Le repenti du service public
Il a été, pendant une vingtaine d’années, une figure importante du groupe France Télévisions, mais en rejoignant la bande de Touche pas à mon poste, à la rentrée 2023, Jacques Cardoze s’est servi de sa nouvelle tribune pour dénoncer les rouages du service public. Il n’y restera qu’un an pour se consacrer à des enquêtes avant de candidater à la direction de Public Sénat.
Origines et formation
Jacques Cardoze voit le jour le 14 septembre 1969 à Bordeaux. Il a deux frères. Dans la famille Cardoze, la pratique d’une activité artistique tient une place importante. De cette pratique, les deux frères de Jacques feront leur métier puisque l’un est devenu violoncelliste à l’orchestre philharmonique de Paris, l’autre est bassoniste à Lyon. Jacques lui-même suivra dans un premier temps un parcours artistique. Il se dirige vers une carrière de danseur de ballet à l’Opéra. Tout d’abord, il intègre l’école de l’Opéra à Paris, dont il est renvoyé à l’âge de treize ans pour indiscipline. Malgré cela il montre du talent et sort diplômé du conservatoire national de Paris. Par la suite, il intègre le ballet français de Paris, à ce moment-là dirigé par le célèbre danseur Patrick Dupont. C’est en 1992 que Jacques Cardoze se tourne vers le journalisme.
Cette transition peut surprendre, pourtant le journalisme tient le haut du pavé chez les Cardoze. Le père de Jacques n’est autre que Michel Cardoze, journaliste connu, qui a été présentateur sur des chaînes telles que TF1. Il était également membre du Parti Communiste Français et a été l’une des plumes du journal L’Humanité. Par ce choix, Jacques suit le chemin tracé par son père. Il est alors formé au sein de Radio France.
Parcours professionnel
En 1992, il commence sa carrière à Radio France au service des sports. Il y commente alors les matchs de football. C’est également durant cette période qu’il fait ses premières animations en présentant le journal des sports entre 1992 et 1995. Deux ans plus tard, en 1994, il rejoint France Télévisions, toujours au service des sports, où il participe à la création de ce qui va devenir Tout le sport.
En 1995, il devient reporter pour France 2 où il se fait rapidement remarquer. Cette année-là, il est envoyé pour couvrir les grandes grèves contre la réforme des retraites du gouvernement Juppé. En 1997, il devient correspondant de France 2 à Marseille, poste qu’il conserve jusqu’en 1999. Dans cette fonction, il couvre la mort du préfet Erignac.
Durant sa période en tant que reporter pour France 2, il a l’occasion de réaliser un premier numéro d’Envoyé Spécial. Dans la première moitié des années 2000, il va collaborer à cette émission et quelques autres. Pour Envoyé Spécial, il réalise des reportages sur les sondages et le vote pour le Front National en 2002. Après les attentats de New York en 2001, il va à la frontière afghane réaliser un reportage sur les talibans. Lors de l’invasion de l’Irak en 2003, lui et son cameraman sont victimes d’une attaque par l’armée américaine, qui les prend pour des rebelles. Les deux hommes sont présumés morts pendant un peu moins de 24 h avant de réapparaître. Cet épisode marquant fait partie des quelques-uns que Jacques Cardoze a pu traverser lors de ces enquêtes au long cours. Il va également participer à l’émission Complément d’enquête et à une autre intitulée Un œil sur la planète.
Durant cette même période, il gravit un échelon supplémentaire au sein de France Télévisions en étant promu grand reporter au sein du service enquête et reportage. Il va couvrir des sujets variés tels que les attentats de Madrid, la mort de Yasser Arafat, les émeutes de 2005 ou encore la guerre du Liban en 2006.
Entre 2007 et 2009, il remplit le rôle de joker pour l’animation des journaux de Télématin. En 2007 également, il devient responsable adjoint du service étranger de France 2 et couvre l’investiture de Barack Obama, la mort de Mickaël Jackson ou encore les J.O de 2012.
Entre 2013 et 2018, il est nommé chef du bureau de France 2 à Washington. Cette fonction le fait apparaître régulièrement sur les plateaux en tant qu’envoyé spécial permanent. C’est notamment lui qui couvre pour France Télévisions la campagne de Donald Trump et annonce son élection sur France 2 et FranceInfo.
En 2018 enfin, il achève son cursus honorum sur France 2 où il remplace Thomas Sotto à l’animation de Complément d’enquête, dont il devient également le rédacteur en chef. Néanmoins, comme il le raconte en septembre 2023, la fin de cette collaboration sera entachée de plusieurs points d’ombre. Parmi eux, notons la censure implicite d’un sujet consacré à Jean-Luc Mélenchon, les insultes de « facho » proférées à l’encontre de Cardoze, ou encore le boycott des chaînes du groupe Bolloré par la direction de France Télévisions.
Ainsi en 2021, après presque trente années de service, il quitte Complément d’Enquête et le service public pour devenir le directeur de communication de l’Olympique de Marseille, club qu’il affectionne plus que les autres. Il quitte cette fonction en décembre 2022.
Début 2023, il rejoint l’agence de presse du groupe de presse StudioFact Média, agence qui vend parfois des sujets à Complément d’Enquête. Enfin, en juillet 2023, il contacte Cyril Hanouna sur Instagram afin de travailler avec lui. Après une brève conversation, les deux hommes se mettent d’accord pour que Cardoze rejoigne l’équipe de Touche pas à mon poste. Cette expérience est pour Cardoze une occasion de s’éditorialiser, selon ses mots.
Elle sera de courte durée car, en septembre 2024, Jacques Cardoze ne reprend pas son poste de chroniqueur auprès de Cyril Hanouna. Il émet en effet le souhait de se concentrer sur la réalisation d’enquêtes pour la chaîne. En effet, il devait réaliser sur un documentaire sur C8 sur les dessous de Complément d’Enquête, sorte de retour à l’envoyeur de Cyril Hanouna à France 2 pour l’enquête à charge diffusée par la chaîne publique. Mais cette réplique ne verra jamais le jour. À la place, le premier numéro d’Enquête complémentaire est consacré au volet sécuritaire de l’organisation des Jeux Olympiques 2024. Le Parisien vend la mèche et suggère que le sujet initial, « trop violent » à l’encontre de France Télévisions, a été recalé par l’état-major de Canal+ qui ne souhaite pas une guerre ouverte avec le groupe public. En effet, les intérêts financiers entre les deux groupes sont nombreux. A titre d’exemple, le groupe Banjay, qui compte comme actionnaires Vivendi et Cyril Hanouna, produit également nombreuses émissions phares de France Télévisions, comme « Enfants de la télé » ou « N’oubliez pas les paroles ! ». Une guerre entre France Télévisions et Canal+ sur la durée pourrait mettre à mal cet ecosystème, sans même parler du financement du cinéma français qui repose en grande partie sur ces deux acteurs audiovisuels.
Un coup de massue en appelle un autre. Peu de temps après la diffusion du premier numéro, C8 est vouée à baisser le rideau en 2025 à la suite de la décision prise en juillet 2024 par l’Arcom de ne pas renouveler son autorisation d’émettre. Ne sachant pas si ses prochaines enquêtes, consacrées respectivement aux squatteurs et au gaspillage d’argent public, pourront être diffusées à temps, le journaliste cherche une porte de sortie.
C’est ainsi qu’il en vient à proposer sa candidature à la présidence de Public Sénat à Gérard Larcher. Dans son dossier de candidature, il plaide pour rapprochement des territoires par le biais d’une nouvelle version de l’émission « Bonjour chez vous », interactive et ancrée sur un thème d’actualité, tout en incluant plus d’émissions en direct, et de renforcer la présence de la chaîne sur les réseaux sociaux.
Parcours militant
Jacques Cardoze n’a, contrairement à son père, jamais était encarté dans un parti ou un mouvement. En tant que serviteur du service public, il en a partagé les opinions et les parti pris durant de nombreuses années, cependant il déclare ne pas aimer les donneurs de leçon lors de sa première dans Touche pas à mon poste. S’il ne le dit pas aussi précisément, on sent que cette tribune est pour lui une occasion de brocarder la pensée unique régnant dans le service public qu’il connaît très bien.
Ce qu’il gagne
Non renseigné.
Récompense
En 2018, il reçoit le grand prix de la presse internationale dans la catégorie « télévision », qui lui est décerné par l’agence de la presse étrangère.
Il l’a dit
« On est dans une période où la presse donne beaucoup de leçons. », Touche pas à mon poste, 11 septembre 2023.
« En France on a un problème avec ce qui est populaire. », Le Figaro TV Magazine, 20 septembre 2023.
« Ma patte, c’est d’être sur le terrain, en m’intégrant aux sujets, en transportant les fauteuils rouges sur les lieux des reportages. », TéléStar, 7 février 2019.
« Ça fait 35 ans que je suis journaliste. France Télévisions m’a tout donné. À part peut-être présenter le 20 heures, mais ma chance est passée. », Le Parisien, 7 mai 2021.
« C’est pas un secret de dire qu’au sein de Complément d’Enquête on a plutôt un penchant de taper sur la droite que sur la gauche. », Touche pas à mon poste, 21 septembre 2023.
« Le service public ça doit être la neutralité, ça doit être l’exemple, parce que tous les gens qui sont ici, ils donnent 150 euros par an. », Touche pas à mon poste, 21 septembre 2023.
« Lorsque je suis arrivé à la tête de Complément, la direction de l’info m’a dit “c’est une secte” », Touche pas à mon poste, 21 septembre 2023.
« Au sein de Complément d’Enquête il y a des gens qui sont ouvertement d’extrême gauche », CNews, 21 septembre 2023.
« Cette émission est une école d’humilité et de frustration. Je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi difficile”, a‑t-il confessé, avant d’ajouter : On rencontre beaucoup de frustration quand on est d’une école journalistique comme moi : on prépare 20 à 25 sujets mais on est 10 à parler et il y a des invités. De plus, Cyril Hanouna peut rebondir à tout moment », Télé Loisirs, 31/05/2024.
Nébuleuse
Après plus de trente ans sur le service public, Cardoze gravite aujourd’hui au sein du groupe Bolloré avec un poste de chroniqueur sur C8 et un passage chez Morandini sur CNews. Lorsqu’on connaît les relations entre le groupe Bolloré et France Télévisions, l’ancien employeur de Cardoze, on peut considérer que Cardoze a franchi le Rubicon médiatique.
Vie privée
Avec sa femme, hôtesse de l’air, il est le père de Thomas Cardoze, qui a étudié à l’École de journalisme de Toulouse et « rêve de devenir journaliste » et d’une fille, Julie Cardoze, née en 1999, qui travaille dans les ressources humaines.
Ils l’ont dit
« Son CV brillant témoigne de ses nombreuses vies. », TéléStar, 7 février 2019.
« Il faut juger France TV sur des valeurs et Jacques y a adhéré pendant 27 ans. », Élise Lucet dans Le Figaro, 27 septembre 2023.
« Jacques Cardoze va intervenir deux fois par semaine dans TPMP. Certains ont vu dans ce récent recrutement un signal envoyé par Cyril Hanouna aux équipes de Complément d’enquête qui préparent un document à son sujet. L’ancien rédacteur en chef du programme pourrait ainsi être un allié de taille si le reportage de France 2 se montre à charge contre la star de C8. », FranceLive, 5 septembre 2023.
« Cardoze, l’air grave, lunettes sur le nez, quitte son écran d’ordinateur pour épingler des coupures de journaux ou des photos sur un pêle-mêle déjà bien garni. Dans la pénombre, il fixe scrupuleusement le fruit de mois de travail. La mise en scène frise la parodie et n’est pas sans rappeler celle des débuts de… Complément d’enquête, l’émission que l’ancien journaliste de France Télévisions (vingt-sept ans de maison) ne perd jamais l’occasion de dézinguer sur le plateau de TPMP. […] Le clin d’œil ne manquera sans doute pas d’amuser ses anciens collègues », Télérama, 12/06/2024.