Premier de cordée au Monde
« Je préfère lire un livre que d’aller sur un plateau télé », « L’état du Monde », France Culture, 16/12/2018
Né le 14 mai 1974 à Gap, fils de médecins généralistes, il gagne une première reconnaissance en dressant un portrait informé et sans concessions des banlieues françaises, à une époque où peu de journalistes s’y risquaient. Discret dans les médias, dédaignant les dîners en ville tout en étant reconnu comme “un bosseur acharné” par ses collègues du Monde, où il a fait toute sa carrière, il fait le choix de rétrograder alors que la rédaction du Monde connaît une période faste sous sa direction. Tel Cincinnatus revenant à sa charrue, le natif des Alpes revient sans regrets au journalisme de terrain. Comme il le confie à Libération, “l’exercice du pouvoir transforme les gens et les abîme”. Portrait d’un perfectionniste.
Formation
Il grandit dans un village de 1500 habitants dans les Hautes-Alpes, Saint-Bonnet-en-Champsaur. Élève très moyen, de son propre aveu, dans le secondaire, il est diplômé du lycée Dominique-Villars de Gap et s’oriente vers l’Institut d’Études Politiques de Grenoble (« À Sciences Po, on acquiert une culture générale, qui m’est très précieuse dans mon métier. Je mobilise au quotidien les notions de droit, d’économie, d’histoire, de sociologie que j’ai découvert à l’IEP »). En 1995, une fois la licence obtenue, il aspire à passer les concours administratifs et choisit en conséquence la spécialisation Service Public. Suite à une conversation avec une amie, il se ravise et opte pour l’École supérieure de journalisme de Lille, dont il ressort diplômé deux ans plus tard.
Parcours professionnel
Le jeune homme effectue ses premières piges pour La Voix du Nord, Nord-Éclair et La Dépêche du Midi. Il rentre dans le groupe Le Monde dès la fin de ses études, à 25 ans, en vertu d’un choix stratégique malin : « Pour augmenter mes chances d’être pris, je demande un stage au service région, très peu populaire chez les jeunes journalistes ». Son stage de quinze jours, effectué pendant les vacances de Pâques, débouche sur un CDD, puis un CDI au Monde de l’éducation, de 1999 à 2001, avant d’être affecté au service Éducation de 2001 à 2005. Les émeutes de 2005 le marquent profondément, à une époque où peu de reporters se risquent à aller sur le terrain et produire des enquêtes fouillées. Suite à cette prise de conscience, « il demande un changement et propose à ses chefs la création d’un poste de reporter destiné à couvrir les angles morts du service Société, ces « thématiques transversales sur lesquelles les médias sont habituellement aveugles ». Sans bégayer, il égrène : le monde rural, les jeunesses et les banlieues françaises.
« Le monde rural, j’en venais et j’ai toujours trouvé ça peu ou mal traité ; les jeunesses et les banlieues, j’ai vu un immense écart entre les discours des experts et la réalité du terrain, quand j’étudiais le fonctionnement des collèges et des lycées en périphérie de Paris ».
Il couvre alors les banlieues pendant six ans, récoltant au passage le prestigieux prix Albert Londres pour une série d’articles sur « Les jeunes et la banlieue » parus dans le quotidien, articles qui avaient pour toile de fond la ville de Tremblay-en-France.
Son essai postérieur, La Loi du ghetto, paru en 2010, doit beaucoup à l’étude d’Hugues Lagrange, qu’il cite in extenso, Le Déni des cultures, parue la même année. Cet essai avait fait grand bruit en ce qu’il mettait en lumière, bien qu’avec prudence, les causes culturelles de l’échec d’intégration des immigrés dans les banlieues françaises, au-delà des causes sociales chères à la sociologie de gauche. Lagrange, comme Bronner, constate que les immigrés d’Afrique subsaharienne sont surreprésentés dans les statistiques de délinquance. Cela lui vaut des procès d’intention dans les revues universitaires et les médias où il est accusé de contribuer à l’ « ethnicisation » du débat sur la situation dans les banlieues. Il est notamment opposé sur les plateaux de France 2 (Vous aurez le dernier mot) et France 5 (Café Picouly) au rappeur strasbourgeois Abd Al Malik, partisan de la thèse des facteurs sociaux, à la sortie de son livre.
Il intègre la direction des rédactions en avril 2011 où il a la responsabilité de coordonner les pôles société et politique. De là, sa progression est autant linéaire qu’imperturbable : nommé à la tête du service politique en septembre 2012, directeur adjoint des rédactions en novembre 2014, puis directeur des rédactions à compter de juin 2015. Il succède alors à Gilles van Kote qui assurait l’intérim suite à la démission de Nathalie Nougayrède, dont la gestion erratique aura laissé la rédaction exsangue. Cinq ans après sa nomination, la méthode et la gestion de Bronner sont unanimement salués. Sa discrétion et son professionnalisme sont appréciés de la direction et des journalistes. Sur le plan comptable, la bonne santé du Monde contraste avec celle de ses concurrents : entre 2018 et 2019 la diffusion papier et l’audience web progressent conjointement de 11 % (le nombre d’abonnés numérique dépasse le nombre d’abonnés papier à partir de 2019). Le recentrage sur l’investigation opéré sous sa direction s’est avéré payant. Le quotidien s’est même payé le luxe de réduire le nombre d’articles publié (-14 % entre 2018 et 2019) tout en augmentant l’effectif de journalistes en CDI (entre 460 et 470 journalistes). Le Monde marche en cela dans les pas du Guardian, une source d’inspiration que le journaliste revendique. Ainsi, Le Monde imite le Guardian et le New York Times dans leur décision de publier en une la photo d’Aylan Kurdi, qui parait dans l’édition du 4 septembre 2016 alors que les médias anglo-saxons avaient donné le ton la veille.
Faits notoires
Au cours de l’été 2019, Matthieu Pigasse conclut un accord de cession de 60 % de sa participation au groupe Le Monde à Daniel Křetínský, milliardaire tchèque ayant fait fortune dans l’énergie et propriétaire de Marianne. Bronner est à la tête de la fronde des 460 journalistes qui exigent fermement de conserver leur indépendance éditoriale.
« Une rédaction et un titre de presse sont forts s’ils sont indépendants. Si on laisse un actionnaire prendre la main contre notre volonté, on sait que derrière, potentiellement, s’il ne respecte pas la rédaction, il pourra influencer la vie de cette rédaction. »
Le mandat de Bronner n’est pas associé à de nombreux couacs, hormis lorsque certains médias ont accusé le journal de s’être inspiré de l’iconographie nazie (fond beige, bichromie rouge et blanche) pour une couverture très allusive où Emmanuel Macron est assimilé à un moustachu ayant sévi pendant les heures les plus sombres. L’intéressé présente ses excuses empressées dans la foulée :
« Nous présentons nos excuses à ceux qui ont été choqués par des intentions graphiques qui ne correspondent évidemment en rien aux reproches qui nous sont adressés ».
Il monte au créneau lorsqu’une journaliste star du Monde, Ariane Chemin, est convoquée par des agents de la DGSI suite à ses révélations relatives à l’affaire Benalla. La journaliste avait affirmé que le compagnon de la responsable du groupe de sécurité du Premier ministre, proche de Benalla, aurait été employé par un oligarque russe au profil interlope, Iskander Makhmudov. L’intimidation de journalistes sous la forme de ces auditions libres indispose Bronner, pour qui « l’intérêt public suppose de pouvoir enquêter sur les entourages et les liens entretenus par des collaborateurs de l’Elysée ou de Matignon, quels que soient leurs parcours antérieurs ».
Le Monde annonce dans un communiqué paru en octobre 2020 qu’il quittera son poste pour se « consacrer à des projets personnels » et revenir au journalisme de terrain. Dès janvier 2021, il devient grand reporter chargé de projets éditoriaux et vadrouille en France pour consacrer une série de reportages au peuple de droite, aux banlieues défavorisées aux abstentionnistes où à la bourgeoisie provinciale de l’Ouest. L’ancienne directrice adjointe de la rédaction, Caroline Monnot, longtemps chargée du suivi de l’extrême-droite au Monde aux côtés d’Abel Mestre, lui succède alors. Une chute prévisible de qualité sur tous les plans.
Peu avant la passation de pouvoir, il révèle, lors d’un direct live avec les lecteurs du quotidien, l’existence d’ une consigne interne à la rédaction du Monde qui voudrait que ses membres aient l’interdiction de se rendre sur le plateau de CNews. Selon lui, la ligne éditoriale de la chaîne aurait des effets délétères sur « le fonctionnement démocratique, et cela a des effets dans certains cas assez graves. »
Lors des émeutes nahéliennes de l’été 2023, le journaliste se trouve à Nanterre, sans photographe ou dispositif de sécurité, dès la deuxième nuit d’incidents et publie un article dans Le Monde dès le lendemain. À travers son compte-rendu, majoritairement factuel et dépassionné (il préfère l’usage du terme « émeute » à celui de « révolte », plus connoté à gauche), il semble déplorer tout de même que la perception des jeunes de quartier soit « dégradée […] pour longtemps ».
Récompenses
- 2007 : Prix Albert Londres pour la presse écrite
- 2011 : Prix lycéen du livre d’économie et de sciences sociales pour La Loi du Ghetto
Bibliographie
- Les Métiers de l’enseignement, Rebondir, 2001.
- Attention et somnolence au volant, La Documentation Française, 2007.
- La loi du ghetto : enquête sur les banlieues françaises, Calmann-Lévy, 2010.
- Chaudun, la montagne blessée, Seuil, 2020.
Filmographie
Il apparaît dans le documentaire d’Yves Jeuland « Les Gens du Monde », sorti en 2014, qui s’attache à suivre des membres de la rédaction de l’hebdomadaire lors de la campagne présidentielle de 2012. Il est le producteur exécutif du documentaires « Féminicides », fruit d’une enquête d’un an effectuée par une cellule d’investigation du Monde, diffusé sur France 2 le 2 juin 2020.
Vie privée
Séparé de son ex-femme, enseignante, il est père de trois enfants (Marie, Noé et Lisa) et réside à Villemomble en Seine-Saint-Denis. Il a un frère, Emmanuel, médecin dans la région lyonnaise, et une sœur, Caroline, enseignante. Il admet à regret avoir scolarisé ses enfants dans des établissements privés sur le plateau de Zemmour et Naulleau le 18 mars 2015. Sa mère vit toujours à Gap. Il est adepte de ski de fond.
Il l’a dit
« La Monnaie n’avait pas, non plus, échappé aux émeutes consécutives à la mort de Nahel M., tué par un policier à Nanterre, fin juin et début juillet. Les rues en portent encore les stigmates. Comme le KFC et ses vitres brisées, l’antenne de l’office des HLM et sa devanture en partie incendiée ou les mètres carrés de bitume fondus par les incendies de voitures et de poubelles. Pour des raisons difficiles à comprendre, les émeutiers s’en étaient aussi pris à un restaurant asiatique, le Wok O Grill, un buffet à volonté à 14,90 ou 21,90 euros selon les jours de la semaine, installé juste en face de la cité. L’établissement a été caillassé au cours d’une des nuits où des centaines de villes s’embrasaient de façon simultanée en France », Le Monde, 05/12/2023.
« L’extrême gauche et l’extrême droite – à laquelle il faut désormais assimiler une partie des Républicains – se renvoient les jeunes de banlieue à la figure. Les premiers pour faire du racisme systémique la clé de toute analyse et l’espoir d’une « révolte », les seconds pour les associer à des « barbares » qu’il faudrait expulser, dégrader de leur nationalité ou punir toujours plus sévèrement.
Le sujet est ailleurs : l’immigration vers la France continue et va continuer. Ne pas le reconnaître, c’est ne pas l’organiser, pestent bon nombre d’élus locaux. Et donc laisser porter par les quartiers de la politique de la ville le devoir d’intégrer les plus pauvres et les derniers arrivants », Le Monde, 06/07/2023.
« Sur ce sujet, comme sur beaucoup d’autres, en banlieue comme ailleurs, il faut rappeler que la violence est presque exclusivement une histoire d’hommes.
Je le souligne volontiers parce qu’on soulève beaucoup de questions sur la place de l’islam, sur celle de la drogue, en oubliant l’information essentielle : la violence est d’abord le fait d’hommes. Je me souviens d’un interlocuteur lorsque je travaillais sur les sujets d’éducation qui me disait : si les garçons étaient élevés comme nos filles (en banlieue et ailleurs) il y aurait moins de violences. C’est en tout cas une vraie question. », Le Monde, 03/07/2023.
« Ces Français disent leur peur de perdre leur place, leur angoisse que le pays cède son rang, comme si les brisures dans leurs histoires personnelles résonnaient en écho à celles de la nation. Des signes, des indices, des preuves du « grand déclin national », ils les perçoivent partout, ou presque, intimement mêlés au sentiment qu’ils sont eux-mêmes menacés par le monde tel qu’il avance. L’exaspération qui vient, cela peut être la fermeture d’un commerce, l’ouverture d’un kebab. Un fait divers à 800 kilomètres de chez soi ou un cambriolage chez un voisin. Une femme voilée aperçue dans la zone pavillonnaire où l’on a construit, en s’endettant, des années plus tôt, des klaxons intempestifs d’un jeune « Arabe » trop pressé, la « une » du quotidien régional sur les saisies de drogue dans une cité ou un reportage à la télévision sur l’islamisme radical », Le Monde, 04/02/2022.
« Raconter la France des travailleurs pauvres et des étudiants en grande difficulté, c’est important, mais celle des patrons de PME qui disent que tout va bien, il faut aussi la raconter pour contrer le discours anxiogène des chaînes d’info, explique Bronner : “On est pris en otage médiatiquement. Quand un abruti idéologue gifle le président, on a raison de le traiter journalistiquement, mais ce type réussit à capturer une part de notre cerveau et du débat public” », Arrêt sur images, 30/07/2021.
« J’allais dans les quartiers en transports en commun, pour sentir la distance. C’est ça, les frontières. On passe des endroits riches aux endroits pauvres. Ma culture professionnelle m’aveuglait. Le Monde, comme tout bon journal républicain, tendait à considérer que la ségrégation ethnique n’existait pas en France. Je prenais les transports, et j’ai fini par noter que j’étais le seul blanc. Depuis, je vois la diversité et j’ai employé le mot de ghetto, jusque dans [mon] livre. », Bondy Blog, 14/08/2020.
« Je récuse la globalisation du ‘tous pourris’ dans la sphère médiatique. Je suis tranquille avec ma conception du métier : je défends le journalisme de Florence Aubenas, pas celui de Pascal Praud ». Ibid
Concernant la mission parlementaire ayant pour objet de renforcer le secret de l’instruction : « À ma connaissance, leur idée, c’est de passer d’une peine de prison d’un an à une peine de trois ans de prison et de 15 000€ d’amende, ce qui veut dire qu’on est dans un message de durcissement. Ils peuvent difficilement s’en prendre aux journalistes, on sait se défendre et lorsqu’ils nous attaquent, que la DGSI nous convoque, on sait répondre. On sait, grâce à la protection des sources, défendre notre travail. Le message s’adresse aux sources : “ Vous risquez gros lorsque vous donnez des informations à des journalistes.” », France Inter, 21 décembre 2019.
« J’ai la conviction aujourd’hui qu’aller participer à des débats sur les plateaux télé, ça ne rapporte rien à un journal comme Le Monde. C’est même plutôt l’inverse : ça contribue au bruit médiatique, c’est une forme de nivellement par le bas […]. C’est un lieu qui ne permet pas de faire du journalisme sérieux. », France Culture, 16/12/2018.
« On est assez convaincu qu’on aura un meilleur traitement journalistique des questions de genre le jour où on aura des équipes qui seront paritaires. C’est le cas par exemple dans la direction de la rédaction du Monde composée de sept personnes, dont quatre femmes et trois hommes. […] On a encore un point de blocage avec une proportion de chefs de service femme qui est encore trop faible. », Prenons la Une, 07/03/2016.
Sur la décision de placer la photo du cadavre d’Aylan Kurdi en une du journal le 4 septembre 2015 : « Il fallait montrer cette photo en une du journal et il fallait par ailleurs l’accompagner d’une explication. On a choisi de faire un éditorial expliquant pourquoi cette photo devait contribuer à nous ouvrir les yeux, parce qu’elle avait une force et qu’elle nous imposait de nous arrêter collectivement sur la situation extrêmement grave des migrants et des réfugiés à travers la Méditerranée. […] Elle a fait bouger l’opinion, c’est important, je ne crois pas, malheureusement, qu’elle ait fait bouger en profondeur la politique migratoire de l’Union Européenne.», France Inter, 03/07/2016.
Face à Zemmour : « Moi j’habite en Seine-Saint-Denis et je n’ai pas le sentiment de vivre dans une république islamique. », Zemmour et Naulleau, 18/03/2015.
À la veille du second tour de l’élection présidentielle de 2012 : « Tu fais pas un édito en disant à tes lecteurs : « Tiens, il faut voter ça. C’est pas notre job de dire aux gens ce qu’ils doivent faire. », Les Gens du Monde, documentaire d’Yves Jeuland, 2014.
« Car le pire pour un homme politique est de donner l’impression qu’il tourne à vide. Et donc de conforter le sentiment général d’impuissance. Un danger majeur. Parce que, si les politiques continuent de renforcer l’idée qu’ils ne servent à rien, alors la société française n’hésitera pas, demain, à élire un bouffon ou un extrémiste. », Le Monde, 25/03/2013.
« La logique était de parier sur le monde privé, sur la responsabilité individuelle, sur la promotion des talents issus des quartiers en considérant que les approches traditionnelles – ce qu’on appelle la politique de la ville – avaient montré leurs limites depuis 20 ans. Il est vrai qu’en 2008, avant la crise, on sentait le monde de l’entreprise évoluer très rapidement sur la question de la diversité. Il y avait une volonté évidente, notamment de la part des grandes entreprises, de s’ouvrir sur de nouveaux viviers de recrutement, de faire évoluer le profil de leurs cadres, de ressembler un peu plus à la société dans sa diversité sociale et ethnique. Mais le pari n’a pas fonctionné. A cause de la crise économique, en premier lieu, qui a repoussé les candidats de la diversité dans la file d’attente des chômeurs. A cause de l’ampleur des difficultés dans les quartiers, ensuite et surtout : cette approche libérale se heurte à l’ampleur de la ségrégation sociale et ethnique dans notre pays. Des phénomènes qu’on ne pourra combattre sans une intervention publique forte, contrairement à ce que défendent les libéraux. », nonfiction.fr, 30/03/2011.
« L’éducation est un enjeu central. Malgré de très légers progrès, les écarts de réussite éducative restent considérables. Or, l’on sait que le diplôme et les niveaux de qualifications constituent des leviers essentiels. Aujourd’hui, un nombre considérable de jeunes, notamment de garçons, sortent de l’école sans le moindre diplôme. La proportion dépasse les 35% d’une classe d’âge dans certaines communes de Seine-Saint-Denis. C’est un handicap majeur. Mais c’est aussi un sujet délicat pour la droite comme pour la gauche parce qu’il faudra accepter de rompre complètement avec les logiques égalitaristes qui prévalent aujourd’hui dans l’éducation nationale en accordant beaucoup de moyens aux territoires les plus défavorisés. A droite, c’est une logique qui passe mal parce que beaucoup estiment que la nation donne déjà beaucoup à ces territoires. A gauche, c’est une approche qui peut indisposer les syndicats et le monde enseignant, une clientèle électorale très importante. », Ibid
« la crise des banlieues, dans sa forme la plus visible, la plus spectaculaire, est d’abord une banale crise d’adolescence, une histoire d’hormones qui agitent les garçons. Mais un phénomène amplifié par le nombre et par la faiblesse des contre-pouvoirs parentaux, eux-mêmes déstabilisés par le chômage, la non-maîtrise de la langue, la difficulté à surveiller les familles nombreuses ou, au contraire, la fragilité des mères isolées. Laissez le pouvoir à des adolescents ? Ils le prennent, quel que soit l’endroit où ils vivent », La loi du ghetto, p.51.
« si la France est probablement capable d’accueillir une partie de la ‘misère du monde’ pour détourner la célèbre formule de Michel Rocard, quelques dizaines de quartiers en France peuvent-ils y parvenir tout seuls ? L’histoire récente de ces quartiers montre que la réponse est négative », Ibid, p.155
« D’abord on a une consigne interne, qui n’est pas une obligation parce que l’on ne peut pas « interdire », mais qui est de ne pas aller sur ces plateaux‑là. À titre personnel, aller sur CNEWS, c’est « non ». Je pense que cette chaîne ne fait pas son travail, et je pense que cette chaîne, en allant un peu plus loin, est problématique dans sa façon de couvrir une partie de l’actualité.[…]
[D]ans le moment dans lequel on vit, alimenter des haines, alimenter des tensions, alimenter le simplisme, la polémique, cela a des effets dans le fonctionnement démocratique et cela a des effets, dans certains cas, assez graves. Ça ne veut pas dire que tout le monde dans les chaînes d’information fait mal son travail. Je pense que dans les différentes chaînes d’information il y en a certaines qui s’en sortent mieux que d’autres, qui ont choisi des modèles où il y a encore du reportage, de l’information.
Mais tous ces débats à la journée où viennent des Zemmour, viennent par exemple des journalistes de Valeurs Actuelles on en parlait entre nous avant de commencer la discussion, moi je pense que cela n’a pas d’intérêt pour des journalistes du Monde d’y être présents, et que ça abîme la discussion, ça ne rend pas possible une discussion intéressante, donc c’est vrai que je suis partisan de ne pas y aller. Ce qui fait que j’ai un regard très dur. Après, je renvoie aussi les gens à leur propre décision individuelle. Il y a une solution très simple pour s’en protéger, c’est de ne pas les regarder. », L’Observatoire des Médias, 17/12/2020.
Sa nébuleuse
Louis Dreyfus : Président du directoire. « Il fait partie des gens qui sont toujours joignables. Tout en restant d’humeur égale, très serein ».
Jérôme Fenoglio : Nommé directeur général du Monde en 2015, candidat favori de Pierre Bergé pour le poste, c’est lui qui nomme Luc Bronner à la direction de la rédaction du Monde dès sa prise de poste. Il se définit comme son « supérieur et ami » et dit de son binôme qu« il enchaine les réunions tout en restant enthousiaste ». Selon ses dires, « Luc Bronner est un des meilleurs directeurs de la rédaction que le journal ait connus depuis 30 ans ».
Caroline Monnot : Elle succède à Luc Bronner à la tête de la rédaction, forte d’une expérience de vingt ans au sein du journal, d’un sectarisme et d’un anti-lepénisme décomplexés. Elle relève notamment son « côté très ascétique ».
Mireille Paolini : Directrice littéraire en charge des essais et documents chez Calmann-Lévy, maison qui a publié le premier essai remarqué de Luc Bronner, La Loi du Ghetto. Officiant désormais au Seuil, elle est l’éditrice de « La Familia Grande », le réquisitoire de Camille Kouchner contre son beau-père aussi influent qu’incestueux, Olivier Duhamel, lui-même éditeur au Seuil. En vertu de son amitié avec Paolini, Luc Bronner est le premier journaliste à consulter le manuscrit explosif et placé sous le sceau du secret en décembre 2020. Et c’est bien Le Monde qui donne le coup d’envoi de la polémique le 4 janvier 2021 en publiant des extraits exclusifs du livre.
Laurent Godmer et Guillaume Martel : Respectivement maître de conférences en sciences politiques dans les universités Paris-Est Marne-la-Vallée et d’Avignon, ils remercient leur « ami » pour sa relecture de leur ouvrage publié en 2019 « La politique au quotidien : L’agenda et l’emploi du temps d’une femme politique ».
Laurence Geai : photographe de presse, notamment sur les terrains de guerre, elle accompagne le journaliste sur les routes de la France post-Covid de 2021.
Ils l’ont dit
« Luc Bronner a réalisé un travail d’une grande rigueur, accompagné de la photographe Laurence Geai. Très rapidement, j’ai senti la pleine confiance que nous pouvions accorder à l’ancien directeur de la rédaction du Monde, son regard était bienveillant et il tachait sincèrement d’angler son reportage autour des solutions qui existent en Mayenne. Forcément, un tel travail a suscité de vives réactions. C’est bien la preuve que la France a besoin de cela dans ces moments difficiles. Le public nous l’a dit lui-même. Il a aussi besoin d’entendre la France qui va bien », Jean-Marie Mulon, ancien journaliste à Ouest-France et organisateur du Presstival Info de Château-Gontier, Reporters d’Espoir, 23/06/2021.
Recension de « Chaudun, la montagne blessée » : « Sans que cela soit explicite, son objectif – à partir de l’échelle locale – est de monter en généralité pour anticiper un futur proche, voire des situations déjà actuelles sous d’autres latitudes : dès aujourd’hui, le changement climatique pousse а l’exil des communautés villageoises qui ne parviennent plus а tirer les bénéfices suffisants de leurs terres, а l’image de Chaudun il y a un peu plus d’un siècle. Il est probable que cette mise en perspective soit aussi une façon pour l’auteur de questionner les conditions d’accueil des migrants dans les Hautes-Alpes », Métropolitiques, 24/12/2020.
« Luc a un côté très ascétique […]. Au sein du journal, les gens étaient convaincus qu’il était hyperambitieux, mais ils n’avaient rien compris. C’est un montagnard, il est content quand il peut se barrer une semaine voir les marmottes et les chamois sans parler à personne. », Caroline Monnot, Libération, 05/11/2020.
« En creux : de l’homme Bronner, le plus étonnant est qu’on ne sait pas grand-chose. Après cinq ans à la tête du Monde, rester quasi inconnu, il faut le faire. Ses apparitions audiovisuelles, en cinq ans, doivent se compter sur les doigts d’une main, dont une émission de France Culture dans laquelle — sacrilège pour un patron de rédaction — il avait critiqué un livre commis par deux stars de sa maison, Gérard Davet et Fabrice Lhomme (beaucoup plus présents que lui sur les plateaux, soit dit en passant). Bien malin qui, hors de sa rédaction, connaît le visage de Luc Bronner (de même que celui de sa successeur désignée, Caroline Monnot). Bien malin même qui peut lui attacher une prise de position personnelle tranchée. », Daniel Schneidermann, Libération, 12/10/2020.
« Au sein de la rédaction, Luc Bronner privilégie les contacts humains autant qu’il peut. Il jongle entre les différentes conférences de rédaction et les discussions plus informels. Son bureau est toujours ouvert. Le journaliste Abel Mestre a côtoyé Luc Bronner dans plusieurs services avant d’être sous sa direction. Il confirme : “ Il n’est pas du genre à vous taper dans le dos ni à boire des coups après le boulot, mais il est proche de ses collègues ”. Souvent, il suffit de lui faire signe de l’autre côté de la cloison transparente de son bureau pour entamer la discussion. “ C’est très étonnant de voir qu’il est aussi simple. On ne dirait pas qu’il est à ce poste ”, confie un confrère, ancien camarade de Sciences Po Grenoble et l’ESJ Lille. Luc Bronner est avant tout journaliste. “ J’adore être dans la cuisine du journal ”, s’égaye-t-il, préférant mettre les mains dans le cambouis plutôt que de jouer de son statut et de son influence. Le directeur des rédactions du Monde refuse “ les déjeuners avec l’élite parisienne ”, plutôt courants à ce poste, pour éviter les tentatives de manipulations. », Antoine Beau, Medium, 29/06/2020.
« De fait, des quartiers populaires L. Bronner ne met en exergue qu’une partie de la vie quotidienne, réelle mais très partielle. En ce sens, il n’échappe pas à l’une des caractéristiques de la façon ordinaire de travailler des journalistes : s’attacher au plus visible, au plus choquant, voire au plus spectaculaire. Ceci s’illustre dans la sélectivité des lieux comme dans celle des problématiques, et finalement dans la tonalité générale.
Sur les lieux d’abord, L. Bronner prend exclusivement ses exemples dans certains des quartiers les plus durs de la banlieue parisienne, en particulier la banlieue nord (et notamment le fameux « 9–3 » — la Seine-Saint-Denis). Ce choix est volontaire. Il est une sorte de miroir grossissant, mais aussi déformant. Car il existe des centaines de quartiers populaires en grande difficulté à l’échelle nationale (rappelons que près de 300 avaient participé, à des degrés très divers, aux émeutes de 2005), mais qui ne « collent » pas forcément à l’image tendue à travers ce livre. », Marwan Mohammed et Laurent Muchielli, chercheurs au CNRS, Sociologie, 2010.
« Le livre de Bronner est de cette trempe-là. Truffé d’informations, prises au pouvoir comme aux dealers, aux habitants comme aux penseurs. De temps en temps, l’auteur se risque au “ je ”. Et c’est tant mieux. Il raconte ses situations, ses angoisses. Et l’on devine que sa peur physique, au cœur de certaines émeutes, n’est parfois rien comparée à ses peurs morales : à quoi joue-t-on avec NOS ghettos ? De quoi détournons-nous NOS regards ? semble demander sans cesse Luc Bronner. », David Dufresne, davduf.net, 7/05/2010.