Du communisme à la génération 68 libérale libertaire
Adulé par les uns, détesté par les autres, Adam Michnik, grande figure de l’opposition au communisme en Pologne et journaliste militant de centre-gauche, est depuis 1989 le rédacteur en chef du journal Gazeta Wyborcza (« Journal électoral »), « premier quotidien indépendant dans les pays de l’Est », qui avait été créé cette année-là pour les premières élections semi-libres après plus de quarante ans de dictature sous occupation soviétique.
Adam Michnik, son journal et les journalistes proches de Gazeta Wyborcza ont longtemps été, après la chute définitive du communisme polonais avec les premières élections libres en 1990, la première source d’informations sur la Pologne (et souvent même la seule) de la plupart des médias internationaux y compris français. Le quotidien Gazeta Wyborcza est proche idéologiquement du journal français Le Monde avec lequel il collabore au sein du partenariat « Europa ». Et d’ailleurs, qui pouvait faire l’apologie de l’ancien maoïste soixante-huitard André Glucksmann dans les colonnes du Monde mieux qu’Adam Michnik, ancien membre, avec Jacek Kuroń et Karol Modzelewski, de l’opposition interne du parti communiste polonais, partisan d’un socialisme à visage humain devenu à la chute du communisme une grande voix de la gauche libérale-libertaire ?
Chroniqueur, journaliste, essayiste, écrivain et militant politique, grand pourfendeur du « fascisme » qu’il perçoit dans les rangs de la droite conservatrice de son pays, Adam Michnik, qui avait été emprisonné à de nombreuses reprises lorsqu’il était dissident, a toujours été favorable à la politique du « gros trait » (en polonais : Gruba Kreska) vis-à-vis des crimes et délits communistes. Une politique qui consistait à tirer un trait sur le passé et à ne pas condamner les anciens dirigeants ni divulguer les noms des collaborateurs et agents du régime communiste. C’est un ancien délateur, Lesław Maleszka, qui écrivait des éditoriaux contre la « lustration » dans le journal de Michnik où il a travaillé jusqu’en 2008. « Foutez-la paix au général » (en polonais : Odpieprzcie się od generała), lança Adam Michnik aux journalistes à propos du général Jaruzelski en 1992. Ou encore, « c’est un homme d’honneur » à propos du général Kiszczak, ministre de l’Intérieur sous Jaruzelski dans les années 80.
Adam Michnik a été un des grands acteurs, aux côtés de Lech Walesa, des négociations qui ont abouti aux élections semi-libres de juin 1989 (65 % des sièges étaient réservés au parti communiste et à ses satellites). C’est le seul représentant de Solidarité à avoir eu accès dès 1990, pendant trois mois, aux archives du ministère de l’Intérieur à la tête de la « Commission Michnik », composée de quatre personnes. Cet accès n’a pas été documenté selon les règles alors en vigueur et Michnik est accusé par ses détracteurs d’avoir sorti et/ou détruit des documents sur différents collaborateurs et agents du régime. C’est justement ce combat qui oppose depuis le début des années 90 ce représentant de l’aile gauche laïque de l’ancien syndicat Solidarité aux conservateurs catholiques issus de l’aile droite de ce même syndicat, favorables à la « lustration ».
La plus grande crainte d’Adam Michnik quand la Pologne s’est transformée en démocratie parlementaire à économie de marché ? Que son pays ne devienne une république confessionnelle dominée par l’Église catholique. Il a toutefois dit redouter « le rejet du Décalogue et de la tradition » tout en affirmant, à propos de la Bible, que « c’est le livre le plus sage qui ait été écrit » (entretien publié sous le titre « Michnik : la Pologne sans l’Église, c’est un tableau noir » ; titre polonais : Michnik: Polska bez Kościoła to czarny obraz, 19/03/2014). D’où son combat contre l’Église catholique mené depuis le début par Gazeta Wyborcza, documenté dans le livre Kościół Wyborczej (L’Église de Gazeta Wyborcza) du journaliste, historien et essayiste Artur Dmochowski (lui aussi ancien dissident membre du syndicat Solidarité, actuellement directeur de l’agence de presse polonaise PAP).
S’il défend aujourd’hui ardemment l’ancien leader charismatique de Solidarité Lech Walesa accusé d’avoir joué un double jeu avec les communistes avant et après la transition démocratique, en 1990 Adam Michnik soutenait activement la candidature de Tadeusz Mazowiecki contre celle de Lech Walesa dans les colonnes de Gazeta Wyborcza. L’engagement militant de Gazeta Wyborcza contre Walesa sous la direction d’Adam Michnik a poussé le syndicat Solidarité à exiger que le nom du journal soit expurgé de l’étiquette « Solidarność ».
Adam Michnik, issu lui-même d’une famille juive, est aussi très engagé contre l’antisémitisme perçu ou supposé de la société polonaise. Ses méthodes et les méthodes du journal Gazeta Wyborcza souvent plus militantes que journalistiques, lui ont valu, dans ce domaine aussi, de nombreuses critiques.
La biographie et l’évolution d’Adam Michnik incarnent parfaitement les propos tenus par l’ancien dissident hongrois devenu premier ministre, Viktor Orbán, pour le journal anglais The Telegraph en octobre 2013, sur l’arbre généalogique du communisme bolchevique de l’ancien bloc de l’Est dont les branches passent par la « génération 68 » à l’Ouest pour aboutir aux bureaucrates de Bruxelles et aux médias d’aujourd’hui.
Origines familiales
Né en octobre 1946 dans une famille juive polonaise, fils d’Ojzasz Szechter et Helana Michnik, deux militants communistes d’avant-guerre. Le père d’Adam Michnik, figure importante du Parti communiste d’Ukraine occidentale, fut condamné en 1934 à huit ans de prison pour son activité subversive et sécessionniste qui lui vaut aujourd’hui d’être considéré par certains historiens polonais comme un ancien agent du NKVD soviétique. Le frère d’Adam Michnik, Stefan Michnik, est quant à lui un ancien capitaine de l’armée communiste polonaise et un ancien juge coupable de crimes staliniens, puisqu’il a prononcé plusieurs condamnations à mort contre des prisonniers politiques. Il s’est enfui en Suède après les événements de mars 1968 et il y vit encore, la justice suédoise ayant refusé en 2010 son extradition vers la Pologne.
Parcours professionnel et militant
Impossible de séparer le parcours professionnel et militant de cet acteur majeur de la vie politique et médiatique polonaise. Adam Michnik s’est engagé dès le lycée dans l’opposition modérée au régime communiste. Étudiant, il a été suspendu de l’université en 1966 pour sa participation à des initiatives critiques vis-à-vis du système communiste tel qu’il fonctionnait à l’époque en Pologne. Dès 1965, ses textes étaient interdits de publication et il publiait donc sous des pseudonymes. En 1968, il a été définitivement renvoyé de l’université pour avoir informé le reporter français Bernard Margueritte d’une manifestation visant une représentation des Aïeux, la pièce de théâtre la plus célèbre du poète national Adam Mickiewicz, au théâtre national de Varsovie. Le public avait salué avec ferveur les répliques relatives à l’oppression tsariste, ce qui entraîna le départ de l’ambassadeur soviétique de la salle et la suspension de la pièce dès le lendemain. Arrêté quelques jours après son renvoi et condamné à trois ans de prison pour « actes de hooliganisme », il a été libéré une première fois en 1969 en vertu d’une amnistie. Adam Michnik a ensuite été autorisé à terminer ses études, ce qui ne l’a pas empêché de poursuivre son activité de dissident. Dans les années 70 et 80, il a participé activement à la création du « Comité de défense des ouvriers » (KOR) puis du syndicat Solidarité en travaillant à la rédaction et à la diffusion de la presse clandestine. Arrêté plus d’une centaine de fois, à nouveau interné pendant l’état de siège instauré par le général Jaruzelski pour avoir refusé de quitter le pays puis, à nouveau, pour avoir participé à l’organisation d’une grève, Adam Michnik a été un des grands acteurs des discussions dites « de la table ronde » qui ont conduit à la transition démocratique en 1989–90. Lors des élections semi-libres de juin 1989, il a été élu député à la Diète (la chambre basse du parlement polonais). Aux élections libres de 1991, il renoncera à se représenter, préférant se consacrer à la rédaction du journal Gazeta Wyborcza dont il occupe le poste de rédacteur en chef depuis 1989.
Gazeta Wyborcza, sous la direction d’Adam Michnik, a, tout au long des années 1990, conservé la position de leader des quotidiens nationaux et est longtemps resté le journal le plus influent du pays. C’est un journal à la fois européiste et atlantiste, partisan de l’avortement et des revendications des milieux LGBT. S’il a aujourd’hui perdu sa première place au profit du tabloïd Fakt, dans un paysage médiatique polonais plus diversifié, il reste un média influent en Pologne et à l’étranger. Adam Michnik, qui avait été depuis 2007 un soutien précieux pour le gouvernement PO-PSL de Donald Tusk puis d’Ewa Kopacz, est devenu, après les élections d’octobre 2015, un des opposants les plus farouches au gouvernement du parti conservateur Droit et Justice (PiS) qu’il qualifie même parfois de fasciste. En 2018, il va même jusqu’à prédire un soulèvement populaire « à la Maïdan » si les forces conservatrices persistent à vouloir diviser le pays et instrumentaliser l’identité polonaise.
Tâche d’ombre au tableau de ce dissident de la première heure, l’affaire Rywin, du nom d’un cinéaste qui lui a proposé en 2002, alors que les sociaux-démocrates post-communistes (SLD) gouvernaient en Pologne, une loi favorable au groupe médiatique Agora, propriétaire du journal Gazeta Wyborcza, contre paiement d’une grosse somme. Adam Michnik a enregistré la conversation, mais l’a gardée secrète, pour des raisons qu’il n’a jamais su expliquer, pendant plusieurs mois. Le SLD ne s’est jamais remis du scandale lié à cette affaire et a définitivement perdu le pouvoir en 2005.
En 2021, la rédaction de la Gazeta est traversée par des secousses en interne. Le conseil d’administration d’Agora, pour qui la publication représente 13 % de son activité, émet le souhait de fusionner le titre avec un site d’informations en ligne afin d’accroître sa rentabilité. Au Monde, il confesse amèrement son désarroi : « Nous sommes toujours partis du principe qu’il fallait séparer l’activité du journal des activités commerciales classiques. Notre relation avec le conseil d’administration était longtemps fondée sur la confiance. Maintenant nous avons à faire à des méthodes de bandits, à de l’idiotisme, pas à du capitalisme ». Michnik est vent debout contre ce projet de réforme, tout comme il avait tonné quelques années plus tôt contre la décision gouvernementale de le priver des annonces publicitaires du secteur public et de ne pas renouveler les abonnements des administrations.
Ce qu’il gagne
Non renseigné
Publications
Adam Michnik est l’auteur de nombreux ouvrages et publications parus en langue polonaise et de quelques ouvrages publiés en anglais.
Sur Adam Michnik, en langue français : « L’invention du politique : une biographie d’Adam Michnik », de Cyril Bouyeure.
Décorations
Parmi les nombreuses décorations reçues par Adam Michnik au cours de sa carrière, il y a l’Ordre du Mérite de la République fédérale d’Allemagne (2001), la Légion d’honneur de la République française (2003) et l’Ordre de l’Aigle blanc décerné par le président polonais Komorowski en 2010 ainsi que le prix de la Fondation Princesse des Asturies (2022).
Adam Michnik a aussi reçu plusieurs doctorats honoris causa et de nombreuses distinctions pour son action militante et journalistique, parmi lesquelles le Prix de la Liberté du PEN Club français (1982), le titre d’Européen de l’année 1989 décerné par l’hebdomadaire français La Vie, le titre de Juif de l’Année décerné en 1991 par la Synagogue centrale de New York, le prix de l’Association des Journalistes Européens (1995) et le prix du journalisme et de la démocratie de l’OSCE (1996). En 2006, le journal britannique Financial Times l’a qualifié de journaliste le plus influent de Pologne.
Collaborations
Non renseigné.
Il l’a dit
« Si les gens de la nomenklatura entrent dans les sociétés anonymes, s’ils en deviennent actionnaires, alors ils voudront les défendre. Or le système des sociétés par actions détruit l’ordre stalinien. », 1989
« Krzysztof, si tu veux faire un journal libre, il faudra passer sur mon cadavre », propos rapportés sur le blog du journaliste Krzysztof Leski, cofondateur de Gazeta Wyborcza.
En réponse à l’argument de Jarosław Kaczyński, expliquant que « La décommunisation, c’est supprimer les privilèges d’un certain groupe, rien de plus. Mais il faut le faire pour qu’en Pologne il puisse y avoir un système économique normal et un système social normal » :
« Avez-vous conscience qu’Hitler disait la même chose pour les juifs ? Qu’il faut supprimer les privilèges d’un certain groupe (…). C’est ce que disaient les partisans d’Hitler. Vous dîtes la même chose à propos des communistes. », 1993
À propos de son frère Stefan Michnik, juge stalinien, qui a prononcé plusieurs condamnations à mort contre des opposants :
« Quand sont tombées les pires condamnations, Stefan était un homme de vingt ans et quelques qui ne comprenait pas grand chose de ce qui se passait. Bien entendu, cela ne le justifie pas, mais cela ne justifie pas non plus qu’on expose de la sorte son rôle dans les crimes staliniens. », 1995, dans le livre Między panem a plebanem
« Pour moi décembre 70 a été une grande leçon. J’ai vu les grands malheurs auxquels peut conduire la révolte aveugle de gens désespérés (…). C’est alors que dans l’esprit de nos amis a commencé à germer l’idée qu’il faut trouver une troisième voie entre la capitulation, la servilité vis-à-vis du pouvoir, et la rébellion aveugle. », 2001
« La Table ronde a permis à la Pologne de sortir de la dictature sans victimes, sans potences, sans pelotons d’exécution. Quand après ma mort j’irai au Jugement Dernier, Saint Pierre me demandera : ‘Qu’as-tu fait de bon, mon fils ?’ Et moi je répondrai : ‘Mon fils Antoni et la Table ronde’. », 2001
« Le nationalisme de l’époque post-communiste peut avoir le visage du communiste nostalgique Milošević, du dictateur post-soviétique Poutine, des anticommunistes post-soviétiques Orbán et Jarosław Kaczyński. Il peut avoir différents visages. Cependant, le dénominateur commun, c’est toujours une hostilité aux règles de l’État de droit libéral, à la philosophie du dialogue, à l’esprit de pluralisme et de tolérance. », Gazeta Wyborcza, 20–21/02/2010.
« Si Orbán se maintient en Hongrie et si Kaczyński gagne chez nous, ce sera très dangereux. Ils ont tous deux une vision autoritaire de l’État, la démocratie n’est pour eux qu’une façade. », juillet 2013, dans une interview pour Der Spiegel citée ici et ici.
Avant les élections présidentielles de mai 2015, qui ont vu la victoire du candidat du PiS Andrzej Duda sur le candidat du PO Bronisław Komorowski (soutenu par Adam Michnik et Gazeta Wyborcza), à propos du président sortant Komorowski :
« Il me semble que sauf événement imprévisible, par exemple si Bronisław Komorowski roule en état d’ivresse et écrase sur un passage piéton une religieuse handicapée enceinte, il est évident qu’il sera élu président. », télévision TVN, le 05/01/2015.
Au sujet de Jarosław Kaczyński : « Il est un peu comme le camarade Staline. Il voudra toujours exercer une autorité absolue dans tous les domaines de la vie publique. Que ce soit pour les théâtres, les haras d’état, les musées, le festival de la chanson d’Opole — tout. Il sème la division partout », Project Syndicate, 24/11/2017.
« Dans le contexte polonais, je pense que la défaite de Bronisław Komorowski à l’élection présidentielle de 2015 a été un échec historique, non seulement pour Komorowski lui-même, mais aussi pour les élites polonaises. Et je m’inclues dedans. J’étais tellement convaincu qu’Andrzej Duda ne pouvait pas gagner la présidence. Si j’avais fait à l’époque ce que je fais maintenant, si j’avais bougé mon cul et m’étais déplacé dans toute la Pologne pour faire campagne, au moins j’aurais la conscience tranquille. Mais je ne l’ai pas fait », Ibid.
« La Pologne sera peut-être la prochaine Hongrie. À moins que ce ne soit le contraire et que nous ne lancions la révolte contre l’autoritarisme. Alors ce sont les Hongrois qui nous suivront », Philosophie Magazine, 22/08/2018.
« Les forces antidémocratiques gagnent du terrain et l’Union européenne a perdu de sa superbe. En Italie, la Lega de Salvini et Fratelli d’Italia mènent la charge populiste. En Espagne, il y a Vox. Je suis choqué que le célèbre journaliste espagnol Hermann Tertsch, un de mes bons amis, les ait rejoints.
Et puis nous avons Orban, un modèle autoritaire pour Kaczynski. Orban a une conception différente de l’Europe, celle que partage Marine Le Pen en France. Après une récente conférence des eurosceptiques en Espagne, Orban s’est rendu directement à Moscou pour boire du champagne avec Poutine. Il s’agit là aussi d’un changement surprenant : Je n’aurais jamais pu imaginer que l’Orban que j’ai connu il y a trente ans deviendrait un homme de droite pro-Poutine… », Project Syndicate, 07/02/2022.
« En Pologne, où la situation sanitaire est catastrophique, l’impuissance politique des autorités nationales est doublée d’une progression des forces anti-européennes. Le parti au pouvoir que l’on peut qualifier de populiste, de nationaliste, de xénophobe et d’autoritaire, comporte en son sein une fraction très forte d’adversaires opposés à toute vaccination, y compris celle contre le Covid. C’est ainsi que la faible majorité parlementaire du gouvernement n’arrive pas à imposer certaines mesures sanitaires. En France, en Italie et en Allemagne, le passeport vaccinal est un outil sanitaire utilisé. En Pologne une telle option ne fonctionne pas. Le passeport vaccinal ne nuit pourtant pas à l’ordre public et facilite la lutte contre le Covid. Ce qui menace l’Union n’est donc pas tant le Covid que les forces populistes mêlées aux rhétoriques antivax qui paralysent la possibilité d’une réponse européenne commune », Le Grand Continent, 02/04/2022.
« Lorsqu’on regarde les conclusions des études d’opinion qui ont été faites avant la crise migratoire de 2015 et qu’on les compare avec celles qui ont été réalisées après la propagande de Kaczyński – « ils vont violer nos femmes », « ils vont nous transmettre des maladies » – contre les émigrés en provenance du Sud, c’est assez effrayant de voir que les sentiments à l’égard des réfugiés ont pu à ce point changer. Au final, près de 80% de la population refusait que la Pologne accueille ces hommes, ces femmes et ces enfants. Nous avons vu comment la communication idéologique du gouvernement, sa propagande, était capable de convaincre, de retourner l’opinion », La Règle du Jeu, 01/09/2022.
Ils ont dit
Le 16 juin 1989 à Budapest, en Hongrie, lors des obsèques nationales d’Imre Nagy (exécuté en 1958 par les communistes après la répression de l’insurrection de 1956), le jeune dissident Viktor Orbán fait un discours retentissant où il exige des élections libres et le retrait des troupes soviétiques de Hongrie. Le dissident polonais Igor Janke est présent avec une délégation de l’Association indépendante des étudiants (NZS), de même qu’Adam Michnik. Igor Janke, devenu journaliste depuis, témoigne :
« Ce jour-là dans les conversations, tout le monde vantait [Viktor Orbán]. À l’exception d’une personne : Adam Michnik. Orbán avait lu de nombreux écrits de Michnik, il avait étudié ses textes et était persuadé que même si tous en Europe centrale devaient le condamner pour son appel au départ des Soviétiques de Hongrie, il y aurait une personne au moins qui le vanterait et que ce serait justement Adam Michnik. Or c’est justement le contraire qui s’est passé. Ainsi qu’en témoignent les personnes qui étaient avec lui place des Héros, l’opposant polonais a alors lancé des jurons, affirmant qu’Orbán avait vraiment exagéré. Le soir, ils se sont rencontrés à la réception organisée par l’opposition. Mangeant un morceau de pain avec du poisson, Michnik a alors critiqué fortement son discours. Orbán, quand il évoque aujourd’hui ce moment, dit avoir été très choqué par la réaction de son idole polonaise. Le lendemain, le groupe d’Adam Michnik a eu une nouvelle réunion avec Viktor Orbán et ses plus proches collaborateurs dans l’élégant salon de thé de l’hôtel Astoria construit au début du XXe siècle. Michnik a passé beaucoup de temps à tenter de convaincre Orbán qu’il était trop radical et qu’il risquait gros. » (2012, dans le livre « L’attaquant – Une histoire de Viktor Orbán » ; en polonais : Napastnik – Opowieść o Viktorze Orbánie)
« Michnik est un manipulateur. C’est un homme de mauvaise volonté, un menteur. Un escroc intellectuel. L’idéologie de ces messieurs, c’est de faire régner en Pologne un socialisme à visage humain. C’est une vision qui est pour moi absolument insupportable. Un monstre doit avoir un visage de monstre. Je ne supporte pas de tels hybrides, je m’enfuis par la fenêtre en criant. », Zbigniew Herbert, poète, essayiste et dramaturge polonais décédé en 1998.
« Ce qui a joué un rôle essentiel, c’est quand Adam Michnik s’est vu confier le premier journal légal de l’opposition, Gazeta Wyborcza, et le tour qu’il a joué en faisant de ce journal la propriété d’une société privée. Du coup, Gazeta Wyborcza est devenue indépendante de la direction de Solidarité et du Comité civique. Tout le monde pensait que ce serait le journal du syndicat ou du Comité civique, ou des deux à la fois. Il n’est venu à l’esprit de personne, ce qui s’est révélé extrêmement naïf, que ce serait la société privée de quelques personnes liées aux milieux de l’ancienne opposition interne du système [communiste] qui y défendraient uniquement leurs propres idées. (…) Michnik a reçu le quotidien de l’opposition des mains de Walesa. »
(Jarosław Kaczyński dans le livre-interview « Czas na zmiany » publié en 1993. À propos de ce livre publié trois ans après les premières élections libres, les journalistes Michał Bichniewicz et Piotr Rudnicki, qui ont interrogé J. Kaczyński, ont écrit en préface : « Nous voulions permettre à Jarosław Kaczyński de présenter ses arguments, pour la première fois aussi largement, ce que lui interdisent traditionnellement les médias monopolisés par la gauche.»)
« Adam Michnik, conscience morale de la Pologne », Arielle Thedrel en 2010 dans Le Figaro.
« Franchir le seuil de la porte du bureau d’Adam Michnik, c’est sauter à pieds joints dans un grand bain d’histoire polonaise. Clichés, récompenses placardées au mur, piles de dossiers et de livres en équilibre précaire : dans l’antre du fondateur de Gazeta Wyborcza, où se mêlent effluves de cigarette et de vieux papier, tout témoigne de l’histoire de son combat contre le communisme, pour la démocratie et pour la liberté de la presse. Il nous reçoit dans la foulée d’un entretien avec le journaliste russe Dmitri Mouratov, prix Nobel de la paix 2021. Et s’accroche, avec fermeté, à la possibilité de lendemains meilleurs pour la démocratie polonaise », Le Soir, 15/10/2021.
Crédit photo : Heinrich-Böll-Stiftung via Flickr (cc)