La présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte, vise à construire une télévision débarrassée des hommes blancs de plus de 50 ans, Anne-Élisabeth Lemoine en est une des incarnations.
Origines et formations
Troisième d’une fratrie de sept enfants forte de cinq filles et de deux garçons, Anne-Elisabeth Lemoine voit le jour le 29 juillet 1970 au Plessis-Trévise, dans le Val-de-Marne.
Son père, Jean-Pierre Lemoine, est préfet. Fils d’un boulanger, il arrête précocement ses études et passe le bac par correspondance. Après avoir passé le concours en interne, il intègre l’ENA et devient le camarade de promo d’Alain Juppé. Il fait une carrière marquée par de nombreuses mutations. Désormais à la retraite, Jean-Pierre scrute les courbes d’audiences de sa fille. Cette dernière confie d’ailleurs, « il est pire qu’un producteur ».
Sa mère est aussi fonctionnaire. Inspectrice du Trésor, elle passe une partie de sa vie en Algérie puis à Metz. Elle s’engage au secours catholique puis à la CFTC avant de devenir maire du Plessis-Trévise.
Comme le note Libération, « la tendance familiale est plutôt de centre droit, si ce n’est chrétien-social [1]». Une tendance que garde « Babeth », comme certains l’appellent, en se rendant quelque fois à la messe. Avant de paraître suspecte aux yeux du « Tout-Paris », elle le rassure en se disant « à fond » pour le mariage homosexuel et l’avortement, comme le précise Libération[2]. Une précision utile pour ne pas passer pour un de ces « cerveaux malades » qu’exècrent Patrick Cohen.
Adolescente, elle se décide à intégrer une maison d’éducation à la Légion d’honneur, pourtant réservée aux filles, petites-filles et arrières petites-filles des décorés français ou étrangers, aux orphelins de guerres ou aux pupilles de la nation, trois conditions que la jeune Anne-Élisabeth ne remplit pas. Ce qui ne l’empêche pas, grâce à cette école, de pratiquer le théâtre jusqu’à accéder aux matinales de la Comédie française. Par ailleurs elle ne manque pas, à l’occasion, d’aller aux goûters de Noël de l’Élysée. Élève brillante, elle passe par khâgne et hypokhâgne, avant d’obtenir un diplôme du centre d’études littéraires et en sciences appliquées à la Sorbonne.
Parcours professionnel
Sa carrière commence en tant que journaliste spécialisée dans les questions de santé sur Radio Monte-Carlo. C’est à cette période que Marc-Olivier Fogiel la repère et l’engage pour son émission On ne peut pas plaire à tout le monde, diffusée sur France 3. Elle reste dans l’émission jusqu’en 2006. Parallèlement, elle suit Marc-Olivier Fogiel sur France Inter où il anime Vous écoutez la télé. Lorsque l’émission sera transférée sur RTL, elle sera la seule chroniqueuse à garder son poste au sein de l’équipe. En 2006, son mentor quitte France Télévision pour aller sur M6 animer T’empêches tout le monde de dormir. Il emporte avec lui sa protégée, qu’il charge de lire les SMS des téléspectateurs durant l’émission. Cette même année, et toujours au sein du groupe M6, elle rejoint l’équipe de Pierre Lescure dans Ça balance à Paris.
L’année 2007 est celle de son émancipation vis-à-vis de l’actuel patron de BFMTV. À la télé, elle quitte France Télévision pour aller sur Canal+ en devenant chroniqueuse média dans L’Édition spéciale, animée par Samuel Étienne puis Bruce Toussaint. Côté radio, elle rejoint France Info où elle anime Elle se mêle de tout, en alternance avec Hélène Tram Long. Parallèlement et sur la même station, elle anime une chronique, dans l’Hyper revue de presse en quotidienne. Lorsqu’en 2011 la Nouvelle édition succède à l’Édition spéciale, elle conserve son poste de chroniqueuse média, puis fait ses débuts d’animatrice en tant que remplaçante d’Ali Baddou entre 2012 et 2014. En 2012, elle cesse toute ses activités radio afin de se consacrer pleinement à la télévision.
Après la fin de son contrat sur Canal+, elle revient sur France Télévision et intègre l’équipe de C à Vous, animée à ce moment-là par Anne-Sophie Lapix. En remplaçant Anne-Sophie Lapix lors de ses absences, elle reprend alors la casquette de chroniqueuse et de joker qu’elle avait dans la Nouvelle édition. En septembre 2016 lui est confiée l’animation de C l’hebdo, un format week-end de C à Vous. Enfin, un an plus tard et à la suite du départ d’Anne-Sophie Lapix sur le 20h de France 2, Pierre-Antoine Capton, qu’elle connaît depuis ses débuts chez Marc-Olivier Fogiel, la nomme animatrice à plein temps de C à Vous, alors que des personnalités établies comme Frédéric Lopez ou Bruce Toussaint faisaient des appels de pied à France 5. Joker depuis trois saisons, elle n’était en effet pas le premier choix de la chaîne qui envisageait plutôt Mélissa Theuriau dans ce rôle de chef d’orchestre. Début 2021, elle se voit proposer de récupérer une autre émission d’Anne-Sophie Lapix, Le Grand Échiquier, qu’elle accepte avant de finalement décliner pour se concentrer sur C à Vous, qu’elle considère comme son émission phare et avec laquelle elle bat régulièrement des records d’audiences, notamment pendant la pandémie.
Vie privée
De son premier mariage avec un banquier est né Arthur en 2004. En 2013, elle se remarie avec Philippe Coelho, architecte portugais rencontré sur le plateau de la Nouvelle édition, (« un grand hipster méga-cool qui roule en fixie et à côté de qui je passe pour une relou »). Le couple réside dans le XVe arrondissement de Paris.. De cette union naît un second fils, Vasco, en 2014. Entre ces deux unions, elle eut une brève histoire avec l’humoriste Mustapha El Atrassi, qui s’est soldée par une plainte pour coups et blessures déposée par l’animatrice.
Collaborations
En 2007, elle anime aux côtés d’Estelle Denis, l’émission 5 ans avec…, consacrée aux élections présidentielles. Elle anime ensuite, en 2019 et aux côtés de Nagui, l’Émission pour la terre, diffusée en prime-time sur France 2, qui porte sur le réchauffement climatique et dans laquelle intervient Nicolas Hulot. Enfin, la pandémie de coronavirus l’amène à animer l’émission 6 à la maison aux côtés de Patrick Cohen, pour qui elle porte une haute estime, qui est un programme culturel mis en place durant le couvre-feu entre octobre et décembre 2020. L’émission reprend en janvier 2021.
Salaire
Peu d’informations filtrent sur le salaire de l’animatrice. Néanmoins, Télé 2 semaines, cité dans un article du Point, révèle qu’Anne-Elisabeth Lemoine toucherait entre 300 et 500 euros par émission pour C à Vous[3] lorsqu’elle était chroniqueuse.
Nébuleuse et militantisme
L’animatrice fait partie des têtes d’affiches du service public. N’hésitant pas à brocarder des personnages comme Éric Zemmour ou Karine Lemarchand pour son entretien avec Marine Le Pen dans Une ambition intime, Lemoine porte une haute estime pour Patrick Cohen, qu’elle juge « indispensable » à C à Vous. Pour son producteur, Pierre-Antoine Capton, elle « est excellente, abat un travail monstrueux et les audiences records, ça n’est pas un hasard ». À l’instar de Capton, elle a rencontré l’actuel rédacteur en chef adjoint de « C à Vous », Christian Desplaces, lorsqu’elle officiait sur Canal+ : « Lorsque je la rencontre, en 1998, lors d’un entretien, je lui demande ce qu’elle regarde à la télévision, et elle me répond qu’elle adore Amour, gloire et beauté. Je me suis dit que c’était formidable : enfin une journaliste pas formatée ».
Côté militantisme, il n’y a rien d’officiel à signaler. Si lors des élections de 1988 « Babeth » ose un t‑shirt « Barre confiance » en soutien à l’ancien premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing, aucun encartement n’est à signaler. Comme le souligne Libération : « Elle a beau rappeler avoir tancé Macron qui se défaussait sur Brigitte lors d’un faux pas médiatique, on la verrait bien s’être mise en marche assez facilement. »[4]. En somme elle semble, par sa récurrente prise de position contre le sexisme dans le monde du PAF ou pour ses clashs contre Éric Zemmour, la parfaite incarnation de la nouvelle présidente de France Télévision, Delphine Ernotte, qui vise à construire une télévision débarrassée des hommes blancs de plus de 50 ans.
Elle l’a dit
« C’est important de se retrouver face à soi-même, d’avoir un moment de silence. Et aussi de partage. » sur sa fréquentation de la messe dominicale, Libération, 27 août 2017.
« C’est une réalité : le monde de la télévision est plus dur pour les femmes. Michel Drucker ou Jean-Pierre Foucault n’ont pas d’équivalents féminins. », TéléObs, 1er septembre 2016.
« Quand j’avais 15 ans, je voyais Christine Ockrent à la télévision et je me disais que je voulais être comme elle plus tard : moderne et respectée. », Ibid.
« Je lui dois beaucoup, il le sait. […] C’est lui qui m’a formée, il sait faire grandir les talents. », à propos de Marc-Olivier Fogiel, Ibid.
« Je me souviendrais toute ma vie du livre d’Eric Zemmour. J’avais été frappé par la façon dont il parlait des femmes, alors je me suis accrochée à ça, je me suis fait confiance et je lui ai dit : « Elle a le droit de faire quoi votre femme à la maison ? ». Ce n’était pas une question de journaliste mais ça avait créé un moment de dingue. C’était ça que Fogiel nous autorisait à faire : à être nous-mêmes avant d’être des journalistes. », Ibid.
« Pour moi, ce n’est pas une émission de télévision. Ce soir c’est la citoyenne qui va parler. », à propos de l’Émission pour la Terre, Le Figaro, 15 octobre 2019.
« Les femmes sont toujours jugées un peu différemment », L’Obs cité par TéléLoisirs, 26 août 2021.
« Personnellement j’ai dû calculer la date de mes deux grossesses pour être à l’antenne en septembre. » Ibib.
Ils l’ont dit
« La vraie rédactrice en chef, c’est elle. Elle valide tout. Les invités les sujets, etc.”[…] “C’est une grande professionnelle. Mais le succès ne l’a pas apaisée. Elle ne prend jamais de vacances durant la saison, elle n’a pas de joker. Elle est toujours pleine de doutes, ce qui peut être épuisant pour ses collaborateurs », des collaborateurs sur le plateau de « C à Vous », Le Parisien, 29/09/2023.
« Son style plaît aussi aux célébrités qui se ruent sur son plateau. Depuis septembre, « C à vous » est l’émission où les people aiment se rendre, rassurés par une présentatrice qui posera les questions qui fâchent mais avec un grand sourire », Le Parisien, 31/03/2019.
« Le fait qu’on lui fasse tardivement confiance a renforcé son manque de confiance. Elle s’est souvent dit qu’elle devait être nulle puisqu’elle restait toujours chroniqueuse », un de ses proches, Ibid.
« Elle est vraiment le moteur de l’émission. Dès 8 heures du matin, elle peut envoyer des textos pour suggérer tel sujet ou tel invité. Elle ne se contente pas de distribuer la parole, d’accueillir les propositions et d’arbitrer. », Patrick Cohen, Le Figaro, 14 janvier 2021.
« Elle a cette exigence folle, cette simplicité et cette bienveillance. Tous les après-midis, elle finalise avec moi mes chroniques, elle me donne son avis pour qu’il y ait un peu plus de rythme. », Mohamed Bouhafsi, Ibid.
« Elle va voir les films, assiste aux pièces, lit les livres… C’est une émission difficile à présenter car on passe d’actus lourdes à d’autres plus légères. Elle maîtrise les sujets, l’équipe, la technique. Elle fait partie de cette race d’animateurs‑là », Maxime Switek, Grazia, 18/04/2018.
« Aujourd’hui, l’ex-monitrice de colo est entourée d’une bonne vingtaine de journalistes, monteurs, reporters, graphistes, rédacteurs en chef, chroniqueurs, qu’elle prend le temps de présenter un par un aux visiteurs. Les nouvelles recrues sont systématiquement applaudies par les autres à leur arrivée […] Deux horloges au mur, des écrans de télé allumés, une pancarte « vous êtes super« . Sur la porte d’entrée, un tableau rappelle les anniversaires à fêter dans les trois prochains mois. Moyenne d’âge, moins de 30 ans et jamais un mot plus haut que l’autre. « J’ai décidé d’être un manager à l’écoute », assure Anne-Elisabeth. Plutôt rare dans le milieu », Ibid.
Notes
[1]« Portrait : Anne-Elisabeth Lemoine : C à elle », Libération, 27 août 2017
[2]Ibid.
[3]« Salaire des stars de la télé : le grand déballage », Le Point, 04 janvier 2017.
[4] « Portrait : Anne-Elisabeth Lemoine : C à elle », Libération, 27 août 2017
Illustration : capture d’écran vidéo “Bonsoir!”, 14 juin 2018, via YouTube