Le berseker des rebellocrates
« Moi, je ne suis pas patriote pour un sou ! » (L’Objet du scandale, France 2, 10/03/2010)
Si, avec son visage de bande dessinée, son aspect rondouillard jovial et ses yeux moqueurs, Frédéric Bonnaud a l’apparence d’un blagueur inoffensif, il se trouve être en réalité l’une des plus grandes gueules de la gauche médiatique, des plus féroces, des plus fières, des plus dénuées de doute. Oscillant sans cesse entre la vanne gourmande et l’aboiement indigné, cet ancien critique de cinéma ayant fait carrière dans l’anti-sarkozysme et la résistance à paillettes à la tête du magazine emblématique des « rebellocrates » : Les Inrockuptibles, est aujourd’hui le directeur général de la prestigieuse cinémathèque française. Le secret de son succès : une inflexible certitude d’appartenir au camp du Bien (même s’il refuse la politisation outrancière du cinéma, comme l’a montré son soutien à Polanski), une condescendance narquoise, et du chien – au sens Pitbull du terme.
Fils de Robert Bonnaud, historien engagé à gauche et militant anti-colonialiste, il est né en 1967.
Formation universitaire
Non renseigné
Parcours professionnel
Frédéric Bonnaud débute en 1995 en tant que critique cinéma pour le magazine Les Inrockuptibles ; parallèlement, il se trouve également être l’assistant de Danièle Hibon au département Cinéma de la Galerie nationale du Jeu de Paume. Il débarque sur France Inter en 2002, par l’entremise de Bernard Lenoir, où il assume le rôle de chroniqueur cinéma dans l’émission « La partie continue » qu’anime Albert Algoud. Il lui arrive d’intervenir, sur la même radio, au « Masque et la Plume », ainsi qu’au « Cercle », sur Canal+, toujours en tant que critique cinéma. Mais il va bientôt déborder ce simple créneau pour se voir confier la responsabilité de la tranche culturelle (18h00-19h00) de la radio par Jean-Luc Hees, alors directeur de France Inter. Il anime ainsi l’émission « Charivari » de juillet 2003 à juin 2006, puis, de septembre 2006 à juin 2007, « La Bande à Bonneau », en compagnie de Sandra Freeman et d’Arnaud Viviant. Il accueille également dans cette émission Franck Annese, Philippe Collin, François Simon et Hervé Pauchon. Mais l’émission n’est pas reconduite à la rentrée 2007 et Frédéric Bonnaud, remplacé par Yves Calvi, accuse alors la direction de la radio d’une reprise en main politique relative à l’élection de Nicolas Sarkozy. Un mouvement de grève prend sa défense mais ne fera pas plier les responsables de la radio qui estiment que « La Bande à Bonneau » ne réunit simplement pas assez d’auditeurs. Il règlera ses comptes dans un entretien donné au Monde le 11 juillet 2007, où il affirme notamment : « Comment s’entendre avec de tels incompétents qui n’ont travaillé jusqu’ici que dans des radios musicales ? » Mais loin d’être au chômage, Frédéric Bonnaud rejoint alors Europe 1, où il officiera jusqu’en 2009 dans l’émission de Jean-Marc Morandini pour livrer quotidiennement un billet présenté comme « politiquement incorrect ». Essentiellement, il s’agira pour lui de s’attaquer au chef de l’État : Nicolas Sarkozy. Une incorrection fort tolérée, répandue et lucrative, donc, qui offre en sus l’équivalent d’une bonne cure revancharde à celui qui estime avoir été privé de son créneau sur France Inter par le nouveau président. En tout cas, celui que Télérama qualifie de “pro anti-Sarko”, se sent quant à lui « assis sur un baril de poudre » et prétend : « J’ai plutôt le sentiment d’être comme le sparadrap du capitaine Haddock : on cherche comment se débarrasser de moi ». Il devient également à l’époque chroniqueur cinéma pour « Le Cercle », émission de Canal+ qu’anime Frédéric Beigbeder et où il était déjà intervenu. Dès septembre 2008, il est encore chroniqueur dans le journal Siné Hebdo, fondé par le dessinateur Siné après son éviction de Charlie Hebdo. Il témoigne d’ailleurs en soutien au dessinateur lorsque celui-ci se voit accusé d’antisémitisme.
En août 2009, Bonnaud rejoint Guillaume Durand, pour « jouer le poil à gratter au côté de l’animateur », dans l’émission « L’Objet du scandale », sur France 2. En octobre 2009, il y prendra la défense vigoureuse et unilatérale du réalisateur Roman Polanski, suscitant l’indignation de certaines féministes. « Je dis simplement que Roman Polanski est tombé, à l’époque, lui-même pas très bien, sur une jeune femme qui avait 14 ans qui en faisait 17 ou 18 et qui avait, simplement à en croire son témoignage, ce qu’on appelle une sexualité active ! », résume-t-il. Il tient également toujours sur Europe 1, une chronique quotidienne sur la télévision.
Mais à la rentrée 2010, il quitte cette radio pour revenir dans le giron de Radio France et animer « Plan B pour Bonnaud », de 17h00 à 18h00 sur Le Mouv’. À l’occasion d’un documentaire sur la critique réalisé par Benjamin Walter et intitulé : Qui veut la peau du critique ?, diffusé en juillet 2011, Bonnaud s’en prend à son confrère Ali Baddou en des termes virulents : « Ali Baddou au Grand Journal, ce trou du cul, en train de dire “J’ai rien compris, qu’est-ce que c’est que cette merde ?’ ”. A part qu’il ne comprend pas que c’est lui la merde, c’est pas le film ». Sa déclaration fait scandale et il s’en excuse quelques jours plus tard. En 2012, il commence d’animer une émission culturelle sur Arte, « Personne ne bouge ! », avec Philippe Collin et Xavier Mauduit et se charge également d’une émission politique : « En direct de Mediapart », diffusée sur le site créé par Edwy Plenel. Enfin, le 18 janvier 2013, il remplace Audrey Pulvar en tant que directeur de la rédaction du magazine Les Inrockuptibles où il avait fait ses débuts vingt ans plus tôt.
L’ère Bonnaud n’est pourtant pas synonyme de redressement économique pour l’hebdomadaire, qui voit en plus débouler un nouveau concurrent sur ses plates-bandes en la personne de Society, le nouvel hebdo de Franck Annese. Cependant, Bonnaud va se voir formuler une offre qu’il ne pourra pas refuser.
Le critique est choisi par le Conseil d’Administration de la Cinémathèque pour succéder à Serge Toubiana à partir du 31 décembre 2015, décision avalisée par le ministère de la Culture. Ce dernier entend ouvrir l’auguste temple de la cinéphilie à des vents plus populaires, concernant les choix de programmation et d’exposition, tout en cherchant à innover concernant les modes de diffusion. Le début de son mandat n’est pourtant pas de tout repos, car le nouveau directeur général doit affronter à la fois des vents contraires en interne et les bourrasques de #MeToo qui s’abattent sur le monde du cinéma. Dès sa prise de fonctions, il est interpellé par une jeune étudiante, ancienne salariée du musée, qui se plaint des conditions de travail du personnel chargé de l’accueil et de la billetterie. Ce témoignage débouche sur la création d’un blog collaboratif, où différents employés viennent abonder dans le sens de la jeune femme et expriment leur mal-être au travail. En effet, la gestion d’accueil est sous-traitée à une entreprise extérieure, City One, dont les méthodes de management laissent à désirer : oubli d’heures travaillées, irrégularités dans les plannings et cas de harcèlement moral. L’image de gauche de la Cinémathèque, due en grande partie à l’affaire Langlois qui fut le préambule de Mai 68, en prend un coup. Lorsque des membres de Nuit Debout décident d’occuper symboliquement le lieu en mai 2016, pour protester contre cet alliage impur entre la précarité et la culture, ils sont expulsés dans la nuit par des CRS. Il n’en faut pas plus pour que des commentateurs avisés, dont des anciens collaborateurs de Bonnaud comme le critique cinéma des Inrocks Jean-Baptiste Morain, fustigent des « méthodes de droite ». Et Bonnaud d’être dépassé sur sa gauche, car diriger une institution à vocation patrimoniale à l’audience internationale n’implique pas les mêmes responsabilités qu’un canard bobo subventionné.
Un an plus tard, le directeur général n’arrange pas son cas lorsqu’il tient à maintenir la rétrospective Roman Polanski en novembre 2017, en dépit des gesticulations des harpies féministes qui s’agitent à l’extérieur du bâtiment. Il doit se résoudre à reporter la rétrospective du cinéaste Jean-Claude Brisseau, qui avait été condamné en 2005 à un an de prison avec sursis pour le harcèlement sexuel de deux jeunes actrices. Bonnaud prend parti pour Polanski contre les ligues de vertu, et même lorsqu’il est invité chez ses anciens collègues de Mediapart, sur le plateau où il a lui-même officié, il ne baisse pas la garde et qualifie les féministes souhaitant censurer les œuvres de « demi-folles ». Dans un autre registre, son souhait de consacrer une exposition à Louis de Funès deux ans plus tard laisse les cinéphiles bon teint sceptiques.
Il serait toutefois injuste d’accuser Bonnaud d’être soudainement devenu un notable souhaitant ardemment le statu quo après avoir été un journaliste militant. Mais force est de constater que sa nomination a coïncidé avec une mise en veille de ses commentaires politiques, dans la mesure où toutes ses déclarations publiques se rapportent désormais au cinéma, à la préservation et la diffusion des films ainsi qu’à la défense de l’institution qu’il dirige, ce qu’aucun honnête homme ne pourrait décemment lui reprocher.
Combien il gagne
Non renseigné
Publications
Non renseigné
Collaborations
Non renseigné
Il l’a dit
« Moi, je ne suis pas patriote pour un sou ! »
À Eric Zemmour : « Votre réalité est un fantasme ! », L’Objet du scandale, France 2, 10/03/10.
« {Christiane Taubira} rompt clairement avec le populisme sécuritaire et la justice émotionnelle qui sévissent depuis dix ans. Ce que ne font pas François Hollande et Manuel Valls quand ils se rendent nuitamment à Échirolles, en octobre dernier, sous les projecteurs des télévisions, pour réconforter des familles victimes d’un fait divers. Exactement comme le faisait Nicolas Sarkozy », Édito des Inrockuptibles du 19/02/2013, « Christiane Taubira, l’honneur de la gauche ».
« Je pense qu’hôtesse d’accueil, caissier, guichetier ou ouvreuse, ça doit rester des petits jobs d’étudiants, au risque de choquer. Moi, je ne me vois pas signer un CDI à vie pour que quelqu’un vende des billets à la Cinémathèque. », Les Inrocks, 04/04/2016.
« Dans cette histoire, j’ai fait ce que j’ai pu dans la mesure de mes moyens. Une jeune femme nous dit, en gros : “On nous traite mal.” Donc je vérifie si c’est vrai. Tout ce que je pouvais améliorer, je crois l’avoir fait. Mais très honnêtement, la réalité ne correspondait pas à son discours. Elle comparait quand même leur condition à celle des “esclaves de “Metropolis””! Quand on est en désaccord avec un patron, la plupart du temps, on finit par aller voir le juge. On aurait pu s’expliquer devant les prud’hommes mais il n’y a même pas eu de plainte. Et il n’y en a toujours pas. J’ai fini par comprendre que cette jeune femme avait sûrement des comptes personnels à régler. Mais lesquels ? », Télé Obs, 11/10/2016 .
A propos d’Anna Bosc-Molinaro, la jeune étudiante qui met en cause City One : « La Cinémathèque est un énorme miroir aux alouettes et aux fantasmes et je pense que certaines personnes ont, à son égard, des attentes quelque peu disproportionnées. », Idem
« Ici, c’est un musée, j’ai un patrimoine à préserver. Je devrais supporter qu’on entre de force, qu’on me casse une porte, qu’on se promène nuitamment dans le musée et qu’on nous tienne des propos délirants du genre “Vous ne passez pas que des films de gauche” ? Et après quoi ? Ils cassent une vitrine pour voir ce que ça fait de toucher un décor de Méliès ? Non ! Et puis j’avais vu ce qu’il s’était passé à l’Odéon un mois auparavant : ils les ont laissés s’installer, ils les ont ravitaillés et ça s’est terminé dans le sang et les coups lors de l’évacuation finale. A un moment, on n’a pas le droit de se tromper de cible à ce point-là. On est dans un monde capitaliste dur, qu’on ne me dise pas que la Cinémathèque française est le symbole de ce monde-là ! Renseignez-vous un peu avant de dire et faire n’importe quoi ! », Idem
« Cette libération de la parole, est-ce qu’elle ne s’accompagne pas d’un flash totalitaire et d’un retour à l’ordre moral, sous la direction de ligues de vertu ? », Mediapart Live, 08/11/2017
« Tu sais pourquoi nous avons renoncé [à la rétrospective Jean-Claude Brisseau, ndlr] ? Mettre dix gardes du corps dans le hall, ça coûte 10 000 euros. Nous ne sommes pas de taille. Je dis à Osez le féminisme ! “vous avez gagné”. Moi, je suis pas venu travailler à la Cinémathèque française pour entendre Marlène Schiappa me dire que j’avais la culture du viol. On ne me l’a pas encore dit, mais on va me le dire. Et c’est normal qu’on me le dise. », Idem
« On devrait donc annuler des rétrospectives d’artistes qui n’ont rien à voir avec l’affaire Weinstein ? Pour l’exemple ? C’est terrible ce que vous dites. Ma position est la suivante : c’est l’honneur de la Cinémathèque Française, je dis bien l’honneur, dans un moment d’hystérie collective où l’on mélange tout et où tout le monde a peur d’être lynché médiatiquement en cas de position non-conforme, d’avoir tenu bon sur ses principes et ses engagements. Le seul qui aurait pu nous dire, “je ne viens pas” ou “laissez tomber cette rétrospective”, c’est Roman Polanski lui-même. Je l’aurais évidemment écouté. Il ne l’a pas fait, je pense qu’il n’y a même pas songé, donc nous n’avions aucune raison d’annuler. Costa-Gavras et moi ne l’avons pas envisagé une seule seconde. Ou alors il faut considérer que les cinémathèques et les musées devraient suivre aveuglément l’air du temps et qu’aux premières circonstances jugées défavorables, il faille remettre en question des choix de programmation réfléchis, concertés et prévus de longue date. Ce n’est ni notre rôle ni notre vision des choses. », Première, 03/01/2018.
« Pour moi, pour la Cinémathèque Française, un monde sans Humanité est impossible à imaginer. Il faut que l’Huma continue de paraître et vous avez toute notre amitié et tout notre soutien dans votre combat qui est un combat difficile, mais un combat noble et valeureux. », L’Humanité, 21/02/2019.
« J’essaie de satisfaire les habitués et d’attirer un nouveau public. La Cinémathèque s’est métamorphosée depuis les années 1980. J’y ai vécu des moments inoubliables, comme l’hommage à Bette Davis en sa présence, mais je me souviens aussi des piètres conditions d’accueil : un caissier désagréable, une salle non refaite depuis les années 1960, sans compter les films projetés sans sous-titres. Il y avait une ambiance de catacombes, de messe noire. L’intimidation culturelle m’horripile, c’est tout l’inverse de l’image que je me fais d’un spectacle populaire. », L’Express, 19/05/2019.
Nébuleuse
Bernard Lenoir ; Albert Algoud ; Jean-Luc Hees ; Sandra Freeman ; Arnaud Viviant ; Philippe Collin ; Hervé Pauchon ; Jean-Marc Morandini ; Frédéric Beigbeder ; Siné ; Guillaume Durand ; Xavier Mauduit ; Laurent Mauduit ; Edwy Plenel ; Florence Platarets ; Véronique Cayla ; Costa-Gavras ; Michel Romand-Monnier.
Ils ont dit
«Frédéric Bonnaud… Lui, alors lui… Qui nous traite d’illuminés le lendemain ! Pas devant moi, parce qu’il a une trop petite bite pour le faire », Jean-Marie Bigard (après une invitation à L’Objet du scandale au sujet du 11 septembre 2001, RMC, novembre 2010).
« C’est en effet à propos de ce conflit que Frédéric Bonnaud, chroniqueur estampillé “politiquement incorrect” à Europe 1, s’est mué en petit maître censeur. Je venais d’expliquer ce qu’était le Hamas, avec son idéologie totalitaire et anti-juive qui se prêtait mal à une riposte “proportionnée”. Je disais aussi qu’il fallait prendre avec des pincettes la propagande islamiste sur les centaines de morts civils annoncées, ce lundi, à Gaza, et que les soldats israéliens s’affrontaient aux militants du Hamas dans une guerre militaire, évidemment très risquée. C’est alors que le porte-parole du Bien a révélé son goût pour le débat en me souhaitant l’embastillement », Ivan Rioufol, Le Figaro, 7/01/2009.
« Comment ne pas se souvenir de Frédéric Bonnaud raillant Daniel Mermet, dont l’émission avait été reléguée à un mauvais horaire pour laisser la place à Bonnaud : « Les martyrs médiatiques, il n’y a rien de plus ridicule » (France Inter, 28.6.06), avant d’en appeler aux syndicats et de susciter une pétition de soutien quand il voulut sauver son émission « La bande à Bonnaud », Nicolas Boderault et Didier Duterrier, Acrimed, 6/10/2010
« Il y avait eu un précédent en eau de boudin, lorsque Frédéric Bonnaud racontait inlassablement les mésaventures de “Mon Nicolas” sur Europe 1, d’une voix trop haut perchée. Pari impossible que de feuilletonner ainsi pendant toute une saison sur le même sujet. Insupportable parce que plus drôle du tout », GS, Causeur, 29/06/2010.
« Beaucoup de salariés ont été déçus par cette déclaration [sur les petits jobs étudiants, ndlr]. “Je préfère le je‑m’en-foutisme de Toubiana au mépris de Bonnaud”, lâche Nicolas. Les délégués du personnel ont questionné la nouvelle direction pour savoir si elle comptait apporter une réponse à la vidéo d’Anna. La réponse envoyée par la direction évite habilement tous les sujets abordés dans la-dite vidéo. Le texte se termine par “les discussions entre la direction et City One se poursuivent”. D’après une source en interne, une réunion entre City One et la Cinémathèque a en effet eu lieu il y a quelques semaines, très peu de temps après la diffusion de la vidéo d’Anna. Frédéric Bonnaud, arrivé le 1er février au sein de l’institution, n’a probablement pas encore eu le temps de se pencher sur ce dossier, complexe s’il en est. », Les Inrocks, 04/04/2016.
« Nous nous sommes parfois opposés, mais peu importe et c’est tant mieux. Les déclarations récentes de ton sous-directeur (la Cinémathèque française “n’est pas de gauche”) et la décision de faire appel aux CRS pour évacuer au plus vite ses locaux que des citoyens et cinéphiles qui veulent seulement penser et parler de l’avenir de notre société occupaient nous chagrinent beaucoup, nous, générations qui avons aimé le cinéma grâce à la Cinémathèque et ce qu’elle incarnait.
Tu diriges aujourd’hui la Cinémathèque française, et j’en suis sincèrement heureux, car je crois que tu étais destiné à ce poste. Nous attendons de toi que tu adoptes une attitude claire à ce sujet. Il est évidemment hors de question que des cinéastes de droite ou dits de droite n’y aient plus droit de cité. Mais il nous est insupportable d’admettre que cette institution, avec son histoire et son passé glorieux, chaotiques, mouvementés, voire parfois folkloriques, puisse aujourd’hui adopter en les assumant des méthodes policières et de gestion du personnel proprement de droite. », Jean-Baptiste Morain, Les Inrocks, 08/05/2016.
« Et Bonnaud part en roue libre, sur le mode «plus rien à perdre». On vient de restaurer 1900, ce très grand film. «Je pourrais inviter Bernardo Bertolucci, son auteur. Mais je ne vais pas l’inviter pour qu’il se fasse traiter de violeur par des demi-folles.» Bertolucci, violeur ? Il y a du sous-texte. Bonnaud parle ici d’un autre film, le Dernier Tango à Paris, resté célèbre pour la scène de sodomisation (simulée) de Maria Schneider par Marlon Brando à l’aide d’une plaquette de beurre. De longues années plus tard, Bertolucci a avoué que cette scène, non prévue, avait été imaginée par Brando et lui le matin même du tournage, sans que Schneider en fût avertie. «Je voulais sa réaction d’humiliation en tant que femme, et pas en tant qu’actrice», a dit Bertolucci — aveu justement livré à la Cinémathèque de Paris. Bertolucci avait alors expliqué se sentir «coupable» mais ne pas regretter. A noter que ce débat, en 2013, n’avait pas provoqué de réactions particulières en France, jusqu’à ce que son enregistrement soit exhumé trois ans plus tard par la version américaine de Elle.
Il faudrait prendre Bonnaud entre quatre-z-yeux et lui expliquer que ce qui arriva jadis à Maria Schneider s’appelle bien un viol. On ne parle pas de cinéma. On parle de deux hommes, Brando et Bertolucci, qui montent un traquenard à une femme, Maria Schneider, sous un prétexte artistique. Que cela n’empêche peut-être pas d’aimer le film, mais que le temps est venu d’appeler les choses par leur nom. Au risque de se faire traiter de demi-fou, ou de demi-folle. », Daniel Schneidermann, Libération, 12/11/2017.
Crédit photo : capture d’écran vidéo BFM Business via Youtube