Un lourd penchant à gauche
« On est soutenus énormément, si ce n’est beaucoup plus largement, par la gauche: c’est elle qu’on invitera à notre prochaine crémaillère, et non pas la droite ! » Libération, 3 novembre 2011, après l’incendie des locaux de Charlie Hebdo suite à une caricature du prophète Mahomet.
Né en 1966, Laurent Léger est grand reporter et journaliste d’investigation. Plume à scandale de la presse d’inspiration libertaire, de Bakchich à Charlie Hebdo, les cibles privilégiées de ses enquêtes peuvent se résumer en un trio maudit : la droite, les industriels, les banquiers. Les riches, aussi. En résumé, tout ce qui peut être un facteur d’influence ou de corruption dans le monde de la politique. Noble cause. Mais vue d’un seul œil (le gauche) d’où un strabisme divergent.
Parcours
Après avoir passé 12 ans à Paris Match en tant que grand reporter, Laurent Léger rejoint le service investigation du Parisien en janvier 2002. En 2006, il collabore à l’hebdomadaire Le Point, avant de s’en aller diriger avec Vincent Nouzille, fin 2007, la rédaction de Bakchich.info, un site satirique d’inspiration libertaire (Xavier Niel en sera un des actionnaires).
En mars 2009, il quitte Bakchich. Selon La Lettre A, il s’est opposé à la direction du site au sujet de l’arrivée en février d’un nouvel investisseur au capital, Fabien Beaussart, patron de l’éditeur de lettres confidentielles sur les pays de l’est, Xorus presse, jugé trop sulfureux à son goût. Nicolas Beau, directeur du site, lui succède au poste de rédacteur en chef.
C’est alors qu’il rejoint Charlie Hebdo, hebdomadaire satirique où l’extrême-gauche est bien portée. Il y sera responsable des enquêtes. Ses thèmes de prédilections : les magouilles de la droite parlementaire, les diverses influences des industriels, des services de renseignement, ainsi que la corruption politique, en France comme en Afrique.
Parallèlement, il devient directeur de collection chez Flammarion en janvier 2009 et chez Max Milo l’année suivante.
Faits notoires
Journaliste d’investigation, Laurent Léger publie presque chaque semaine une enquête pour Charlie Hebdo. Disposant sans doute de ses petites entrées dans les services de renseignements et au sein de la police, milieux qu’il connaît bien, il multiplie les révélations sur les arrangements entre les politiques, les industriels et les banquiers. Sa cible favorite et presque exclusive reste la droite, avec en tête une nette préférence pour Nicolas Sarkozy et ses amis.
Fin 2013, il oriente néanmoins sa lorgnette à gauche et révèle que Terra Nova, cercle de réflexion proche du Parti Socialiste, est un repère de banquiers influents venus faire valoir leurs intérêts.
Voici les sujets des derniers articles publiés dans l’hebdomadaire : L’appartement de Valls au regard de sa déclaration de patrimoine (« Transparence : le tour de passe-passe de Valls », 1er octobre 2014) ; les ennuis judiciaires de Jean-Pierre Philippe, mari de NKM (« Les drôles d’affaire de monsieur NKM », 10 septembre 2014) ; la responsabilité des banques dans la crise (« 37 milliards de dollars : la facture des magouilles bancaires », 3 septembre 2014) ; les « traders de matière première » suisses s’approprient l’or noir africain (« Comment la Suisse s’approprie l’or noir africain », 29 juillet 2014) ; Balkany paye des billets d’avion en liquide à l’ex-femme de Sarkozy, Marie-Dominique Culioli (« L’ex de sarkozy et les biftons de Balkany », 16 juillet 2014), le patrimoine en France de Rifaat el-Assad, oncle de Bachar (« Assad plutôt que Darius », 2 juillet 2014) ; Cazeneuve est resté dans son appartement de fonction de ministre des affaires européennes après avoir quitté cette fonction (« Cazeneuve : la famille avant l’Etat », 2 juillet 2014) ; l’achat d’une mine d’uranium en Namibie par Aréva et la corruption du gouvernement namibien (« Uramin : quand Areva rime avec corruption d’Etat », 11 juin 2014) ; le financement de la campagne de Sarkozy par Kadhafi (« La Sarkozye s’enfonce dans les sables de Libye », 28 mai 2014) ; Tapie, Total et l’arbitrage dans l’Affaire Adidas (« La nouvelle affaire Tapie » et « Total : l’ombre de Tapie sur un arbitrage douteux », 14 mai 2014) ; une ambulance de garde mobilisé pour chercher le directeur de l’hôpital St Maurice (Val-de-Marne) à l’aéroport (« Du bon usage d’une ambulance de garde », 14 mai 2014) ; Guéant suspecté d’intervention dans les dossiers judiciaires d’après les enregistrements de Buisson (« Guéant trébuche sur le dictaphone de Buisson », 7 mai 2014) ; la société Derichebourg condamné pour corruption active dans un contrat de collectes de poubelles passé avec la mairie de Paris (« Parfum de corruption dans les poubelles de Paris », 16 avril 2014) ; le travail forcé sur les chantiers du futur mondial de foot au Qatar (« Travail forcé : la fin de l’impunité », 2 avril 2014) ; Serge Dassault a mis 40 millions d’euros pour sauver l’usine Altis de Corbeil (« Les millions baladeurs de Dassault », 19 février 2014) ; Jean-François Copé, Bygmalion et le Qatar (« Bygmalion, les Copé Boys et le Qatar », 19 février 2014) ; Kadhafi et Sarkozy (« Le coup posthume de Kadhafi », 12 février 2014) ; les écoutes de Buisson (« Buisson le récidiviste », 12 février 2014) ; des marchés suspects à France Télévisions (« Argent public, copinage et marchés suspects à France Télévisions », 5 février 2014) ; l’affaire Karachi (« La corruption politique au tribunal », 29 janvier 2014) ; la société Amesys, « soutenu par le gouvernement de droite » livrait du matériel d’espionnage à Kadhafi en 2006 avec l’accord de Guéant, Sarkozy et Hortefeux (« Quand la droite livrait à Kadhafi du matériel d’espionnage », 21 décembre 2012).
Dans un tout autre registre, dans son livre « Le dernier tabou. Révélations sur la santé des présidents », publié en 2012 aux éditions Pygmalion (avec Denis Demonpion), il avance que François Mitterrand aurait eu recours à l’euthanasie. Atteint d’un cancer, l’ancien président aurait alors « à sa demande expresse » subi une « injection par voie intraveineuse » pour voir « son calvaire abrégé ». Il « révèle » également que Nicolas Sarkozy prendrait des comprimés dépourvus d’autorisation de mise sur le marché dans le but de se doper.
Dans un autre livre, 25 ans dans les services secrets, coécrit avec Pierre Siramy, Maurice Dufresse de son vrai nom, il révèle le fonctionnement de la Direction Générale de la Sécurité Extérieure et ses petits secrets. Dufresse a passé 25 ans à la DGSE, chef du STA (service technique d’appui) comptant 400 fonctionnaires et un budget de 61 millions d’euros, puis sous-directeur de la DGSE, avant de prendre sa retraite en 2009. A la parution du livre, le ministre de la défense Hervé Morin découvre les patronymes de cadres de la DGSE et porte plainte contre lui. Maurice Dufresse comparaît ainsi le 8 juin 2012 devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris pour répondre du délit de « révélation de l’identité de militaires ou de personnels civils appartenant à la DGSE dont les missions exigent, pour des raisons de sécurité, le respect de l’anonymat ». Il sera relaxé.
À l’occasion de la promotion de son livre, Laurent Léger révélait que Maurice Dufresse lui avait affirmé au cours de la rédaction du livre que dans chaque rédaction de journal ou de télé en France, il y avait des journalistes payés par la DGSE chargés de faire remonter l’info sensible. Il n’évoquera néanmoins pas cela dans son livre.
Il réchappe en janvier 2015 à l’attentat islamiste contre Charlie Hebdo qui décime la rédaction, sous ses yeux.
Le 9 janvier 2015 il reçoit la liste complète des 427 actionnaires d’Uramin, une « junior » minière achetée par Areva bien au-dessus de son prix réel puis la fait suivre à des journalistes et des enquêteurs de la brigade financière. Mediapart publie cette liste un an plus tard, lorsque des soupçons de corruption et de délit d’initié se font jour.
En février 2018, il quitte Charlie Hebdo — où il confiait en 2017 ne plus se retrouver et était en arrêt maladie longue durée – pour rejoindre la rédaction de L’Express comme chef du service Investigation. L’Express lui confie une cellule d’investigation de six journalistes.
Publications
En plus de ses articles, Laurent Léger est l’auteur de nombreux ouvrages d’investigation dans le même registre que ses enquêtes journalistiques. Il a aussi dirigé de nombreux ouvrages d’investigation, principalement sur les présidents en exercice et candidats à la présidence de la République.
- Le Dernier Tabou. Révélations sur la santé des présidents, cosigné avec Denis Demonpion, Pygmalion, 2012.
- Tout le monde aime Liliane. Les aventures de Liliane Bettencourt, BD-enquête cosignée avec le dessinateur Riss, éditions Les Échappés, 2011.
- 25 ans dans les services secrets, cosigné avec Pierre Siramy, Flammarion, 2010.
- Tapie-Sarkozy, les clefs du scandale, cosigné avec Denis Demonpion, Pygmalion, 2009.
- Cécilia, la face cachée de l’ex-Première dame, cosigné avec Denis Demonpion, Pygmalion, 2008
- Claude Chirac, enquête sur la fille de l’ombre, Flammarion, 2007.
- Trafics d’armes, enquête sur les marchands de mort, Flammarion, 2006.
Publications dirigées
Directeur de collection chez Flammarion (2009- mars 2017) et Max Milo (2010–2015) puis Plon depuis avril 2017, Laurent Léger a également dirigé la publication des ouvrages suivants :
- Profession: agent d’influence par Philippe Bohn, Plon, 2018
- Dans l’enfer de Montretout par Olivier Beaumont, Flammarion, 2017
- L’Espion et l’Enfant par Ian Brossat (avec Valérie Peronnet), Flammarion, 2016
- Un magistrat politique. Enquête sur Jean-Claude Marin, le procureur le plus puissant de France par Michel Deléan, Pygmalion, 2015
- La Face cachée de La Poste. Enquête sur un service public en péril par Séverine Cazes et Valérie Hacot, Flammarion, 2015
- L’Ambigu Monsieur Macron. Enquête sur un ministre qui dérange par Marc Endeweld, Flammarion, 2015
- “Ça reste entre nous, hein?” Deux ans de confidences de Nicolas Sarkozy par Nathalie Schuck et Frédéric Gerschel, Flammarion, 2014
- La saga France Inter. Amour, grève et beautés, d’Anne-Marie Gustave et Valérie Peronnet, Pygmalion, 2013.
- Syndicats filous, salariés floués, d’Anne-Sophie David et Benoît Broignard, Max Milo, 2012.
- Pierre Bergé, le faiseur d’étoiles, de Béatrice Peyrani, Pygmalion, 2011.
- Le livre noir de la gastronomie française, d’Aymeric Mantoux, Flammarion, 2011.
- DSK-Sarkozy, le duel. Biographie comparative, d’Alexandre Kara et Philippe Martinat, Max Milo, 2010.
- Travail au bord de la crise de nerfs, d’Anne Hidalgo, Flammarion, 2010.
- France Télévisions, off the record, de Marc Endeweld, Flammarion, 2010.
- Voyage au pays des ultra-riches, d’Aymeric Mantoux, Flammarion, 2010.
- Canal Sarkozy. Le président et la télé, deux ans d’histoires secrètes, de Frédéric Gerschel et Renaud Saint-Cricq, Flammarion, 2009.
Il l’a dit
« En définitive, aujourd’hui, les candidats à la présidence et le président en fonction n’ont aucune obligation en matière de santé. Ce n’est pas normal : ils devraient, comme tous les salariés, passer régulièrement des visites médicales. » Quoi.info, 10 avril 2012
« Il faut regarder le dessin qu’on a publié en une: le prophète apparaît sous un air sympathique, plutôt drôle; on est loin des caricatures danoises qui l’avaient représenté en 2006 avec une bombe sur le turban. Rien à voir! » Libération, 3 novembre 2011, après l’incendie des locaux de Charlie Hebdo.
« On a pas peur! ce n’est pas parce qu’il y a deux cons qui lancent un cocktail molotov qu’on devrait être terrorisés; on plaint ces types, c’est tout. » Libération, 3 novembre 2011 (…)
« Depuis mardi on a reçu des tonnes de mails ou de messages Facebook d’insultes de haine, peut-être de mort, je n’en sais rien; mais tout cela glisse sur nous comme de l’eau sur les plumes d’un canard. » Libération, 3 novembre 2011 (…)
« Quand on passe près d’une synagogue ou d’une église ou d’une mosquée et qu’on y entend des choses qui ne nous plaisent pas on est également choqués, ce n’est pas pour autant qu’on y met le feu. » Libération, 3 novembre 2011 (…)
« On est soutenus énormément, si ce n’est beaucoup plus largement, par la gauche: c’est elle qu’on invitera à notre prochaine crémaillère, et non pas la droite! » Libération, 3 novembre 2011 (…)
« On caricature tout le monde, tous les prophètes, tous les dieux… On l’a fait et on le refera; il faut savoir qu’on a eu beaucoup plus de procès d’organisation intégristes catho par exemple que musulmanes. » Libération, 3 novembre 2011 (…)
« La porte s’est ouverte. Un type a jailli en criant “Allahou Akbar”. Il ressemblait à un type du GIGN ou du RAID, il était cagoulé. Il était tout en noir. Il avait une arme qu’il tenait par les deux mains […] Ils ont prononcé un moment le nom de Charb” . “Et puis ça a tiré, l’odeur de poudre… Quelques secondes, et tout le monde est par terre. Ils ont tiré dans le tas […] Je suis resté recroquevillé là. Je voyais les autres par terre, le bruit des détonations, puis tout d’un coup le silence. Un long silence […] J’ai cru qu’ils allaient faire le tour de la rédaction pour trouver des survivants. Puis on s’est relevés, il y avait quelques survivants. Et là c’est l’aberration, c’est irréel. Une sidération. On s’est précipité vers les blessés. On comprend pas ce qui s’est passé. Tout ça en plein Paris, dans un journal », son récit de l’attentat contre Charlie Hebdo.
« Avec le recul, Charlie aurait dû s’arrêter après le numéro des survivants. Le prix à payer est trop lourd pour des journalistes et des humains normalement constitués » AFP, 06/01/2017.
Photo : DR @laurent_leger via Twitter