Entre élitisme et conformisme
Son sourire malicieux, sa chevelure poivre et sel et son regard perçant légèrement asiatique hantent les plateaux de télévision depuis près de 20 ans. À mille lieues des standards conventionnels de la présentatrice télé, « La Quin », comme on l’appelle sur Paris Première, s’est imposée dans le PAF sur le créneau de l’élitisme intellectuel et de l’exigence culturelle. Un positionnement que ses détracteurs jugent souvent « snob » et « prétentieux » mais qui lui assure une indéniable spécificité dans un contexte professionnel où triomphent le « trash » et la téléréalité. Une spécificité qui, cependant, peine à dépasser le cadre bien pensant délimité par « Libération » et les « Cahiers du cinéma ».
Portrait vidéo
Parcours professionnel
Élisabeth Quin, née en mars 1963 à Paris, débute sa carrière sur Ça bouge dans ma tête, une radio FM associative créée par SOS Racisme en 1986 et qui deviendra Oui FM. Élisabeth Quin rejoint ensuite Radio Nova où elle prend en charge l’ouverture d’antenne le matin. On la retrouve ensuite sur RTL où elle peut exprimer sa passion pour le cinéma au travers d’une émission de critique de films. Le 7ème art deviendra dès lors le fil rouge de sa carrière journalistique.
Multicartes et boulimique de travail, elle participe à deux émissions cinématographiques et culturelles proposées par le service public, « Rappetout » sur France 3, et « Comme au cinéma » sur France 2. Forte de cette expérience, elle est embauchée par la chaîne Paris Première au sein de laquelle elle participe aux émissions « Rive Droite/Rive Gauche », animée par Thierry Ardisson, « Courts particuliers », « Ça balance à Paris » et « CinéQuin », devenant ainsi une des figures phares de la chaîne. Parallèlement, elle est éditorialiste mode à Madame Figaro et publie plusieurs ouvrages. De manière plus anecdotique, elle participe à divers projets cinématographiques.
Elle présente actuellement, depuis janvier 2012, du lundi au vendredi à 20h05 sur Arte, l’émission de commentaires de l’actualité « 28 minutes », qui prétend apporter un « éclairage original et iconoclaste» sur les questions politiques, économiques et sociales. Une profession de foi qui pourra laisser sceptiques nombre de spectateurs tant l’angle d’analyse, s’il est parfois plus approfondi que sur les autres chaînes, reste étroitement « politiquement correct », ne relayant quasi-exclusivement que les points de vue de la gauche sociétale. En septembre 2013, l’émission, dont les audiences augmentent (environ 300 000 téléspectateurs chaque soir) malgré un horaire très concurrentiel , voit sa formule remaniée, gagnant 12 minutes d’antenne et traitant davantage de sujets avec des chroniqueurs permanents et moins d’interventions d’experts et de scientifiques.
Parcours militant
Élisabeth Quin est très engagée dans le militantisme pro-gay et lesbien. Elle a notamment été, en 2011, présidente du jury de la Queer palm, « le prix lgbt, queer et décalé du festival de cannes ». La Queer Palm réunit un jury de journalistes et d’organisateurs de festivals de cinéma LGBT qui récompense un film pour ses qualités artistiques et son traitement des questions gay, lesbienne, bi ou trans ou son traitement décalé des « questions de genre ». En 2011 Élisabeth Quin était entourée de Marie Colmant (Canal+) et de Gérard Lefort (Libération), des journalistes Thomas Abeltshauser (Männer, Winq, Vanity Fair, Die Welt) et Roberto Schinardi (Pride, Gay.it, Il Manifesto) ainsi que des organisateurs de festivals Fred Arends (Festival Pink Screens/Bruxelles) et Esther Cuénot (Festival Cinémarges/Bordeaux).
Ses sympathies et engagements marqués à gauche ne l’empêchent pas d’être nommée, en 2009 chargée de mission pour les industries de haute couture et du prêt-à-porter par Christian Estrosi, alors ministre de l’Industrie de Nicolas Sarkozy.
Les divergences politiques, que l’on peut supposer entre la journaliste et le maire de Nice, n’ont manifestement pas eu d’incidence significative sur cette collaboration, même si l’intéressée semble vouloir rester discrète sur cette activité qu’elle ne mentionne que rarement dans les médias ou dans les portraits qui lui sont consacrés. Mediapart a exhumé cette information pour entamer sa crédibilité, suite à une accusation partiale de «fake news» concernant Mélenchon dans le 28 minutes du 11 janvier 2018.
En 2013, à l’occasion du débat sur le « mariage pour tous », le député de la Drôme, Hervé Mariton, farouche opposant au projet de loi a saisi le CSA contre Elizabeth Quin, estimant avoir été attiré dans un véritable « guet-apens » lors d’une édition de l’émission « 28 minutes ».
En 2017, elle donne la réplique à Judith Magre dans le cadre d’un cabaret littéraire intitulé Colette et l’Amour, conçu par son ami Philippe Tesson qu’elle a rencontré lorsqu’elle travaillait à ParisPremière. Ce spectacle consacré à la figure de la femme de lettres s’attarde particulièrement sur sa bisexualité et s’efforce de la présenter comme une icône féministe et subversive. Qu’importe qu’elle ait été assez conservatrice sur le plan des idées et que son attitude durant l’Occupation ait été pour le moins trouble, le féminisme demeure un gage de respectabilité dans le monde du spectacle et l’on ne peut déroger à son culte.
Elle formule à Libération en 2019 une profession de foi socialiste qui n’étonnera personne et laisse entrevoir la couleur de ses préférences éléctorales : «Hamon n’imprime pas, c’est dommage. Sa pensée antinéolibéraliste, écologiste, ne prend pas. Wauquiez aussi ne prend pas, mais là tant mieux !».
Vie privée
Elisabeth Quin est la fille unique d’un père d’origine écossaise et d’une mère issue de la bourgeoisie jurassienne et grandit dans le très cossu 7ème arrondissement. En 2002, elle se décide à adopter une petite cambodgienne (qui porte le prénom de Thavery auquel elle a ajouté un prénom irlandais, Oona, « prénom de la petite-fille d’André Breton et de la dernière femme de Charlie Chaplin ») et consacré un livre à l’adoption Tu n’es pas la fille de ta mère, paru chez Grasset en 2004. Selon un article de Libération, « elle dit que son motif n’était ni la stérilité, ni la hantise des relations hétérosexuelles, ni une conviction idéologique, ni le désir d’élever un enfant toute seule, ni même finalement, un dégoût de la grossesse. À sa grande surprise, sa volonté “de ne pas [se] reproduire” lui attire des insultes, “surtout de la part des hommes, précise-t-elle, comme si je les privais personnellement de quelque chose en me privant de cette expérience”. Elle s’est demandé si elle était un “monstre” : “Au Cambodge, des enfants de 5 ans mendient, avec un nourrisson accroché à leurs bras. Est-ce que c’est une atrocité de préférer qu’ils soient éduqués ?” »
Elle a été mariée avec le scénariste et réalisateur Laurent Chouchan, mais partage désormais sa vie avec l’ancien rédacteur en chef du Nouvel Observateur, François Armanet. Elle est atteinte d’un double glaucome qui pourrait causer une quasi-cécité, l’empêchant ainsi de travailler sur les plateaux de télévision. Elle assure toutefois qu’elle aura toujours l’opportunité de revenir à la radio, média qu’elle a toujours préféré à la télévision.
Sa nébuleuse
Renaud Dély, Nadia Daam, Julian Gomez. Vincent Meslet, Claude Askolovitch, Philippe Tesson, Renaud le Van Kim, Diane Pernet.
Publications et filmographie
Romans et ouvrages
- La Peau dure, Grasset, 2002.
- Tu n’es pas la fille de ta mère, Grasset, 2004.
- Pierre dans le loup (avec Thomas Perino), Seuil jeunesse, 2006.
- Bel de nuit, Gerald Nanty (coécrit avec Gerald Nanty), Grasset, 2007 (biographie du “prince de la nuit parisienne” Gerald Nanty mort en 2010).
- Cannes. Ils & elles ont fait le festival (avec Noël Simsolo), Cahiers du cinéma, 2007.
- Préface à 501 réalisateurs, sous la direction de Steven Jay Schneider, Omnibus, 2009.
- Dreams are my Reality, catalogue d’exposition, collectif, Fondation Atelier de Sèvres, 2005.
- Le Livre des vanités (avec Isabelle d’Hauteville et Olivier Canaveso), éditions Regard, 2008.
- Karl Lagerfeld, parcours de travail, catalogue d’exposition, collectif, Maison européenne de la photographie, 2010.
- C’est la vie ! Vanités de Pompéi à Damien Hirst, collectif, Flammarion, 2010.
- Le Détail qui tue (avec François Armanet), Flammarion, 2015.
- La Nuit se lève, Grasset, 2019.
Cinéma
- Fais-Moi rêver (2002) de Jacky Katu.
- Elle critique tout (2004) d’Alain Riou.
- Tous les hommes sont des romans (2007) d’Alain Riou et Renan Pollès.
- Ça se soigne ? (2008) de Laurent Chouchan.
- D’après une histoire vraie (2016) de Roman Polanski.
Ils ont dit
« Reporter de choc, romancière reconnue et actrice de composition, Elizabeth Quin a le chic pour trimballer avec succès son regard affûté, son sourire distingué et son humour pince-sans-rire. Nul doute que cette Parisienne bourgeoise-bohême et ultra-cultivée saura accomplir avec brio, recul et implication sa mission de médiatrice de l’habillement, préserver prestige et tradition des grandes maisons et attrait pour les métiers de la confection. » Valérie Domain, Gala, 7 septembre 2009.
« On voulait quelqu’un de légitime, pas encore marqué par une chaîne de télé, le “mouton à cinq pattes” en quelque sorte. Son nom a fait l’unanimité », Vincent Meslet, directeur éditorial d’Arte France à propos du choix d’Élisabeth Quin pour présenter l’émission « 28 minutes ».
« De toute évidence, 28 minutes se cherche. Trouvera-t-elle son équilibre ou continuera-t-elle d’osciller entre des éditions convaincantes et d’autres qui le seront moins ? Dans tous les cas, elle fait déjà entendre une petite musique agréable et pas si fréquente sur les plateaux télé : celle de la collision bienveillante des savoirs, des cultures et des opinions », Sophie Bourdais, Télérama, 17 janvier 2012.
« Femme aux tenues vestimentaires souvent improbables, cheveux plus sel que poivre, regard en coin asiatique, Élisabeth Quin réunit à elle seule tant de qualités qu’on pourrait s’étonner, qu’aucune chaîne jusque là (vingt ans de télévision tout de même!) ne lui ai offert une émission. Sans doute n’avait-elle pas le look assez glamour pour les patrons de la Une, la Deux, la Trois, Canal+ ou M6 », Sandrine Cohen, Huffington Post, 31 octobre 2013.
« Bien sûr, son émission est le plus souvent un défilé de masques et de faux culs, d’experts à double ou triple casquette jamais présentés comme tels. Un exemple vite fait. Les spectateurs béats de « 28 Minutes » ont-ils été informés qu’Anne Élisabeth Moutet, simplement et uniquement présentée comme « une journaliste travaillant pour la presse britannique » était aussi un pilier de « Gatestone », un institut étasunien. Un truc immonde qui, et c’est tant mieux, choque d’autres citoyens des EU. Ainsi dans le journal The Hill, J. Dana Stuster écrit : « Gatestone est paranoïaque en clamant que l’immigration en Europe est une « civilisation du djihad », le résultat d’une « invasion musulmane. » » Vous noterez que l’on frôle ici des thèmes chers à Christian, l’ancien maître-ministre avec lequel Quin devait faire « lien ». » Jacques-Marie Bourget, Médiapart, 12 janvier 2018.
« À défaut de pouvoir évacuer les débris qui encombrent ses yeux et endommagent « irrémédiablement » son nerf optique, Élisabeth Quin nettoie les pelouses au pied de son immeuble, engraisse les oiseaux qui voisinent sa « bicoque » normande, mange bio et fait la chasse au glyphosate. Très concernée par l’environnement, elle signe des pétitions pour le climat et s’engage pour préserver la forêt de Romainville, « un corridor écologique » aux portes de Paris. » Benédicte Mauduech, Libération, 27 janvier 2019.
Elle a dit
« L’adoption, ce n’est pas trouver un orphelin pour combler un désir d’enfant, c’est trouver une famille à un enfant », Tu n’es pas la fille de ta mère, Éditions Grasset.
« C’est formidable « Le Grand journal », c’est une sorte de grand barnum où ce qui compte, au final, ce n’est pas la parole, ce n’est pas ce que vont dire les gens, ce qui compte c’est la gueule de la fille qui vient d’Hollywood, ce que porte machin, la vanne plus ou moins réussi que va faire Macenet, c’est formidable mais c’est le show… », Mediasphère, 12 janvier 2012
« Les émissions ont peur du vide et du sérieux. C’est grotesque mais symptomatique de ce qu’on vit dans cette société. Je crois que les gens n’ont pas besoin qu’on leur balance de l’information systématiquement agrémentée de comique avec cotillons ou blagues grasses en plateau, “l’infotainment” comme on dit », Le Monde, 5 décembre 2012.
« Qu’est-ce qui vous arrive ? Est-ce que les ventes s’effondrent à ce point-là pour que vous en arriviez à faire des Unes un peu misogynes ? Vous ne trouvez pas que vous réactivez des clichés et des stéréotypes sur la femme harpie qui empoisonne l’homme ? », à Christophe Barbier à propos de la une de L’Express sur « Hollande, ces femmes qui lui gâchent la vie ».
« La télé n’est pas un lieu de décryptage savant, contrairement à la presse. Il faut que ce soit rapide, sensuel dans la forme, et ça doit inventer un langage qui n’est pas celui de la glose » Paris Match, 10 janvier 2014
« Quand on reçoit des pisse-froid, des emmerdeurs, des gens de mauvaise foi, il faut de l’impertinence, voire de l’irrévérence. «28 minutes» est arrivé à point nommé, parce qu’il n’était plus possible à la télé de parler cinéma – ma spécialité – sans tomber dans la promo », Paris Match, 10 janvier 2014
« Je ne consomme pas la télévision sur un plan personnel. J’ai le minimum de chaînes à disposition. Ça ne m’intéresse pas du tout. […] Parce que la vie est ailleurs. Entre les livres que je lis, les pièces de théâtre ou les expos que je vais voir, ma fille que j’élève, le cinéma que je continue à suivre, et la vie, aimer, vivre, manger, jouir, voyager, la télévision est réduite à la portion congrue. » Toutelatélé, 21 mai 2014.
« On pourrait gloser des heures sur le rôle de BFMTV dans la crise des ‘gilets jaunes’ qui prétend apporter une analyse et qui, en même temps, est un acteur. BFMTV a besoin des ‘gilets jaunes’ pour renforcer son audience. La chaîne est dans une espèce de rôle incroyablement pervers. BFMTV a autant besoin des «gilets jaunes» que les «gilets jaunes» ont besoin d’elle», estime-t-elle. C’est trop facile de dire ‘nous nous contentons d’observer. BFMTV est devenu un acteur pour des raisons économiques […] Comme, nous n’avons pas reçu les cheminots pendant la grève des cheminots. C’est un choix. On prend des gens qui prennent un tout petit peu de recul et qui analysent les phenomènes. On ne reçoit pas les acteurs immédiats. Cela changera peut-être mais pour le moment, non, c’est notre ligne. », Le Figaro, 20 mars 2019.
Crédit photo : arte.tv (DR)