Serviteur du prince, de l’AFP au banquier Pigasse
L’ex-PDG de la première agence de presse française et anciennement de l’INA est un pur produit de l’administration culturelle étatisée. Il avait accueilli, avec son équipe de direction, la victoire présidentielle de François Hollande avec des applaudissements et choisi de lever l’embargo afin d’annoncer l’information dès 18h53. Débarqué de l’AFP au printemps 2018, il est recasé quelques mois plus tard “ambassadeur pour le numérique” par Emmanuel Macron, puis se met au service de Matthieu Pigasse en mai 2019.
Famille et études
Né à Paris (XVème) en septembre 1962, Emmanuel Hoog est tombé très vite dans la marmite de la Culture. Il est en effet le fils de deux conservateurs des Musées nationaux : Michel Hoog (conservateur en chef du Musée d’Art moderne et de L’Orangerie, spécialiste de Cézanne et Monet, professeur à l’École du Louvre) et Simone Hoog (conservateur en chef au Musée national des Châteaux de Versailles et du Trianon). Après des études au lycée Saint-Jean-de-Béthune de Versailles et à l’Institut d’Études Politiques (IEP) de Paris, il entre à l’École Nationale d’Administration (ENA) en 1986. Il est de la promotion Michel de Montaigne, tout comme l’économiste Nicolas Baverez, le PDG d’Air France Alexandre de Juniac, ou encore Denis Olivennes, aujourd’hui directeur de l’information d’Europe 1 et du pôle information du groupe Lagardère. Sans surprise, à sa sortie de l’ENA, Emmanuel Hoog choisit le ministère de la Culture. Il est divorcé de la comédienne Marie Favasuli.
Parcours professionnel
La carrière d’Emmanuel Hoog s’est faite d’abord dans le sillage de Jack Lang, puis de Laurent Fabius. C’est auprès du premier qu’il entre au Ministère de la Culture en 1988 en tant que chef du bureau des affaires budgétaires et financières, puis responsable des manifestations culturelles célébrant le centenaire d’Arthur Rimbaud. Il a ensuite été administrateur du Théâtre de l’Odéon, et directeur délégué du Piccolo Teatro de Milan, dont le directeur est alors Jack Lang. C’est avec celui-ci qu’il lancera, en 1999, Le Printemps des Poètes. En 1997, il devient le conseiller chargé de la Culture et des Médias de Laurent Fabius à la présidence de l’Assemblée nationale, qu’il suivra au Ministère de l’Économie et des Finances. En 2001 il est nommé PDG de l’Institut National de l’Audiovisuel (INA). En mai 2010, il interrompt son second mandat suite à son élection à la tête de l’AFP. La candidature d’Emmanuel Hoog, présentée au Conseil d’administration par les administrateurs de l’État et soutenue par le ministre de la Culture Frédéric Mitterrand, l’emporte au premier tour par 10 voix sur 15. Le « candidat du pouvoir » est ainsi préféré à deux importants patrons de presse : Philippe Micouleau, ancien directeur général de La Tribune, et Louis Dreyfus, ancien directeur général de Libération et du Nouvel Observateur. Une victoire peu surprenante, quand on sait que 40 % du chiffre d’affaires de l’AFP est apporté par les abonnements de l’État. Pour son second mandat, Emmanuel Hoog prône la stabilité : “En 25 ans, AP et Reuters ont connu 2 présidents, l’AFP 8. Cette instabilité est une entrave à la bonne marche de l’entreprise”. Il propose ainsi de prolonger le mandat du président de 3 à 5 ans. Parmi les 5 défis de l’AFP identifiés par l’actuel président dans sa déclaration de candidature : la fortification du monopole de l’AFP, avec “l’installation d’une stratégie dynamique permettant à l’agence de garder le leadership sur le territoire national et de rester non seulement un acteur de référence, mais le partenaire indispensable des médias français”, et le renforcement de ses relations financières avec l’État, avec “la résolution de la plainte déposée à Bruxelles qui paralyse toute mobilisation de moyens publics nouveaux, et la négociation du prochain Contrat d’Objectifs et de Moyens”. Un ensemble de mesures qui ne pourront se faire sans le soutien de l’État, ce qui explique largement que le haut-fonctionnaire ait à nouveau été préféré par le conseil d’administration de l’agence le 4 avril dernier.
La thèse du succès du « candidat du pouvoir » est par ailleurs étayée par un épisode survenue le soir de l’élection de François Hollande à la présidence de la République, dont la vidéo est à regarder ici.
On y voit le PDG, Emmanuel Hoog entouré de son directeur de l’information, du chef du service politique et de la rédactrice en chef centrale, applaudir et accueillir avec des mines visiblement réjouies la nouvelle de la victoire du candidat socialiste. L’AFP a ensuite expliqué dans un texte diffusé sur le net qu’il s’agissait d’applaudir non pas la nouvelle, mais l’évènement que représentait l’envoi d’un flash qui enfreignait le sacro-saint embargo en annonçant l’information dès 18h53 au lieu de 20h. Une explication niée par un journaliste de l’AFP qui, sous couvert d’anonymat, a confié au site Atlantico.fr : « c’est une pure hypocrisie, car l’envoi de ce flash ne relève d’aucun exploit particulier de l’AFP. L’AFP s’est contentée de violer la loi comme elle l’avait déjà fait au premier tour, en diffusant des estimations déjà diffusées par des médias étrangers. Mais le flash ne constitue en lui-même aucun succès remarquable de l’agence qu’il conviendrait d’applaudir à tout rompre. Que reste-t-il à applaudir, sinon le contenu ? »
Un autre fait marquant de la présidence d’Emmanuel Hoog est la signature d’un partenariat entre l’AFP et l’Agence Chine nouvelle. Agence de presse officielle du gouvernement chinois, son directeur a le statut de ministre et reçoit ses ordres directement du Président Hu Jintao. Emmanuel Hoog a rencontré son homologue au cours d’un dîner en septembre 2011 avec lequel il a signé un accord pour renforcer leurs liens.
Sous sa houlette, la BBC signe un contrat avec l’AFP pour la vidéo, abandonnant Associated Press. « C’est comme si American Airlines avait abandonné Boeing pour Airbus », explique-t-il aux Échos, radieux. En 2017, avec 1500 journalistes, l’AFP produit 250 vidéos par jour pour les marchés étrangers, 5000 dépêches par jour en tout, 3 à 6000 photos par jour.
En juin 2017 la rédaction en chef France étouffe la parution de deux scoops sur Richard Ferrand, proche d’Emmanuel Macron ; l’affaire est cependant révélée par la CGT de l’agence de presse. En novembre 2017 Emmanuel Hoog suscite un tollé au sein de l’AFP en estimant que l’Égypte est engagée « sur la bonne voie » sous la houlette de son dirigeant Abdel Fattah al Sissi.
Candidat à sa succession en avril 2018, il est lâché par les représentants de l’administration, donc du pouvoir, et jette l’éponge. Fabrice Fries lui succède. Ce dernier, certes « venu du privé » n’y a pourtant pas un bilan très reluisant… surtout à Publicis Consultants (2008–2016) dont il a divisé le résultat et le nombre d’employés par deux.
C’est en réalité un trou financier annuel de 5 millions d’€ en 2016 et 4,7 millions d’€ en 2017 qui a valu à Emmanuel Hoog sa disgrâce, ainsi que les fuites fin 2017 – sur fond de différend sévère avec les syndicats – sur ses augmentations et ses travaux somptuaires à l’AFP. Par ailleurs Hoog demandait 60 millions d’€ à l’État pour relancer l’AFP dans un marché difficile.
Débarqué sans trop de récriminations de l’AFP, il est recasé en octobre 2018 par Macron comme ambassadeur du numérique, un poste où il sera entre autres en charge de la lutte contre les infox/fakes news et de contrôler les réseaux sociaux à l’approche des élections européennes de 2019.
Il pantoufle dans le privé le 2 mai 2019, nommé directeur général des Nouvelles Editions Indépendantes (LNEI) qui regroupent les participations personnelles du banquier Matthieu Pigasse dans les médias et la culture : Les Inrocks, Radio Nova, Le Monde (participation), Festival Rock en Seine. Il remplace Bernard Zekri qui reste directeur général de Radio Nova.
Pour sa première expérience hors de l’administration publique, l’homme n’a pas choisi le groupe de médias le plus solide du secteur. En effet, le titre phare du groupe, Les Inrocks, est chroniquement déficitaire, ce qui explique en partie la décision du passage au rythme de parution mensuel à compter de juin 2021. Qu’à cela ne tienne, il nomme à la tête de la rédaction Joseph Ghosn, un bébé des Inrocks parti chez Grazia, qui a pour mission de « poursuivre et d’amplifier la relance du magazine (…) en lui apportant un regain éditorial ». Le potentiel sauveur fait long feu et rejoint Madame Figaro neuf petits mois après son intronisation. Ce départ fait suite à une fuite massive de cadres au sein de Combat, nouveau nom des Nouvelles Éditions Indépendantes, au début de l’année 2022 : les directeurs des principaux services (financier, juridique, marketing) se font la malle. Le groupe doit désormais multiplier les synergies entre ses trois pôles (spectacle vivant, écrit, audio et production de documentaires) et externaliser certaines fonctions, dont la régie publicitaire, pour dégager des marges.
Il en va de même pour l’autre marque du groupe, Radio Nova. À son arrivée en 2019, la station perd des dizaines de milliers d’auditeurs chaque année. Il fait appel à Jean-François Latour, un homme de radio connu pour son aptitude à tailler drastiquement dans les dépenses là où il passe (Le Mouv, Ouï FM). En plus du prévisible plan de licenciement mis en place à partir de mai 2023, Latour est rapidement accusé par les salariés de vouloir uniformiser la programmation musicale de la radio pour toucher un public plus large et plus fidèle. Hoog acquiesce et laisse faire son homme de main, qui fera ses valises après cinq mois à bouleverser de fond en comble la maison Nova.
Ce qu’il gagne
Interpellé à plusieurs reprises par des syndicats minoritaires – ulcérés par plusieurs années de gel des salaires au sein de l’AFP, en violation d’accords SPQN que la justice a fini d’ailleurs par rétablir – il a toujours refusé de rendre public son salaire (fixe et variable) à la tête de l’AFP. Un avis favorable à la demande des syndicats a été cependant rendu par la CADA au printemps 2018. C’est Fabrice Fries qui a hérité du conflit… et promis aux syndicats d’être transparent sur sa rémunération.
« Or, non content de s’augmenter sans jamais rendre compte de sa rémunération aux salariés comme cela se fait aujourd’hui dans la plupart des entreprises, il a orchestré plus de 25 M€ de travaux au siège, dont 2 millions pour la seule rénovation pharaonique du 7e étage où ne travaillent qu’une dizaine de personnes. Une baie vitrée, montée en catimini un samedi par une grue, a même coûté plus de 30.000 euros pour que M. Hoog puisse avoir une vue pleine et entière sur Montmartre », écrit la CGT de l’AFP en 2017.
Nébuleuse
Ancien champion de Water Polo junior et passionné de poésie et de théâtre, Emmanuel Hoog est Président de la Maison de la Poésie et Trésorier du Festival d’Automne à Paris. Il est par ailleurs membre du Siècle, président de la Fondation AFP, membre de la Commission Tessier sur la numérisation du patrimoine écrit, du Conseil scientifique de l’Université de Paris 3- Sorbonne Nouvelle, administrateur de l’EHESS (École des Hautes Études en Sciences sociales) et vice-président du Comité d’Histoire de la Radiodiffusion.
Collaborations
- Président de la Fondation AFP.
- Vice-Président du Comité d’Histoire de la Radiodiffusion (depuis 2001).
- Trésorier du Festival d’automne à Paris (depuis 2001).
- Administrateur de la Fondation Thomson (depuis 2006).
- Membre du Conseil de la création artistique (2008–2010).
- Membre de la commission Tessier sur la numérisation du patrimoine écrit.
- Membre du « High Level Expert Group on Digital Libraries » présidé par Viviane Reding, commissaire européen (2006–2010).
- Membre du Conseil scientifique de l’Université Paris 3 — Sorbonne Nouvelle (depuis 2008).
- Administrateur de l’EHESS (depuis 2005).
- Administrateur-Fondateur de Cap Digital (2006–2010).
- Président de l’IFC, Institut français de la communication (2005–2010).
- Membre du conseil de surveillance d’Arte France (2001–2010).
- Président du Comité d’histoire de la télévision (2008–2011).
- Président de la Maison de la poésie à Paris.
- Administrateur de la BNF (2016).
Distinctions
Officier de la Légion d’honneur (31 décembre 2019).
Publications
- Le Marché de l’art (avec Michel Hoog), collection Que sais-je, PUF 1991.
- L’INA, collection Que sais-je ?, Presses universitaires de France, 2006.
- Mémoire année zéro, Le Seuil, 2009.
- La télé. Une histoire en direct, éditions Gallimard, 2010.
Il l’a dit
« C’est comme la plupart des journaux, mon devoir est de garantir l’indépendance et le développement de l’AFP. Mon boulot c’est de développer l’indépendance de l’agence. J’interviens sur les moyens, car ce que me demandent les journalistes ce sont les moyens, ce n’est pas de décider de l’information qu’on traite », 9 décembre 2010, en réponse à une question d’une étudiante de Sciences Po : “Comment peut-on être président de l’AFP et pas journaliste?”
« Jean Vilar disait que le théâtre, comme l’eau est l’électricité devait être un service public, après le théâtre, aujourd’hui c’est la poésie », à l’occasion du lancement de la 2e édition du Printemps des poètes, en 2000.
« L’irruption d’Internet et des technologies numériques a transformé chacun de nous en producteur de mémoire. Alors que les missions de sauvegarde et de conservation étaient autrefois réservées à des institutions patrimoniales telles que les musées ou les bibliothèques, tout le monde peut désormais archiver sa vie sous forme de blogs, de photos ou de vidéos et la partager avec le public sur le Web. C’est ce que j’appelle la « bulle mémorielle » : une masse d’informations qui jadis s’oubliait reste gravée dans la mémoire de nos ordinateurs et de nos réseaux. Ainsi, chacun peut revendiquer sa part d’éternité, non seulement les individus, mais aussi les différentes communautés, qui sont toujours plus nombreuses à vouloir faire reconnaître leur propre histoire particulière. Cette évolution porte en germe la menace d’un nouveau conflit identitaire, d’une « guerre des mémoires ». Et à partir du moment où notre passé est atomisé, privatisé, comment peut-on encore envisagé un avenir ensemble ? De plus, en confiant notre mémoire à un disque dur, nous risquons de nous diriger lentement vers une amnésie et une déculturation collective. Pourquoi continuer à apprendre et à mémoriser, puisque la machine le fait à notre place ? », interview à Clubic.com, le 25 septembre 2009, résumant ainsi la thèse de son ouvrage Mémoire année Zéro, Éditions du Seuil, 2009.
« Il faut une législation qui donne des droits nouveaux, des libertés nouvelles (à l’internaute), car internet est une fausse liberté », interrogé sur son ouvrage en mai 2010, Mémoire, année Zéro, Éditions du Seuil, 2009.
« C’est une usine à fabriquer, à construire, à diffuser de l’information », au sujet de l’AFP dont il vient de prendre la tête, en mai 2010
« Ni Dieu ni maître », BFM Business, décembre 2014, en réponse à la question d’une journaliste sur la devise qui le définissait le mieux.
« Le contexte économique est épouvantable. La pub est captée par les Gafa, ce qui affecte nos clients médias, qui continuent à vouloir renégocier leurs contrats à la baisse. Or nous avons besoin de continuer à investir. L’AFP estime son besoin de financement à 60 millions d’euros pour les cinq années à venir, pour poursuivre et accélérer sa transformation », Les Échos 10 juillet 2017, op.cit.
« Le recours massif au copié-collé dans les médias en ligne, démontré par une étude de l’INA en mars dernier, fait que nous représentons 50 % du marché de l’actualité sur la Toile en France ! Il faut un code de bonne conduite et une régulation », ibid.
« Depuis toujours l’AFP s’intéresse à ce qui se passe au coin de la rue mais aussi au bout du monde », France Culture , 4 février 2018.
« On a fait un appel d’offres à l’ensemble des régies publicitaires du marché et c’est Lagardère qui a été le mieux disant financièrement. […] La véritable fragilité, c’est de se retrouver dans un modèle économique fragilisé. On se donne la meilleure solution possible en termes de moyens. À aucun moment la grille de Nova et la ligne éditoriale ne seront impactées », StreetPress, 25 juin 2024.
On a dit de lui
« Matthieu Pigasse [qui a racheté Nova en 2015] nous a laissés faire pendant des années, dit un partant. Emmanuel Hoog semblait très content de nous. C’est pour ça que ce changement radical est d’autant plus surprenant », un salarié anonyme de Radio Nova, Libération, 25 octobre 2023.
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