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Nicolas Truong

14 mai 2022

Temps de lecture : 10 minutes
Accueil | Portraits | Nicolas Truong
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Nicolas Truong

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Estampillé conforme

Né en 1967, Nicolas Truong dirige depuis près de quinze ans les pages « Idées-Débats » du Monde. Contrairement à ce qu’un habitant de Sirius pourrait attendre d’un quotidien national, il ne fait guère preuve d’honnêteté idéologique, ni ne fait mystère de ses penchants intellectuels poussant très loin à gauche le bouchon de ses idées.

Échap­pé d’une revue con­fi­den­tielle qu’il avait lancée lui-même à l’orée des années 90, M. Truong se fait bien­tôt embauch­er au Monde, dans le sup­plé­ment Édu­ca­tion. De cette red­oute, il com­mence à arroser de piges tous les titres de la presse de gauche et assim­ilés : il remue des idées qu’il croit alors immortelles, celles de Jacques Ran­cière, d’Edgar Morin, d’Alain Badiou. Tant et tant qu’après le naufrage du fes­ti­val d’Avignon à l’ancienne durant l’été 2003, les nou­veaux organ­isa­teurs vien­nent le chercher pour lui pro­pos­er d’animer un « Théâtre des idées ».

« L’idée des codi­recteurs, racon­tera-t-il, c’était que le Fes­ti­val rede­vi­enne un lieu de parole, de cri­tique du monde, et que les intel­lectuels revi­en­nent au théâtre. Ils m’ont demandé de créer un espace pour ça, pour aider à dépous­siér­er et à met­tre en rela­tion. J’ai invité Jacques Der­ri­da autour d’une ques­tion : l’Europe » (entre­tien avec Clé­men­tine Autain, revue Regards, 28 juin 2013).

De ces « ren­dez-vous » esti­vaux où des maîtres sor­bona­gres de gauche vien­nent réciter des textes pour éclair­er le cha­land naîtront plusieurs pub­li­ca­tions comme Résis­tances intel­lectuelles ou Éloge du théâtre écrit avec Alain Badiou. À Avi­gnon tou­jours, décidé­ment féru de théâtre, il avait mis en scène en 2003 La vie sur Terre, adap­ta­tion de textes issues de la « pen­sée cri­tique », comme les Let­tres, arti­cles et essais de George Orwell.

Théâtre philosophique

Depuis, comme il le dit mod­este­ment, il tente de faire vivre un théâtre philosophique, savant et ludique, qui vise à « faire advenir des émo­tions de pen­sée ». C’est ain­si qu’est né le Pro­jet Luci­ole, présen­té en 2013, tou­jours au Fes­ti­val d’Av­i­gnon, en col­lab­o­ra­tion avec Judith Hen­ry et Nico­las Bouchaud qui con­stru­iront avec lui son pro­jet Inter­view : un spec­ta­cle mon­té au Théâtre du Rond-Point pour « s’interroger sur une tech­nique de tra­vail médi­a­tique », le spec­ta­cle étant lui-même con­stru­it autour d’entretiens, d’interviews, avec plusieurs reporters célèbres, dont Flo­rence Aube­nas et Jean Hats­feld. « L’ensemble est un joyeux ques­tion­nement sur l’art d’interroger », l’aridité de la pen­sée décon­nec­tée de tout réel et noyée dans ses pro­pres mots n’empêche pas d’être « joyeux. »

Nico­las Truong, entre deux arti­cles dézin­guant la droite et l’extrême droite, par­ticipe aus­si aux « Ate­liers de la pen­sée » depuis 2014. C’est le 13 octo­bre 2019 au Salon du livre de Blois, dans le cadre des 22e Ren­dez-Vous de l’histoire qu’il donne toute sa mesure. Il est en effet com­mis pour inter­view­er Gérard Noiriel sur le sujet léger et objec­tif suivant :

« De Dru­mont à Zem­mour : aux racines du dis­cours réac­tion­naire. Com­ment Édouard Dru­mont, chef de file de l’antisémitisme français à la fin du XIXe siè­cle, et Éric Zem­mour, pam­phlé­taire à suc­cès, ont-ils réus­si à cristallis­er autour d’eux des sen­ti­ments réac­tion­naires ? Et com­ment les com­bat­tre ? Par une approche socio­his­torique com­par­a­tive, Gérard Noiriel étudie le rôle, la place et la récep­tion de leur dis­cours dans le paysage social, poli­tique et médi­a­tique français ».

Bouvard et Pécuchet

L’Ojim écrit alors :

« Truong et son ami poli­tique Noiriel ren­versent le réel : les bien-pen­sants seraient ceux qui s’opposent à l’idéologie dom­i­nante, celle du Monde, des Noiriel et des Truong. Il fal­lait oser ».

En effet, pour un théoricien de l’interview, celle-ci a un goût de trucage : les deux com­pars­es sont en train d’écrire ensem­ble un livre sur les Gilets jaunes mais surtout se passent le sel et la rhubarbe en direct. Le tout devant un pub­lic cen­sé­ment invité pour enten­dre par­ler d’histoire, à qui ils con­tent com­ment le juif Zem­mour est un digne hérit­er de l’antisémite Dru­mont. De même dans ses pages du Monde, Truong excelle pour dénon­cer des chroniqueurs télé en vue, cher­chant à les assign­er à une extrême droite introu­vable qui devrait les empêch­er de fréquenter les plateaux. Quand lui et ses cama­rades post-com­mu­nistes auraient bien enten­du toute lat­i­tude pour hanter les­dits plateaux. Nico­las Truong incar­ne le jour­nal­iste de gauche typ­ique des années 90, sûr de lui et dom­i­na­teur, une espèce en voie de disparition.

Formation

Incon­nue

Parcours professionnel

1988

Il fonde la revue lit­téraire et éphémère Let­tre, qui dur­era jusqu’en 1993.

Depuis 1993

Jour­nal­iste au Monde de l’Éducation.

Depuis 2005

Con­seiller à la rédac­tion de Philoso­phie mag­a­zine (il coréalise notam­ment l’en­tre­tien entre Michel Onfray et Nico­las Sarkozy lors de la cam­pagne pour l’élec­tion prési­den­tielle 2007).

Depuis 2000

Col­lab­o­ra­tions au Monde diplo­ma­tique, à la revue Lignes, et aux revues Schnock et Charles (groupe La Tengo).

Depuis 2004

Respon­s­able du « Théâtre des idées » au fes­ti­val d’Avignon.

Au printemps 2020

Grand reporter au Monde en charge du monde des idées et de la vie intellectuelle.

Parcours militant

Non ren­seigné

Ce qu’il gagne

Non ren­seigné

Publications

  • Le sens de la République, avec Patrick Weil, Gras­set (juin 2015)
  • Le Théâtre des idées, Flam­mar­i­on (2008). Réu­nis­sant « 50 penseurs majeurs pour com­pren­dre le XXIe siè­cle », c’est le chef d’oeuvre du jour­nal­iste engagé, qui aura réus­si à mêler idéolo­gie et théâtre pen­dant des années à Avi­gnon, dévelop­pant une pen­sée pour le moins obscure sur la néces­sité du com­mun, le rap­port entre Ori­ent et Occi­dent, la crise de la représen­ta­tion poli­tique, la méta­mor­phose du tra­vail, le retour du sacré, les sociétés en quête d’identité, et l’actualité des « résistances ».
    Résis­tances intel­lectuelles. Les com­bats de la pen­sée cri­tique, L’Aube, 2013. Livre col­lec­tif où se croisent Jacques Ran­cière, Jean-Luc Nan­cy, Françoise Héri­ti­er, Bernard Stiegler, Frédéric Lor­don, Pierre Rosan­val­lon, François Cus­set, Edgard Morin ou Michel Onfray.
  • Pro­jet Luci­ole, Venenum édi­tions (2014)
  • Éloge du théâtre, avec Alain Badiou, Flam­mar­i­on (2016). Le jour­nal­iste y donne la parole au vieux philosophe maoïste qui con­tin­ue d’exercer son man­dar­i­nat mal­gré ses posi­tions légère­ment com­plices des total­i­tarismes com­mu­nistes du XX siècle.
  • Éloge de l’amour, avec Alain Badiou, Flam­mar­i­on (2016)
  • Une his­toire du corps au Moyen-Âge (con­tri­bu­tion), dir. Jacques Le Goff, Liana Lévi (2017)
  • Les Gilets jaunes à la lumière de l’histoire, entre­tiens avec Gérard Noiriel, Le Monde/L’Aube (2019). Le jour­nal­iste et l’historien s’entretiennent de la crise des Gilets jaunes, qu’ils ne parvi­en­nent à com­pren­dre que sous l’angle de la « ques­tion sociale », ten­tant d’en abstraire le mou­ve­ment iden­ti­taire pro­fond, pour essay­er de le rabat­tre vers la gauche ras­sur­ante qu’ils connaissent.
  • Pourquoi il ne faut plus dire « je t’aime », avec François Jul­lien, Le Monde/L’Aube (2019)
  • Engagez-vous, de Stéphane Hes­sel, L’Aube, 2015 (rééd. 2020). Dans ce livre qui rassem­ble deux textes de l’icône défunte de la gauche Stéphane Hes­sel, l’un est un court dia­logue mené par Nico­las Truong cen­sé révéler la pas­sion de Hes­sel pour la philosophie.
  • Vivre autrement, de Claire Marin, L’Aube, 2021. Le livre est tiré d’échanges parus dans les pages du Monde, au cours duquel les deux inter­venants devisent de l’influence de la pandémie sur l’intimité des individus

Il l’a dit

« Les luci­oles sym­bol­isent la joie et le désir qui illu­mi­nent amis et amants au cœur de la nuit. Mais auraient-elles dis­paru ? Pour Pier Pao­lo Pasoli­ni, leur extinc­tion due à la pol­lu­tion est la métaphore d’une human­ité rongée par la « mer­donité » de la moder­nité ». Pro­jet Luciole

« Qu’on ait été com­mu­niste ou pas, qu’on soit artiste ou pas, la société a mal à son com­mun. Elle est en état de “com­mun dépassé” » (entre­tien avec Clé­men­tine Autain dans la revue Regards, 2013).

« Je pense qu’il faut un ser­vice pub­lic des idées, pas conçu comme une pen­sée d’État ou qui servi­rait de légiti­ma­tion à une pro­gram­ma­tion cul­turelle. On peut con­sid­ér­er qu’il devrait exis­ter un accès libre et partagé à l’intellectualité » (entre­tien avec Clé­men­tine Autain dans la revue Regards, 2013).

« Julien Coupat des­sine une éthique de la révo­lu­tion, au sein de laque­lle ce n’est plus à la théorie, mais à la vie de guider l’action : « Nos vies sont dev­enues les garantes de nos mots, et non plus le con­traire. » C’est pourquoi, loin des grandes procla­ma­tions et entités, « on recom­mencera en par­tant de l’amitié, de l’amour, des dis­tances, des lieux, des liens et des prox­im­ités ». La révo­lu­tion est décidé­ment une affaire d’émotion » Le Monde, 28 févri­er 2019.

« Les querelles sur la per­ti­nence de la notion de France périphérique ou sur le sens à don­ner au mot peu­ple témoignent d abord d’un retour de la ques­tion sociale, comme l’il­lus­tre cet entre­tien avec Gérard Noiriel. Or une grande par­tie de l’in­tel­li­gentsia l’avait mise de côté, voire dis­créditée au prof­it d’une focal­i­sa­tion sur la ques­tion de l’i­den­tité. À force de n’être pas la cause de tout, les con­di­tions sociales n’é­taient plus la cause de rien. Les voilà qui revi­en­nent, pour le meilleur et pour le pire, entre éman­ci­pa­tion et réac­tion » (Les Gilets jaunes à la lumière de l’histoire).

« Le nation­al-pop­ulisme a ses par­ti­sans, son cre­do, ses héros, ses réseaux, ses revues, ses auteurs et ses afi­ciona­dos. Mais, intel­lectuelle­ment, ce courant est sor­ti du ghet­to. Et, médi­a­tique­ment, il se sent porté par le vent et se répand à l’envi sur les ondes et les écrans, pas unique­ment sur des sta­tions d’extrême droite, mais aus­si dans cer­taines émis­sions de BFM-TV, CNews ou LCI », Le Monde, 6 mars 2020.

« Ain­si envis­agée, l’écologie pense la total­ité, c’est pourquoi les réac­tion­naires l’accusent d’être total­i­taire. Sans compter le malaise des néo­con­ser­va­teurs, qui oscil­lent entre le déni cli­ma­tique, le pari sur les solu­tions tech­nologiques et les rail­leries envers les écol­o­gistes (qual­i­fiés d’« amishs » ou de « Khmers verts »), les zadistes (régulière­ment assim­ilés à des « punks à chien »), les ani­mal­istes, les végans ou la « rad­i­cal­ité » des écofémin­istes qui – hor­resco ref­er­ens – réha­bili­tent la fig­ure des sor­cières », Le Monde, 14 jan­vi­er 2022.

Sa nébuleuse

Edgar Morin, Alain Badiou, Stéphane Hes­sel (+), Gérard Noiriel, Julien Coupat.

Il est un habitué du Fes­ti­val Inter­na­tion­al du Jour­nal­isme organ­isé chaque année depuis 2016 à Couthures-sur-Garonne à l’initiative de la rédac­tion du Monde.

Ils ont dit

« Ils vont et vien­nent, sont insta­bles, incer­tains, désir­ants, fan­tasques. Ils sont là pour faire danser les paroles de Bau­drillard, Orwell, Adorno, Didi-Huber­man, etc. Ils en font une scène d’amour, de ménage, de malen­ten­du, par­fois même un vaude­ville. Sur scène, quand la lumière baisse, le sol est jonché de feuilles volantes, translu­cides : luci­oles, que l’u­ni­versel bavardage éteint. C’est un spec­ta­cle, en somme, à la bougie ». Philippe Lançon, Libéra­tion, à pro­pos de Pro­jet Luci­ole.

« Résul­tat : Le Monde pub­lie un caus­tique arti­cle dont l’auteur – Nico­las Truong, respon­s­able des pages dédiées aux « débats » du quo­ti­di­en du soir – se gausse de cet « embar­ras­sant pané­gyrique », et de l’application toute par­ti­c­ulière que Gies­bert met à flat­ter Fil­lon. Pour FOG, qui est plus habitué aux flagorner­ies que lui prodiguent par exem­ple les col­lab­o­ra­teurs du Point lorsqu’il pub­lie un livre, c’en est trop : dans le numéro suiv­ant de La Revue des deux mon­des, il se déchaîne con­tre les « pisse-froid » du quo­ti­di­en du soir, « un jour­nal qui suinte sou­vent la haine, le ressen­ti­ment, ce que Spin­oza appelait les “pas­sions tristes” ». Sébastien Fontenelle, Les édi­to­crates 2. Le cauchemar con­tin­ue, La Décou­verte, 2018.

Illus­tra­tion : cap­ture d’écran vidéo theatre-contemporain.net

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