Guide suprême de l’audiovisuel
« Comment peut-on être Persan ? », s’exclamait un badaud parisien à la vue de Rica dans les Lettres Persanes de Montesquieu. Si un badaud contemporain s’avisait de poser la question « Comment peut-on être président de l’ARCOM ? », il suffirait de répondre : il faut être énarque et socialiste. En cela, Martin Ajdari était bien le candidat idéal pour ce poste, lui qui n’a cessé d’alterner entre des postes dans les organismes culturels publics et d’autres dans les cabinets ministériels ou les administrations, souvent au gré des victoires et des défaites électorales socialistes. Il reviendra désormais à ce technocrate du service public « qui a vécu sans télévision jusqu’à ses seize ans et ne la regarde qu’avec modération », de veiller au respect janséniste du pluralisme dans le paysage audiovisuel français. Ou bien, diront certains, à tout faire pour que l’absence de pluralisme politique perdure, la bonne conscience en plus.
Né en 1968, Martin Abraham Ajdari est le fils du diplomate et fonctionnaire international iranien Ahmad Ajdari, économiste de formation, ayant représenté successivement la monarchie Pahlavi et la république islamique d’Iran dans de nombreux pays africains. Lors de la naissance de son fils, il est en poste à l’ambassade iranienne de Rome en tant que conseiller économique et culturel. Sa mère, Martine Buron, architecte de formation, exerce en tant qu’architecte-urbaniste de 1973 à 1981 tout en faisant valoir son expertise dans les commissions locales du Parti socialiste. En 1981, elle est nommée secrétaire nationale aux Luttes des Femmes.
Après un parachutage dans le Grand Ouest et de nombreuses candidatures infructueuses, elle finit par être élue en tant que députée européenne de 1988 à 1994 (où elle est rapporteur de la Charte des droits sociaux fondamentaux des travailleurs) et maire de Châteaubriant de 1989 à 2001.
Elle doit en grande partie son parcours politique à son père, Robert Buron, ministre de l’Outre-mer sous la Quatrième République et ministre des Travaux publics sous la Cinquième, très engagé en faveur de la décolonisation et qui fut un des négociateurs principaux des Accords d’Évian en 1962. Militant réactionnaire catholique dans sa jeunesse, il servit brièvement le régime de Vichy avant de prendre part à la Résistance. Après-guerre, il présida l’OCDE (Organisation pour la coopération et le développement économique) de 1963 à 1967 où il noua de nombreux contacts avec les leaders indépendantistes d’Afrique et du Moyen-Orient.
Président de l’association France-Algérie vers la fin de sa vie, il fit paraître les lignes suivantes dans Le Nouvel Observateur en 1971 :
« LATENT, et plus encore inavoué, un racisme fondamental a depuis toujours existé, en France. Oui, en France comme ailleurs. Plus discret peut-être que dans certains pays. […] Diffus en France, le racisme ne débouche sur une prise de conscience politique que dans les grandes circonstances. Les travailleurs nord-africains, et plus précisément les Algériens, sont plus tolérés qu’accueillis en général, mais, à l’heure des grandes tensions, ils sont à peine supportés.
La guerre d’Algérie leur a rendu la vie difficile. […]
Hélas ! le peuple français n’est pas si naturellement bienveillant, et les travailleurs immigrés en souffrent très durement depuis quelques semaines.
Une campagne contre l’anti-arabisme doit être lancée immédiatement. Déjà, “ France-Algérie ” et les associations qui regroupent les travailleurs immigrés ont fait entendre leur appel ; déjà, de grandes organisations syndicales et des formations politiques de gauche ont protesté vigoureusement. Il faut maintenant que chaque Français se sente concerné et s’engage lui-même, à tous les niveaux où il peut se faire entendre, à dénoncer le racisme qui renaît en France ».
Formation
Il passe sa petite enfance en Afrique, avant de suivre ses parents à Paris, puis en Loire-Atlantique. A l’issue de sa scolarité secondaire, qu’il clôt au lycée Guy-Môquet de Châteaubriant, il remonte dans la capitale à l’assaut des grandes écoles.
Diplômé coup sur coup de l’ESCP (1989) et de Sciences-Po Paris (1991), il intègre la promotion René Char de l’ENA deux ans plus tard. Il s’agit de la première promotion à passer quelques mois à Strasbourg. Le futur haut fonctionnaire effectue ses stages ; le premier à la préfecture du Var, le second au Fonds d’action sociale pour les travailleurs immigrés. En parallèle, il suit des cours de persan à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO). Deux décennies plus tôt, sa mère avait également suivi des cours de persan dans la même école.
Parcours professionnel
- 1995- 1999 : intègre en sortie d’école la direction du Budget au sein du ministère de l’Économie et des Finances en tant qu’adjoint au chef de bureau Europe-relations financières avec l’Union européenne.
- 1999 — 2000 : nommé directeur administratif et financier de Radio France internationale.
- 2000 — 2002 : retourne à Bercy en tant que conseiller technique au sein des cabinets de Laurent Fabius, ministre des Finances, et de Florence Parly, secrétaire d’État au Budget.
- 2002 : suite à la déroute des socialistes lors de l’élection présidentielle, il retourne à la direction du Trésor où il est affecté aux affaires de financement du logement.
- 2004 — 2009 : nommé directeur général délégué de Radio France, chargé du Pôle Ressources.
- 2009 — 2010 : il suit Jean-Pierre Cluzel à l’Opéra de Paris dont il est brièvement le directeur général adjoint.
- 2010 — 2014 : prend le cap sur l’audiovisuel en acceptant le poste de directeur général délégué aux ressources de France Télévisions, dont il devient le secrétaire général à partir de janvier 2013. Il gère alors les relations, alors complexes, entre son entreprise et l’État, tout en surveillant les finances des chaînes. C’est à cette période qu’il est auditionné en tant que témoin assisté dans le cadre de l’affaire Bygmalion par le juge Renaud Van Ruymbeke. Il est toutefois rapidement mis hors de cause. En revanche, il est condamné en 2020 par la Cour des Comptes à payer une amende de 2500 euros pour ne pas avoir respecté les procédures d’appels d’offres concernant des contrats passés avec des prestataires entre 2012 et 2014.
- 2014 — 2015 : désigné directeur du cabinet de la ministre de la Culture et de la Communication. Il est aux affaires lors des courts mandats d’Aurélie Filippetti et de Fleur Pellerin.
- 2015 — 2019 : demeure au sein du ministère de la Culture en tant que directeur général des médias et des industries culturelles (DGMIC), un organisme qui couvre les secteurs du livre et de la lecture publique, de la télévision et de la radio, de la presse et de la musique enregistrée. A ce titre, il gère de concert avec les services de Bercy, la tutelle de l’État sur France Télévisions, dont il est l’un des administrateurs. Une situation qui risque fort de l’exposer à un risque de potentiel conflit d’intérêts, comme l’expliquait l’Ojim en 2015.
- 2020 — 2025 : revient au poste qu’il occupait une décennie plus tôt au sein de l’Opéra national de Paris, dont il supervise l’ensemble des fonctions opérationnelles de l’établissement (administratives et financières, commerciales…), et veille à la mise en œuvre de son plan stratégique.
- 2025 : succède à Roch-Olivier Maistre à la présidence de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM).
Parcours militant
Pendant longtemps, Martin Ajdari a été décrit dans les médias comme un homme dont le cœur penchait à gauche. Dans un livre qui retrace les parcours biographiques d’énarques influents paru en 2011, Marie-Sophie Delorme dresse le portrait de Martin Ajdari, qui opère alors hors des radars médiatiques. Ce dernier prend l’auteur du livre à témoin en semblant regretter qu’aucun des énarques mis en exergue dans son ouvrage (parmi lesquels figurent Emmanuel Hoog et Matthieu Pigasse) « ne soit vraiment à gauche ». Nous n’en saurons pas plus dans la suite de l’ouvrage sur ce qu’entend Ajdari par être « vraiment à gauche ».
Les Échos le décrivaient en 2014, peu après sa candidature infructueuse à la tête de Radio France, comme un homme marqué à gauche. Un an auparavant, Le Monde décrivait le numéro 2 de France Télévisions dans les mêmes termes. Toutefois, les portraits réalisés à l’occasion de sa nomination à la tête de l’ARCOM ne s’attardent pas ou peu sur sa couleur politique ; cette omission est sans doute due au caractère d’impartialité que devrait requérir ce poste.
En 2020, il met sur pied la mission diversité à l’Opéra de Paris à une période où des rumeurs de discriminations envers les danseurs noirs bruissent cœur de la vénérable institution. Celle-ci est finalement officialisée en septembre 2020 et confiée à Constance Rivière, secrétaire générale du défenseur des droits, et à Pap Ndiaye, le futur ministre de l’Education Nationale, qui n’est à l’époque que professeur d’histoire sociale à Sciences Po. Le rapport, intitulé « Rapport sur la diversité à l’Opéra National de Paris », est publié en janvier 2021.
Ce qu’il gagne
Selon La Revue Politique, la rémunération du président de l’ARCOM est estimée à environ 180 000 euros par an.
Il l’a dit
« Cette régulation [Digital Services Act, ndlr] est aujourd’hui contestée et il faut rappeler ce qui est en cause : la lutte contre les ingérences, la qualité et l’honnêteté de l’information, la diversité des courants de pensée, le respect de la dignité de la personne humaine. En somme, ce qui fonde notre modèle démocratique. A nous de le défendre, tout en sachant faire évoluer nos règles », site de l’Arcom, Intervention à la 18ème édition des Assises du Journalisme de Tours, 14/03/2025.
« Dans les années 1980, le nombre de chaînes était réduit, et nous avions une vision du pluralisme interne fondée sur le temps de parole des personnalités politiques. Le Conseil d’État a été invité à préciser la lecture que l’Arcom devait faire de la loi. Il a défini le champ d’application du pluralisme, qui devient plus large et inclut l’ensemble des intervenants et des programmes. […] Ensuite, il va falloir mettre en oeuvre ce cadre avec chacune des chaînes. Il faut, pour chaque projet éditorial, examiner comment procéder, sans définir des grilles a priori, ce qui pourrait s’apparenter à une forme de censure », Audition à la commission des affaires culturelles, 17/12/2024.
« Si l’on veut que notre public reflète la diversité d’origines de la société française, il faut que toutes ses composantes se retrouvent dans les œuvres que nous proposons sur scène. Cette ambition est à la source du rapport commandé par Alexander Neef à Pap Ndiaye et Constance Rivière en 2020, « De la question raciale à l’Opéra de Paris », qui examine, entre autres, la prégnance de stéréotypes issus de l’époque coloniale dans notre répertoire », Émile, 30/08/2023.
« Cette question de l’uniformité du ballet blanc, sous couvert de relever de considérations exclusivement esthétiques, mérite réflexion », Le Monde, 25/12/2020.
« Je fais partie de ceux qui se souviennent qu’il fallait un passeport pour passer les frontières et se rendre dans des pays très proches. On est aujourd’hui à la croisée des chemins. On est dans un monde technique. L’aventure est beaucoup plus technocratique et beaucoup moins épique », Marie-Laure Delorme, Les Allées du pouvoir, Le Seuil, 2011.
Distinctions
Le 1er janvier 2021, alors directeur général adjoint de l’Opéra de Paris, il est promu chevalier de la Légion d’honneur.
Sa nébuleuse
Jean-Paul Cluzel, énarque, inspecteur des finances, ce militant engagé de la cause homosexuelle et proche de Pierre Bergé a successivement dirigé, au cours de sa longue carrière administrative, l’Opéra de Paris, Radio France Internationale, où il fait la rencontre de Martin Ajdari, et Radio France. Le courant passe si bien qu’il invite Martin Ajdari à le rejoindre à Radio France à l’annonce de sa nomination. Une relation presque filiale se développe, tant et si bien que Jean-Paul Cluzel fait la déclaration suivante au Monde en 2024 :
« Je le considère comme le fils que je n’ai pas eu ».
David Kessler, autre haut fonctionnaire homosexuel très introduit dans le milieu de la culture. Celui qui fut notamment conseiller culturel de François Hollande à l’Élysée, fait la connaissance d’Adjari en 2004 à Radio France, dont il est alors lui aussi le directeur général délégué. Quelques années plus tard, il appuie à l’Elysée ses candidatures à la tête de Radio France et de l’Audiovisuel extérieur de la France (AEF) regroupant RFI, Radio Monte Carlo Doualiya et France 24. Très influent, c’est également lui qui souffle les noms d’Olivier Schrameck et de Delphine Ernotte à François Hollande, qui finira par les nommer respectivement présidents du CSA et de France Télévisions.
Mathieu Galet, qui est élu à la tête de Radio France à la surprise générale en 2014 et ravit le siège qui était garanti à Martin Ajdari, alors candidat le mieux placé. Le jeune dirigeant reconnaît toutefois que son aîné fait montre d’« un parcours très solide » et « qui connaît très bien les médias publics et le secteur culturel ».
Ils ont dit
« Il connaît de l’intérieur les contraintes d’une entreprise […]. Il sait ce que signifient gérer des effectifs, faire des prévisions comptables, anticiper l’impact économique des enjeux culturels, », Karine Blouët, membre du directoire de M6, Le Monde, 03/02/2025.
« Bref, entre la formation académique, le parcours médiatique dans le public, l’imposition du wokisme dans des institutions vénérables et le service de la France socialiste, Martin Ajdari est un choix qui, pour la caste politico-médiatique, coche toutes les cases », Boulevard Voltaire, 29/11/2024.
« Martin Ajdari est un très fin connaisseur des sujets audiovisuels […]. C’est aussi un homme d’entreprise avec un vrai background (bagage) économique qui sera utile à l’Arcom » Christopher Baldelli, ex-président de Public Sénat, Le Parisien, 28/11/2024.
« En juillet 2019, Emmanuel Macron a choisi Martin Ajdari comme gestionnaire de l’établissement public. Cet inspecteur des finances a remplacé un membre du Conseil d’État. Et ce dernier a pris, quand il est arrivé à l’Opéra, la place d’un inspecteur des finances, Christophe Tardieu, qui est aujourd’hui secrétaire général de France Télévisions, poste qu’a autrefois occupé Martin Ajdari… Un jeu de chaises musicales très fréquent dans la secte des hauts fonctionnaires », Vincent Pauvret, La mafia des Voraces, Robert Laffont, 2020.
« En mai 2014, la ministre de la culture de l’époque, nomme directeur de cabinet, le Directeur Général de France Télévisions. Jusque-là rien d’extravagant. C’est oublier qu’il évolue alors (et encore aujourd’hui) sous le statut de témoin assisté dans l’affaire Bygmalion/France Télévisions, dossier dans lequel nous sommes partie civile. Si une mise en examen et encore moins, un statut de témoin assisté, ne doivent pas entacher la présomption d’innocence, une telle nomination à la tête du ministère de tutelle, dénote pour le moins un manque de prudence et de sérieux. Comment peut-on exercer sereinement cette fonction, alors-même que, du jour au lendemain une audition chez le juge peut vous replonger dans le passé de l’entreprise que vous êtes chargé de contrôler et que vous dirigiez quelques heures plus tôt ? », Mediapart, 26/05/2015.
« Il a tendance à être dans la caricature du technocrate, ajoute un autre. Ce n’est pas le genre à proposer un café. », un délégué syndical de France Télévisions, Le Monde, 22/07/2013.