Chroniqueur de fond et macroniste cousu de fil blanc
Connu pour avoir dénoncé le « Parti des Médias », Brice Couturier est un personnage relativement atypique du paysage médiatique français. Son franc-parler et sa dénonciation de l’islamo-gauchisme et du wokisme ne doivent toutefois pas cacher un parcours de vie on ne peut plus classique : né en 1949, il a accompli l’exploit, comme tant d’autres, de passer du militantisme maoïste au libéralisme plus ou moins de gauche. Journaliste, éditorialiste et producteur de radio, il est également l’auteur d’un essai que beaucoup considèrent comme étant une hagiographie de l’actuel chef de l’État français : Macron, un président philosophe.
Formation
Brice Couturier a fréquenté les bancs du lycée Lakanal de Sceaux en khâgne en 1971–1972 avant d’entamer des études en lettres modernes, en histoire et en philosophie à l’université de Vincennes Paris VIII. Il est titulaire d’une licence, d’une maîtrise et d’un CAPES de lettres.
Auditeur à l’École normale supérieure de Saint-Cloud, il n’obtiendra cependant pas l’agrégation de lettres et n’est pas parvenu à entrer à l’ENA malgré un cycle de préparation (PENA). Il est par ailleurs titulaire d’un DEA d’histoire.
Parcours professionnel
En 1981, Brice Couturier quitte l’enseignement secondaire pour travailler en tant qu’assistant au sein du groupe socialiste du Sénat dans le cadre de la commission des Affaires étrangères et de la Défense. Il y exerce ses activités tout en assistant le secrétaire national du PS aux Droits de l’homme, Michel de la Fournière, ancien président de l’UNEF (1956–1957) et proche de Michel Rocard.
Au cours de son passage au groupe socialiste, Brice Couturier a aussi été membre du Comité de rédaction de la Nouvelle revue socialiste, une publication historique du socialisme français, qui a cessé de paraître en 2017, fondée en 1885 par le communard Benoît Malon et relancé en 1925 par le petit-fils de Karl Marx, Jean Longuet.
Brice Couturier n’en était alors pas à sa première expérience dans la presse, un secteur pour lequel il a développé très tôt un goût prononcé et qui deviendra pour lui une véritable vocation. Dès 1979–1980, il est chroniqueur sur Radio 7 dans l’émission « Libre-Service », notamment aux côtés de Christophe Gintzburger, alias Christope Bourseiller, un trotskiste-lambertiste né en 1957, devenu acteur mais aussi journaliste et animateur radio, auteur depuis 2019 d’une série de 14 documentaires sur les théories du complot diffusés sur la chaîne Histoire.
Les débuts de Brice Couturier à la radio sont concluants puisqu’on lui permettra de créer en 1983 sur Radio Nova l’émission littéraire « Salon-bar des Premières ». Mais ce n’est véritablement qu’en 1985 que Couturier entre dans la cour des grands quand l’influente Laure Adler lui ouvre les portes de France Culture en lui confiant deux émissions par semaine, « Modernités » et « Cosmopolites ». Il réalise par ailleurs plusieurs numéros de la célèbre émission créée par Alain Veinstein en 1979, « Nuits magnétiques ». Cette première aventure de Couturier au sein de la prestigieuse station prend fin 1990.
C’est aussi à cette époque qu’il participe à l’aventure de Globe en étant co-fondateur de ce magazine mensuel. Globe est lancé en 1985 par Georges-Marc Benamou sous l’impulsion directe de Pierre Bergé et de l’Elysée. Une publication aux mains de la crème du mitterrandisme et de l’antiracisme naissant.
Pour une courte durée, de 1990 à 1992, il est l’homme du patron de presse Daniel Filipacchi qui le recrute pour relancer le magazine Lui en lui donnant le poste de rédacteur en chef. Une mission qui sera un échec pour Couturier, qui n’a pas réussi à convaincre Filipacchi de l’interêt de reconvertir le magazine en généraliste masculin de haut-de-gamme.
Après avoir été de 1998 à 2000 responsable du service « Idées » de L’Événement du jeudi, il fait son retour son France Culture au début des années 2000 pour ne plus quitter cette station jusqu’en juin 2021. Il est aujourd’hui surtout connu pour avoir été éditorialiste et co-animateur des « Matins de France Culture » de septembre 2011 à juin 2016 et pour avoir présenté sur cette station « Le Tour du mode des idées » de septembre 2017 à juin 2021. Il a aussi été le producteur de l’émission « Du grain à moudre » de 2006 à 2011, après avoir animé l’émission de débats « Contre-expertise » et l’émission hebdomadaire de la station consacrée à l’Europe, « Cause commune ».
Autres collaborations et activités
Au cours de sa carrière, Brice Couturier a collaboré à une longue série de titres : les derniers en date étant Le Point et Franc-Tireur, alors qu’il a aussi publié dans la Revue des Deux Mondes, ou encore dans les revues Communisme et Esprit. Au moment de se retour sur France Culture au début des années 2000, il était rédacteur en chef adjoint du mensuel Le Monde des débats et critique musical pour Marianne.
Sa gloutonnerie dans le secteur des médias ne suffit manifestement pas à satisfaire sa soif de travail. Brice Couturier a en effet aussi goûté à la vie académique. En 1992–1993, il est mid-career fellow au Saint Anthony’s College de l’université d’Oxford, un établissement où il sera Senior associate fellow en 1996–1997 et au sein duquel il débutera des travaux de recherche sur le communisme chez les intellectuels polonais. Une thèse de 3e cycle sous la direction de Krzysztof Pomian, un historien franco-polonais directeur scientifique du Musée de l’Europe à Bruxelles depuis 2001.
Couturier a des liens familiaux avec la Pologne, ce qui pourrait expliquer une de ses grandes constantes : sa critique virulente de la Russie. Il a d’ailleurs enseigné un temps à l’ENA polonaise, mais aussi en tant que professeur associé au Centre Hannah Arendt de géopolitique à l’université Paris Est-Marne-la-Vallée de 2002 à 2008.
Prises de position
Il est vrai que Brice Couturier n’est pas un éditocrate comme les autres. À plusieurs reprises, ses propos ont suscité de vives réactions au sein de la classe politico-médiatique, alors qu’il est devenu la bête noire de la France insoumise, qu’il qualifie de secte avec à sa tête un gourou, Jean-Luc Mélenchon, qui tient sa à disposition « un cheptel de militantes ».
Depuis les attentats de Charlie Hebdo et ceux du 13 novembre 2015, il charge de manière régulière les islamistes et accuse les journalistes de ne rien comprendre à ce sujet. Le 18 novembre 2015, il lit sur les ondes de France Culture sa « Lettre ouverte aux djihadistes qui nous ont déclaré la guerre », un texte depuis publié par le manuel de français pour la classe de 4ème des éditions Nathan. Dans ce texte, il fait son coming-out « patriote », expliquant que les attaques de 2015 l’avaient convaincu de ne plus s’identifier « au nomade hyperconnecté de Jacques Attali. »
Brice Couturier a été placé en tête d’un classement intitulé « Centrisme autoritaire : top 10 des ‘modérés’, champions du mépris de classe » publié par Marianne le 5 août 2020. Les propos « hors-pistes » de Couturier sur le manque de diversité intellectuelle dans les médias, sur le Parti des médias qui serait de gauche et entraverait l’action du président Macron, sur l’islamo-gauchisme et sur le wokisme (question à laquelle il a même consacrée un ouvrage) peuvent ainsi surtout se voir comme des coups de pied dans la fourmilière permettant à chaque fois de remettre la balle au centre. Le macronisme est selon Couturier la suite logique du rocardisme, mais il a créé un genre nouveau parfaitement maîtrisé par le même Couturier : le brouillage permanent des signaux et un populisme des élites.
Cette agitation élitaire prend chez Couturier des proportions qui dépassent l’entendement, lorsque, au moment des manifestations de Gilets jaunes, il voit la main de Moscou manipulant le mouvement : « Poutine est à la manoeuvre. Une petite guerre civile en France ferait bien ses affaires. » (1er décembre 2018 sur Twitter). Le ridicule ne tue plus heureusement.
Parcours politique
Maoïste dans sa jeunesse, il entre ensuite au PSU de Michel Rocard puis traine ses guêtres au Parti socialiste en gardant ses convictions rocardiennes chevillées au corps. Brice Couturier a fait ses classes en fréquentant le gotha de la Mitterrandie mais il a très tôt penché pour une ligne libérale. C’est ce qui l’a sans doute conduit à participer en 2007 au lancement de La Gauche moderne par Jean-Marie Bockel, prise de Nicolas Sarkozy à l’occasion de son « ouverture à gauche ».
Aujourd’hui, Brice Couturier est proche du « Laboratoire de la République », un think-thank créée par Jean-Michel Blanquer. Couturier est en quelque sorte un pionnier de ce « ni droite ni gauche » si cher aux adeptes du centrisme macronien, mais aussi du style « en même temps », une logique consistant par exemple à allier déclarations anti-woke et soutien aux tendances politiques lourdes ayant débouché sur le wokisme. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que Couturier ait trouvé dans Emmanuel Macron son champion. Pendant la campagne des européennes de 2019, il anime d’ailleurs des débats pour le compte de LREM. Et il n’a aucun mal à reconnaître qu’il soutient le président Macron.
Publications
Auteur
- Une scène-jeunesse, éditions Autrement, 1983
- Macron, un président philosophe, éditions de l’Observatoire, 2017
- 1969, année fatidique, éd. de l’Observatoire, 2019
- Ok Millennials ! Puritanisme, victimisation, identitarisme, censure… L’enquête d’un « baby boomer» sur les mythes de la génération woke, éd. de l’Observatoire, 2021
En collaboration
- L’Année stratégique, sous la direction de Pascal Boniface, Éditions maritimes et d’outre-mer, 1984
- Réflexions sur la question goy, éd. Lieu commun, 1988, coécrit avec Guy Konopnicki
- Irak, An I. Un autre regard sur un monde en guerre, sous la direction de Pierre Rigoulotet Michel Taubmann, éditions du Rocher, 2004
- Existe-t-il une Europe philosophique, sous la direction de Nicolas Weill, Presses universitaires de Rennes, 2005
- Dictionnaire du communisme, sous la direction de Stéphane Courtois, éditions Larousse, 2007
- Comprendre la mondialisationIII, éd. de la BPI 2008, coécrit avec Anne Bauer, Benoît Frydman, François Gaudu, Olivier Godard, Yannick Jadot
Ce qu’il gagne
Non renseigné.
Il l’a dit
« Les agressions symboliques contre des chefs-d’oeuvre de l’art occidental procèdent directement de la cancel culture woke et n’ont pas le moindre effet sur le climat. Si ces activistes étaient sérieux, ils iraient protester devant les ambassades de Chine, le pays le plus pollueur. », le 25 octobre 2022 sur Twitter.
« Le RN vote avec la NUPES. Les choses deviennent de plus en plus claires. », le 24 octobre 2022 sur Twitter.
« La Russie de Poutine est un royaume d’opérette. Avec un PIB égal à celui de l’Espagne, Poutine a cru pouvoir terroriser l’Europe et modifier à sa guise les frontières héritées de la Deuxième guerre mondiale. La baudruche éclate. », le 14 octobre 2022 sur Twitter.
« Le jour même où nous pleurons Samuel Paty et mettons en garde contre la montée de l’islamisme dans nos lycées, certains esprits pervers détournent l’attention du public en dépeignant les lycéens qui refusent la laïcité et la minute de silence comme des victimes de la République. », le 14 octobre 2022 sur Twitter.
« La réquisition n’est pas destinée à calmer ce mouvement de blocage de l’économie nationale, mais à le briser. », le 12 octobre 2022 sur Twitter.
« Poutine a réalisé un beau coup en Italie, en faisant dégommer le compétent Draghi par des populistes pro-russes qui vont ruiner le pays. Parallèlement à son invasion de l’Ukraine, il cherche à briser le front des démocraties occidentales. Orbán est déjà dans sa poigne. », le 23 juillet 2022 sur Twitter.
« Vous savez, j’ai commencé dans la Rocardie et j’ai fini avec la Macronie, ce qui est assez logique par ailleurs. », cité par Arrêt sur images, le 2 mai 2022.
« J’ai fait un cauchemar. Le Pen était à l’Élysée et Mélenchon à Matignon. Et, dans la rue, il y avait l’émeute… », le 19 avril 2022 sur Twitter.
« Bon, y’a pas photo. Cent coudées au-dessus du lot. » [à propos d’Emmanuel Macron], le 17 mars 2022 sur Twitter.
« Trump a voulu ‘annuler Obama’ parce qu’il ne supportait pas qu’un Noir incarne l’Amérique de la dignité, de la tolérance et de la culture. », le 25 décembre 2020 sur France Culture.
« 1968, c’est un échec global, général, complet », le 8 septembre 2019 sur France Inter.
« Le macronisme est un libéralisme de gauche à la scandinave, et non pas à l’anglo-saxonne. Il défend un modèle social universaliste et non corporatiste. À cause des circonstances et de la logique institutionnelle, il s’agit d’un libéralisme autoritaire. », le 20 avril 2018 dans un entretien par dans Les Échos.
« Nous sommes passés bien près de la guerre civile en 2017, avec deux populismes extrémistes qui se faisaient face et s’équilibraient. Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ont obtenu chacun autour de 20 % des suffrages au premier tour de la présidentielle. Si l’une ou l’autre l’avait emporté, une grande partie de la population — pas la même… — aurait absolument refusé ce résultat. Il y aurait eu des affrontements. Emmanuel Macron a été la solution que le pays s’est inventée pour échapper à ce piège redoutable. Comme Napoléon Bonaparte, toutes proportions gardées, avait été la solution quand la France hésitait, en 1797–1799, entre le retour des Monarchistes et la poursuite de la folie jacobine. Et comme, en 1958, lorsque de Gaulle a sorti la France du dangereux face-à-face entre les militaires et les communistes. », le 20 avril 2018 dans un entretien paru dans Les Échos.
« Chez Hegel, Macron a trouvé la pensée de la rupture, l’idée qu’on change d’époque, et quand on change d’époque il faut savoir profiter des opportunités si on veut jouer un rôle historique soi-même. Donc je pense que Macron est un personnage historique au sens hégélien du terme. », le 18 décembre 2017 sur Public Sénat.
« Il n’y a pas longtemps, je me serais bien identifié au nomade hyperconnecté de Jacques Attali, libre de choisir son pays d’attache comme on décide d’un hôtel en vertu du ratio qualité des prestations sur niveau des prélèvements. Ma capitale à moi, ce pouvait être Londres, Bruxelles, voire New York. Je jugeais Paris provinciale. Je dois vous l’avouer, chers djihadistes, la France ne m’était pas grand-chose. Son exceptionnalité m’énervait. Je rêvais de la noyer dans la normalité européenne. », le 18 novembre 2015, Lettre ouverte aux djihadistes qui nous ont déclaré la guerre, France Culture.
Ils l’ont dit
« Brice Couturier est l’archétype du macroniste radicalisé. […] Auprès d’Arrêt sur images, avec qui Couturier a échangé, affable et rigolard, pendant plus d’une heure, le journaliste ne s’en cache pas : il ‘roule pour Macron’. », Maurice Midena, Arrêt sur images, 2 mai 2022.
« Le journaliste, devenu éditorialiste militant, est aujourd’hui le mètre-étalon d’un centrisme radicalisé, obsédé par l’islam et les ‘wokes’, mais plutôt apprécié par ceux qui l’ont côtoyé. Tant qu’ils n’avaient pas à débattre avec lui. », Maurice Midena, Arrêt sur images, 2 mai 2022.
« Il maintient une activité radiophonique ponctuelle mais régulière dans l’émission L’esprit public présentée le dimanche matin par Patrick Cohen, qui traite de l’actualité politique. Il a naturellement trouvé sa place dans cette émission où, dans une ambiance feutrée de fumoir façon IIIème République, on explique que Vladimir Poutine a télécommandé les Gilets Jaunes, on renvoie dos à dos les étudiants grévistes et les milices masquées qui les ont tabassés, et on affirme que le supposé antisémitisme de Jean-Luc Mélenchon est « documenté ». Brice Couturier n’a d’ailleurs pas manifesté de désagrément particulier par rapport à la diversité idéologique dans le studio de L’esprit public. », L’Insoumission, 19 juillet 2022.
« Ses prises de position dans les différents médias, ses écrits, ainsi que ses interventions sur les réseaux sociaux, montrent qu’il s’agit d’un militant conservateur positionné très à droite sur l’échiquier politique. Mais, tel le bernard‑l’hermite qui investit la coquille d’un autre animal, Brice Couturier continue d’arborer les oripeaux d’une gauche dite « républicaine », la seule légitime selon lui. », L’Insoumission, 19 juillet 2022.
« Heureusement, l’élection d’Emmanuel Macron a permis de briser un peu la solitude du chroniqueur de fond. Car Couturier est évidemment un supporter ardent du nouveau président. À la manière d’un aspirateur industriel, le principicule de l’Élysée a tout englouti dans son sac à flocons, des libéraux-patriotes aux libéraux tout court en passant par les écolo-libéraux, les libéraux à matraque, les libéraux disrupteurs et les libéraux de circonstance. Au milieu de tous ses nouveaux amis, Couturier déborde d’une allégresse qui fait plaisir à voir. Même si, à la télévision, il ne se départit jamais de son air guindé de maître de conférences tombé dans un fût de moutarde. », Olivier Cyran, dans une critique de l’ouvrage Les éditocrates 2. Le cauchemar continue (éd. La Découverte, 2018), 9 septembre 2018.
Photo : Brice Couturier en 2010. Auteur : Georges Seguin. Source : Wikimédia