Le bébé Elkabbach
Né en 1963 à Paris, d’un père directeur de recherche au CNRS et d’une mère qui enseignait le judaïsme, Emmanuel Kessler a eu une formation philosophique, avant de commencer à travailler en 1986 pour la Gazette des Communes. Passé par la radio BFM, puis par Public Sénat de 2003 à 2011, il entre à France Info où il fait des chroniques mêlant politique et économie, puis devient chef du pôle économique de LCI en 2011. En avril 2015 il est désigné président de Public Sénat, non sans que cette nomination n’entraîne des polémiques. Il tiendra en tout deux mandats à la tête de la chaîne, il est nommé en juin 2021 directeur de la communication de la Cour des comptes avant de prendre la tête des rédactions de Capital et de Management du groupe Prisma à la rentrée 2022 qu’il quitte début 2024 avant de postuler à la Présidence de La Chaîne parlementaire, où il est choisi en mai de la même année par la présidente de l’Assemblée nationale.
Par son parcours professionnel et ses soutiens familiaux, il dispose de sérieux appuis, à la croisée des réseaux culturels, médiatiques et communautaires. Travailleur acharné, il est le père de trois enfants et vit à Croissy sur Seine dans les Yvelines. Sa mère, Colette Kessler, est une figure du judaïsme libéral et du rapprochement entre juifs et Chrétiens.
Formation
Emmanuel Kessler est titulaire d’une maîtrise de philosophie obtenue à Paris X (Nanterre) après sa sortie de l’ENS de Fontenay-Saint-Cloud.
Parcours professionnel
En 1989, il entre à la Gazette des Communes, puis rejoint la radio BFM en 1992. Il y crée le service politique, devient rédacteur en chef et présente la tranche horaire 17h30 – 20 heures. De 2003 à 2011 il travaille à Public Sénat où il a été recruté par Jean-Pierre Elkabbach. Il y est rédac-chef adjoint aux journaux et aux opérations spéciales ; avec Emilie Aubry il anime notamment en 2006 les trois débats des primaires socialistes. A partir de 2007 il livre des chroniques politico-économiques sur France Info, ainsi que sur France Culture le samedi matin à 8 heures.
En janvier 2011 il passe au pôle économique de LCI, dont il devient le chef ; il encadre cinq journalistes à LCI et 30 sur TF1 dont il est chef-adjoint au service économique – il l’est toujours à ce jour en 2018. De 2005 à 2015, il a animé le débat annuel des commissions locales d’information (CLI) sur le nucléaire.
En avril 2015, il est désigné président de Public Sénat ; il succède à Gilles Leclerc pour trois ans. Cette nomination crée la polémique. Mediapart et Le Nouvel Observateur dénoncent l’implication de Jean-Pierre Elkabbach, fondateur et directeur de Public Sénat de 1999 à 2009, dans sa nomination, et le changement de dernière minute de la procédure de nomination. Selon les deux médias, plutôt marqués à gauche, Gérard Larcher ne voulait pas nommer le candidat soutenu par Elkabbach et s’est abrité derrière un vote du bureau du Sénat. Jean-Pierre Elkabbach anime toujours une émission sur Public Sénat, qui coûte selon Mediapart 800 000 € par an, soit le double des crédits utilisés par la chaîne pour acheter des documentaires.
Public Sénat dispose en 2015 d’un budget de 19 108 000 € dont près de 60% sont absorbés par les frais de la grille (11 millions d’€). Il y a 61 salariés, dont 34 titulaires de la carte de presse ; un prestataire extérieur gère le plateau et les moyens de production, à raison de 10 jours-homme pour 44 semaines par an. Les audiences sont cependant minimes et ne sont pas rendues publiques : d’après un opérateur de téléphonie, le canal 13 qui regroupe Public-Sénat et LCP-AN affiche en moyenne 0,25% de l’audience nationale. Cependant, depuis son arrivée, Emmanuel Kessler, qui affichait l’ambition de faire « plus de direct » et « transformer Public Sénat en chaîne de débats » a dépoussiéré considérablement la grille dont 80% des émissions ont été renouvelées. La hausse de la dotation à Public Sénat, continue depuis plusieurs années, a été interrompue avec la reconduction pour 2016 du même montant que celui alloué en 2015, à savoir 18 848 000 € versés par le Sénat, ce qui couvre 98.6% du budget total. Sous sa mandature, le budget alloué aux documentaires augmente cependant de 10%.
Candidat à sa succession en 2018, il est réélu contre le journaliste Jean-François Achilli, favorable à la fusion avec LCP-AN et considéré comme plus proche d’Emmanuel Macron. Il est donc l’un des rares dirigeants de chaîne publique en France à échapper au sérail du président… et même à le défier ouvertement.
Mais l’homme n’est pas éternel. Alors candidat à un troisième mandat en avril 2021, les membres du bureau du Sénat élisent un de ses concurrents, Christophe Baldelli, à la tête de Public Sénat. L’année précédente, cet ancien patron de RTL de 2009 à 2019 s’était présenté à la succession de Delphine Ernotte à France Télévisions, sans succès. L’attachement de Kessler à l’indépendance éditoriale et économique de Public Sénat semble avoir pesé dans la balance, comme le laisse entendre Aude Dassonville dans Le Monde : « Le 6 avril, lors de son audition devant la commission de l’Assemblée nationale, que l’ancien documentariste avait tenu à honorer malgré l’absence de concurrence, M. Delais [président de LCP, ndlr] avait laissé entendre des relations relativement crispées avec son homologue de Public Sénat. L’arrivée d’un nouveau président devrait permettre la relance des discussions entre les deux maisons pour de possibles synergies, M. Baldelli partageant cette même vision d’un rapprochement sans fusion entre les deux chaînes. » Un mois plus tard, Kessler est recasé : il est nommé par Pierre Moscovici au poste de directeur de la communication de la Cour des comptes avant de rebondir en septembre 2022 où il intègre le groupe Prisma, prenant la tête des rédactions de Capital et de Management qu’il quitte début 2024.
Le 10 juin 2024, il devient président directeur général de LCP : Emmanuel Kessler a été choisi à la surprise générale par la présidente de l’Assemblée nationale, alors même que le comité de sélection lui avait préféré la candidate Brigitte Boucher.
Parcours militant
Emmanuel Kessler ne semble pas avoir été encarté au PS ; en revanche son frère David Kessler (décédé en 2020) a été Conseiller culture et communication de Jospin entre 1997 et 2001, du maire (PS) de Paris Bertrand Delanoë de 2009 à 2011 et de Hollande de 2012 à 2014 ; il avoue avoir pris sa carte du PS en 2002 suite à la défaite de Jospin, « par défi ».
Publications
- Emmanuel Kessler, La folie des sondeurs : de la trahison des opinions, Denoël, 2002. Dans ce livre, il démonte de façon décapante le système très bien huilé qui lie entre eux hommes politiques, journalistes et «politologues », à la fois directeurs d’instituts, universitaires, conseillers et consultants, à ce titre embauchés par les hommes politiques et invités par les médias pour faire part de leurs analyses.
- Emmanuel Kessler et Patrick Devedjian, À moi le ministère de la parole, Éditions de l’Archipel, 2006 (livre-entretien).
Ce qu’il gagne
Non renseigné.
Sa nébuleuse
Jean-Pierre Elkabbach, son ancien patron et mentor de Public Sénat.
Son frère David Kessler, très influent dans le monde médiatique où il jouit d’une réputation de faiseur de rois. Après une formation philosophique – il décroche l’agrégation de philosophie en 1980 après avoir fait comme son frère l’ENS, à Saint-Cloud, il enseigne la philo jusqu’en 1987 dans un lycée, puis renoue avec les études en entrant à l’ENA en 1987. Il enseigne à l’IEP de Paris jusqu’en 1991 puis à l’ENA jusqu’en 1998. Il fait partie du programme Young Leaders de la French-American Foundation en 1999 ; ce programme vise à former une jeune garde de responsables publics acquis aux idées et aux intérêts américains. Il réalise un véritable cursus honorum dans le monde politico-médiatique en exerçant diverses responsabilités : directeur du CSA en 1996–97, du centre national de la cinématographie de 2001 à 2004, de France Culture de 2005 à 2008, délégué à la stratégie des contenus à Radio France en 2008–2009, directeur des Inrockuptibles en 2011, de la version française du Huffington Post en 2012… Il est aussi conseiller com’ de Jospin de 1997 à 2001 à Matignon, de Bertrand Delanoë de 2009 à 2011, de François Hollande à l’Elysée de 2012 à 2014.
Marié une première fois à une spécialiste universitaire de l’hébreu, avec laquelle il a eu trois enfants, après la mort de son épouse en 2010, Emmanuel Kessler s’est remarié en décembre 2013 avec Cyril Pigot, spécialiste de l’art. « Je ne suis absolument pas militant mais j’assume parfaitement ma vie, déclarait-il au JDD en 2015. Je me suis marié deux fois, la première fois avec une femme, la seconde avec un homme. C’est tout ». Il cultive de nombreuses amitiés dans le monde politico-médiatique, et de nombreux commentateurs supposent qu’il est impliqué dans la nomination d’Agnès Saal à l’INA – écartée depuis pour des frais de taxis faramineux et néanmoins recasée en toute discrétion au ministère de la Culture, dans celle de Matthieu Gallet à Radio France ou encore d’Olivier Schrameck au CSA. Comme l’écrit encore le JDD il est « à l’intersection de réseaux puissants : celui des énarques, de la culture et celui du milieu gay », un tout petit monde dont il connaît tous les acteurs et les jeux d’influence.
Le Grand Orient de France, où il a ses entrées.
Il l’a dit
« Le Sénat résiste à l’émotion, à l’urgence. Peut-être davantage que l’Assemblée. Le Sénat, c’est le temps long, la distance critique, le lien avec les territoires, qui tient à son mode de scrutin particulier », Les Échos, 11 juin 2015
« La ligne de force que j’ai donné depuis la rentrée, c’est de faire de Public Sénat une chaine de débats. Pourquoi ? D‘abord, parce que d’abord c’est le débat parlementaire, la dessus le Sénat a une petite supériorité sur l’Assemblée, c’est qu’au Sénat le débat parlementaire ne peut jamais être interrompu, il n’y a pas d’article de la Constitution 49.3 prévu au Sénat. Le deuxième élément c’est que les Français sont friands de débats, on est un peuple qui aime le débat et d’ailleurs c’est le troisième élément », Mediascope, 2016
« Nous n’avons pas pour objectif de mesurer l’audience au quotidien, comme le font des grandes chaînes de télévision et d’ailleurs le grand outil de mesure, le Médiamat n’est pas à notre portée financièrement. Néanmoins nous avons d’autres outils, alors il est très difficile de mesurer une audience d’une chaîne de télévision comme la notre qui se situe tout à fait dans l’univers des chaînes d’information notamment quand on met en place une nouvelle grille de programmes pour mesurer l’impact sur le public. Moi ce que je cherche c’est une progression de l’audience. Ce que je sais c’est que nous avons 15 millions de téléspectateurs qui nous regardent chaque semaine et ça c’est important », ibid.
« La télévision, canal historique, qu’on la voit sur la TNT ou sur un autre écran, je crois qu’elle garde une fonction majeure, cette fonction c’est la sociabilité. C’est à dire que c’est un élément de lien social, et je veux que la télévision, elle donne du sens, qu’elle raconte des histoires, au sens d’histoires vraies, mais qu’elle permette de resituer les événements dans un contexte, de comprendre comment ils se sont passés grâce à un avant, un après et un pendant bien sûr ; dans ce cadre la télévision a un rôle majeur à jouer, c’est le décryptage, c’est le temps du débat, c’est le temps du récit et de l’explication de l’actualité », ibid.
Le 20 novembre 2013 il défend sur France Culture les prépas contre la volonté du ministre de l’Education Vincent Peillon de les supprimer : « c’est une autre motivation qui conduit Vincent Peillon à vouloir passer sous la toise les enseignants de classes préparatoires : l’idée qu’ils constitueraient une caste de privilégiés. Parce qu’ils ont moins d’heures de cours à assurer que leurs collègues des collèges et lycées ; parce que leurs heures supplémentaires sont mieux rémunérées ; comme si leurs salaires ne correspondaient ni à une qualification particulière ni à une charge de travail effective. Rappels, donc. Les profs de classes prépas ont passé les concours les plus difficiles, renouvellent chaque année 100 % de leur cours — les programmes changent —, avec des classes de plus de cinquante élèves, des copies très complexes à corriger. Amputer leurs revenus de 600 euros par mois, c’est la moyenne, c’est comme si on décidait d’un coup de payer la consultation des médecins spécialistes au tarif des généralistes. C’est la négation de la compétence ». Et il enfonce le clou « Ce nivellement par le bas, souhaité par l’actuel ministre de l’Éducation, est aux antipodes de la méritocratie républicaine que devrait défendre tout successeur de Jules Ferry ».
« Il y a eu quand même une leçon politique assez forte lors de ces élections. L’effet Macron a été stoppé au Sénat. Certes, ça pouvait être anticipé parce que ce sont les conseillers municipaux élus en 2014 qui ont voté et La République en marche n’existait pas. On s’attendait quand même à une poussée, hors ça a été plutôt une régression de la part de LREM », France Info, 25 septembre 2017.
Au sujet de la réforme de l’audiovisuel public : ce dernier doit « informer et former les citoyens “à la vie publique, par des programmes parlementaires, éducatifs et civiques” (loi du 30 décembre 1999). Très concrètement, dans un pays où environ un électeur sur trois s’est refusé à choisir entre les deux finalistes de l’élection présidentielle de 2017, leur responsabilité est de retisser le lien entre les Français et la politique — la « vie de la cité » - à tous les niveaux », Les Échos, 30/01/2018
Ils ont dit à son sujet
« À la haute assemblée, il a emprunté pour sa chaîne une distance avec l’actualité immédiate, un sens du dialogue au-delà des postures partisanes et, bien sûr, un ancrage dans les territoires. Sur la question de l’immigration, qui fait débat dans l’hémicycle, il refuse d’oublier l’humain au profit d’une approche chiffrée et désincarnée. […] . À travers Dialogue citoyen, C’est vous la France, Audition publique avec Francis Letellier, des portraits de maires ou un 26 minutes sur l’engagement des édiles en 2014–2020, il s’agira de conjurer la vague montante du populisme dont le ressort est de “faire croire que tout problème à des solutions simples”. Complexe », Stratégies, 03/10/2019
« Depuis qu’il n’est plus PDG de Public Sénat, Jean-Pierre Elkabbach a toujours bien pris garde à jouer les “parrains” dans les coulisses de la chaîne. À Public Sénat, c’est un secret de polichinelle : pour devenir PDG de la chaîne, il faut forcément avoir été adoubé par Jean-Pierre Elkabbach. Selon de très bonnes sources, l’altercation qui a eu lieu le 7 avril à Europe 1 trouve donc ici son origine : Jean-Pierre Elkabbach aurait découvert que Gérard Larcher n’avait nulle envie de nommer à la tête de la chaîne Emmanuel Kessler, qui est son favori affiché. Et Jean-Pierre Elkabbach aurait menacé le président du Sénat de vives représailles s’il en allait ainsi », Mediapart, 13 avril 2015
« C’est un homme en mission. La voix posée, la parole scandée, Emmanuel Kessler, nouveau patron de Public Sénat, est un journaliste engagé. Et il défend le bicamérisme », Les Échos, 11 juin 2015
« Loin d’un train de sénateur, celui qui était, depuis 2011, chef du service économie de LCI a doublé sa ration quotidienne. Lever à 5 heures, pour sa chronique matinale sur La Chaîne Info, pilotage de la rédaction (cinq journalistes à LCI, plus une trentaine au service économie de Tf1, dont il est l’adjoint). Puis, retraite dans sa résidence de Croissy-sur-Seine (Yvelines) pour ciseler son programme de candidat : 30 pages. […] Son projet a payé, sa connaissance des hommes et des lieux, aussi. Car Emmanuel Kessler a travaillé huit ans à Public Sénat (2003–2011). Recruté par Jean-Pierre Elkabbach », ibid.