « jour­nal­istes soumis à la con­trainte économique », c’est pour­tant sous Don­ald Tusk, en 2013, que plus de 400 jour­nal­istes salariés de la télévi­sion publique TVP (plus des deux tiers !) avaient été trans­férés vers une société externe pour être ensuite rémunérés sur la base de con­trats d’entreprise et con­trats de man­dat, avec un tra­vail garan­ti pour seule­ment un an. RSF sem­ble donc con­fon­dre les dates et les gou­verne­ments : ce n’est pas le gou­verne­ment de Bea­ta Szy­dło qui a soumis les jour­nal­istes du secteur pub­lic à la con­trainte économique, mais celui de Don­ald Tusk !

Mais ce par­ti-pris de Reporters sans fron­tières ne doit pas sur­pren­dre de la part d’une organ­i­sa­tion qui, dans son classe­ment mon­di­al 2016 de la lib­erté de la presse, classe l’Allemagne 16e et la Pologne 47e, en chute de 29 places cette année. On a vu la lib­erté de la presse à l’œuvre en Alle­magne lors des événe­ments de Cologne ou après le meurtre de Maria Laden­burg­er par un clan­des­tin, et l’on voit donc ce que vaut le classe­ment de RSF. La plu­ral­ité médi­a­tique qui règne en Pologne rendrait tout sim­ple­ment impos­si­bles de telles cachotteries.

Ceci ne veut bien enten­du pas dire que les mod­i­fi­ca­tions annon­cées à la mi-décem­bre, qui ont mar­qué le début d’une crise poli­tique en Pologne, sont for­cé­ment bonnes. Ce qui est en cause ici, c’est le par­ti-pris idéologique de RSF qui, plutôt que d’exposer objec­tive­ment les faits et cri­ti­quer ce qui est cri­ti­quable indépen­dam­ment de l’option poli­tique aux com­man­des, inter­prète, à l’instar des médias main­stream, toutes les réformes de l’actuelle majorité par­lemen­taire polon­aise comme étant for­cé­ment une ten­ta­tive d’imposer une sorte de dic­tature. Ceci alors que RSF avait peu cou­vert les agisse­ments des deux gou­verne­ments libéraux précé­dents. C’était par exem­ple sous le gou­verne­ment de Don­ald Tusk que le nom­bre d’accréditations délivrées par le par­lement aux jour­nal­istes avait été divisé par deux Pologne (ce qui, à l’époque, avait sus­cité les protes­ta­tions du PiS), quand le maréchal de la Diète n’était autre que Bro­nisław Komorows­ki, devenu ensuite prési­dent de la République de Pologne. Néan­moins, pour retrou­ver sur le site de RSF des arti­cles traduisant une inquié­tude pour la lib­erté des médias polon­ais en général, il faut remon­ter au gou­verne­ment de coali­tion dirigé par le PiS en 2005–2007. Aujourd’hui, RSF appelle même l’UE à sanc­tion­ner finan­cière­ment la Pologne ! Dif­fi­cile dans ces con­di­tions pour RSF, qui qual­i­fie sur son site le PiS de « droite ultra­na­tion­al­iste », de sur­veiller réelle­ment la lib­erté de l’information et de rester crédible.

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