Mytho spé mitard
« À ce moment-là, j’étais dans un parcours de mensonge, ça ne veut pas dire que je suis dans le mensonge en général, dans ma vie », Libération, 16/01/2023
Si d’aucuns maquillent ou inventent des informations, l’aspirant journaliste Cory Le Guen a quant à lui porté l’art de la falsification à un tout autre niveau. Affabulateur compulsif et mythomane diagnostiqué, l’homme s’est fait passer tout au long de son sinueux « parcours » pour le fils de Jean-Marie Le Guen, le neveu d’Emmanuel Macron ou l’assistant de Bernard Arnault. Armé de son culot et d’un goût certain pour les mondanités, il parvient à duper des rédactions entières pour obtenir des avantages en nature ou une carte de presse. Condamné dix-huit fois et totalisant vingt-deux mois de détention, le profil de l’homme détonne dans les milieux journalistiques et c’est sans surprise qu’il se spécialise dans le domaine qu’il connaît le mieux, le milieu carcéral. Au début de l’année 2023, il passe de l’ombre à la lumière en voulant confondre Damien Rieu sur Twitter. Pas rassasié, il rallie une section locale du parti écologiste où il se fait remarquer par un arrivisme désarmant.
Alors que Damien Rieu relaie des vidéos de prières sauvages de musulmans, en des lieux souvent insolites comme les couloirs du métro, Cory Le Guen se photographie en train de prier, de dos, à l’intérieur d’un tribunal. L’image parvient jusqu’à Rieu qui la relaie, sans chercher à prouver l’authenticité de celle-ci. L’affaire est dans le sac pour le Sarthois qui en profite pour mettre en lumière le manque de sérieux de l’activiste qu’il vient de piéger dans une vidéo visionnée des millions de fois sur le réseau social. Qu’importe la malhonnêteté foncière du procédé, une invitation dans « Touche Pas à Mon Poste » viendra récompenser ce morceau de bravoure. Mais il faut peu de temps avant que son passé, exhumé par de vigilants twittos dont Hanouna se fait le porte-voix sur son plateau, resurgisse et que son éthique journalistique soit discréditée avant même d’avoir été reconnue.
Formation
Né au Mans en 1986, Cory Le Guen a grandi dans le quartier populaire des Sablons. Selon ses dires, il est élevé par une mère célibataire et battue par un beau-père violent, il est happé dans une spirale délinquante qui l’éloigne tôt des bancs de l’école.
Il passe son baccalauréat mais ne l’obtient pas. Les infractions s’accumulent : vol de carburant, usurpation de titre de diplôme, escroquerie. Il est condamné l’année de ses 18 ans et en entre en prison pour la première fois, ce qui l’empêche de passer l’examen du baccalauréat.
Parcours professionnel
- 2003 : première condamnation prononcée par le tribunal pour enfants pour escroquerie.
- Fin 2004-début 2005 : il purge trois mois et une semaine de détention provisoire à Rennes.
- Été 2005 : il purge cinq mois à la prison de Caen, toujours pour escroquerie.
- 2006–2011 : il travaille quelque temps comme représentant commercial d’une marque de maroquinerie avant d’ouvrir une société spécialisée dans l’événementiel qui fera long feu. Parallèlement, il est condamné à des travaux d’intérêt général et replonge pour deux mois à la prison du Mans. En 2008, lorsqu’il se présente aux élections cantonales, il se présente lui-même comme « attaché commercial dans le secteur de la mode ».
- 2011–2014 : il se rend à Munich afin de passer les examens pour devenir steward chez Emirates. Il travaillera trois ans pour la compagnie aérienne.
- 2014–2015 : après son départ d’Emirates, il vit entre Paris et Lisbonne et part travailler brièvement à Zanzibar
- 2015–2018 : il entre au service de plusieurs sociétés libanaises. Une d’entre elles, la société de conseil en immobilier Foncia, finit par porter plainte contre lui pour recel d’escroquerie et abus de confiance à la fin de l’année 2015. Il lui est notamment d’avoir falsifié un CV (où il prétendait avoir été l’assistant de Bernard Arnault), des lettres de recommandation et une attestation sollicitant le paiement de ses arriérés de loyer. Il passera à nouveau deux mois en détention mais son procès débouche d’abord sur un non-lieu. Puis, en mars 2023, il est finalement condamné huit mois de sursis et doit payer 28 125 euros de dommages et intérêts à Foncia.
Parcours médiatique
- 2004 : L’année de ses 18 ans, il fait ses deux premières apparitions sur le petit écran. La première sous sa vraie identité dans « Y’a que la vérité qui compte » (TF1) où, crâneur, il se présente comme un garçon qui« n’aime pas avouer ses mensonges». Peu de temps après, on le retrouve sur le plateau de Jean-Luc Delarue pour « Ça se discute » (France2), où il se fait passer pour un fils de chef d’État étranger. « Ce n’est pas quelque chose qui m’a servi pour plus tard, se défend-il aujourd’hui. C’était pour démontrer qu’ils ne vérifiaient pas qui étaient leurs invités ».
- 2019 : il crée le compte Twitter Syndicat des détenu(e)s où il rédige de tweets sous le pseudonyme de Kozam. Par ce moyen, il espère devenir le fer de lance des militants anticarcéraux sur le réseau social et n’hésite pas à ferrailler avec la « fachosphère » sur ce thème. Puis, à force de décompter minutieusement les décès survenus en prison et de rendre compte de nombreuses affaires d’abus ou de maltraitances sur les détenus, il gagne vite des milliers de followers, parmi lesquels des juristes, des députés ou des journalistes en vue. Il passe par deux fois sous les fourches caudines des fact-checkeurs de Libération, une fois en 2020, et la seconde en 2022, après qu’il a relaté à tort que des surveillants pénitentiaires auraient refusé d’avertir le Samu de l’AVC d’un détenu.
- Novembre 2019 : il devient l’assistant de la présidente de RT France, Xenia Fedorova et gère son agenda pendant huit mois. Par la suite, il occupera les fonctions de coordinateur à la direction des programmes, où il est chargé de trouver des invités, en juin 2020, puis à celui d’assistant sur la matinale. Pour décrocher le poste, l’homme a enjolivé son CV dans les grandes largeurs et est suspecté d’avoir répondu lui-même aux mails de vérification envoyés par la rédaction de RT France.
- 2021–2022 : il commence à piger pour Streetpress, Slate ou encore Reporterre et réalise des duplex pour la chaîne turque anglophone TRT World, relais de la politique gouvernementale. Une seule chose est sûre : Cory Le Guen obtient sa première carte de presse en 2021. En ce deuxième semestre 2021, après deux tests de présentation ratés à BFMTV en 2021 et en 2022 il se lance dans la chronique judiciaire sur son compte Twitter. À ce titre, il tient une chronique aux Actualités sociales hebdomadaires à partir de l’été 2021.
- Février-mars 2022 : il propose à un réalisateur de sa connaissance de l’accompagner en Ukraine en vue de tourner un documentaire sur la guerre qui vient d’éclater. « C’était impressionnant, ça fait mal de le dire, mais il m’a séduit, concède auprès des Jours l’homme que Cory LeGuen va appeler au début du conflit. En voulant franchir la frontière il est incarcéré en Pologne pendant un mois en conséquence d’une fiche rouge établie à son encontre par Interpol à la demande du juge libanais suite à la plainte de Foncia. Une cagnotte est alors ouverte par un des ses alias, Kozam, pour aider « un ancien journaliste de RT France victime de persécution politique en Pologne ».
- Été 2022 : il tente d’intégrer le Centre de formation professionnelle des journalistes (CFPJ). Accepté dans un premier temps, l’établissement fait machine arrière en apprenant son passé judiciaire.
Coups d’éclat
- Mars 2018 : il usurpe l’identité du directeur de cabinet de Brigitte Macron, Pierre-Olivier Costa et se fait passer pour le neveu de la première dame, afin de solliciter diverses prestations de luxe. Il prétend être extrêmement concerné par le sort de la minorité rohingya persécutée en Birmanie. C’est à ce titre qu’il est reçu à l’ambassade de France au Bangladesh où se trouve un camp de réfugiés rohingyas qu’il visite après avoir diné avec l’ L’appétit venant en mangeant, il tentant de se faire inviter au Grand Prix d’Australie ou de réserver à prix réduits dans des hôtels cinq-étoiles à Hong-Kong. A son retour en France, il est interpellé et placé en détention à Fleury-Mérogis pendant onze mois avant d’être libéré en mars 2019. A l’issue de son procès en 2021, il est condamné à un an de prison ferme, une peine qu’il effectuera pour moitié en détention, et l’autre moitié, domicile, surveillé par un bracelet électronique.
- Mai 2019 : il tente de refourguer au média luxembourgeois L’Essentiel un scoop renversant sous le nom de James Alstin, prétendument employé de TMZ, le média people américain de référence. Sous cette couverture, il annonce à un journaliste de la rédaction que l’actrice Charlize Theron serait en couple avec un dandy franco-luxembourgeois répondant au nom de Cory Le Guen.
- Été 2021 : alors que son article sur la condition des transsexuels en prison n’est pas retenu par la rédaction de Têtu, il va se venger de façon assez singulière. Ainsi, il n’hésite pas à s’accréditer à plusieurs événements culturels (festivals, opéras) au nom du magazine, sans son accord.
- Novembre 2021 : très peu de temps après sa condamnation dans l’affaire du neveu de Brigitte Macron, il adopte la même technique et prend part à un voyage de presse en Guadeloupe. Cette fois, il persuade une agence de communication qu’il travaille pour Condé Nast, le groupe américain d’édition propriétaire de Vanity Fair.
- Été 2022 : À son retour de Pologne, il se fait accréditer frauduleusement au nom de StreetPress pour assister à des déplacements de ministres, puis au nom de CNN Europe pour participer aux journées d’été 2022 de La France Insoumise.
Ce qu’il gagne
Lorsqu’il est employé par une société libanaise entre 2015 et 2016, il perçoit une rémunération de 6250 euros par mois.
Suite à son renvoi de Russia Today, il perçoit le fruit de ses piges, soit 1700 euros par mois, assorti de l’allocation chômage.
Parcours militant
À 21 ans, il se présente en tant que candidat divers gauche aux cantonales de 2008 dans la circonscription du Mans ville-est, où il obtient 7 % des suffrages. Quelques années plus tôt, encore lycéen, il était élu vice-président du conseil départemental des jeunes. Selon Ouest-France, « son ambition était de changer l’image des Sablons, un quartier “ où il y a trop de stigmatisations, alors que les gens y sont heureux” ».
En 2022, il se rapproche du député écologiste Julien Bayou à l’occasion d’une visite d’établissements pénitentiaires. Peu de temps après, il intègre la section EELV du VIIe arrondissement de Paris avec, en ligne de mire, des investitures pour les élections à venir, notamment les sénatoriales de 2023 et les européennes de 2024. En plus de chercher à devenir collaborateur d’élu, il tente de se faire élire coresponsable de la commission justice du parti en 2023 mais son élection est invalidée par le conseil fédéral du parti. En effet, selon Les Jours, « Cory Le Guen s’était fait pincer pour avoir rameuté une quinzaine de ses soutiens la semaine précédant le vote afin de s’assurer la victoire ».
Sa nébuleuse
Il s’auto-accrédite en tant que journaliste de StreetPress pour couvrir la visite du ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti à Marseille. Fort de cette expérience et de sa connaissance intime du monde carcéral, il est choisi par des personnalités politiques de premier plan pour les accompagner lors de visites d’établissements pénitentiaires. Parmi eux la sénatrice PS Victoire Jasmin et les députés Julien Bayou (EELV) et Ségolène Amiot (LFI). Cette dernière, interrogée par Checknews, ne tarit pas d’éloges à son sujet : « Son passé judiciaire, il en a parlé dès notre première rencontre. Il m’a aidée à préparer la première visite. C’est quelqu’un de soutenant et d’actif dans la visite. Je n’ai jamais eu à le déconseiller ». Il effectuera à ce titre pas moins de trente visites entre juillet et décembre 2002
Continuant sur sa lancée, il est invité à une réunion-débat chez Les Jeunes Écologistes sur le thème « À quoi sert la prison ? » puis par une association de La Sorbonne pour une conférence intitulée « L’affaire Kohlantess : la prison pour réprimer ou réinsérer ». Il est même réinvité à la Sorbonne pour délivrer une nouvelle intervention sur la prison aux étudiants de master de sciences politiques en novembre 2023.
Les Jours rapporte notamment qu’il « s’encanaille avec des fils et filles de bonnes familles, avocats, politiques ou journalistes télé ».
Il l’a dit
« On me pointe du doigt parce que je me réinsère et si je ne me réinsère pas, on me pointe aussi du doigt. Quoi que je fasse, on pointe du doigt des gens qui ont des difficultés de réinsertion. C’est la vérité ! Non mais balek total ! », Touche pas à mon Poste, 14/01/2023.
« La quasi-majorité de ces condamnations, ce sont des faits qui datent de mes 18, 19 ans. Des hôtels dont je pars sans payer, une voiture que j’asperge d’essence. J’étais dans un contexte de fugues et de violences commises par mon beau-père », Libération, 16/01/2023.
« Je suis un jeune trentenaire blanc, j’ai grandi dans une cité. Mais, à la Bourdieu, je m’en suis sorti par les livres. J’ai une appétence extrême pour la culture, le théâtre et l’opéra », Génération Justice, 26/01/2023.
« C’est un individu qui n’est pas socialement dangereux en termes de violence, mais socialement dangereux en raison de la vérité », le procureur lors de son procès, cité par Le Figaro, 03/02/2023.
« En prison on retrouve les personnes les plus opprimées et exploitées : derrière les barreaux ce sont souvent des personnes pauvres, racisées, peu qualifiées. Cela ne veut pas dire que ces personnes là sont naturellement des «criminels» mais plutôt qu’elles sont davantage ciblées par la police, puis par la Justice. En effet la répression ne s’opère pas de la même manière partout, ni pour tout le monde. On voit qu’il y a une présence policière beaucoup plus grande dans les quartiers populaires, que les personnes racisées sont souvent ciblées par la police (par des contrôles d’identité arbitraires et répétés, des délits de faciès) que les délits liés à la pauvreté sont plus sévèrement punis par la loi et beaucoup plus visibilisés », Twitter, 19/02/2023.
« D’accord, j’aime les hôtels de luxe, mais Alexis Corbière fume des cigares et on ne lui fait pas de remarques », Les Jours, 06/02/2024.
« 2027, c’est loin et ce n’est pas loin à la fois. Je pense qu’en politique, c’est bien de viser certaines choses en se donnant les moyens dès aujourd’hui d’y accéder, pour montrer qu’on est légitime à se faire élire », Ibid.
Ils l’ont dit
« Le prévenu a assuré qu’il n’avait pas agi « pour l’argent » ou « pour faire du tort », mais pour « le statut, le prestige, les privilèges ». Il avait été qualifié, dans le rapport psychologique, de « menteur pathologique » et de « mythomane affabulateur », sans pour autant conclure à un trouble psychiatrique avéré », Le Parisien, 27/10/2021.
« En mars 2021, un journaliste de gauche diffame mon histoire sur Twitter, une histoire recréée de toutes pièces racontant mon agression sexuelle. Histoire qui a été démentie par l’avocat de mon agresseur, Maître Eolas. La victime dans cette histoire c’est encore moi. Après avoir subi un traumatisme, j’ai dû être confrontée à des récits affreux me faisant passer pour l’horrible menteuse qui porte plainte juste pour l’argent. Oui monsieur Cory Le Guen, je parle de vous. Mythomane et ancien détenu qui essaye de donner bonne conscience à la gauche juste pour le buzz », une victime d’agression sexuelle dont Cory Le Guen admet avoir « romancé » le procès dans un live-tweet diffusé sur son compte, Twitter, 11/01/2023.
« Il n’a pas de tabou sur les erreurs de son passé » Son avocat, de son côté, précise que «depuis 2019, il n’y a pas eu une seule garde à vue, rien». Et affirme : «On n’a pas le droit d’empêcher une personne de s’amender », son avocate Linda Taghbit, Libération, 16/01/2023.
« Il utilise habilement le réseau de ses nouveaux amis », une connaissance, Ibid.
« Il est redoutable et très habile, capable de parler de gens réellement en poste au tribunal comme s’il les connaissait. Quand on prend du recul ensuite, on se rend compte que c’était des banalités, mais sur le moment, on peut difficilement douter de ce qu’il raconte », FranceInfo, 02/02/2023.
« Il faisait bien son taf, il avait énormément de contacts, souligne l’un de ses collègues. Il nous avait par exemple sorti d’on ne sait où un chef d’Amazonie », Les Jours, 13/02/2023.
« La direction avait vraiment la haine mais ils voulaient cacher s’être fait avoir comme des bleus, ils n’ont rien dit. Le mec a quand même réussi à arnaquer la présidente de la chaîne russe, il a eu accès à son agenda, à ses documents persos. Ça la fout mal », Ibid.
« Il était très bon, se souvient l’un d’eux. Il parlait plusieurs langues, savait comment chercher telle ou telle chose et avait ses entrées un peu partout. À force d’escroquer, il a développé de vraies compétences », un ancien employeur, Les Jours, 19/02/2024.
«“Il faut être loyal et honnête pour être collaborateur, remarque une source ayant eu accès à l’une de ses candidatures. L’embaucher, c’est un coup à donner un nouveau terrain de jeu à une personne qui peut poser des problèmes.” Les écolos n’en sont pas passés loin. D’après nos informations, certaines de ses cibles ont failli mordre à l’hameçon. Lorsqu’à l’automne dernier, il entame sa cour pour être recruté par des élus d’EELV, Cory Le Guen sort le grand jeu et est sur le point de les convaincre tant il paraît compétent. Les presque floués ne doivent leur salut qu’à un assistant alerte et une recherche Google qui leur ouvrent les yeux sur les articles relatant les frasques du militant, du Figaro à Libération en passant par Marianne, France Info et, évidemment, Les Jours », Ibid.