L’éternel jeune homme du PAF
« J’ai commis la terrible erreur de croire qu’il y avait des choses plus importantes dans la vie que la télé. »
Sur Canal+, pour la rentrée 2013, pas de surprise mais du recyclage. Après de nombreuses supputations, c’est en effet Antoine de Caunes, l’enfant chéri de la chaîne cryptée, qui a succédé à Michel Denisot à la tête du « Grand journal » pour deux ans. Il est évincé en 2015 au profit de Maïtena Biraben mais gardera son rond de serviette à Canal+ et à France Inter. Un parcours peu étonnant compte tenu de la carrière aux multiples facettes du fringant sexagénaire (né en 1953 à Boulogne-Billancourt) sur qui les années ne semblent pas avoir de prise. Peut-être parce qu’il manque d’aspérités ?
Formation universitaire
Faculté de lettres de Paris.
Parcours professionnel
Bien qu’il soit issu de la haute bourgeoisie (fils du journaliste Georges de Caunes et de la productrice et animatrice Jacqueline Joubert), Antoine de Caunes a travaillé durant ses études en tant que coursier pour un cardiologue. De ses parents, il loue l’esprit d’indépendance et l’anticonformisme : « Mais la façon dont mes parents exerçaient leur métier reste exemplaire à mes yeux. Mon père a toujours gardé sa liberté de commentaire, même s’il s’est fait virer deux ou trois fois du 20 Heures. Ma mère avait, elle, pris une part active dans les manifestations de Mai 68, ce qui lui a valu d’être «blacklistée» pendant deux ans. Ils sont toujours restés droits et intègres, ça m’a toujours impressionné. » Puis il entre comme assistant à la société Sygma et donne ses premiers papiers à la revue musicale Rock&Folk. Il entame sa carrière télévisuelle à la fin des années 70, sur Antenne 2, en créant et co-animant, avec Jacky (Jacques Jakubowicz), « Chorus », l’une des toutes premières émissions à défendre le rock à la télévision et à diffuser des concerts en direct. Aspect moins connu, à la même époque il écrit et compose, sous pseudonyme, divers génériques de dessins animés restés fameux tel que Cobra ou X‑OR.
À l’écran, son physique de jeune premier, son phrasé énergique et rapide, fonctionnent immédiatement et lui ouvrent de nombreuses portes du monde des médias.
Il poursuit donc sa carrière en produisant et animant l’émission « Houba-Houba » puis « Les Enfants du rock » et « Rapido ». Parallèlement, il fait également ses débuts à la radio, avec l’émission « Marlboro Music », qui traite elle-aussi de l’univers du rock.
Le succès est croissant et son style novateur s’exporte même à l’étranger où il présente des versions anglophones de ses émissions.
Mais c’est surtout son arrivée sur Canal qui va faire exploser la notoriété d’Antoine de Caunes et le transformer en l’une des plus grandes stars du Paf. En effet de 1987 à 1995, avec l’aide des auteurs Albert Algoud et Laurent Chalumeau, et en compagnie de José Garcia, il va interpréter le rôle d’humoriste trublion qui va assurer le succès de l’émission vitrine de la chaîne, « Nulle part ailleurs », présentée par Philippe Gildas. Au même titre que « Les Nuls » ou « les Guignols de l’info », il fonde et incarne ce que l’on va rapidement appeler « l’esprit Canal », mélange d’humour potache et d’impertinence mesurée, ne sortant jamais des limites du « politiquement correct » et adhérant parfaitement à l’esprit du temps. Ses personnages de scout attardé (Ouin-Ouin dit Pine d’huître), de Français délateur (Gérard Languedepute) ou de beauf à la Cabu (Raoul Bitembois) ravissent la « bourgeoisie bohème », cœur de cible de la chaîne à péage.
À partir de 1993, il anime aussi, en compagnie du couturier Jean-Paul Gaultier, une émission burlesque sur la chaîne Britannique Channel 4, Eurotrash (« Europoubelle »), qui connaît un certain succès de l’autre côté de la manche.
En 1995, il quitte « Nulle part ailleurs » pour se lancer dans une carrière cinématographique, des deux côtés de la caméra. Une expérience qui, malgré quelques petits succès d’estime, ne décollera jamais vraiment. Ce qui ne l’empêche pas de devenir le « maître de cérémonie » de la cérémonie des Césars, qu’il animera 9 fois d’affilée, record absolu pour ce genre d’exercice.
Pour compléter ses revenus, Antoine de Caunes apparaît également dans diverses publicités comme celles pour le groupe Vinci Autoroutes ou l’opticien Krys.
Après avoir présenté, en 2006, sur France 4, quelques émissions consacrées aux divers festivals du septième art (« Parfum de Cinéma »), il revient aujourd’hui à ses premiers amours en succédant à Michel Denisot à la tête du « Grand Journal » de Canal. La direction espère ainsi relancer un programme « trop assagi », en y insufflant plus de légèreté et de « culture pop ». Il tente de piéger (même si la séquence est ambiguë et qu’il est possible que cette allusion soit involontaire) Julie Gayet, alors que sa liaison avec François Hollande n’est pas officielle, en lui posant une question non dénuée de sous-entendus : « Et vous Julie, vous avez soutenu la candidature de François Hollande au moment de l’élection présidentielle, je voulais savoir où vous en êtes aujourd’hui ? ». Très critiqué pour ses premières prestations, l’émission semble pourtant recueillir de meilleurs taux d’audience que ceux de l’année précédente. L’animateur apprend qu’il n’est pas reconduit à l’issue de la seconde saison en 2015, alors que Vincent Bolloré vient de prendre le contrôle de la chaîne cryptée. Ce serait lui qui aurait suggéré de remplacer le mâle blanc sexagénaire par Maïtena Biraben, qui ne rencontrera pas plus de succès que son prédécesseur. Mais l’animateur n’en tiendra pas rigueur au milliardaire breton : « j’ai très vite eu un rendez-vous avec Vincent Bolloré et on est tombé d’accord sur l’idée qu’on avait envie de travailler ensemble après Le Grand Journal. » (GQ).
Même s’il conserve son éternel rond de serviette à Canal+ (La Gaule d’Antoine, L’Émission d’Antoine), il anime parallèlement « Popopop », une émission culturelle consacré à la « culture pop », à 16h du lundi au vendredi depuis la rentrée 2017 sur les ondes de France Inter.
En 2017, sa fille révèle dans le New Yorker qu’elle aurait subi une agression sexuelle de la part d’Harvey Weinstein en 2010 dans sa chambre d’hôtel cannoise. Son père qualifie par la suite l’ancienne poule aux œufs d’or d’Hollywood de « gros porc puant » et de « fils de pute », en ajoutant qu’il « espère qu’il va manger sa race ».
Parcours militant
« Il vote à gauche en 1981 et 1988 et s’abstient en 1995, veuf pas trop éploré d’un «espoir démesuré» » (Libération).
Depuis 1993, Antoine de Caunes est le président d’honneur de l’association Solidarité Sida (qui bénéficie de près de 2,5 millions d’euros de subventions et de partenariats publics et privés ; les dons et cotisations ne représentant que 6% des ressources).
Il profite de sa notoriété et de sa présence à l’écran pour diffuser de nombreux messages de prévention et participe à l’organisation d’événements culturels de soutien à l’association (tel le festival « Solidays » ou la « Nuit du Zapping » et la « Nuit de l’Humour »). Antoine de Caunes définit son engagement comme une « lutte festive contre le sida ».
Il s’implique également dans la vie locale de Trouville-sur-Mer, où il possède une résidence secondaire, en défendant les derniers pêcheurs du cru ou en contribuant à la rénovation de monuments historiques dégradés.
Publications
- Magma, Albin Michel, Collection Rock&Folk, 1978.
- C’est bon, mais c’est chaud, Fleuve Noir, 1990.
- C’est beau mais c’est triste, Fleuve Noir, 1998.
- Dictionnaire Amoureux du Rock, Plon, 2010.
Recueils de ses allocutions de Nulle part ailleurs ; textes écrits avec Albert Algoud
- Vous permettez que je vous appelle Raymond ?, Seuil, 1990.
- Pas mal pour un lundi, Seuil, 1990.
- J’aime beaucoup ce que vous faites, Albin Michel, 1991
- Une ambulance peut en cacher une autre, Canal, 1992.
- Bien entendu, je plaisante, Canal+, 1993.
- Le Petit Gildas illustré, Canal+, 1993.
Filmographie
Comme acteur
- 1989 : Pentimento de Tonie Marshall
- 1996 : Les Deux papas et la Maman de Jean-Marc Longval et Smaïn
- 1997 : C’est pour la bonne cause de Jacques Fansten
- 1997 : La Divine Poursuite de Michel Deville
- 1998 : L’homme est une femme comme les autres de Jean-Jacques Zilbermann
- 1999 : Au cœur du mensonge de Claude Chabrol
- 1999 : Chili con carne de Thomas Gilou
- 2000 : Là-bas… mon pays de Alexandre Arcady
- 2001 : Le Vélo de Ghislain Lambert de Philippe Harel
- 2002 : Blanche de Bernie Bonvoisin
- 2002 : Les Clefs de bagnole de Laurent Baffie
- 2006 : Un ami parfait de Francis Girod
- 2007 : Les Vacances de Mr. Bean
- 2008 : Tu peux garder un secret ? d’Alexandre Arcady
- 2008 : 48 Heures par jour de Catherine Castel
- 2009 : La Folle histoire d’amour de Simon Eskenazy de Jean-Jacques Zilbermann
- 2010 : Mumu de Joël Seria
Comme acteur à la télévision
- 1998 : Bob le magnifique (téléfilm) de Marc Angelo
- 2002 : Les Amants du bagne (téléfilm) de Thierry Binisti
- 2006–2008 : Kaamelott (série télévisée)
- 2007 : Off Prime (série télévisée, saison 1, épisode 2)
- 2010 : Du hard ou du cochon ! (série télévisée, épisode 3)
- 2012 : Bref (série télévisée, épisode 53) de Kyan Khojandi et Bruno Muschio
- 2013 : L’homme à la tête de kraft (court-métrage) de Thierry Dupety et Sandra Joubeaud
- 2013 : Dangereuses retrouvailles (téléfilm) de Jérôme Debusschère
- 2013 : Hitchcock by Mocky, épisode “Le don d’Iris”
Comme réalisateur
- 1997 : T’en as ?
- 2001 : Les Morsures de l’aube
- 2002 : Monsieur N.
- 2006 : Désaccord parfait
- 2008 : Coluche, l’histoire d’un mec
- 2011 : Yann Piat, chronique d’un assassinat
Ce qu’il gagne
Non renseigné
Sa nébuleuse
Albert Algoud, José Garcia, Laurent Chalumeau, Luc Barruet, Emma de Caunes (sa fille), Daphné Roulier (qu’il a épousé en 2007). Charline Roux (co-animatrice de Popopop sur Inter).
Il l’a dit
« Il est navrant de songer qu’après avoir survécu aux invasions barbares, à l’Inquisition, à la peste noire… l’humanité finira par succomber, pour avoir pulvérisé à l’aide de bombes aérosols, ces chlorofluorocarbures fatals à la couche d’ozone. » (Almanach, 1991)
« Le pétard est la seule arme que le non violent que je suis tolère. » (Almanach, 2011)
« J’ai commis la terrible erreur de croire qu’il y avait des choses plus importantes dans la vie que la télé. » (Le Grand Journal, septembre 2013)
« L’idée de ce rassemblement, c’est de crier qu’il est intolérable que l’on touche à des gens qui dessinent, qui caricaturent, dont la liberté d’expression est la raison d’être. Il est insupportable aussi qu’on s’en prenne à des juifs dans la France d’aujourd’hui. Comme il est inacceptable de tuer des policiers, en exercice ou non.
De la même manière, je trouve invivable qu’on stigmatise les musulmans comme s’il était juste de les rendre responsables du comportement psychopathe de certains.
Alors, oui, cette manifestation est un élan pour dire “on est avec vous”. C’est un pare-feu gigantesque dans un monde où les crispations identitaires s’entremêlent à la crise économique. Tous les facteurs sont réunis pour que ça pète. Et bien, non, ça ne pètera pas, au contraire, la France entière se réveille, dans un sursaut républicain, pour démuseler la parole.» Le Hufftington Post, 10 janvier 2015.
« Je ne vais pas être très original en vous disant que j’ai depuis plusieurs années remarqué une désillusion vis-à-vis du politique et de la politique, que le fossé s’est creusé entre ceux qui possèdent et les autres. Ajouté au sentiment de ne pas être écoutés ni entendus, ça donne les «gilets jaunes». Avec ce vrai paradoxe: les gens sont fatigués de la politique, mais si on met à la tête du pays des personnes qui viennent d’un autre monde, avec très peu d’expérience, ça met le feu d’un seul coup et ça devient impossible. Le péché macronien, c’est de s’être fait élire sur un projet participatif qui allait changer la donne, qu’il a immédiatement contrebalancé par un exercice très Louis XIV du pouvoir. La contradiction entre les deux fait que ça ne marche pas du tout. », Le Temps, 16 février 2019.
« Si vous pouviez changer une chose à l’histoire du rock ?
Je dévierais la balle de Chapman pour éviter la mort de John Lennon. Et elle irait rebondir sur Trump, qui construisait ses tours à l’époque. Ce serait une uchronie sympathique. », Ibid.
« France Inter est-elle devenue le Canal+ de la radio ?
Je ne sais pas. Ce que je peux dire, c’est que je retrouve ici à Inter une forme de l’état d’esprit qu’il y a eu à Canal dans les années 1980, où on avait l’impression d’évoluer dans un labo où l’on pouvait venir essayer des choses en toute liberté, sans avoir en permanence la pression de l’audience, du marketing ou de l’image. Ca me rappelle cela, oui. En même temps, l’époque est différente et on ne fabrique pas la même chose. Mais pour ce qui est de la liberté dans le travail, oui, certainement, il y a des croisements. », PureMédias, 19 septembre 2019.
Ils l’ont dit
« Ses maîtres étaient jésuites, ses copains trotskistes, il en ressort «épidermiquement hostile aux dogmes, préférant les doutes aux certitudes, et s’interdisant de militer activement de tel ou tel bord». Occupé à mettre du poil à gratter sous les bras d’un morne pays majoritairement conservateur, cet «insoumis à l’autorité» se découvre membre distancié de la génération Mitterrand. […] Sans s’appesantir sur la tristesse d’une époque où le marché triomphe («Je le constate, je le déplore, je m’en alarme, mais qu’y puis-je?») et où se reconstituent les ligues de vertu, de Caunes concède juste qu’il ne croit «qu’au mélange, qu’au métissage». » Luc Le Vaillant, Libération, 24 avril 1996.
« Depuis Nulle part ailleurs, où il était sublime, il a réalisé trois films ratés et n’a pas rencontré le succès en tant qu’acteur. Il doit concevoir une grande frustration à désormais passer les plats dans une cérémonie couronnant ceux qui ont réussi au cinéma. Il ne recevra jamais de César pour ce rôle », Daniela Lumbroso, à propos du rôle de « maître de cérémonie » des Césars dévolu à Antoine de Caunes lors des 9 dernières éditions. (TV Mag, mars 2011)
« La déception face au Grand Journal version De Caunes est proportionnelle aux attentes suscitées par le retour au bercail du Pine d’huître prodigue. (…) On allait voir ce qu’on allait voir : de la fantaisie, de la bienveillance, du late-show à l’américaine, plus de temps laissé à l’invité, moins de saucissonnage, moins de bruit, un plateau à taille humaine. Et lundi, caramba : déjà raté », Libération, septembre 2013.
« Antoine est un peu perdu dans un format qui ne lui laisse pas la liberté dont il a absolument besoin. Il y a trois grandes séquences dans l’émission, avec le zapping, les guignols, la météo, et cela laisse peu de place à quelqu’un d’aussi inventif qu’Antoine, que je plains certains jours de se retrouver dans cette situation-là » Philippe Gildas, octobre 2014.
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