Européiste jusqu’au bout
Partisan d’une Europe technocratique et « austéritaire », Arnaud Leparmentier, éditorialiste au Monde, se fait le relais de l’idéologie européiste la plus zélée. Désinvolte et condescendant, il distille, de façon assidue et récurrente, le corpus idéologique ordo-libéral au sein de la sphère médiatique française.
Obsédé par les « réformes » et les traités, il accuse volontiers les adversaires de l’Europe de Maastricht et de Lisbonne d’être des « populistes », préférant pour sa part prôner l’orthodoxie allemande qui fait du service de la dette et de la déférence quasi-religieuse envers les institutions européennes des obligations civiques. Dédaigneux à l’encontre des souverainetés nationales, il les accable autant que possible des maux économiques, sociaux et culturels qui peuvent affliger les pays européens depuis la crise de 2008, occultant par ailleurs les fondements financiers de cette dernière, et n’hésitant pas à se faire le serviteur dévoué des marchés boursiers et des solutions politiques qu’ils prescrivent.
En réalité, Arnaud Leparmentier est le héraut d’un cénacle médiatique qui n’a jamais digéré l’affront populaire du « non » au référendum de 2005, ce qui pourrait expliquer son aversion pour toutes les formes d’exercice démocratique du pouvoir, au profit d’une vision strictement économiciste et technique de la politique, qu’il entend assujettir au gouvernement des experts. Un programme journalistique qu’il a pu appliquer aux côtés de son confrère Jean Quatremer, correspondant à Bruxelles pour Libération, au cours de l’épisode de juin-juillet 2015 qui a opposé le premier ministre grec Alexis Tsipras à ses créanciers européens.
Peu importe si ses approximations dogmatiques sont fréquemment réfutées soit par le cours des événements, soit par des économistes émérites, Arnaud Leparmentier ne manque jamais de fidélité à son crédo néolibéral, austéritaire et aveuglément légaliste. Il est ainsi dommageable que sa vocation d’éditorialiste au sein de l’ex «quotidien de référence » s’embarrasse si peu de prendre en compte les opinions nuancées et pertinentes sur le sujet de l’édifice européen. Son acharnement éditorial (comme lorsqu’il prévoyait la victoire du oui au référendum grec, tweet effacé depuis) laisse par ailleurs à penser que l’éditorialiste n’estime pas vraiment être comptable de ses biais de lecture souvent incorrects. Ainsi, ces nombreux épisodes de dévotion européiste tournent souvent à la caricature, et renvoient l’impression d’un idéologue qui se parodie lui-même, plutôt que d’un journaliste qui rend compte de la complexité et de la multipolarité des enjeux de la construction européenne.
Depuis qu’il couvre la politique américaine, il serait malhonnête d’affirmer que Leparmentier est le plus partial des journalistes, car la partialité est plus que jamais de mise dans le monde entier, dès lors qu’il est question d’analyser la politique trumpienne. Toutefois, comme un grand nombre d’envoyés spéciaux, il peut lui être reproché de s’abreuver systématiquement aux mêmes sources et de faire montre d’une fâcheuse tendance à crier avec les loups, quitte à s’épuiser en contorsions d’un article à l’autre. Ainsi, si en août 2017, on peut lire sous sa plume des titres aussi oraculaires que « Wall Street lâche à son tour Donald Trump » ou « Donald Trump, l’improbable grande réforme fiscale américaine », le ton change du tout au tout à quelques mois d’intervalles. On apprend donc en décembre 2017 que « la Bourse jubile en attendant la réforme fiscale de Donald Trump », mais que le lecteur se rassure : si le Président américain a une action positive dans quelque domaine que ce soit, il vaut mieux la mettre sur le compte du hasard, de la capricieuse conjoncture économique (« C’est la fête, mais est-ce grâce à Trump ? ») ou de sa méconnaissance des marchés, qui ne tarderont à lui faire payer, tôt ou tard, sa coupable inconséquence (« Les Trumpeconomics, bluff ou catastrophe ? »). En attendant le prochain revirement, le lecteur un tant soit peu critique en vient à méditer : est-il un relaps de l’erreur d’analyse ou simplement un porte-voix du clergé médiatique euro-américain ? Las, il en viendra à la conclusion que les deux propositions ne s’excluent pas mutuellement. Et puis, en fin de compte, si « Aucun opérateur n’avait prévu la force de l’effet Trump », la lecture de l’ex journal de référence n’est peut-être pas si si nécessaire que ce que l’on se plaît à croire.
Formation
Arnaud Leparmentier est ancien élève de l’École des Hautes Études Commerciales (HEC), dont il est sorti diplômé en 1990.
Parcours professionnel
Il débute sa carrière de journaliste à Option Finance en 1992, puis au Nouvel Économiste en 1993.
Il entre à la rédaction du Monde en 1995. Ses premiers postes correspondent à sa sensibilité européiste, puisqu’il est tout d’abord correspondant en Allemagne, puis à Bruxelles. A partir de 2005, il est nommé chef du service politique du journal, ce qui l’amène à être journaliste accrédité à l’Élysée pendant tout le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Il quitte cette fonction après l’élection de François Hollande, et devient directeur adjoint des rédactions, puis directeur éditorial. Arnaud Leparmentier est au demeurant l’un des éditorialistes du quotidien.
Par ailleurs, depuis 2013, il co-présente l’émission hebdomadaire « Le Grand Rendez-vous », en partenariat avec Europe 1 et i>Télé. À partir de l’été 2017, il est nommé correspondant du Monde à New York, où il couvre la politique intérieure et étrangère américaine.
Ce qu’il gagne
D’après Alain Rollat (Ma part du «Monde », vingt-cinq ans de liberté d’expression, Les Éditions de Paris, 2003), un directeur des rédactions du Monde gagnait 26 000 € par mois en 2003. Des informations reprises par Pierre Péan et Philippe Cohen dans leur ouvrage La Face Cachée du Monde (Mille et Une Nuits, 2003). Un chiffre qui semble élevé.
Publications
- Nicolas Sarkozy. Les coulisses d’une défaite : chronique d’un échec annoncé, l’Archipel, 2012.
- Ces Français, fossoyeurs de l’euro, Plon, 2013.
Filmographie
- Baron noir (2016)
Distinctions
En 2013, il est récompensé par le Prix du livre européen, catégorie essai, pour son ouvrage Ces Français, fossoyeurs de l’euro paru la même année. Le jury est présidé par Bernard Henri-Lévy.
Sa nébuleuse
Il est proche du correspondant à Bruxelles pour Libération Jean Quatremer, qui défend lui aussi des positions européistes et austéritaires.
Il l’a dit
« Effectivement, M. Trump est un précieux atout pour Pékin, tant il affaiblit… les Etats-Unis. Obama avait engagé un accord commercial transpacifique pour contenir la Chine. Trump l’a quitté. Des Kurdes aux Philippins, nul ne fait plus confiance à Washington, tandis que Washington est en proie à une quasi-guerre civile. Voilà qui fait l’affaire de la Chine. Le retour des démocrates permettrait-il une cohabitation plus constructive des deux superpuissances planétaires ? Pas vraiment : le consensus antichinois des Américains est puissant, qui ne supportent pas d’être relégués au second rang. Les démocrates, en tout cas leurs candidats les plus à gauche, Bernie Sanders et Elizabeth Warren, ont un agenda fort peu libre-échangiste et insistent sur les droits de l’homme. Bref, une Amérique redevenue cohérente et réellement exigeante sous les démocrates serait peut-être plus gênante pour Xi Jinping que le chaos trumpiste, qui n’obtient, on devrait le voir dans l’accord commercial, que des concessions de façade et un retour à la case départ. », « Donald Trump, le meilleur candidat de Pékin », Le Monde, 12 novembre 2019.
« Trois mois après le début des tensions commerciales avec les États-Unis, les Européens savent désormais à quoi s’en tenir : leur allié américain n’est pas un partenaire fiable. Avec la répudiation de l’accord sur le nucléaire iranien, l’annulation unilatérale du sommet historique avec le dirigeant nord-coréen, Kim Jong-un, Donald Trump multiplie les preuves de son imprévisibilité, de son obsession pour les promesses de campagne à son électorat national, et du peu de cas qu’il fait de ses alliés pourtant historiques. », « Commerce : l’Europe fataliste face à Donald Trump », Le Monde, 29 mai 2018.
« Au secours, les élections reviennent ! A force de ne penser qu’à 2017, on avait fini par les oublier. Elles auront lieu demain, en 2015, et s’annoncent périlleuses. Non, il ne s’agit pas des départementales ni des régionales, catastrophe annoncée pour le PS, qui risquent de contraindre Valls à se démettre ou à mettre encore plus d’eau dans son brouet réformateur. Non, ce sont les élections dans les pays du sud de l’Europe qui menacent de relancer la crise en Europe. En Espagne, au Portugal, et surtout en Grèce. “Zone euro : ça va secouer !”, mettaient en garde, dès lundi 15 décembre, nos confrères libéraux – c’est un compliment – de l’Opinion […] L’ennui, c’est que les marchés s’en aperçoivent, qui commencent à dévisser. Au moins les Bourses, tandis que les taux d’intérêt restent au plus bas. Explication : l’Europe est protégée par Mario Draghi, le président de la BCE », Le Monde, 17 décembre 2014.
« Enfin, le petit couplet sur la légitimité démocratique du vote des Grecs en faveur de Syriza qui supplanterait les oukases d’une “troïka” (Commission, BCE, FMI) non démocratique est un brin fallacieux. En réalité, deux légitimités démocratiques s’affrontent, celle des Grecs et celle des dix-huit autres partenaires de la zone euro qui, tous, ont fait approuver par leurs parlements nationaux respectifs le plan d’aide à la Grèce à condition qu’elle se réforme et ne récidive pas », Le Monde, 4 février 2015.
« Depuis des mois, les dirigeants grecs se drapent dans leur légitimité démocratique, comme si la voix des autres citoyens européens ne comptait pas. La voix d’un Grec vaut autant, mais pas plus, que celle d’un Allemand, d’un Slovène ou d’un Français », Le Monde, 1er juillet 2015.
« Cruelle désillusion pour George Bush qui croyait, sans doute de bonne foi, accomplir pour l’Irak de Saddam ce qui avait été réussi avec l’Allemagne après 1945 », Le Monde, 29 avril 2015.
« Les Français vont devoir accepter que l’islam soit devenu la deuxième religion de France, confiait récemment un ministre socialiste. Les Européens aussi. Faisons un premier geste : six grandes fêtes religieuses catholiques sont fériées. Ajoutons‑y les deux grandes fêtes juive et musulmane, Yom Kippour et l’Aïd-el-Kebir, ainsi que le 9 mai, jour de la déclaration Schuman qui lança l’Europe, troqués contre une semaine de RTT. Il ne s’agit pas d’un renoncement. Ce serait montrer que la laïcité n’est pas faite seulement pour les chrétiens et les athées. Ce serait la renforcer », Le Monde, 14 janvier 2015.
« L’Allemagne est en première ligne. Angela Merkel, la fille de pasteur protestant a maintenu la Grèce dans l’euro, mais lui a infligé une cure d’austérité et de modernisation nécessaire. La chancelière, qui a accusé Poutine de “fouler aux pieds le droit international”, traite en direct le dossier. Elle espère que les Russes se lasseront de leur leader lorsque l’économie russe s’effondrera. Quant à la Roumanie, c’est un protestant issu de la minorité allemande, Klaus Iohannis, qui a été élu président de la République à la surprise générale, dimanche 16 novembre, par une population fatiguée de la corruption généralisée. Si les orthodoxes deviennent protestants, sans doute est-il permis d’espérer », Le Monde, 19 novembre 2014.
Ils l’ont dit
« Arnaud Leparmentier refuse absolument l’idée de la remise en cause démocratique de l’austérité […] Au final, que retenir de cet éditorial ? L’image d’une Europe condamnée aux ajustements, refusant toute solidarité interne et en même temps toute différence, montant les peuples les uns contre les autres, établissant une démocratie sur la base de critères économiques. L’Europe dont rêve Arnaud Leparmentier n’est en fait qu’un immense gâchis », La Tribune, 6 juillet 2015.
« C’est une photo comme il y en a des milliers, certaines sympathiques, d’autres grotesques : un selfie. Deux ahuris font un selfie, regards béats et satisfaits. Ils se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Ils sont visiblement très contents de leur coup, “on va le mettre sur Twitter pour les faire chier”. Arnaud Leparmentier et Jean Quatremer. On est jeudi 2 juillet, jour de manifestation de solidarité avec le peuple grec. Il y a une légende à la photo : « Ça va Bastille ? Nous on est rive gauche » […] Même au milieu des ruines fumantes de l’Europe effondrée, eux ne lâcheront rien : ce sera toujours la faute à autre chose, les Grecs feignants, les rouges-bruns, la bêtise des peuples, l’erreur, quand même il faut le dire, de trop de démocratie. Mais tous les systèmes ont leurs irréductibles acharnés et leurs obturés du jusqu’au bout. Têtes politiques en gélatine, experts de service, journalisme dominant décérébré, voilà le cortège des importants qui aura fait une époque. Et dont les réalisations historiques, spécialement celle de l’Europe, seront offertes à l’appréciation des temps futurs. Il se pourrait que ce soit cette époque à laquelle le référendum grec aura porté un coup fatal », Frédéric Lordon, Le Monde Diplomatique, 7 juillet 2015.
Ca va, Bastille? Nous on est rive gauche @quatremer pic.twitter.com/gYCei3tUO1
— Leparmentier Arnaud (@ArLeparmentier) 2 Juillet 2015
« La jubilation d’Arnaud Leparmentier à l’idée de justifier, à une heure de grande écoute, le renversement d’un gouvernement qu’il honnit […] est celle d’un bateleur d’estrade, qui mime la transgression et cultive la provocation. Soyons clair : Arnaud Leparmentier est libre d’avoir ses opinions. Ses interventions soulèvent néanmoins cette question : au nom de qui parle-t-il ? », ACRIMED, 24 juin 2015.
« On peut bien sûr comprendre entre les lignes que le vrai danger, c’est celui d’électeurs ne votant pas comme ils le devraient – sûrement trop stupides pour accepter de mourir guéris. D’électeurs grecs qui voyant que la terrible austérité imposée par la Troïka n’a non seulement rien résolu mais détruit toute leur société – pour rien. Des électeurs espagnols voulant en finir avec des partis corrompus et qui eux aussi voient que l’Espagne est sacrifiée, que toute sa jeunesse est sacrifiée – pour rien. Brecht avait parlé du gouvernement qui voulait changer son peuple : on en est là avec nos élites dirigeantes. Leur dogmatisme économique, véhiculé par M. Leparmentier, a des conséquences terribles sans pour autant, après six ans de crise, réussir à résoudre le moindre problème : dette, chômage, croissance, etc. Ah si, un seul point est positif dans leurs politiques : les revenus des hyper-riches ont explosé. Il faut donc que les gens votent comme ils le devraient, pas pour des ‘populistes’ et sinon l’aggravation de la situation (un krach encore initié par la Grèce, soit 1,3% du PIB de l’Europe en 2013 !) aurait in fine le mérite de ” mettre le couteau sous la gorge des Français” [sic]. Quelle élégance ! […] Les élections, un danger ? Le penser, M. Leparmentier, est trahir ce pourquoi ce journal a été fondé ; l’écrire est inadmissible et le lire insupportable », Jacques Seignan, 18 décembre 2014.
« Le chroniqueur Arnaud Leparmentier, qui ferait passer Jean-Claude Juncker pour un souverainiste et Jean Quatremer pour un gauchiste […] Arnaud Leparmentier fait partie de ces gens civilisés qui préfèreraient que les Grecs continuent à se ruiner pour une certaine conception de l’Europe. Et s’ils pouvaient le faire en silence, ce serait mieux, car on ne demande pas aux gueux de donner leur avis », Marianne, 22 janvier 2015.
« Dans Le Monde daté de ce jeudi, le comble de l’abjection est atteint par Arnaud Leparmentier sous couvert de dénoncer le manque de « courage » du chef de l’Etat sur le sujet. « Las, si Combrexelle se rêve en Hartz, Hollande ne sera jamais Schröder. L’objectif n’est pas de traiter de front les «chiffons rouges » sociaux français : un SMIC trop élevé, des salaires qui progressent trop, des prud’hommes lents et imprévisibles, une Cour de cassation «rouge», une formation professionnelle gaspillée, des indemnités de chômage trop longues. Il faudrait que le marché du travail redevienne un marché, où l’on peut embaucher, licencier et retrouver un emploi rapidement », écrit-il. Bref, il faut un véritable marché aux esclaves, nous dit ce larbin du patronat titulaire d’une carte de presse. », L’Humanité, 22 janvier 2015.
« Dans un article du Monde, le journaliste Arnaud Leparmentier va jusqu’à défendre une forme de putsch en Grèce pour chasser le gouvernement Syriza du pouvoir, en utilisant une comparaison maladroite avec les coups orchestrés par la CIA en Amérique latine. Un papier qui illustre bien la peur des élites européennes face à la montée des populismes nationaux. […] Dans son papier, Arnaud Leparmentier rappelle l’éviction de Silvio Berlusconi et de Georges Papandréou, en 2011, par le “tribunal de l’euro”, lequel avait imposé à la tête de l’Italie et de la Grèce, une forme de gouvernement technique et non-élu (respectivement Mario Monti et Loukas Papademos). Il se demande pourquoi ne pas remettre ça à Athènes aujourd’hui. […] Effectivement, Arnaud Leparmentier laisse entendre que, si le gouvernement actuel ne signe pas maintenant ce que les autres Européens lui demandent, on saura bien s’en débarrasser plus tard, et pas si tard que cela », Atlantico, 18 juin 2015.