Pivot sous Poppers
« J’ai la politesse du sourire, je ne suis pas là pour flinguer, mais pour faire partager », L’Express, 12/03/2016.
Issu d’une famille nombreuse, fils d’une enseignante d’histoire-géo et d’un banquier, Augustin Trapenard est l’enfant chéri du landerneau culturel parisien. Son éternel sourire enjôleur et ses compliments onctueux lui ont permis de devenir l’un des papes audiovisuels du culturel, bénissant les productions des écrivains et des artistes qu’il reçoit avec révérence. Révélé sur Canal+, il officie depuis cette année dans la grande messe littéraire du service public « La Grande Librairie ». Jamais avare d’épithètes sirupeuses à l’intention de ses invités, son émission ne risque à aucun moment de réveiller les retraités qui la regardent en somnolant sur leur fauteuil orthopédique.
Son père est muté en Grande-Bretagne alors qu’il a 4 ans. C’est là qu’il apprend à lire et à écrire et qu’il se familiarise avec le patrimoine littéraire britannique dont il fera son miel plus tard durant ses études. À une enfance heureuse et bourgeoise succéderont les honneurs académiques et une indéniable omniprésence médiatique.
Formation universitaire
Il a été pensionnaire du Lycée Lakanal en classe préparatoire avant d’être admis à l’ENS Lyon. Dans le cadre de sa thèse, il en vient à enseigner à l’université de Berkeley. Cette voie royale vers l’agrégation, en l’espèce l’agrégation d’anglais, le destine à une carrière d’universitaire. En 2004, il commence à rédiger une thèse sur Emily Brontë qu’il n’a jamais terminée « probablement par romantisme, peut-être, fantasme-t-on, à cause du succès, du sexe et de la drogue ».
Parcours professionnel
Il est maître de conférences (ou plutôt « allocataire-moniteur dans le jargon normalien) au département de littérature anglaise de l’ENS Lyon et à l’université de Marne-la-Vallée.
Animé par un vif besoin de « revenir dans son époque », il est embauché chez Elle pour chapeauter la rubrique du magazine féminin. Bientôt, c’est dans le Magazine littéraire qu’il signe des articles. De mondanités en renvois d’ascenseurs, il part à l’assaut des médias de grand chemin : d’abord Radio Nova, puis France 24 (pour une chronique bilingue) et enfin France Inter, où il finit par animer en 2011 une émission estivale baptisée « Toute, toute première fois ». Suite à ce providentiel été 2011, France Culture lui propose d’être aux manettes d’une émission littéraire (puis d’une quotidienne, « Le carnet du Libraire, en 2013) située dans la même case horaire que « Comme on nous parle » de Pascale Clark, à laquelle il succède. Celle-ci s’intitulera « Le Carnet d’Or » et Trapenard y recevra des écrivains pendant trois ans.
En 2012, il prend la suite d’Olivier Pourriol dans le rôle de chroniqueur culturel sur le plateau du « Grand Journal », qui est encore au faîte de son influence dans le PAF. Beaucoup plus à l’aise dans ce théâtre des apparences que son prédécesseur, il gagne des galons et de la visibilité.
Tant et si bien qu’il rejoint l’écurie de la matinale d’Inter, la plus écoutée de France, où il assure l’interview culturelle de 9h10 dans une pastille intitulée « Boomerang ».
En 2016, il est sur tous les fronts car, en plus de « Boomerang », il anime une émission culturelle, « 21 centimètres » sur Canal+, qui est filmée dans son appartement parisien du Quai des Orfèvres, et « Le Cercle » qui rassemble des critiques cinématographiques s’écharpant autour des sorties de la semaine. Fin décembre 2020, il quitte la chaîne de manière plutôt inattendue. Selon Le Parisien, il ne souhaitait pas céder au désir de sa hiérarchie d’inviter une part plus importante d’auteurs édités par Editis, le géant de l’édition possédée par Vincent Bolloré, accessoirement patron de la chaîne cryptée : « On lui a fait comprendre qu’il devait être plus corporate, qu’il devait recevoir plus d’auteurs du groupe, glisse un salarié de la chaîne cryptée. Augustin, lui, voulait conserver sa liberté éditoriale ce que Canal+ ne pouvait plus lui garantir ».
Souhaitant se libérer des entraves bolloriennes, il rallie BrutX, la plateforme de streaming du média Brut, où il anime une émission littéraire, « Plumard », semblable à ce qu’il pouvait proposer dans « 21 centimètres ». Mais c’est sans compter la volonté de l’animateur de revenir dans la lumière.
François Busnel lui offre la possibilité de le faire un an plus tard en lui offrant son fauteuil de « La Grande Librairie » sur France 2 qu’il continuera à produire. À cette occasion, il cesse de présenter Boomerang pour mieux se consacrer à l’émission culturelle la plus prescriptrice de l’Hexagone (un peu moins de 500 000 téléspectateurs en moyenne).
Hyperactif notoire, il trouve le temps de présenter Plan Plan, une émission de soixante minutes, consacrée au Festival de Cannes diffusée par France Télévisions sur Culture Box, le 27 mai.
Publications
- Jane Eyre : de Charlotte Brontë à Franco Zeffirelli, coédité avec Frédéric Regard, Armand Colin, 2008.
- Devoirs de Bruxelles, Emily Brontë, (édition) Fayard/Mille et une nuits, 2008.
- Corps à corps, livre d’entretiens avec le romancier américain Edmund White, éditions de l’Aube, 2009.
Collaborations
- Il est parrain de l’association « Bibliothèques sans frontières » fondée par Patrick Weil, historien spécialiste du droit des immigrés proche du Parti socialiste, et dirigée par Jérémy Lachal, membre du Clinton Global Initiative, une éminence de la fondation Clinton. « [Il] accompagne les équipes sur place pour distribuer des mini-médiathèques modulables, des Ideas Box, selon l’appellation officielle, contenant livres, tablettes et jeux de société à destination des réfugiés ou déshérités de la culture ».
Récompenses
- 2018 : Prix Philipe Caloni du meilleur intervieweur.
- 2019 : Prix Hefor She récompensant son engagement pour l’égalité homme-femme.
- 2020 : Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres
Il l’a dit
« Je n’ai aucun problème avec ça. Pour moi, c’est tellement simple! Je viens d’un milieu très privilégié où je n’ai jamais eu à subir d’homophobie. Reste que ça a été terrible pour moi de voir toutes ces personnes rassemblées sur le Champ de Mars, à Paris, lorsqu’on a approuvé le mariage pour tous, non pas pour revendiquer un nouveau droit mais pour l’interdire à d’autres », Femina, 02/03/2014.
« J’ai conscience que je suis exigeant, angoissé, avec une tendance à communiquer ça aux autres […] Je suis fou. Je parle tout seul parfois, je peux taper des colères noires, erratiques », Les Inrocks, 29/03/2016.
« J’étais un grand lecteur d’études féministes, j’avais consacré une partie de mes études à travailler sur Emily Brontë, sur les problématiques de genre. Et je me disais : s’il y a une personne féministe, c’est bien moi. Puis, en observant comment la pensée des féministes évoluait, j’ai compris ce qu’elles voulaient dire : un homme peut être à la limite un allié mais certainement pas un féministe. Le problème est toujours le même : la domination de l’homme, c’est aussi une domination de langage. Si on parle à la place des femmes, c’est problématique », GQ, 26/11/2019.
« Dans mes émissions, programmer une femme, c’est toujours un acte engagé, militant », Ibid.
« Mais, en même temps, je lis et vis avec énormément de gourmandise. C’est peut-être mon péché capital, celui qui peut me faire tomber dans tous les excès, comme dans les années 1990 lorsque j’usais et abusais de substances moins catholiques que le cake de ma grand-mère ! », Le Monde, 07/09/2022.
« J’aimerais beaucoup m’occuper d’un enfant. Cela a toujours été mon rêve. J’ai une passion pour la transmission, l’apprentissage du langage… Tout cela me fascine », Le Monde, 21/05/2023.
Nébuleuse
- Philippe Lançon, son modèle en journalisme lorsqu’il était étudiant.
- Doria Tillier, sa meilleure amie, qu’il rencontré à l’époque du Grand Journal lorsqu’elle en présentait la météo. « Nous nous sommes tout de suite retrouvés autour de l’humour, d’une grande part d’enfance ».
- Bernard Pivot, au sujet duquel il affirme « C’est mon idole, il le sait, je lui dis chaque fois que je le croise, je l’appelle « Mon maître » ou « Mon Dieu » et il me répond « Au moins ! ».
- Laure Adler, à qui il doit son premier stage à la Maison ronde à 18 ans. A l’issue de celui-ci, elle lui propose de produire un « A voix nue » : « Je suis parti sur l’île de Ré avec un réalisateur et un technicien pour rencontrer l’écrivain Edmund White. J’avais 20 ans. À chaque question (et à chaque réponse), je jouais ma vie ».
- Mathilde Serrel, coordinatrice éditoriale de Radio Nova qui le fit venir sur la station.
- Joseph Macé Scaron, qui le fait entrer dans l’équipe de Jeux d’épreuves sur France Culture.
- Laurence Bloch, qui vient le chercher pour animer sa première émission sur Inter à l’été 2011. « C’est l’une des personnes qui m’a le plus fait pleurer, et pas seulement à son départ, s’amuse-t‑elle. Cette émission, c’était sa vie. Quand on le contrariait, il avait l’impression qu’on méprisait tout ce qu’il faisait. Les noms d’oiseaux pouvaient voler ».
- Renaud Le Van Kim, qui le débauche en 2012 pour la chronique littéraire du Grand Journal et qu’il retrouve sur BrutX, média que « le producteur le plus puissant de Paris » a confondé en novembre 2016 suite à son éviction de Canal +.
- François Busnel, son « mentor, ami et producteur ». Il le guide en coulisses via l’oreillette sur les premières émissions de « La Grande Librairie » qu’il anime.
Vie privée
Homosexuel assumé, son compagnon, Numa Privat, est directeur de l’agence immobilière Junot dans le Marais. Il confesse qu’il songe à « se marier et avoir des enfants ». Sa sœur, Constance Trapenard, est présidente de JC Lattès.
Il réside dans le Xe arrondissement de Paris.
Au cours du podcast « Coming Out », mis en ligne en 2023, il affirme avoir été victime d’abus sexuels dans son enfance par un membre de sa famille. Selon lui, cet événement traumatique n’est pas l’élément déclencheur de son homosexualité.
Ils ont dit
« Prix Baranne pour Augustin Trapenard de Canal + encore (décidément, c’est la consécration) pour ce compliment à Valeria Bruni-Tedeschi : «Vous la faites danser, cette réalité, vous la revisitez, vous la maquillez, vous la sublimez par le cinéma », Libération, 24/05/2013.
« On l’a écouté et on a compris : Augustin Trapenard, c’est la France. Une certaine idée en tout cas, intellectuelle, courtoise en public et aimant les splendides grossièretés en privé, bourgeoise, cultivée, mais à fleur de peau aussi, car romantique et éprise de liberté, capable, sur un malentendu, de monter une barricade pour la beauté du geste, avant de retourner prendre un café place Dauphine », Libération, 07/03/2017.
« [J]e songe à Augustin Trapenard que j’ai plus d’une fois croisé, un sourire idiot sur une face commune, le sourire idiot de l’homme content de lui-même, près de la Maison de la Radio ; comment ne serait-il pas heureux de tout et de rien, d’être heureux d’être heureux de rendre heureux si je puis dire, ce spécialiste en andouillerie promotionnelle et en boudin livresque, professionnel de l’Ouverture des esprits à l’Ailleurs, à l’Autre, au Tout-Autre même, à la Littérature, à la Poésie, lui qui n’a pas honte (il en est même très fier) d’estimer que Cécile Coulon pourrait bien être un croisement réussi de Marceline Desbordes-Valmore, Cristina Campo et même Sylvia Plath (bien sûr, je n’ai sans doute pas besoin de préciser qu’il n’a pas dû lire une seule ligne de ces écrivains magnifiques) », Juan Asensio, Philitt, 14/05/2019.
« La campagne de promotion de Salam, le documentaire autobiographique de Diam’s, souligne à quel point notre époque n’est pas à une contradiction près. Dans un monde organisé autour des croyances religieuses de Diam’s, Augustin Trapenard, journaliste ouvertement gay qui a interrogé l’ancienne rappeuse pour le média Brut, aurait été condamné à mort. », Bernard Rougier, L’Express, 07/07/2022.
« Car au pays d’Augustin, tout est littérature, comme tout est poésie et comme tout est culture. Convaincu, comme Candide, que « tout est au mieux dans le meilleur des mondes possibles », Cet aplatisseur de mots serait capable d’araser toutes les aspérités pour mieux mettre au même niveau Baudelaire, Marc Lévy et Christine and the Queens. À côté de lui, même Michel Drucker passe pour le plus grand des cyniques. Mais l’animateur n’en a cure car ce qui l’intéresse, c’est la littérature inclusive, celle qui parle aux « télespectatrices et télespectateurs », comme il les appelle sans cesse – laissant d’ailleurs peu de place pour les non-binaires, gageons que ce sera la prochaine polémique Twitter », Marianne, 08/09/2022.
« Ah ! Augustin Trapenard. La pommade faite homme. Ses questions sont des analgésiques puissants. Ce soir-là il se surpassa. Détendus, ses invités répondirent des platitudes en réprimant un bâillement, se citèrent mollement, se congratulèrent mutuellement, dans une langue parfois étrange et avec une élocution souvent chaotique. Salman Rushdie tomba rapidement dans l’oubli. Il ne fut plus question que du patriarcat occidental, de la solidarité féminine, de la méchante virilité. Augustin Trapenard, heureux comme un enfant un peu simple d’esprit à qui on ne refuse rien, put dérouler sa pelote de réflexions cotonneuses, sans danger, inutiles, et continuer de poser des questions ridicules. Après le passage délicat sur Rushdie, chacun comprit que le plus dur était passé et qu’on allait pouvoir continuer de ronronner des fadaises lorsque l’asthénique animateur demanda : « En quoi, parfois, un livre, ça peut nous réconcilier ? », Causeur, 24/09/2022.
« Certains de ses fidèles ou anciens collègues de Canal+ ou d’Inter estiment parfois que sa liberté de ton, son humour et ses questions à rallonge se diluent désormais dans une neutralité plus lisse. D’autres, qu’il a un peu vite reproduit le côté bateleur – « achetez ce livre, il est incroyaaable ! » – de son prédécesseur », Le Monde, 21/05/2023.
Crédit photo : Georges Biard. Source : Wikimédia