Mission accomplie
« Je suis là où on ne m’attend pas. Je suis souvent une invitée surprise »
Première femme noire à présenter le JT, première femme noire et plus jeune membre de l’histoire du CSA : difficile d’affirmer que la journaliste d’origine guadeloupéenne ne fait pas figure de pionnière dans le PAF à l’heure où « Face à l’info » cartonne sur CNews. C’est sans compter une détermination sans failles qui la guide depuis ses débuts antillais. Alors qu’elle se révèle comme célébrité locale sur les écrans de sa terre natale, elle force le destin pour accéder aux plateaux de télévision français à une époque où la discrimination positive n’était pas une loi d’airain. Sa capacité à rebondir impressionne autant que ses sincères convictions pluralistes et humanistes. Derrière ce parcours sinueux et semé de ronces, on devine une foi qui peut déplacer des montagnes. Ce qui, on en conviendra aisément, ne dépareille pas dans le cadre du projet éditorial de Vincent Bolloré.
Née au Lamentin, petite bourgade située à une quinzaine de kilomètres de Pointe-à-Pitre, elle est la fille de parents enseignants et grandit dans une fratrie de quatre enfants (deux frères et une sœur).
Portrait vidéo
Formation universitaire
Elle est titulaire d’un Bac C (scientifique) et d’une licence maths-physique mais ne poursuit pas plus loin ses études car elle souhaite s’émanciper de sa famille sur le plan financier.
Parcours professionnel
Suite à l’obtention de son baccalauréat, elle s’essaie à plusieurs métiers, notamment celui d’hôtesse dans les avions et les TGV, de vendeuse de voitures ou de conseillère bancaire, en partageant sa vie entre Paris et les Antilles. Elle arrive par la suite à la télévision et au journalisme, d’abord en étant embauchée comme présentatrice bilingue (français-anglais) sur une chaîne locale guadeloupéenne, Archipel 4, où elle anime pendant deux ans une émission sur l’actualité des Caraïbes. C’est là que sa vocation se dessine : « À la fin de mon contrat, qui n’avait duré que quelques mois, les actionnaires ont refusé de me laisser partir. Selon eux, j’étais devenue le visage phare d’Archipel 4. C’est ainsi que ce qui n’était pour moi qu’un amusement est devenu un métier ». Après un stage et deux nouvelles années passées sur l’antenne de RFO, un média ultramarin plus en vue, elle décide de rallier définitivement la métropole en 1996 pour suivre pendant un an une formation à l’Institut de journalisme de Bordeaux. En parallèle de ses études, elle pige pour France 3 et RFO Paris.
Une fois son précieux sésame en poche, elle doit se débattre pour enchaîner les contrats : d’abord chez Demain TV, la chaîne de l’emploi de Canal+, puis à nouveau à RFO au service politique. Toutefois, elle ne se décourage pas et son CV est retenu par trois chaînes : Météo, Voyage (alors dirigé par Gerald Brice-Viret, actuel directeur de Canal+) et LCI.
Au fur et à mesure, elle délaisse les deux premières pour se consacrer uniquement à la dernière, alors dirigée par Jean-Claude Dassier, où elle finit par faire son trou à partir de l’an 2000.
Cette même année, elle présente les journaux du matin sur la chaîne d’info du groupe Tf1, et ce pendant neuf ans. Alors que des rumeurs font d’elle la future présentatrice du JT du week-end sur M6, elle est nommée, sans qu’elle l’ait demandé, en 2009 par Gérard Larcher au CSA.
Elle affirme avoir été approchée ensuite par les équipes de Sarkozy. Celles-ci auraient vu en elle une possible ministre de l’Outre-mer, proposition qu’elle refusera par deux fois pour mieux se consacrer à son activité au sein du Conseil des sages.
De son mandat au CSA, on retient notamment la systématisation du sous-titrage des programmes du service public à l’intention des sourds et malentendants.
La règle stipulant que les anciens membres du CSA ne peuvent pas travailler dans les médias trois ans après avoir cédé leur siège, elle effectue une cure médiatique imposée.
Une fois celui-ci terminé, elle décroche des chroniques sur les plateaux de RTL et C8, où elle intègre l’équipe de Cyril Hanouna le temps d’une saison.
Elle se rend occasionnellement sur le plateau de l’« Heure des Pros » sur CNews.
Toujours en 2018, elle présente sa candidature à la présidence de la chaîne LCP. Non seulement Marie-Eve Malouines lui est préférée, mais son dossier récolte la note la plus basse parmi ceux des cinq candidats.
Quelques mois après cette déconvenue, Vincent Bolloré en personne la contacte pour lui proposer la présentation de « Face à l’Info » qui doit donner une tribune confortable à Eric Zemmour, lequel vient d’être débarqué de RTL.
Si la décision est difficile à prendre pour la journaliste, qui vient tout juste de retrouver une stabilité professionnelle, la suite de l’histoire est connue : plus grand succès d’audience de l’histoire de la chaîne, l’émission servira de rampe de lancement à la campagne mouvementée du chroniqueur devenu homme politique. Christine Kelly, elle, continue de présenter son émission du lundi au jeudi à 19h et s’attire les foudres de la presse bien-pensante. Sans que cela ne la trouble outre mesure.
Combien elle gagne
À l’époque où elle officiait en tant que chroniqueuse sur « Touche pas à mon Poste », elle confesse avoir touché « 300 ou 400 euros par émission » (Voici).
Selon une information du Point relayée dans Arrêts sur image, elle aurait perçu une rémunération de 8000 euros par mois pendant six ans lorsqu’elle siégeait au CSA.
Publications
- L’Affaire Flactif : enquête sur la tuerie du Grand-Bornand, 2000, Calmann-Lévy.
- François Fillon : le secret et l’ambition, éditions du Moment, 2007.
- La Parole est à la défense, en collaboration avec William Gallas, éditions du Moment, 2008.
- Le Scandale du silence : familles monoparentales, Léo Scheer, 2012.
- Invitée surprise, éditions du Moment, 2015.
- François Fillon : les coulisses d’une ascension, éditions de L’Archipel, 2017.
- Libertés sans expression, éditions du Cherche-Midi, 2022.
Collaborations
- Elle est à l’initiative de la création d’un Musée européen des Médias (aussi dénommé Villa Média), dont la concrétisation semble être éternellement ajournée. Ce projet, qu’elle a mûri lors de son passage au CSA et présenté pour la première fois en 2015 au Conseil Économique Social et Environnemental (CESE), témoigne d’une certaine ambition. A la fois lieu d’exposition et lieu de formation et d’éducation aux médias, ses collections devaient puiser dans l’important fonds de l’INA pour valoriser de nombreuses archives de radio et de télévision françaises. Le comité d’administration de l’institution, tel qu’il est présenté dans ce document, devait rassembler des personnalités influentes des médias (Emmanuel Hoog, président de l’AFP ; Pierre Fraidenraich, directeur de Libération ; Jean-Paul Philippot, administrateur de la RTBF, sans compter des membres du CSA comme Mémona Hintermann-Affejee) et reflète l’entregent de sa présidente.
Selon le JDD, le coût de l’initiative s’est avéré trop dispendieux, ce qui explique pourquoi elle est restée lettre morte : « L’ancien sage du CSA avait commencé une tournée pour lever des fonds, obtenir de l’aide ou des conseils auprès de grands patrons français, de décideurs politiques ou d’institutions culturelles. Coût estimé : une quarantaine de millions d’euros. “Ce truc coûtait une folie, résume un haut fonctionnaire. Elle s’est servie de ses réseaux hérités du CSA, mais ça n’a pas suffi ».
Ancienne enfant battue, elle s’est investie avec passion dans l’association K d’Urgences, qu’elle a fondée en 2010 sous l’égide de la Fondation de France, qui vient en aide aux familles monoparentales.
Récompenses
- 2002 : prix de la meilleure journaliste de BlackWorld Victories Awards.
- 2003 : prix de la European Federation of Black Women Business Owners.
- 2004 : trophée Africagora des femmes.
- 2008 : prix de la biographie politique décernée lors de la 13e édition de la Forêt des livres.
- 2010 : Chevalier de l’ordre national du Mérite — Prix du Gotha Noir de la catégorie « Hauts cadres ».
- 2021 : Officier de l’ordre national du Mérite — Grand prix humanitaire de France.
Vie privée
Elle réside dans le 15e arrondissement de Paris non loin des bureaux de Canal+ où elle enregistre les émissions de « Face à l’Info ». Elle aurait longtemps été mariée avec un homme répondant au nom de Pierre. Elle a adopté en 2015 une petite fille, Léa, après sa séparation.
Elle revendique une foi chrétienne ardente et se reconnaît dans les valeurs spirituelles professées par l’Église Protestante même si elle a reçu une éducation catholique.
Elle l’a dit
Au sujet de son arrivée à LCI : « Sur le moment je n’ai rien entendu de tout ça je me suis “bouchée les oreilles”. Par la suite j’ai su que certains disaient qu’il y avait une jeune fille noire qui était arrivée et que j’étais donc “le quota”. J’étais là pour travailler. Lorsque je suis arrivé sur France 3 on n’a pas dit de moi que j’étais un quota. Lorsque j’étais sur la chaîne de l’emploi de Canal +, je n’étais pas considérée comme un quota. Pour moi à LCI je n’étais pas un quota, je faisais mon travail et puis c’était la continuité de mon métier », Feobus, 2004.
« Du fait, peut-être, de mon éducation catholique, je suis très sensible à la misère des autres, explique-t-elle pour justifier ses différents combats. J’ai été élevée selon la règle qu’il fallait aider son prochain. De plus, pour mes parents, tous deux enseignants, la transmission du savoir et des valeurs a toujours été très importante. Il m’est donc impossible d’avancer dans ma vie personnelle sans faire rejaillir les bénéfices de ma position sur ceux qui en ont besoin », Terra Femina, 28/12/2011.
Son mandat au CSA : « Je respecte toutes les personnes avec qui j’ai travaillé là-bas. Même si certaines choses m’ont surprise, notamment tout l’emballage autour de la fonction (les personnes aux petits soins, les assistants, les cérémonies…). Je suis passée du “Chérie tu finis à quelle heure tes JT” chez LCI, à “Mme Kelly, que puis-je faire pour vous?” Nous n’avions qu’une réunion par semaine avec notamment les neuf membres du conseil. C’était très protocolaire, on parlait en levant le doigt et parfois par tranche d’âge. Certains ne venaient donc qu’une fois par semaine pour ces réunions. Moi, j’étais là tout le temps », Le Journal du Dimanche, 26/01/2016.
« La diversité des opinions à la télévision est quelque chose de primordial. Vous remarquerez que jamais je ne donne mon avis. Personne ne sait pour qui je vote. Mais il me paraît important qu’une émission comme « Face à l’info » existe », L’Incorrect, 27/09/2022.
Nébuleuse
Elle est membre depuis 2017 du conseil d’administration de la Commission nationale française de l’Unesco, dont la mission est de contribuer au renforcement de l’influence française au sein de l’institution.
Côté sportif, elle a été nommée ambassadrice de l’Euro 2016 de football par François Hollande et dirige la Fondation Alice Milliat pour le sport féminin, cas unique en Europe, lancée en mars 2016 en présence du président de la République. Last but not least, elle est également membre du conseil d’administration du Creps, le Centre de ressources, d’expertise et de performance sportives.
Sa toile s’étend même jusque dans conseils d’administration des fondations de grandes multinationales françaises (Fondation Engie) et étrangères (Nestlé France). Par souci d’exhaustivité, on peut ajouter à cette liste le Press Club de France, le conseil d’administration de Newen (société de production du groupe TF1) ou de l’organisation Pour les femmes dans les médias (PFDM).
Ils ont dit d’elle
« Elle a une ambition qui me plaît […]. Elle a l’apparence d’un oiseau des îles, mais c’est une grosse bosseuse qui monte les marches les unes après les autres, toujours avec le sourire, sans s’arrêter », Patrick Poivre d’Arvor, Paris Match, 10/04/2009.
« Huit personnalités originaires de Guadeloupe et de Martinique sont conviées à l’Elysée, par le président de la République, le 18 mars dernier, pour préparer les états généraux de l’outre-mer. Parmi elles, Lilian Thuram, Daniel Picouly et Christine Kelly, assise aux côtés de Nicolas Sarkozy. Le président apprécie le brio avec lequel la belle Guadeloupéenne livre son diagnostic sur sa terre d’origine. A la sortie, il glisse un commentaire : «Cette fille est vraiment très forte, elle est vraiment très bien. Il faudra s’en souvenir le moment venu.» La machine à rumeurs est lancée. Repris par «Le Journal du Dimanche», puis par «Le Figaro», ce propos élogieux déclenche aussitôt une tempête médiatique. Outre-Manche, la presse se déchaîne. Le quotidien britannique «The Daily Telegraph» en fait sa une. Le «Sun» titre : «Christine Kelly, le nouveau canon de Sarkozy». En Italie, le «Corriere della Sera» écrit qu’elle est sa «nouvelle prunelle». Le Château est contraint de publier un communiqué : «L’Elysée dément totalement les propos sur une éventuelle nomination de Mme Kelly au gouvernement ou pour une mission quelle qu’elle soit.» Rien n’y fait. Les hypothèses les plus folles continuent de circuler », Ibid.
« Elle a le cœur sur la main et parle cash. Elle n’hésite pas à se mettre en colère, mais n’est pas rancunière », son éditeur Yves Derai, Le Parisien, 18/03/2012.
« Elle a un caractère chaud-bouillant, parfois soupe au lait […]. Quand on a eu des différends, j’ai eu droit à des admonestations dans mon bureau car je ne lui donnais pas une fonction suffisamment importante », Jean-Claude Dassier, son ex-patron à LCI, Ibid.
« La caméra multiplie les plans d’écoute sur les comparses, fascinés par le robinet à audience. Tous mâles blancs ? Même pas. Car se trouve aussi sur le plateau une femme de couleur, Christine Kelly (journaliste, et ex-membre du CSA) que la chaîne de Bolloré, qui ne manque pas d’humour, a assignée à la présentation quotidienne du show. Au début, elle a timidement lancé le Maître, en glissant que pour sa part, elle trouvait la décision des Oscars ““tardive””. Et puis elle est restée là, humble, muette, à assister à sa propre humiliation, à la mise en évidence de sa fonction d’alibi, démonstration vivante qu’avec un peu de perversité et beaucoup de cynisme, on peut bien s’amuser avec les règles sur les quotas », Arrêts sur Images, 10/09/2020.
« Christine Kelly garde un souvenir contrasté de son passage chez les sages, où, selon un ancien conseiller, “certains mastodontes la considéraient comme une jolie fleur posée là pour décorer”. Elle assure avoir “beaucoup de respect pour l’institution” mais jure avoir vécu, au moins durant ses deux premières années, “une humiliation quasi quotidienne”. Moqueries, railleries, sourires entendus… Voiture rayée dans le parking, notes de frais déchirées… Son bureau, son canapé souillés, recouverts de boue. “Quand je rentrais chez moi j’explosais en sanglots, mais je n’ai jamais rien montré. À la longue, ils se sont épuisés. », Le Journal du Dimanche, 04/11/2020.
« Tous lui reconnaissent une volonté de fer. Kelly assure que le meilleur moment de sa carrière fut son arrivée à LCI. Quand on disait d’elle que le dessin de Plantu était la seule chose qu’elle était capable de comprendre en lisant Le Monde. Ou qu’on lui demandait, raconte-t-elle, si elle était bien la femme de ménage », Ibid.
Sur son passage à Canal + : « Ma patronne m’avait alors aussitôt surnommée « la noiraude », sans aucune connotation raciste selon elle, car c’était là le signe d’une « réelle affection ». Je ne prenais pas tout au premier degré et faisais le tri entre les adversaires et les maladroits. Jamais je n’aurais pu avancer si je n’avais pas adopté une certaine distance. Tout le monde fumait à la rédaction. Sauf moi. Personne n’avait d’accent. J’en avais un. Tout le monde était de gauche. C’était la mode à la mode. Moi « la noiraude », je n’étais encartée nulle part, j’étais simplement journaliste. J’aurais préféré qu’on m’appelle par mon prénom, mais j’avais mon armure. Une armure qui promettait de servir longtemps. Aujourd’hui, sans aucun doute, il me serait reproché de supporter ce traitement avec une telle indifférence. Mais à l’époque, on se laissait attribuer des surnoms basés sur l’apparence physique, des surnoms qui n’épargnaient d’ailleurs personne, pas même les supposés dominants. Le fait est que l’on ne prenait pas tout ça au sérieux, les mots n’étaient pas soupesés ou questionnés comme ils le sont aujourd’hui », Libertés sans expression, 2022.
« L’animatrice avait donné, en mars, le secret de cette plénitude devant les fidèles de l’église pentecôtiste Martin Luther King. Pour mener ses débats sur CNews, elle avait confié être accompagnée : «Je me suis complètement effacée derrière Dieu et je l’ai laissé tout piloter.» Dans cette ouate cul-béni, on partage, tour à tour, les salades xénophobes et les psychoses antiwoke du moment, qui viendront irriguer les réseaux sociaux. Christine Kelly, c’est l’extrême-droitisation douce. La fake news capitonnée », Libération, 30/09/2022.